Vénérable Julius Nyerere, premier président de la République tanzanienne
Julius Kambarage Nyerere naît le 13 avril 1922 dans le village de Butiama, dans le nord de la Tanzanie, à proximité du lac Victoria. En 1943, il entre à l’université de Makerere en Ouganda. Nouveau converti au catholicisme, il fonde une société appelée Catholic Action (l’Action Catholique), qui organisait des activités religieuses comme l’animation d’une chorale, des retraites annuelles et des pèlerinages en l’honneur des martyrs chrétiens d’Ouganda etc. Au cours de ces années en Ouganda, le futur président envisage sérieusement devenir prêtre. Après quelques années d’enseignement, il est sélectionné pour entrer à l’université d’Edimbourg en Ecosse où il vit profondément sa foi. Il se recueille souvent dans la solitude d’une église et échange régulièrement de la correspondance avec un ami père blanc irlandais en mission en Ouganda, Richard Walsh.
En 1953, Julius Kambarage Nyerere prend la tête de la Tanganyika African Association (TAA). En compagnie de Bibi Titi Mohammed, il transforme rapidement l’association en parti politique indépendantiste, le Tanganyika African National Union (Tanu). Il démissionne de son poste d’instituteur et parcourt le pays pour porter le message indépendantiste. Il est l’un des grands défenseurs de l’Union africaine qu’il revendique : « Sans unité, les peuples d’Afrique n’ont pas de futur, sauf comme perpétuelles et faibles victimes de l’impérialisme et de l’exploitation ». Il mène des démarches pour que l’Ouganda, le Kenya et Zanzibar créent une fédération avec le Tanganyika. En 1964, le Tanganyika et Zanzibar fusionnent pour former la République unie de Tanzanie, Nyerere en est le premier président jusqu’à sa renonciation volontaire au pouvoir en 1985.
Selon de nombreux témoignages, le premier président de la République tanzanienne était un chrétien catholique très fervent. Il observait scrupuleusement les périodes de jeûne imposées par l’Église et se rendait quotidiennement à la messe. Plein d’humilié et de sobriété, il n’amassa aucune richesse pour lui-même, au contraire il refusait de nombreux honneurs auxquels il avait droit, en tant que président. Sa simplicité de vie était empreinte d’austérité. Toujours vêtu sans façon, refusant de porter la cravate, préférant séjourner dans sa petite maison de quartier plutôt que dans le vaste palais présidentiel. Pour l’Eglise, c’est non seulement la rigueur morale de l’homme mais également sa pensée politique qui mérite l’intérêt, et en particulier son engagement pour les pauvres et les marginaux, son désir d’apporter l’égalité dans les structures sociales et dans la situation du peuple tanzanien. Il sut fonder l’unité de la Tanzanie et lui offrir le bien si précieux de la paix. L’humilité et la simplicité de Nyerere ont été partout remarquées, ce qui avec son honnêteté et sa loyauté signifie un sens profond de conscience de soi et une acceptation de faillibilité personnelle. Il meurt le 14 octobre 1999 à Londres. Le jeudi 21 octobre 1999, à l’occasion des funérailles d’état à Dar es Salaam, le président d’alors Benjamin Mkapa lui fit un hommage sincère en remarquant entre autres choses sa sensibilité pour les pauvres et les désavantagés : « Le Mwalimu était extrêmement sensible envers les laissés pour comptes, les faibles, les infirmes, les humiliés. Il était également extrêmement sensible au triste sort des réfugiés et autres personnes déplacées. Sous sa gouvernance, la Tanzanie n’était pas simplement un pays paisible, ne générant donc pas de population réfugiée, mais il fit de la Tanzanie un refuge pour qui que se soit à la recherche d’un abris politique ou personnel.“ Le vénérable Julius Kambarage Nyerere est honoré le 14 octobre. Son procès de béatification est en cours.
Un Saint Catholique se Cacherait-il Parmi les Chefs d’Etats Africains ?
La Tanzanie Répond Oui : Le Procès de Béatification du Vénérable Julius Nyerere est Ouvert !
