L'Ange Divulgué
Poèmes de Gabriel Garran - Archimbaud Éditeur
L’homme est fait pour plusieurs voyages. Celui-ci a commencé autour de mes dix-sept ans, un chemin latéral à tout ce que j’ai entrepris ensuite. Pérégrinations, diversité, gardien de chèvres, coursier d’usine ou veilleur de nuit, avant que le théâtre m’apparaisse comme la seule issue possible.
De Sartre â Duras, de O’Neill à Tchékhov, de Tchicaya U Tam’Si à Larry Tremblay, d’EmiLy Dickinson à Aimé Césaire, je n’ai cessé de sillonner les textes, d’immerger dans les fonds abyssaux des manuscrits de Strindberg, d’Adamov, ou de Gary.
D’une génération fondatrice d’entreprise, de public, de la banlieue à la francophonie. J’ai eu cette maladie d’écriture en marge. Inhibition de l’autodidacte? J’ai continué en coulisses, sans rien en dire.
"L’enfance, encore l’enfance, toujours l’enfance" comme disait Stendhal. Le feu froid indélébile des griffures reste sous l’épiderme. Nous passons notre vie à chercher ce qui dès le départ est en nous, et frissonnant d’avenir, naviguons entre l’incurable et le remédiable.
Écrire est un ajout supplémentaire à soi-même. Élucidation secrète de son entendement du monde, complexité et chaos, un bout d’âme qui cherche une oreille. J’ouvre quelques extraits d’un journal atypique. Entre vie, théâtre, poésie, où sont les frontières ?
Gabriel Garran
Carcasses
Les carcasses tournaient dans un paysage ivre
L’enfer aurait rêvé de ce panorama
Où les hommes au pas réduits à leur schéma
Titubaient dans l’odeur des chairs mêlées aux cendres
En ces temps là mon père avait une heure à vivre
Dans sa course en vain le juif errant se hâta
Du nord d’un mirador un SS le pointa
Tordant un visage déjà rongé de givre
Il ne sut plus quel temps lui était à échoir
L’horizon rétréci sur son corps affaissé
Son chant se mua en celui des crématoires
Et son corps se joignit à d’autres cartilages
Dans un oratorio de cendres violacées
Me léguant à jamais Auschwitz en héritage
Selon l'heure
Je suis le ludion
Ou bien le matamore
Que je joue
À n’être pas moi-même
Je m’y consume en entier
Rictus d’ange
Baiser de Judas
La scène est un microcosme
A la vie à la mort
Faire semblant
Est de la craie sur l’écume
Indifférence du public
Griot du Mali ou Quichotte
Le sang affleure aux lèvres
Cloué au pilori
Par qui j’aime le plus
Les mots me brûlent
Parmi les éphémères
Ceux celles que j’ai vêtus
Je suis le dénudé
Gisant de nuit
Gisant de nuit
Militant de jour
Bouée autour du cou
Je veux changer le monde
Le hasard joue aux quilles
C est I’ échec que je cultive
Je défile avec une banderole
Je suis l’homme nouveau
À vendre l’Avant-garde
Je ne suis pas le dernier
La cartographie du siècle
Cisaille le globe en deux
Entre deux guerres coloniales
Je couche avec une brune
J’aime une allemande
J’en aime même deux
Je lis à perdre haleine
Mes molaires mâchent du livre
Ingénuité
Les doigts s avançaient vers ton ombre
J’étais muni d’un prestige de printemps
Je cherchai l’ingénuité dans le corps
Était-ce toi cette reine immatérielle
Était-ce toi -ce tremblement violent
Je cherchai une partenaire unanime
J’avais lu Avenir sur une vitrine
Tu avais la beauté d une tragédienne
Etais-je celui étais-tu celle je ne sais
J’avais besoin du chaos pour connaitre ta chair
Le rideau s’est ouvert j’étais seul
Comme toujours tu as raté ta réplique
Morsure des origines
morsure de mes origines
mon ciel de papier d’Arménie
mon exode en raz de-marée
mes archets de misère molle
mes marbres de chairs effritées
mes orchestrations d’amertume
mes orteils pris dans les babouches
mes embrassades de pieds nus
mes éviers de lèvres liquides
mes soliloques de Buci
mes rendez-vous de Old Navy
mes creux et mes soifs off limits
mon incurable libellule
aux soucoupes folles de bière
en vain flambe ton carnaval
la cabale est sur ses cothurnes
leurs versets battent la campagne
leurs lumières blessent mes vitres
leurs ceps m’injectent leurs valiums
tous mes oasis sont meurtris
car vous l'avez tué Adamov