5. Le Ciron

Le Ciron, orthographié Siron jusqu’au XVIIIe siècle, prend sa source à la lagune de Lubbon dans les Landes, traverse un peu le Lot-et-Garonne et entre en Gironde à 100 mètres d'altitude. Il parcourt 70 km en Gironde, dont 3,2 km sur la commune de Léogeats, avant de se jeter dans la Garonne à Barsac.

Du latin Sirio ou Sirione, il se jetait, avant 1712, date du creusement du canal du Moulin du Pont par les Chartreux, plus au nord dans la Garonne en formant un large delta aux multiples branches ; il a donné son nom à la commune de Cérons.

Voir http://www.vallee-du-ciron.com/Documents/Conferences/ConfCironPelissier/ConfCironPelissier.htm

Les moulins à eau, on en dénombrait 59 sur le Ciron au XIe siècle, fournissaient la farine de seigle aux boulangers de Bordeaux et de la région. Certains ont été remplacés de nos jours par des micro-centrales hydroélectriques, perpétuant ainsi un pan industriel et commercial de l'usage de l'eau.

Plan cadastral de 1812.

Celui-ci indique une grande île en amont de Caussarieu qui n'existe plus de nos jours.

Le pont n'existait pas, et la route s'arrétait à Fournier d'une part, et à Caussarieu d'autre part.

Le moulin de Castaing à Noaillan.

Aménagé dans les années 1960 en microcentrale hydro-électrique, il est toujours équipé aujourd'hui de son antique passalis, servant de ludique tobogan aux nombreux canoës..

Jusqu'en 1931, la rivière était utilisée pour le flottage du bois.

Voir http://www.vallee-du-ciron.com/Documents/Conferences/ConfDartigollesCironBois.htm

" Peu de rivières régionales ont joué comme le Ciron un rôle prépondérant dans le commerce et l'essor de notre sud-ouest. Il traverse une étroite bande triangulaire du département du Lot et Garonne, puis entre en Gironde dans le territoire de la commune de Lartigue. Sur les quelques cent kilomètres de son parcours, les trois quarts s'effectuent dans notre département, en une courbe harmonieuse qui se dessine d'est en ouest. Après avoir longé une partie du Bazadais, baigné de nombreuses localités qui eurent autrefois leur importance et leur célébrité dans l'histoire de notre région : St Michel de Castelnau, Goualade, Lerm et Musset, Artiguevieille, Beaulac-Bernos, son lit s'élargit, ses eaux se régularisent entre Préchac et Villandraut. Ayant terminé ses bonds prodigieux de cascatelle en cascatelle, dans cette dernière ville, il devient un fleuve paisible et tranquille, dont l'onde docile et sussurante frôlait au passage, il y a huit siècles, les tours altières de la forteresse des Goth ; par un canal aujourd'hui effondré et disparu, le Ciron berçait alors l'enfance d'un pape célèbre, Clément V. La tradition locale affirme que dans sa jeunesse, le futur Pontife venait souvent méditer " le long de cette allée de buis qui conduisait à travers un bois d'agrément jusqu'au bord du Ciron ".

Aprés avoir quitté Villandraut et traversé Noaillan puis Léogeats, le fleuve arrose Sauternes, Bommes, Preignac, situés sur sa rive droite, puis Budos, Pujols et Barsac sur sa rive gauche. Dans le Sauternais surtout il s'ajoute aux charmes dont cette région est déjà pourvue, non seulement par la beauté de ses rives, mais encore par les innombrables souvenirs qu'il évoque. Il n'est pas un habitant riverain qui ne se rappelle sa tradition fluviale.

Depuis que les hordes wisigothes et vasconnes, les bandes sarrazines et normandes remontaient ce cours d'eau sur des embarcations légères et, dans les contrées riveraines, donnaient libre cours à leur humeur pillarde, le Ciron constituait pour la région bordelaise un "grand chemein mouvant". Un autre fait historique nous montre qu'il était depuis longtemps navigable ; ce fut effectivement le maître gabarrier Fontbodeau qui, en 1421, transporta par ce fleuve, les trois bombardes et les boulets d'artillerie de 700 livres jusqu'au Château de Budos, afin de permettre aux Anglais de réduire cette place forte, dont le seigneur avait embrassé la cause du Roi de France. Dès le XVIe siècle, le Ciron était devenu une voie importante, par laquelle s'opérait un transit régulier avec Bordeaux et l'étranger. Des profondes forêts landaises de sa source s'expédiaient par flottage des "poteaux de mines" ; ainsi désignait-on, comme de nos jours d'ailleurs, les troncs de jeunes pins débités en longueurs égales de deux ou trois mètres , et destinés à soutenir les galeries des carrières anglaises.