Ce dossier comprend quelques images, une prière et un article relatif à la personne de Julius Nyerere, premier président de la République de la Tanzanie. L’article signé par Laurent Magesa, prêtre et théologien tanzanien, explique en détail la stature exceptionnelle de la personnalité du « Mwalimu . » Il s’agit d’un article qui fut d’abord publié dans la revue « Service » (Saint Augustine University of Tanzania) no 9 (2009). Ayant obtenu les accords usuels, je suis heureux d’être en mesure de pouvoir vous le partager puisque j’en ai moi-même établi une traduction en langue française. Le texte original en langue anglaise est disponible sur www.pascalbcdeng.over-blog.com
A l’heure même où une certaine partie de la population africaine essaie de se débarrasser de quelques uns de ses dirigeants (en y parvenant parfois), il est bon de se rappeler qu’il existe une autre histoire, celle d’une population qui elle remercie pour la qualité de quelques autres figures politiques. Puisse Nyerere continuer à inspirer des vocations de dirigeants sincères et dévoués, au service de chacun et du bien commun. Il se pourrait que le salut d’un continent en dépende.
Intention de cette Présentation
Mon intention pour cette présentation est modeste. Je désire présenter d’une manière succincte plusieurs aspects concernant la personne du Vénérable Mwalimu[1] Julius K. Nyerere, ancien président de la Tanzanie. Mon espoir est d’initier une conversation entre nous et entre qui que se soit d’intéressé, à l’occasion spéciale de la décision de l’Eglise Catholique en Tanzanie de commencer l’habituellement long processus afin d’éventuellement le déclarer saint, processus également connu sous le terme de canonisation.
La canonisation ou sainteté selon la tradition catholique est la reconnaissance officielle de l’Eglise que la personne ainsi déclarée est au dessus de tout soupçon en la compagnie de Dieu dans le ciel. Ceci a une conséquence pastorale encore plus grande car cela signifie que l’Eglise avance la vie de la personne en question comme exemple que tous les fidèles du monde entier peuvent suivre dans ce monde-ci, lors de leur pèlerinage vers la béatitude ultime de la vision de Dieu au moment de la mort, la vision béatifique. Au cas où Nyerere soit déclaré saint, il sera compté officiellement par l’Eglise au rang des innombrables au travers le monde dont la vie aura été vécue en accord avec la volonté de Dieu. L’Eglise réfère à ce genre de vie comme héroïque.
Nyerere et les Etapes vers la Canonisation
Beaucoup d’entre nous sont certainement déjà avertis du fait que Nyerere a passé une des trois étapes majeures sur la route vers la sainteté. Il a déjà reçu le titre de « Vénérable.» Cela signifie que les fidèles catholiques officiellement autorisés – en fait encouragés – à demander des faveurs à Dieu par son intercession. Les catholiques peuvent désormais demander à Nyerere de prier Dieu pour eux-mêmes pour quelque besoin que ce soit. Les deux étapes restantes sont pour lui d’être déclaré « bienheureux,» ce qui est techniquement connu sous le terme de béatification, et puis finalement d’être déclaré saint, ou canonisation.
Il y a de nombreuses conditions légales, ou selon la terminologie de l’Eglise, canoniques dans l’ensemble de ce processus qui doivent être remplies, étape par étape. Tout comme pour n’importe qui d’autre, la cause de Nyerere devra passer par ces étapes. Une d’entre elle consiste en l’accueil par qui que se soit de ce que l’Eglise a coutume de nommer une « grâce extraordinaire. » Cela est habituellement un évènement ou « miracle » (de signification indéniable) qui ne peut être compris qu’en terme de d’intervention divine ou super naturelle, pour laquelle l’intervention humaine ne peut pas être imaginée, et qui aura été obtenu par les prières d’un Vénérable en question, en l’occurrence Nyerere. Une telle grâce doit être confirmée et prouvée par des observateurs et avocats indépendants. L’Eglise en Tanzanie demande des comptes-rendus de telles interventions divines et a commencé le processus afin de les rapporter auprès des autorités compétentes à Rome, où les causes de canonisations sont examinées et décidées.
Mais tout ceci n’est pas l’essentiel de cette présentation, alors je ne poursuivrais pas davantage. Mon intention est plutôt de demander et d’une certaine manière de répondre à la question de savoir pourquoi l’Eglise a-t-elle initié une telle procédure concernant la personne du Mwalimu Nyerere.
