Le véganisme pour un avenir durable ?

Depuis toujours, je baigne dans le milieu agricole : petit-fils d'agriculteur, études secondaires agricoles, bachelier en agronomie à la Reid, Master bio-ingénieur à Gembloux Agro-Bio-Tech. J'ai récemment contribué à un projet de recherche sur la réduction des émissions de méthane des élevages bovins en Australie et je suis actuellement nutritionniste pour les ruminants en Wallonie. La recherche du mode de vie le plus durable qui soit est ma principale priorité et c'est dans ce cadre que je partage avec plaisir mon avis sur la question du véganisme dans cet article. Bonne lecture ! 

Antoine Stifkens

Le véganisme est un mode de vie comme un autre et est pleinement respectable. Chacun est libre de choisir son régime alimentaire, sa façon de s’habiller et de consommer. Ce qui est regrettable dans ce mouvement, ce sont les profits qu’en tirent les géants de l’agro-industrie, c’est la désinformation, le mépris envers les éleveurs et le militantisme violent. 

Personnellement, ce qui m’inquiète le plus, c’est la désinformation. Des fake news sont diffusées pour manipuler l’opinion des consommateurs. À un tel point qu’aujourd’hui, l’opinion public pense que le secteur de l’élevage pollue plus que le secteur du transport, que la production d’un kilo de viande de bœuf nécessite des quantités énormes d’eau (15.000L) et de céréales. Je vais rétablir la vérité sur ce genre de croyances infondées qui reposent sur des généralisations ou des simplifications abusives. 

L’objectif est de mieux t’informer pour que tu puisses choisir ton alimentation en connaissance de cause, parce que nos choix de consommation façonnent notre société. Manger, c’est voter 3 fois par jour ! A chaque repas, tu as le pouvoir de décider du système agricole qui te nourrit. Ce serait malheureux de se laisser influencer par des associations extrémistes qui inventent et répandent de la désinformation. 

«  L’élevage pollue plus que le secteur du transport » 

Voici les chiffres qui ressortent régulièrement.

Sur base de ces chiffres, l’élevage pollue plus que le secteur du transport : 14,5 % > 13,0 %. Mais si on se penche sur l’origine de ces données, on se rend compte qu’elles proviennent de deux entités distinctes : la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) et le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat ). Ces organismes utilisent des méthodes de calcul différentes, ce qui rend impossible toute comparaison. Explication :

La FAO utilise l’analyse du cycle de vie pour évaluer la contribution en GES de l’élevage. Cette méthode inventorie tous les flux de GES libérés par chaque étape de la production, de la fourche à la fourchette : fabrication des aliments pour les animaux, activités liées à la pratique de l’élevage, transformation, et transport des produits finis. Bref, toutes les émissions directes et indirectes liées à l’élevage sont prise en compte jusque dans notre assiette.

Pour estimer la contribution du secteur du transport à 13 %, le GIEC s’est basé sur les émissions directes de GES. Concrètement, le calcul inclut uniquement les GES émis pour faire tourner les moteurs de nos moyens de transport. Le GIEC n’impute pas à ce secteur l’extraction de métaux pour construire les voitures, le raffinage du pétrole, la construction et l’entretien des routes, des aéroports, des gares, des ports, et le recyclage des véhicules. Ces flux de pollution ne sont pas oubliés mais sont repris sous d’autres secteurs économiques tels que la production d’énergie, l’industrie ou les bâtiments .

Pas facile de comparer les émissions de GES de l’élevage et du transport ! Le WRI (World Ressources Institute) a publié des chiffres obtenus suivant la même méthodologie (seules les émissions directes ont été imputées aux différents secteurs). En 2005, dans le monde, le transport était responsable de 14,3 % des émissions des GES (ce qui coïncide au rapport du GIEC) alors que l’élevage y contribuait à hauteur de 5,4 %. 

Donc, non, l’élevage ne pollue pas plus que le secteur du transport. 

D’ailleurs, en terme d’impact environnemental, l’élevage ne fait pas que « polluer ». Par exemple, dans nos régions, les ruminants sont indispensables au maintien des prairies permanentes qui accumulent énormément de matières organiques (racines, micro-organismes). Par ce fait, les prairies sont, au même titre que les forêts, des réservoirs de carbone important. Une étude réalisée en 2016 par la Faculté Agronomique de Gembloux et le CRA-W (centre de recherche agronomique wallon) a démontré que la quantité de carbone stockée par les prairies compense largement les émissions de méthane des bovins valorisant cette même prairie. De plus, les atouts environnementaux des pâturages ne se limitent pas au stockage du carbone ! Ils permettent de : 

Au niveau mondial, les prairies représentent 68,7 % des terres agricoles (42,9 % en Wallonie). Seuls les ruminants (herbivores par définition) sont capables de les valoriser en transformant l’herbe en produits consommables par les humains (lait, viande). La suppression de l’élevage des bovins conduirait à la disparition de ces précieux atouts pour un avenir durable. 

