L' aigle, la laie et la chatte
L'Aigle avait ses Petits au haut d'un arbre creux,
La Laie au pied, la Chatte entre les deux ;
Et sans s'incommoder, moyennant ce partage,
Mères et Nourrissons faisaient leur tripotage.
La Chatte détruisit par sa fourbe l'accord.
Elle grimpa chez l'Aigle, et lui dit : Notre mort
(Au moins de nos enfants, car c'est tout un aux mères)
Ne tardera possible guères.
Voyez-vous à nos pieds fouir incessamment
Cette maudite Laie, et creuser une mine ?
C'est pour déraciner le chêne assurément,
Et de nos Nourrissons attirer la ruine.
L'arbre tombant ils seront dévorés :
Qu'ils s'en tiennent pour assurés.
S'il m'en restait un seul, j'adoucirais ma plainte.
Au partir de ce lieu, qu'elle remplit de crainte,
La perfide descend tout droit
À l'endroit
Où la Laie était en gésine.
Ma bonne amie et ma voisine,
Lui dit-elle tout bas, je vous donne un avis.
L'Aigle, si vous sortez, fondra sur vos Petits :
Obligez-moi de n'en rien dire ;
Son courroux tomberait sur moi.
Dans cette autre famille ayant semé l'effroi,
La Chatte en son trou se retire.
L'Aigle n'ose sortir, ni pourvoir aux besoins
De ses Petits ; la Laie encore moins :
Sottes de ne pas voir que le plus grand des soins,
Ce doit être celui d'éviter la famine.
À demeurer chez soi l'une et l'autre s'obstine
Pour secourir les siens dedans l'occasion :
L'Oiseau royal, en cas de mine,
La Laie, en cas d'irruption.
La faim détruisit tout : il ne resta personne,
De la Gent marcassine et de la Gent aiglonne,
Qui n'allât de vie à trépas :
Grand renfort pour Messieurs les Chats.
Que ne sait point ourdir une langue traîtresse
Par sa pernicieuse adresse !
Des malheurs qui sont sortis
De la boîte de Pandore,
Celui qu'à meilleur droit tout l'univers abhorre,
C'est la fourbe , à mon avis
Laie : femelle du sanglier
Fourberie
Zizanie
En gésine : sur le point d'accoucher
Fourbe : fourberie
Pandore : Héroïne de la mythologie grecque qui ouvrit la boîte d'où s'échappèrent tous les maux de la Terre à l'exception de l' Espérance qui resta au fond.