Les raisons, telles que je les vois, sont de deux sortes : elles sont publiques ainsi que pas tant que cela. La procédure conduisant à déclarer Mwalimu Nyerere saint a été commencée en raison de la manière avec laquelle il a conduit sa vie publique, en la qualité d’homme politique, de penseur et d’écrivain. C’est ce qui apparaît rapidement lorsque le sujet de sa vie héroïque est mentionné. Mais il s’agit aussi, et pour ce qui me concerne principalement, de rendre compte de ses conviction et de ses principes inhérents (éthiques) qui ont motivés toutes ces activités publiques qui ont fait que l’Eglise a jugé nécessaire d’initier la procédure. A mon avis, peu de personnes sont conscients de cet aspect de la procédure et l’intention de l’Eglise est de le tester, en considérant tout aussi sérieusement la vie publique du Mwalimu.
La Vie Publique et Nationale de Nyerere
Que Nyerere soit un grand homme ne fait pas de doute. C’est une affirmation qui peut être faite en toute confiance, sans peur d’être tant soit-il contredit. Comme tous les grands personnages, sa face publique était et reste bien connue. Enumérer ses réussites prendrait trop de place. Nous pouvons, cependant, mentionner quelques repaires dans sa vie en guise d’illustrations. Il fut le premier président de TANU (Tanganyika African National Union), le parti politique qui a apporté l’indépendance au Tanganyika (aujourd’hui la partie continentale de la Tanzanie). Il fut Ministre Principal avant l’indépendance, et devint lors de l’indépendance en 1961 le Premier Ministre du pays, avant de bientôt démissionner afin de consolider le parti. En 1962 il devint le premier Président de la République du Tanganyika.
Avec Abeid A. Karume, Nyerere a oeuvré et signé les articles de l’union entre Tanganyika et les îles de Zanzibar et Pemba en 1964. En 1967, il fut instrumental dans l’élaboration de la « Déclaration d’Arusha, » le discours inaugurateur qui identifia officiellement la Tanzanie comme pays socialiste ou pays « Ujamaa. » Lui-même marcha des kilomètres en support de cette Déclaration, inspirant beaucoup d’autres, principalement des jeunes, à faire de même.
Mwalimu Nyerere a aussi initié la politique de « villagisation », un exercice national consistant à déplacer la population vers des villages Ujamaa. Ceci était une conséquence directe de la Déclaration d’Arusha et était considéré comme moyen de structurer le pays, dans le but de garantir la population des services essentiels tels que les écoles et les dispensaires, ce qui était impossible avec une population parsemée comme c’était le cas auparavant. C’était tout au moins l’intention déclarée de ce qui devint la politique Ujamaa. La « villagisation », puisque c’est la manière dont elle fut connue, continua pendant environ une décade et rapidement s’éteignit. Elle disparut complètement avec le retrait de Nyerere du pouvoir politique dans le milieu des années 80.
Une autre idée du Mwalimu Nyerere fut celle de la Flamme Nationale, un symbole encourageant la conscience d’unité et de développement national. La Flamme est allumée chaque année dans une localité différente ayant quelque signifiance historique pour la nation, et transportées par les jeunes dans les différentes régions du pays. Elle est un rappel des valeurs que la nation tanzanienne porte : unité, paix et réconciliation. Comme Nyerere l’affirma dans un discours en 1959, résumé dans son livre Freedom and Unity, il désirait que la flamme soit un signe visible de ses aspirations.
[Nous], le peuple du Tanganyika, voudrions allumer une bougie et la placer au sommet du Mont Kilimandjaro et qui brillera ainsi plus loin que nos frontières, donnant l’espoir quand il y a désespoir, l’amour quand il y a la haine et la dignité lorsqu’ auparavant régnait seulement l’humiliation. (…)
Nous ne pouvons pas, à la différence des autres pays, envoyer des satellites sur la lune, mais nous pouvons envoyer des projectiles d’amour et d’espoir pour tous nos frères les hommes où qu’ils soient…[2]
Beaucoup de projets de développement furent inspirés par cette ambition et sont initiés chaque année lorsque la flamme parcours le pays.