Qu’en est-il de l’élevage hors UE ? 

Bien sûr, il y a élevage et élevage ! Tous les agriculteurs ne travaillent pas aussi bien que chez nous… L’élevage industriel des bovins dans des feed-lots aux USA, en Argentine ou au Brésil  représente un désastre écologique et sanitaire : déforestation, injection d’hormones de croissances, administration systématique d’antibiotiques, mauvaise gestion des effluents, souffrance animales. Végan ou pas, personne ne peut cautionner ce type d’élevage. 

Heureusement, il existe des formes d’élevage respectueuses du bien-être animal et de l’environnement, comme illustré sur la photo de gauche. Elles se pratiquent chez nous et la meilleure façon de les promouvoir est de consommer local. 

Impacts « hors GES » du transport 

Le transport a des impacts négatifs plus larges que simplement une contribution importante aux émissions de GES. Citons, par exemple, la pollution atmosphérique (rejets de particules fines), la pollution lumineuse (éclairage autoroutier qui perturbe les cycles naturels de lumière), la pollution sonore (bruits de bateaux qui brouille les voie de communication des mammifères marins). Ajoutons aussi que nos routes commerciales efficaces permettent le transport de marchandises inutiles (Action, Alibaba, Primark,…), rendent possible les accords de libres échanges aux conséquences écologiques et sociales désastreuses et, cerise sur le gâteau, favorisent la dispersion des pathogènes (exemple bien actuel, le COVID 19). Alors, l’élevage pollue vraiment toujours plus que le transport ? 

« 1kg de viande de bœuf = 15.000 litres d’eau » 

Ce chiffre de 15.000 L d’eau par kilo de viande est obtenu selon la méthode «Empreinte eau virtuelle » qui comptabilise 3 types d’eau : 

Sur les 15.000 litres, la grande majorité (94%) de l’empreinte eau correspond donc à l’eau de pluie qui tombe naturellement du ciel sur les surfaces agricoles. Cette méthode de calcul est très discutable car elle ne tient pas compte de  l’eau réellement prélevée, ni des restitutions dans le milieu.

L’institut de l’élevage en France a utilisé la méthode approuvée ISO 14046 de l’empreinte consommative pour calculer la quantité d’eau réellement utilisée produire la viande bovine. Cette méthode se base sur l’analyse du cycle de vie et prend en compte les prélèvements d’eau réels et leurs impacts sur le milieu.

La production d’un kilo de viande en France ne nécessite que 50 litres d’eau ! Et en Wallonie ? Les formes d’élevage wallonne et françaises sont relativement comparables, mais il pleut davantage chez nous. Nos éleveurs ne doivent jamais irriguer les surfaces dédiées à l’élevage,  alors qu’en France, 8% de ces surfaces le sont. L’élevage bovin français consomme déjà peu d’eau, et l’élevage wallon encore moins ! 

Il ne faut pas oublier que les bovins permettent le maintien des prairies qui captent l’eau de pluie, en empêchant son ruissellement vers les cours d’eau. L’eau s’infiltre alors graduellement dans le sol pour remplir les nappes phréatiques. Cet atout, parmi bien d’autres, est très bien illustré dans le film documentaire « The Little Biggest Farm » que je recommande vivement.

« L’élevage cause la faim dans le monde  » 

Selon la FAO, il faut entre 2,5 et 10 kg de protéines végétales pour produire 1 kg de protéine animale. L’élevage des animaux ne semble donc pas une solution efficiente pour nourrir l’humanité vu qu’ils consomment plus d’énergie et de protéines qu’ils n’en produisent. Pire encore, l’élevage nous priverait de ressources végétales. Cet argument anti-élevage est faux, pourtant, l’estimation de la FAO est correcte. Explications.

Chez nous, les bovins consomment principalement de l’herbe et des coproduits non consommables par les humains. Par ce fait, leur ration n’est pas en concurrence directe avec l’alimentation humaine. De plus, en consommant les coproduits générées par les industries agro-alimentaires et bioraffineries, les bovins recyclent nos « déchets » qui représenteraient une charge importante pour la société si l’élevage ne pouvait les transformer en viande ou lait. 

