Les Retrouvailles

« LES RETROUVAILLES »

De Arthur Adamov

Mise en scène de Gabriel Garran

Assisté de Bruno Subrini - Scénographie Jean Haas - Costumes de Hanna Sjödin

Lumières Philippe Groggia - Espace sonore Pierre-Jean Horville

avec

Marie Armelle Deguy - Stanislas Roquette - Soazig Oligo - Estelle Sebek

Théâtre de La Tempête - Cartoucherie de Vincennes

Du vendredi 11 mars au dimanche 10 avril 2011

L'avant propos de Gabriel Garran

Adamov, Beckett, Ionesco, la troïka fondatrice du « théâtre de l’absurde » bouleversa les années 1950, venus du Caucase, d’Irlande, de Roumanie, leur rencontre avec la langue française engendrera un théâtre décalé, radical, hors de tout moule traditionnel. De ce trio innovant, Beckett sera nobélisé, Ionesco académisé, Adamov en restera le réprouvé, l’omis, écarté de tout répertoire, écorché, oublié là ou pourtant Vilar, Serreau, Blin, Planchon s’étaient adonnés à lui.


Œuvre-charnière écrite juste avant « Ping-Pong », « Les retrouvailles » au titre significatif est encore un de ses textes à défricher. Rêve éveillé et compulsif ? Portrait post-adolescent de l’auteur ? Economie verbale pour exprimer le comble du mal-être ? Un jeune étudiant en droit rate le train qui devait le ramener chez sa mère et sa fiancée et se voit accosté par « la plus heureuse des femmes » et la jeune Louise. Cloitré entre ces deux femmes qui se le disputent et le harcèlent, Edgar se retrouve dans un huis-clos onirique et récurent, sur un tonalité qui est celle du cauchemar burlesque et de la régression bouffonne.


Introducteur de Buchner, Von Kleist, Gorki, marqué par Kafka et Strindberg, lié à Antonin Artaud, plus que l’absurde ou l'engagement historique qui furent ses deux grandes périodes, il y a une énigme Arthur Adamov, auteur d’un théâtre de la séparation où l’homme se raccroche à une bouée de sauvetage absente.

Marie Armelle Deguy

Stanislas Roquette

Soazig Oligo

Introduction aux Retrouvailles

Le temps est venu de dissocier ADAMOV de la « troïka », et de considérer en soi son œuvre, ce qu’ont tenté Bernard Dort et Michel Bataillon. Il n’a pas bénéficié d’une œuvre-socle comme Beckett avec « En attendant Godot » ou « Les chaises » de Ionesco, bien que des hommes comme Jacques Lemarchand et Jean Anouilh dans les colonnes du « Figaro » l’ont défendu corps et ongles. Ce qui le différencie c’est qu’il s’y implique à partir de sa vie d’écorché et s’immerge dans une dramaturgie obsessionnelle.

La clé d’Arthur Adamov, son fil conducteur réside dans la névrose et les rêves. Ses thèmes et personnages pivotent autour du binôme écartèlement/persécution, son théâtre parfois sardonique inclue une terreur sourde derrière les mécanismes du réel. Même s’il n’a pas encore abordé sa phase d’influence brechtienne, il est devant un système d’autorité qui ici est matriarcal, castrateur.

Glissement du temps et des situations, plus que dans d’autres pièces, le jeu du double, déjà implicite dans le titre, parcourt l’ensemble du texte, que ce soit la face cachée de la Mère, le portrait en miroir d’émouvantes jeunes filles amoureuses. Pour moi Edgar, refuge ou non, est un cousin d’Oblomov, il dort sa vie au lieu de la vivre, et quand il se réveille, il n’est pas sûr qu’il ne rêve plus.

Réalisme adamovien et structure onirique s’enchevêtrent jusqu’à une fin étrange. Ce qui bouge ici est le début de rupture de l’auteur avec un certain symbolisme, le centrage sur le travail y est majeur. Valise, machine à coudre, vélo, le figuratif des accessoires prolonge les personnages. Solitude, cruauté, dérision, Adamov nous dit que l’inconscient de chacun est encore préhistorique. C’est ce que je ressens devant « Les Retrouvailles ».

Gabriel Garran

Ma rencontre avec Arthur Adamov

Témoignage de Gabriel Garran, en 1997, lors d’une table ronde autour de Arthur Adamov à Lyon :

Comment ai-je connu Arthur Adamov ? Essayant de dérouler le film à l’envers, il me semble que je me retrouve au théâtre de Lutèce qui venait d’ouvrir ses portes rue Jussieu, il y avait là un débat « les impasses du théâtre d’aujourd’hui ». J’ai écouté passionné, fasciné, cet homme qui avec une sorte de précision clinique scandait le besoin d’exprimer la tragédie et la dérision d’être, l’onirisme avec la nécessité de dramaturgies liées à notre temps, d’un théâtre de dissection et de reflet des méfaits sociaux. Et mes oreilles se souviennent alors de sa vérité incarnée à dire que la scène se devait d’être le lieu imaginaire du rapport entre « le curable et l’incurable ». Je me souviens d’être sorti imprégné par la parole d’Arthur Adamov.

Et aussi avec Roger Blin comme voisin de circonstance de discerner le théâtre moderne.