Domaine International
Dans le domaine international, le Mwalimu a porté beaucoup de casquettes. Il fut président du ‘Frontline States’ (1977-1985), de la Commission Sud-Sud (1988-1990), et fut le médiateur en chef dans le conflit du Burundi jusqu’aux derniers jours de sa vie. Lors de son long mandat de Président de Tanzanie, il joua un rôle crucial dans le développement et activités de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA, aujourd’hui l’Union Africaine ou UA), du Mouvement des Pays Non-Alignés (MPNA), du Southern African Development Coordination Conference (SADCC), du Preferential Trade Area (PTA), et au début des années 1960 du Pan-African Freedom Movement of East and Central Africa (PAFMECA).[1]
Nyerere n’a pas cessé de faire la guerre diplomatique contre le régime d’apartheid d’Afrique du Sud. Il était complètement engagé pour la libération de l’Afrique, pour laquelle il plaça la Tanzanie aux premières lignes des mouvements de libération en Zambie, au Mozambique, en Angola, au Zimbabwe et en Namibie. Nicolaï Kosukhin dans un hommage fait à Nyerere titré « Julius Nyerere : Stateman, Thinker, Humanist, » remarque ce que chacun sait ou devrait savoir :
Dar es Salaam fut l’hôte des quartiers généraux de beaucoup de mouvements nationaux de libération. Les combattants des armées de libération nationales : FRELIMO (Mozambique), MPLA (Angola), ANC (Afrique du Sud), et les soldats des forces de libération nationales de Rhodésie du Sud (Zimbabwe) furent entraînés dans des camps situés en Tanzanie.
L’ancien président Kenneth Kaunda de Zambie, confident et collègue de Nyerere, nous rappelle également dans un hommage personnel qu’il ne doit pas être oublié que Nyerere fut « l’inspiration qui conduisit l’expulsion de la République d’Afrique du Sud des pays du Commonwealth en raison de l’apartheid, » la politique raciste qui séparait et marginalisait la population noire dans leur propre pays, une décision qui contribua de manière conséquente à promouvoir le processus démocratique aboutissant finalement à la déroute de ce système.
Nyerere fut également un Pan-Africaniste infatigable. Au cours de sa vie, il a souvent rappelé ce qu’il avait dit en 1961 lors d’une conférence Pan-Africaniste in Addis Abeba, à savoir qu’il était prêt à retarder l’indépendance du Tanganyika afin que le Kenya, l’Ouganda et le Tanganyika puissent être indépendants en même temps en un seul état fédéral. Plus tôt, dans un document écrit pour le PAFMECA en 1960, Nyerere déclara à ses collègues et futurs chefs d’états africains de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique Centrale :
Je n’ai pas de doute dans mon esprit que l’histoire nous a donné, à nous, résidents de l’Afrique de l’Est une opportunité unique. Utilisons-la maintenant et gagnons la gratitude des générations futures. Si nous sommes sérieux, voici notre défi : FAISONS DE 1961 L’ANNEE DE L’INDEPENDANCE DANS L’UNITE DE L’AFRIQUE DE L’EST.
Il s’agit d’une idée que ses collègues pères de nations au Kenya et en Ouganda n’ont jamais adoptée. Il regretta à jamais cet « échec ». Une fois qu’une personne a goûté au pouvoir, a-t-il conclu, il devient très difficile à accepter de le laisser s’envoler volontairement, même pour un plus grand bien public. Et comment avait-il raison ! Mais il était réaliste. Il prévint en référence au sujet de l’unité africaine, que son ami et modèle politique le président Kwame Nkrumah of Ghana voulait immédiatement, qu’afin d’être viable, l’unité africaine doit être une entreprise par échelons :
C’est seulement par consentement que l’Unité Africaine peut avoir lieu. Le vingtième siècle est remplit de fédérations épaves qui ont échouées car elles n’étaient pas fondées sur la volonté des peuples impliqués, ou bien parce qu’elles n’étaient pas suffisamment puissantes afin de faire face aux vents des politiques économiques internationales. Cela doit être clair pour chacun que la réussite de l’unité ne résoudra pas en elle-même les problèmes de l’Afrique. Elle permettra simplement à ces problèmes d’être résolus par l’Afrique…
En dépit de toutes les difficultés, l’Afrique doit s’unir. Et elle doit avancer aussi rapidement que sa sûreté le permet sur ce sentier rocailleux. Le peuple de l’Afrique aujourd’hui, et particulièrement ses leaders, ont un devoir envers leurs ancêtres et envers les générations futures qu’ils ne doivent pas faillir de mettre en pratique. La personne qui mérite une note de bas de page dans l’histoire de l’Unité Africaine méritera davantage dans l’avenir que celle qui en raison d’entêtement, de peur ou de fierté fera obstruction ou bien retardera le jour où cette histoire pourra être écrite.