Stockage du bois à flotter à Villandraut

Disposés en radeaux, les robustes " billots ", fils des contrées austères et nostalgiques des Landes, étaient amenés jusqu'au port de Barsac ; là, des bateaux de grand tonnage les transportaient à Bordeaux, d'où ils étaient dirigés vers les puissants bassins houillers des monts Grampians et Cheviots au Royaume Uni. Une race vaillante, celle des " radeliers ", s'était à l'origine formée sur les rives du fleuve ; à cette époque où les moyens de transport et de communication étaient rares, où seuls les grands propriétaires du pays possédaient des muletiers et des charroyeurs, ces mariniers accomplissaient une rude besogne. Ayant à leur service des embarcations légères, ils chargeaient des barriques, des douelles pour les tonneliers, des faix de cercles, des pierres de construction souvent, parfois même des denrées, des farines , du blé, de l'orge, que les riverains ne pouvaient transporter aux meuneries. Et quand ils n'étaient point occupés dans la région viticole, lors des saisons calmes, ils s'embauchaient, se louaient dans les exploitations landaises ...

Départ de radeaux de bois à Villandraut


Pour eux commençait alors un dur métier. La plupart habitaient Bommes, Sauternes, Barsac même. Par les matins pluvieux et glacials, dans l'aube grise et terne des mauvais hivers, ils se rendaient à pied à Villandraut, à Préchac, souvent allaient jusqu'à Lartigue pour confectionner leurs trains flottants. Avec leurs lourds rouleaux de corde sur l'épaule, ils accomplissaient ainsi un trajet régulier de quatre à cinq lieues (une lieue = 4 km). Quand le parcours était plus long, plusieurs journées de marche et de fréquentes étapes dans les auberges ou " hospitalets " étaient nécessaires. A Villandraut et à Bommes existaient encore au XIXe siècle bon nombre de ces vieilles " hostelleries ". Là, les radeliers se restauraient au passage, se reposaient, ou tout simplement s'arrêtaient un instant, le temps de trinquer entre amis ; alors; des cruches pansues, antiques amphores de ce pays, coulaient pour eux le vin chaud, le vin clairet, que des servantes accortes disposaient sur la table commune et unique dans la même pièce ; car, à cette époque, une solidarité sincère régnait entre les hommes ; et c'est toujours fraternellement que se partageait la " cruchade " et la " mique " de sarrasin. Heureux dans leur condition, contents du sort qui leur était dévolu, les radeliers faisaient vaillamment leur besogne, et construisaient leurs " trains de bois " avec un art consommé. Les pièces de bois ou rondins étaient disposées côte à côte, dans le sens de leur largeur et attachées entre elles par une disposition spéciale des cordes.

Construction d'un radeau


Ainsi, elles formaient des planchers ou « travées » d'une dizaine de mètres de long, sur deux ou trois de large : de longues surfaces flottantes compactes et rigides; des bords du fleuve où elles étaient confectionnées, ces parties de radeaux étaient immergées ensuite, puis réunies au nombre de six ou huit par des cordes disposées en charnière; les travées formaient alors des convois qui, grâce à la mobilité ingénieusement calculée de leur longueur, pouvaient suivre facilement les méandres et sinuosités du fleuve. Montés sur ces planchers mouvants, les radeliers conduisaient habilement le flottage: nu-pieds sur les rondins, la gourde de " courge " en bandoulière, armés d'une forte perche pointue et munie d'un crochet de harponneur; cette dernière, qu'ils maniaient avec adresse, leur servait à maintenir le convoi au milieu de la rivière; en cherchant des points d'appui soit à même le fond, soit aux aspérités de la berge, ils évitaient ainsi les écueils nombreux, constitués par les racines d'arbres, les bancs de sable, les rochers semblant surgir parfois du lit du fleuve comme des faunes redoutables, les contours brusques des eaux. A la rencontre d'un moulin, le passage des radeaux s'effectuait sur un plan incliné appelé "passelis" ou "lindat"; avec une grande rapidité et une précision merveilleuse, ils glissaient sur le lindat, guidés par la manœuvre hardie et sûre des habiles matelots...A leur arrivée au port de Barsac, ces éphémères convois étaient embarqués pièce à pièce sur les pro­fonds chalutiers affectés à ce transport; puis, dans les docks bordelais, de puissants cargos les emportaient, cinglant vers les îles britanniques, Pays d'Albion et Verte Erin..."

Extrait de " Sauternes, Pays d'Or et de Diamants" de Charles Dormontal, 1930.