Mais comment ai-je connu personnellement Ern, autrement dit Arthur Adamov ? C’est un ami auteur : Serge Ganzl qui m’a introduit auprès de lui, Egalement Roger Planchon. C’était l’époque de « Paolo Paoli », du bonheur formel de sa création et de l’ambiance électrique et politique autour de cd spectacle. Les chiens commençaient à aboyer sur Arthur Adamov. C’est à partir de là que j’ai commencé à le connaître, à être reçu chez lui, à me retrouver dans la mouvance adamovienne, dans le lieu que j’appelais affectueusement le CCA (Comité Central Adamovien), au bistrot «Old Navy» pour entendre cette parole brûlée et cette sensation d’ensemencer en nous des pépites rares. Toute l’équipe de « théâtre populaire » y était présente, Bernard Dort, Denis Bablet, Marthe Robert, Gisselbrecht, Glissant, Copferman Terzieff. Et tant d’autres, puis nous continuions chez lui et le Bison à sa chambre d’hôtel rue de Seine et d’émigrer au 29 de la rue Champollion.

Je crois qu’il m’avait pris en amitié. J’en étais étonné, j’étais un tout jeune animateur sans passé et peut-être sans avenir… On ne pouvait qu’être frappé par la totale sincérité qu’était la sienne. L’absence d’apprêt, l’étonnante façon qu’il avait de vous fixer, des grands yeux qui lui mangeaient le visage, et la gestuelle permanente de ses mains arrêtées en pleine course parce qu’ils ne finissaient pas toujours ses phrases ou les coupaient au milieu de ses doigts noircis de nicotine. Et surtout de sa voix où rôdait un accent venu sans doute de ses origines, une voix rocailleuse, d’une conviction pénétrante, la douceur inattendue et magnétique.

Puis nos chemins ont commencé à se croiser. J’avais fondu une jeune compagnie intitulée « théâtre contemporain » nichée au Théâtre du Tertre en haut de la rue Lepic et crée un texte de Gorki que m’avait remis Arthur Adamov en adaptant « Vassa Geleznova, une sombre ascension de despote féminin.

Présenté dans des conditions précaires, j’ai eu droit à son attention, à sa gentillesse vigilante sans jamais aucun sens interventionniste. C’est là, que j’ai connu un jeune homme, Michel Bataillon emmenant un groupe d’étudiants, il préparait le Capes et je crois l’avoir dévié de son chemin d’enseignant en l'associant à la fondation du TCA… Puis il y a eu un épisode du Concours National des Jeunes Compagnies avec la candidature d’un spectacle Adamov-Brecht « La politique des restes/Celui qui dit oui, celui qui dit non » dont le dossier a été refusé. Dommage. Puis sa remarquable traduction française de « La cruche Cassée » de Von Kleist avec le Groupe-Ecole Firmin Gémier.

Le souvenir fort reste la naissance du « festival d’Aubervilliers » dans un gymnase de banlieue où contre toute logique je programmais sur un plateau dédoublé une sorte de montage piscatorien d’une pièce de l’auteur irlandais Sean O’Casey « L’étoile devient rouge », repris ensuite au théâtre Récamier.

Certes on avait admis cette expérience à Aubervilliers, on y avait fait le silence. Mais là, en plein cœur de Paris en 1962 le terme Théâtre de la Commune additionné au titre L’étoile devient rouge, la critique parisienne dans sa grande majorité a vu rouge elle-même. Nous étions en pleine guerre froide théâtrale, des cris furieux nous accablaient, alors Arthur Adamov a pris sa plume, a défendu pieds et ongles face à la curée, l’auteur, la pièce, l’équipe et jusqu’au « Lord-Maire d’Aubervilliers, imposant à lui seul le respect de ce spectacle, sa prise en considération, et par–là même je lui voue une éternelle reconnaissance.

Nos liens ensuite ne se sont pas démentis puisque sept ans après le Théâtre de la Commune d’Aubervilliers présentait « Off Limits », la dernière œuvre créée de son vivant. Pourquoi «Off Limits» ? Parce qu’il nous semblait nécessaire dans ce premier théâtre permanent de la banlieue entièrement voué à la contemporanéité qu’on y entende la voix d’Arthur Adamov. Parce qu’il il y avait eu 1968 et que l’année suivante cette pièce était un repère fondamental pour lui, pour nous, pour le public. Et que dans sa dramaturgie « Off Limits », Arthur Adamov visionnaire alliait vision critique d’une Amérique enlisée dans la guerre du Vietnam, le ludisme hippie, la prémonition d’une mondialisation télévisuelle.

Par l’idée et la forme, un an avant de se donner la mort les deux Adamov le poète de l'absurde et l'auteur engagé, le « Je » et le « ils » l'homme et l'enfant commençaient à se rejoindre.

Gabriel Garran

EXTRAITS DE : «RENDEZ-VOUS ARTHUR ADAMOV» (1908-1970)

Fibre d'une fibre qu'on tourmentait, il n'en finit plus de se révulser à l'idée de la phrase à dire, et que tout le monde lui a refusée.

Il ne dort pas. Il ne s’est pas réveillé.

Pourquoi souffre-t-il ? Pour dérouter l’être qui avait combiné de le prendre en entier.

Car enfin qu’est ce un névrosé ? Un possédé qui ne s’est jamais fait à l’idée d'être imbibé par un être, méduse à quoi il ne veut pas adhérer. Antonin Artaud

La dramaturgie adamovienne reste donc, par définition, en équilibre instable. Elle ne s’aligne sur aucune figure reconnue : ni celle du jeu circulaire pirandellien, ni celle de l’itinéraire des personnages brechtiens. Elle suppose l’une et l’autre. Elle joue de l’une contre l’autre,(...) elle ne choisit ni le "milieu" ni la "fable" mais les détruit l’un par l’autre. Ici, Adamov rencontre non Beckett ou Brecht, mais Tchekhov et Jean Genet - le Genet des Paravents. Et c’est vers nous qu’il se tourne. Il ne nous propose pas un sens tout fait. C’est à nous qu’il revient de doter son théâtre d’un tel sens, c’est nous qui pouvons accomplir cette transformation d’une Passion en action. Ce que son théâtre postule au-delà d’un incessant échange entre le naturalisme et l’épique. Bernard Dort