Nyerere était conscient de la critique qui peut être mobilisée contre lui pour cette raison, pour ce que Nkrumah appellerait les échelons non nécessaires. Anticipant les objections, il déclara lors du premier sommet de l’OUA en 1963 :
Il y en aura quelques uns qui diront que cette charte [pour l’Unité Africaine] ne va pas suffisamment loin, ou bien qu’elle n’est pas suffisamment révolutionnaire. C’est peut-être vrai. Mais comment peut-on réellement aller suffisamment loin ? Il n’existe pas de maçon qui se plaigne du fait que sa première pierre ne va pas suffisamment loin. Il sait bien qu’une première pierre ira aussi loin qu’elle le peut et non pas davantage. Le maçon continuera de poser pierres sur pierres jusqu’à l’achèvement de l’édifice.
De plus, il est significatif que Nyerere était radicalement contre le principe de « non interférence » dans les « affaires internes » des autres pays lorsque celui-ci devient sujet à être interprété comme permission de la part des chefs d’états Africains de commettre des crimes contre leurs propres peuples avec impunité. En 1975, lorsque Idi Amin devait devenir président de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) puisque le sommet devait être organisé en Ouganda, Nyerere avait alors prévenu du fait que de permettre une telle reconnaissance et honneur à Amin était non seulement ridicule mais également immoral. Nyerere expliqua, selon Colin Legum que
L’Afrique était en danger de devenir unique dans son refus de protester contre les crimes commit contre les africains ‘lorsque de telles actions sont commises par des chefs d’état africains et des gouvernements africains.’ … La Tanzanie [déclara-t-il] ne peut accepter la responsabilité de participer dans la moquerie de condamner le colonialisme, l’apartheid et le fascisme dans les quartiers généraux d’un assassin, un oppresseur, un fasciste noir et un admirateur avoué du fascisme [Idi Amin].
Pas de Psychanalyse
J’aimerais prévenir du fait que je ne présente pas ici un récit historique précis ou une analyse scientifique de la vie de Nyerere ou de sa personnalité. Pour ce qui concerne l’histoire, nous avons les livres écrits par Nyerere lui-même que l’on peut étudier ainsi que les nombreuses dissertations dans les universités au sujet de sa vie et de sa pensée. J’ai moi-même écrit ma thèse doctorale sur la signification éthique de sa pensée pour l’Eglise Catholique en vue de et en conjonction avec la doctrine sociale de l’Eglise.
En ce qui concerne son profil psychologique, je n’ai rien rencontré de significatif qui serait déjà publié. S’il existait quelque chose à ce sujet, cela doit être porté à l’attention des responsables de la cause de béatification dans le diocèse de Musoma, en particulier le postulateur, la personne chargée par l’Eglise de la responsabilité de faire avancer le procès en faveur de la béatification et de l’éventuelle canonisation. Cela devrait également intéresser la personne que l’on nommait autrefois « l’avocat du diable, » c'est-à-dire la personne qui dans le passé dans le dicastère ou congrégation à Rome, était chargée de rechercher des éventuelles failles sérieuses et fautes contre toute positive appréciation et recommandation sur le saint éventuel. Le postulateur, presque par définition a tendance à être partial. La tâche de l’avocat du diable est d’équilibrer le tableau, afin de nous rendre davantage conscience que nul être humain, fut-il saint, n’est parfait.
(a suivre)
Un Saint Catholique se Cacherait-il Parmi les Chefs d’Etats Africains ?