Passage du radeau sur le passelis


" Au Moyen Age, des radeaux venant de la Haute-Lande apportent le bois de chauffage pour la ville de Bordeaux, des bois débités (planches, voliges), par la suite des échalas de pin, car l'acacia n'existe pas encore; il est introduit en France vers 1670 par Monsieur Robin, qui lui donne le nom véritable de robinier (originaire d'Amérique du Nord).

Les radeliers viennent des communes de Noaillan et de Villandraut, En 1760, premier flottage de bois de Cazeneuve à Barsac. En 1865, transports importants de « poteaux de mines », des trains (ensemble de radeaux) de bois passent à Sauternes pour être ensuite déchargés au port de Barsac et de là, rechargés sur des bateaux en partance pour l'Angleterre.

Un train de radeau mesure 12 pieds de long (3 mètres,88) et 7 pieds de large (2 mètres,26). Les radeliers construisent leur radeau qui comprend 6 plateaux. Le bois de chauffage de la ville de Bordeaux arrive par le Ciron. En 1866, 26.320 tonnes de bois sont acheminées sur le Ciron, en 1923 : 900.000 tonnes, en 1926 : 320.000 tonnes, fin des transports de bois en 1930.

Il existait pour le franchissement des passalis ou passe-lits (passages pour les radeaux aux moulins) un droit de péage de 10 sols (payé au meunier). En 1816, les péages rapportent au moulin 15.000 Livres par an. En 1872, 1.115 radeaux transportent 19.000 tonnes de bois ; en 1847, 20.000 tonnes, (poteaux de mine / échalas) ; en 1812 : 2.246 passages de radeaux. » Extrait des Archives Départementales de la Gironde.

"Train" de radeaux de bois sur le Ciron

Chargement des radeaux de bois en Garonne au Port de Barsac.

De nos jours, l'usage de la rivière est essentiellement touristique et sportif avec le développement du canoë-kayak sur les bases nautiques de Bommes, Villandraut et Préchac.

Les pêcheurs viennent aussi y taquiner la truite et le goujon.


LGV Bordeaux-Toulouse : « La première victime sera le Ciron », alertent des élus du sud Gironde


« Le Lascaux ou l’Arche de Noé de la biodiversité »… Scientifiques et naturalistes ne manquent pas de formules pour souligner le caractère unique de la vallée du Ciron (Gironde). Le site, qui serait traversé en plein milieu par la LGV Bordeaux-Toulouse, est aujourd’hui au cœur des débats sur le GPSO (Grand Projet du Sud-Ouest). Mais qu’est-ce que cette vallée du Ciron, méconnue du grand public ?

Située au sud de Langon, cette zone naturelle et encore sauvage, ne fait pas dans le spectaculaire ni le majestueux : c’est en prenant le temps de parcourir la rivière à kayak ou à pied par ses rives, de s’enfoncer dans ses gorges calcaires, que la beauté du Ciron se dévoile. Entre une forêt de hêtres préhistorique et une biodiversité « exceptionnelle », cette vallée a su préserver plusieurs éléments intacts depuis des millénaires.

Plusieurs espèces protégées

Long de 97 km, le Ciron prend sa source dans le nord des Landes. Après avoir traversé le plateau des Landes de Gascogne, et avant de se jeter dans la Garonne, la rivière poursuit une partie de son chemin sous une forêt-galerie, notamment entre Bernos-Beaulac et Villandraut. « On y trouve plusieurs espèces protégées », nous explique Morane Genet, technicienne milieux aquatiques au syndicat du bassin versant du Ciron. « Il y a par exemple la loutre d’Europe, la cistude d’Europe - une petite tortue d’eau douce assez rare en France -, des amphibiens - grenouilles, crapauds, salamandres -, le vison d’Europe, des espèces de chauve-souris », énumère la technicienne.

Le Ciron est aussi « un des rares cours d’eau que le silure n’a pas encore colonisé, grâce à sa fraîcheur », souligne Michel Aimé, maire de Sauviac et vice-président à la Communauté de communes du Bazadais. Une expérimentation y est actuellement menée avec l’association Migado, pour la conservation de la lamproie, directement menacée par le silure. « On a relâché des lamproies dans le Ciron juste avant leur période de ponte, pour qu’elles se reproduisent et ainsi les aider à renouveler leur population », explique Morane Genet.

« Pas de Ciron, pas de Sauternes »

Le Ciron doit sa fraîcheur, entre autres, à sa ripisylve - formation végétale qui pousse au bord des cours d’eau - qui conserve l’eau de la rivière provenant majoritairement des nappes souterraines, à une température moyenne de 14 °C en été. Cette même fraîcheur génère des brouillards matinaux à la fin de l’été, favorisant la formation du champignon Botrytis cinerea sur les baies du vignoble de Sauternes tout proche, qui donnera ce vin liquoreux connu dans le monde entier. « Pas de Ciron, pas de Sauternes », résume Olivier Douence, maire de Pompéjac et président du syndicat du Ciron.