Pour information, voici quelques exemples de coproduits valorisés par les ruminants en Wallonie:

Si on exclut les aliments non directement consommables par les humains (herbe et coproduits) du calcul d’efficience alimentaire des élevages de bovins, il ne faut plus que 1,4 kg de protéines végétales pour produire 1 kg de protéines animales. Sachant que les protéines animales sont de meilleure qualité nutritionnelle que les protéines végétales (digestibilité plus élevées et profil en acides aminés indispensables mieux équilibré) l’élevage bovin contribue positivement à la production de protéines de qualité pour l’alimentation humaine. 

L’élevage des monogastriques (porcs et volailles) consomme par contre davantage de matières premières consommables par les humains : 60 à 65 % de leur ration se compose céréales. Toutefois, ces animaux au cycle de reproduction court et à croissance rapide consomment moins de végétaux par kg de viande produite par rapport aux ruminants. Leur contribution nette en terme de protéines est reste alors généralement positive. 

Il faut aussi noter qu’un part importante des céréales utilisées en alimentation animale proviennent de « déclassement en fourrager ». Il s’agit de céréales destinées à l’alimentation humaine qui ne répondent pas aux normes établies par les filières de transformation (panification, malterie). Ces lots de céréales sont alors déclassés et valorisés dans la filière « fourragère », pour nourrir les animaux.

Conclusion 

Pratiqué de manière raisonnée et non-industrielle, l’élevage fournit de nombreux services écosystémiques à notre société : préservation de la qualité des eaux, fertilisation des sols, conservation de la biodiversité, séquestration du carbone par les prairies, fourniture d’aliments de haute qualité nutritionnelle à partir de terres non-cultivables (pâturages) et de coproduits, réservoir de ressources génétiques animales... La liste des bienfaits est longue et abolir l’élevage, tel que majoritairement pratiqué en Wallonie, nous en privera. Ce qu’il faut abolir, c’est l’industrialisation des productions agricoles, qu’elles soient animales ou végétales. Cela implique forcément de repenser nos comportements alimentaires : privilégier la qualité à la quantité.

Il n’y a pas un seul régime alimentaire parfait en terme de durabilité. Le plus important est de consommer local et de profiter ainsi de ce que notre terroir permet de produire. Ce mode de consommation permet en plus de se reconnecter aux réalités du monde agricole et à la saisonnalité des productions, souvent oubliées du grand public.

Le débat autour du véganisme n’est bien sûr pas clos, et ne se limite pas uniquement aux aspects environnementaux. La majorité des personnes véganes le deviennent pour des raisons éthiques. Cet autre débat intéressant pourra faire l’objet d’un prochain article, car l’élevage a aussi de quoi se défendre sur ces questions philosophiques. En attendant, voici un avant-goût en vidéo (clique ici !).

Concrètement, comment devenir consomm’acteur ?

Certains d’entre vous se disent peut-être : ok, mais je fais quoi maintenant ? Je t’invite à parcourir cette carte qui répertorie tous les producteurs locaux qui ont un magasin à la ferme. Il y a certainement un point de vente près de chez toi ! 

Personnellement, je conseille très vivement l’ASBL Vent de Terre à Tilff qui propose des paniers de légumes savoureux, de saison et cultivés sur place. Côté viande, mon coup de cœur est la ferme Biofarm à Tenneville qui propose de la viande de bœuf, mouton, et cochon en plein air. Un régal !

Abréviations

FAO : Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture ;

GIEC : Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat ;

GES : gaz à effet de serre ; 



Alors, le Véganisme,  

une bénédiction ou une malédiction, 

finalement  ?

Quelques définitions 

et une opinion personnelle.

Un autre avis et débat sur la question du Véganisme:

Tim : Certes, si les bovins n'étaient pas là, la quantité de carbone stockée ne serait pas très différente (à condition qu'on accepte de laisser un pré intact sans bête, plutôt que de le transformer en bitume...) De plus, l'émission du méthane n'est qu'une partie des GES, sans doute la principale (surtout si l'on ne regarde que la partie directe). Si l'on veut évaluer le bilan, il faudrait comparer tout le carbone stocké par rapport à tout le carbone émis (en tenant compte de sa forme évidemment).

Antoine : Sans ruminants, les prairies sont vouées a disparaître.

Il ne faut pas forcément les recouvrir de bitume pour qu'elles perdent leur capacité à stocker du carbone.

Le simple fait de changer l'affectation du sol pour y cultiver autre chose va entraîner le déstockage du carbone piégé durant plusieurs décennies/siècles.