La Tanzanie Répond Oui : Le Procès de Béatification du Vénérable Julius Nyerere est Ouvert !
(Deuxieme Partie de l'Article 'La Face Cachee de Julius Nyerere' de Laurent Magesa)
Histoire Populaire
Ce que je présente ici pourrait, si l’on veut, être qualifié d’ « histoire populaire. » Populaire n’implique pas ici le sens péjoratif du terme d’un discours « insignifiant » ou « bon marché, » mais plutôt le sens littéral de la perception ou de la vue de tout un peuple. En d’autres mots, comment la population catholique perçoit-elle Nyerere ? Ici nous devons nous rappeler le fait que c’est d’abord le peuple qui fait les saints par sa dévotion (selon le principe ecclésial qui perdure au travers les ages vox populi vox Dei, le choix du peuple est le choix de Dieu lui-même). L’Eglise ratifie cette voix populaire comme divine. Elle l’accepte et l’officialise.
C’était la procédure traditionnelle de la « fabrication des saints » dans l’Eglise et dans une certaine mesure, elle continue. L’Eglise officielle ne peut pas forcer les saints sur la gorge des fidèles. Elle accepte le fait que l’ensemble des fidèles soit inspiré du Saint Esprit, concrétisant l’affirmation fondamentale dans la foi chrétienne que « nous sommes l’Eglise, » que l’ensemble des baptisés forment la communauté chrétienne, libérée des erreurs en ce qui concerne de tels sujets (de la foi et de la morale). En vertu du baptême, déjà tout chrétien est prêtre, prophète et gouvernant. Chacun d’entre eux participe dans ces trois fonctions du Christ lui-même, et en conséquence leur ensemble en garantit la certitude.
Nyerere l’Homme
Godfrey Mwakikagile, un biographe du Mwalimu Nyerere, dans son livre Nyerere and Africa : End of an Era a écrit sur le Mwalimu de la manière suivante :
Il était d’origine paysanne, mais d’une noble famille. Il était le fils du Chef de l’ethnie Zanaki, une des ethnies les plus petites en Tanzanie et en Afrique avec une population totale d’environ 40,000 membres. Etudiant excellent, il était également célèbre pour son éclat extraordinaire et pour sa pensée originale tout au long de sa vie, il finit par être reconnu comme philosophe-roi. Cependant, il a souvent été félicité pour son humilité et sa simplicité, puisqu’il était un des leaders des plus humbles que le monde n’a jamais produit. Il était Julius Nyerere.
Ceci fait partie de la face cachée ou privée du Mwalimu Julius Nyerere que beaucoup ne peuvent ne pas connaître. C’est l’aspect de sa vie sur lequel j’aimerais réfléchir maintenant brièvement. A mon avis, c’est un aspect très important parce que nous sommes, nous êtres humains, ce que nous sommes et aussi ce que les autres perçoivent de nous-mêmes, souvent en raison des valeurs qui nous sont chères. Ces valeurs ne sont pas souvent publiques, mais elles ont des conséquences directes sur nos vies. Dans le cas du Mwalimu Nyerere, comme je l’ai déjà mentionné, elles ont énormément influencé sa carrière publique.
Avant d’entrer dans les détails sur le sujet de certains aspects de la face cachée de Nyerere, je mentionnerais trois points, choisis presque au hasard, afin de situer le portrait du Mwalimu Nyerere que je désire peindre, sa vie privée, dans son contexte.
Nyerere l’Africain et l’Amoureux de la Terre
En premier lieu, nous acceptons souvent par avance le fait que Nyerere était un homme africain, né et élevé dans une région rurale de la Tanzanie. C’est pourquoi nous sommes souvent peu attentifs aux conséquences de ce fait sur Nyerere. Mais elles sont extrêmement importantes afin de comprendre son caractère.
Nyerere aimait la terre, et n’était nullement embarrassé ou intimidé à la travailler alors qu’au même moment, peu d’africains de son éducation et stature le faisait. Parmi beaucoup d’intellectuels africains d’alors, la mentalité était plutôt de penser que travailler la terre était un emploi pour petites gens, une activité qu’on se doit d’éviter par tous les moyens, en particulier pour ceux qui ont vu l’intérieur d’une salle de classe. Jusqu’à ses derniers jours, Nyerere a refusé de partager cette mentalité. La plupart de ses vacances étaient passées à Butiama, son village natal rural, et non à Dar es Salaam ou dans des endroits tels que Londres ou Washington DC, à travailler ses propres champs avec ses propres mains, à élever des troupeaux ou à planter des arbres.