La ripisylve de la rivière Le Ciron (Gironde) - DUCOUSSO Alexis

Ce microclimat est aussi à l’origine d’une autre particularité méconnue, puisqu’il a permis de maintenir une forêt de hêtres depuis plus de 40.000 ans. Ce qui en fait, tout simplement, la forêt la plus ancienne de France connue à ce jour.

« Il y a 40.000 ans nous étions en pleine ère glaciaire, nous explique Alexis Ducousso, chercheur à l’Inrae (Institut national de la recherche agronomique et environnementale). A cette période, les arbres se situaient au sud de l’Europe, et le hêtre plutôt au sud de la péninsule ibérique, avec peut-être quelques refuges au nord de l’Espagne. La vallée du Ciron n’était alors qu’une vaste toundra. Mais à notre grande surprise, nous avons découvert au début des années 2010 que le hêtre était présent dans cette vallée pendant cette période glaciaire, en retrouvant des charbons de bois que nous avons pu dater de 43.000 ans. » Génétiquement, ces hêtres sont les mêmes que ceux d’origine, mais ils sont en revanche « différents de toutes les autres populations européennes » ajoute Alexis Ducousso, qui précise que la hêtraie ne s’étend plus que sur une trentaine d’hectares aujourd’hui, et qu’il est nécessaire de la préserver.

Bernos-Beaulac « déjà lourdement impactée par l’autoroute A65 »

Cette biodiversité serait-elle menacée par la LGV ? A la communauté de communes du Bazadais, on en est convaincu. « La première victime de la LGV, ce sera le Ciron », lâche, sèchement, Michel Aimé. Les élus de la CDC du Bazadais ont adopté le 24 novembre une motion, se déclarant totalement opposés à ce projet relancé au début de l’année par le Premier ministre, et soutenu par la plupart des grands élus régionaux de Nouvelle-Aquitaine et d’Occitanie.


Sur les 4.830 ha d’emprise foncière de la LGV, 845 ha se situent dans la vallée du Ciron, dont 64 ha de zones humides, et 11 ha classés en site Natura 2000. Trois viaducs devraient être construits pour franchir la rivière, alors que la ligne traverserait en tout 30 cours d’eau et ruisseaux, affluents du Ciron.

Le syndicat d’aménagement du Ciron souligne que « le bassin versant serait scindé en trois parties, par plus de 70 km de lignes nouvelles qui épousent le tracé de la rivière » tandis que le fameux triangle ferroviaire, partie du projet qui connecte la ligne vers Toulouse et celle vers Dax, serait situé à Bernos-Beaulac, « un des secteurs les plus préservés abritant de nombreuses espèces protégées. » « Cette commune a déjà été lourdement impactée par la réalisation de l’autoroute A65 Langon-Pau », rappelle Olivier Douence.

Le projet « évite au maximum les secteurs les plus sensibles »

La déclaration d’enquête publique (DUP) du projet met en avant les efforts menés au niveau environnemental pour atténuer les impacts, avec notamment 109 passages grande faune sur les 327 km du tracé. « La définition du tracé s’est réalisée en évitant au maximum les secteurs les plus sensibles », lit-on encore dans cette DUP. « Il s’agit d’un programme pilote de la démarche "Eviter, Réduire, Compenser" », défend Étienne Guyot, préfet de la région Occitanie et coordonnateur du projet, qui assure que « toutes les préconisations de l’Autorité environnementale ont été traitées. »

« Le problème, fulmine le maire de Pompéjac, c’est que nous, au niveau des communes rurales, nous faisons des efforts énormes dans nos plans locaux d'urbanisme pour réduire les terrains à bâtir afin de limiter la consommation d’espace agricole et forestier. Aujourd’hui, on ne comprend pas qu’un tel projet qui va consommer 845 hectares puisse débarquer comme cela. Ce projet, il paraît anachronique, dispendieux, et franchement, ça agace un peu. »

Le tour de table financier des collectivités pour le projet GPSO doit être bouclé avant la fin de l’année, avant que le Conseil d’Etat ne se prononce d’ici à avril 2022. "

Extrait du journal 20 Minutes Planète, publié le 8/12/21.


Voir en pièces jointes

- un extrait de " Sauternes, Pays d'Or et de Diamants" de Charles DORMONTAL, 1930

- une poésie en vers extraite de "Paladins et Gascons. Légendes épiques, poèmes, contes sérieux et autres" de A. FERRAND, 1899





Bernard TAUZIN