Une terre de culture devient une source de carbone, est plus sensible aux phénomènes d’érosion et de lessivage, nécessite des intrants phytosanitaires (même en bio) pour protéger les plantes cultivées et réduit la biodiversité.

Il faut aussi noter que les prairies ne sont pas là par hasard : elles sont présentes où il est impossible ou difficile de cultiver autre chose à cause d'un manque de profondeur du sol, une forte charge caillouteuse ou un terrain trop pentu (! érosion). Ces caractéristiques pédologiques sont principalement rencontrées en Ardenne et haute Ardenne, régions où les prairies représentent 80 à 90% de la SAU (surface agricole utilisée).

Si l'élevage disparaît et qu'il est impossible de cultiver les prairies pour produire céréales/légumes, il est encore possible de se tourner vers la culture de sapins de Noël ou la sylviculture. Dans les 2 cas, il s'agit de planter des résineux (bien adapté aux climat ardennais) qui acidifient les sols. Ces cultures sont souvent pire que des monocultures, c'est en fait une culture de clône : tous les arbres ont le même matériel génétique. Niveau biodiversité, on peut faire mieux.

Bien sûr, si on remplace une prairie par une forêt mixte (feuillus et conifères) exploitée durablement, la forêt est un atout environnemental considérable. Toutefois, praires et forêts sont considérées comme étant des puits de carbone équivalents.

L'étude de 2016 ne tient  compte que des émissions de méthane mais je n'ai pas détaillé leur calcul pour simplifier le contenu de l’article. Si cela t'intéresse, voici le lien : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0168192316303069 

Les ruminants et les prairies sont étroitement liées, même complémentaires : l'animal nourrit le sol, le sol nourrit la plante et la plante nourrit l'animal. En retirant l'animal de ce cycle de vie, le sol n'est plus nourrit, les plantes meurent. Les ruminants apportent des éléments fertilisants facilement remplaçable par des éléments de synthèse, mais surtout, ils ensemencent les sols avec des bactéries, des protozoaires et des champignons. Cet apport de vie est irremplaçable et est la base d'un sol sain, d'une prairie saine. 

Tim : A-t-on une idée du pourcentage ? Du genre "Nombre de bovins d'élevage raisonné" sur "Nombre de bovins total" en Belgique, ou même juste Wallonie. Ce serait intéressant bien que sans doute difficile à obtenir ou évaluer?

Antoine : Sans hésitation, 100% des bovins sont élevés de façon durable en Wallonie. 

Les flamands ont toujours plus une vision productiviste et industrielle que les wallons. Mais leurs élevages bovins sont quand même très loin de ce que l'on voit dans les feedlots américains. Il n'y a pas d'utilisation d'hormones de croissance, d'antibiotiques en préventif, etc. Idem dans toute l'UE.

Là où il sont moins bons que les wallons (en terme de durabilité), c'est que leurs bovins passent moins de temps au pâturage et reçoivent plus d'aliments consommables par les hommes (probablement 30% pour moins de 10% en Wallonie). Ce sont aussi des fermes plus grosses, avec de la main d'oeuvre étrangère donc on s'éloigne d'un modèle d'agriculture familiale.

Je resterais prudent sur le fait que quand c'est bio, c'est forcément non-industriel. Surtout quand c'est vendu en grande surface. Pour moi, ça devient plus un argument marketing qu'une réelle amélioration de la durabilité et des conditions d'élevage ou des pratiques culturales.

Et inversement, l'agriculture conventionnelle (non-bio) n'est pas forcément industrielle. Difficile d'y voir clair, je m'en rends bien compte.

C'est pour cela que je ne fait confiance à aucun label en particulier, ce qui m'importe est de connaitre les producteurs. Forcément, je suis mieux placé qu'une personne lambda pour connaitre du monde dans le milieu agricole et distinguer les bonnes et les mauvaises pratiques.

Privilégier des labels en grande surface c'est déjà bien (à condition de pouvoir se le permettre, une bonne conscience ça se paie) mais il y a encore une marge de progrès énorme à réaliser en se tournant vers des petits producteurs. 

Tim : Et tu privilégierais quelle quantité de viande ? :-) Par semaine par exemple ? 

Antoine : Je ne suis pas nutritionniste pour humains, et même entre spécialistes les avis divergent fort..

Si on aime ça, je dirais 500 g par semaine mais le plus important est de connaitre les conditions d'élevage (surtout pour les porcs et la volaille qui sont plus industrialisés).

(Et le bio peut être industrialisé !) 


Article proposé par Tim: 

https://eatforum.org/content/uploads/2019/07/EAT-Lancet_Commission_Summary_Report_French.pdf