Les personnes qui le visitaient à Butiama lorsqu’il y était, furent-ils dignitaires ou gens ordinaires, peuvent attester de ce fait. Il avait l’habitude de les inviter dans ses champs jusqu’à l’heure de rentrer à la maison, quelquefois après plusieurs heures de désherbage, de plantation ou de récolte (quelquefois, cela décourageait certains de venir le visiter lors de la période des cultures). Certaines forêts qu’il a plantées peuvent aujourd’hui être visitées par tous. Nous pourrions l’appeler un environnementaliste ; il n’était certainement pas sujet à détruire un écosystème de quelque sorte que ce soit, bien au contraire, il était conscient de la nécessité de sa préservation. Avait-il quoi que se soit à dire au sujet de la manière avec laquelle ses résidences étaient construites, en prenant compte des environnements naturels voisins à Mwitongo, le site résidentiel de son père ? Nous sommes en droit de nous le demander.
Respect pour les Paysans
En conséquence, Nyerere respectait et même estimait les paysans. Tout en les encourageant à moderniser leurs méthodes de culture, il n’a jamais trahi cette estime, au contraire de ce que font la plupart des membres de classes snob. En raison de son éducation dans une zone rurale, au plus profond de lui-même il se sentait l’un d’entre eux. Ce fait apparaît clairement quand on considère les personnes avec lesquelles il conversait à Butiama : il est évident qu’il aimait et appréciait la compagnie des paysans. Bien qu’il fut académicien par son éducation et ses aspirations, il n’a jamais méprisé les conversations ordinaires, très terre-à-terre comme au sujet de la qualité du sol, du temps et des cultures. Il était rempli de gratitude pour eux et se souciait quand les choses tournaient mal ou différemment des attentes.
Il reconnaissait le fait que l’agriculture était la colonne vertébrale de l’économie tanzanienne et désirait l’encourager à tous les niveaux, dans les écoles et ailleurs. Il appréciait la culture comme une des plus hautes vocations qu’une personne soit en mesure d’adopter. La promotion de l’agriculture était la pièce centrale pour le développement de la nation tanzanienne, aspect fondamental de tout le système Ujamaa.
Attentif aux Personnes Marginalisées et Déplacées
Puisque la plupart des paysans sont pauvres aux alentours de Butiama, tout comme dans l’ensemble de la Tanzanie, Nyerere était rempli de sympathie pour les pauvres, les marginalisés et tous les exclus en général. S’il existe quoi que ce soit qui a dominé la politique publique de Nyerere, c’est bien cette attention toute spéciale pour cette catégorie de personnes.
Un témoignage de cet esprit est exprimé dans le nombre de réfugiés qui furent accueillis par son gouvernement et aidés par diverses manières, alors même que la Tanzanie traversait des temps économiques très difficiles. Des citoyens de pays limitrophes – du Mozambique, du Rwanda, du Burundi, du Congo par exemple – qui se sont trouvés en positions difficiles en raison de la violence dans leurs propres pays savaient qu’ils seraient toujours accueillis en Tanzanie, et ils arrivèrent en grand nombre. Certains d’entre eux sont restés si longtemps qu’ils ont pus acquérir la nationalité tanzanienne s’ils le désiraient. Nyerere ne s’est jamais plaint au sujet de leurs séjours en Tanzanie ou encouragé quoi que se soit afin qu’ils rentrent chez eux.
De plus, l’ensemble de la politique Ujamaa était motivé par le désir d’apporter tant soit peu d’égalité dans les structures sociales et dans la situation du peuple tanzanien. Il refusait de concevoir la validité de différentiels économiques énormes dans la population, qui feraient que la majorité serait misérable et une minorité scandaleusement riche. Selon ses propres mots lors d’un discours adressé aux religieuses Maryknoll à New York en 1971, il ne pouvait concevoir un Dieu qui serait ignorant, pauvre, affamé et malade. Comment se faisait-il donc qu’il s’agisse bien du « sort » de la majorité des personnes que les chrétiens affirment être créés à son image ? La pauvreté, l’ignorance et la maladie doivent donc être selon Nyerere non pas une action de Dieu mais de l’homme. En temps que tels, ces fléaux doivent être combattus.
