Lire et relire les Fables de La Fontaine, c'est d'abord s'offrir un plaisir, celui de savourer la poésie d'un des plus grands stylistes de la langue française. Et pour stimuler ce plaisir, rien ne vaut de lire ces fables à haute voix, de les réciter, car elles ont été écrites pour qu'on les "joue". Nous avons tous en mémoire nos récitations scolaires et les potaches que nous étions n'ont pas gardé le souvenir de pensums trop rébarbatifs !
Car notre fabuliste a l'art de monter de véritables saynètes où cohabitent sérieux et humour,
dont les personnages - des animaux, mais pas seulement - incarnent des défauts, des travers
(rarement des qualités), bref, des comportements intemporels. Si La Fontaine a croqué en effet
les moeurs de son temps, il brosse un tableau souvent accablant du genre humain à travers les
siècles. C'est en cela notamment qu'il est un auteur classique.
La Fontaine excelle en particulier dans le dialogue et de nombreuses fables sont des morceaux
d'anthologie de notre littérature. Mais au risque d'écorner une icône, toutes les fables ne se
valent pas et certaines, avouons-le, sont même franchement ennuyeuses. Ce constat se vérifie surtout au cours des derniers Livres, où un La Fontaine vieillissant, désabusé, voire amer, semble s'être dépouillé de sa verve et de son talent. Mais que le lecteur distrait n'y trouve pas un prétexte pour renoncer devant des fables réputées difficiles !
Les Fables de La Fontaine se méritent... Plusieurs lectures seront nécessaires sur des textes hermétiques au premier abord. Hermétiques sur le fond, mais également sur la forme. La Fontaine se laisse aller parfois à des digressions étrangères à l'idée principale qu'il entend développer, et il arrive même que la morale n'ait rien à voir avec la trame de l'histoire. Autant de lourdeurs et de détours qui nuisent à la compréhension immédiate de certaines fables, mais qu'une lecture exigeante permettra de décrypter.
Quel est le contenu de ces fables ? Impossible d'être exhaustif en quelques lignes, tant l'oeuvre est dense . Dans la panoplie des défauts qui anime le quotidien de ses congénères, il en est un que La Fontaine déteste par-dessus tout : l'avarice. D'une manière générale, l'argent n'est pas en odeur de sainteté chez le fabuliste. Pas de circonstances atténuantes pour les hommes qui cherchent avec avidité à faire fortune, ou pour les avares qui cadenassent leurs placements sonnants et trébuchants dans les cales de navires... qui font naufrage.
La Fontaine n'éprouve guère non plus de sympathie à l'égard des puissants et prend régulièrement le parti des petites gens. L'auteur annonce ainsi le Siècle des Lumières qui mettra à bas la monarchie. Outre la Cour du roi Louis XIV et son complexe système d'intrigues, La Fontaine s'en prend à l'Eglise et au monde ecclésiastique. Ces critiques peuvent paraître aujourd'hui convenues - il est vrai que déjà à l'époque, railler moines et curés était une tradition littéraire - mais elles attaquaient un des fondements de la société du Grand Siècle.
Anticlérical persifleur mais pas fanatique, La Fontaine est un philosophe agnostique. Rien ne permet de prétendre qu'il était athée. Du reste, un tel aveu de sa part lui aurait valu certainement de gros ennuis dont il a su sagement se préserver... Pourtant, on chercherait en vain des mentions de Jésus, de Marie ou de Joseph dans ses vers. On y découvrira en revanche tout l'intérêt que La Fontaine manifestait à l'égard de la raison et de la science, plus tard à l'honneur avec les Lumières.
Et l'amour ? La Fontaine se plaît à décrire avec délectation le sentiment amoureux et, en bon épicurien, ne reste pas insensible aux plaisirs que procure le sexe. Ce qui ne l'empêche pas de révéler sa misogynie, mais plutôt avec moins d'acrimonie que chez les hommes de son temps.
A notre étonnement, l'auteur affiche une nette aversion vis-à-vis des enfants, ainsi que de ceux qui s'en occupent chaque jour : les maîtres d'école.
Pour finir, dira-t-on que La Fontaine aime le "farniente" ? Une certitude : il n'apprécie rien tant que le repos, chez lui, loin de toute agitation. A cet égard, il craint les voyages et leurs désagréments. Il apprécie surtout l'absence de contraintes, condition indispensable pour étudier tout à loisir.
Glorifier le repos et dénoncer le travail, mais pour apprendre, observer, comprendre et... écrire. Cette devise va comme un gant à Jean de La Fontaine.
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