Amour et Respect pour la Culture Africaine
L’identité africaine de Nyerere l’a également conduit – à la différence de beaucoup de ses contemporains africains éduqués aussi bien que ceux d’aujourd’hui – à un respect sincère et profond pour la culture et les traditions africaines. Bien qu’il critiquait clairement certains aspects déshumanisants de ces cultures et traditions, et appelait au changement lorsque cela s’avérait nécessaire, il ne s’est jamais complu dans l’idée de nommer l’ensemble des cultures, langues et traditions africaines comme « primitives, » ou qui seraient incapables de véhiculer la pensée moderne.
Par exemple, c’est seulement son respect sincère et profond pour les cultures africaines qui l’a conduit à construire sa pensée politique et système socialiste sur le concept africain d’Ujamaa, l’esprit et système d’entraide mutuelle traditionnels africains qu’il traduisait par « esprit de famille ». Il n’a jamais douté du fait que son système était capable d’exprimer les complexités modernes et sociales de l’état moderne. La plupart de ses œuvres publiées sont explications et justifications de cette conviction.
Plus encore, les efforts du Mwalimu Nyerere à promouvoir la langue swahilie comme véhicule d’expression et d’éducation en Tanzanie, en Afrique de l’Est et dans le monde entier est bien connu. Il a publié des œuvres poétiques en swahili qui expriment des idées politiques et sociales complexes. Et comme s’il avait voulu souligner la beauté et la capacité de cette langue à exprimer les idées, Nyerere a traduit en swahili deux pièces comportant un message moral et social d’un des plus grands écrivains anglais, William Shakespeare. Il a également traduit une grande partie du Nouveau Testament en vers swahili. Que voulait-il exprimer par tout cela ? Simplement, une fois encore, que la langue swahilie est capable comme n’importe qu’elle autre d’exprimer les idées, aussi complexes soient-elles.
Je dois souligner une fois de plus que Nyerere n’était ni inconditionnel admirateur des traditions africaines ni ennemi de la modernité. Nous pourrions dire que le projet de sa vie était l’intégration de l’Afrique dans le monde moderne et vice-versa – ce qui n’est pas une tâche aisée s’il en est, mais dont il était persuadé qu’elle fut possible. Il souhaitait et conseillait sans relâche afin que chacun puisse jouer son rôle dans cette entreprise, sur laquelle croyait-il la survie même du continent dépendait.
Nyerere le Chrétien
En deuxième lieu, Nyerere était un chrétien catholique. Il a embrassé cette foi dans sa jeunesse et il était engagé par sa signification de manière « héroïque », et a resté fidèle, sans embarrassement ni excuse, jusqu’à son dernier souffle.
Bien que l’engagement de Nyerere au catholicisme montrait une foi profonde, elle ne signifiait ni naïveté ni partialité. Nyerere ne craignait pas de critiquer le clergé et la hiérarchie de sa propre Eglise catholique lorsqu’il pensait que cette critique s’avérait nécessaire, mais toujours de manière respectueuse, et souvent humoristique. Ceux qui étaient suffisamment malins pour comprendre – ceux qui comme le disent les évangiles avaient « des yeux pour voir » et « des oreilles pour entendre » - entendaient le message.
Les efforts incessants de Nyerere d’éduquer la hiérarchie catholique, ainsi que toute la population religieuse du fait que sa politique Ujamaa ne signifiait pas communisme athéiste comme l’Eglise catholique en particulier était portée à croire, étaient fréquents et sincères. Non pas qu’il ait jamais converti beaucoup d’entre eux, étant donné l’intensité de la Guerre Froide. Mais il ne peut être accusé de ne pas avoir essayé, de manière éloquente et articulée. En tous temps il préservait avec ténacité le principe de la liberté religieuse, en déclarant que ce principe était sacro-saint tant que les droits des autres peuples aux mêmes droits étaient respectés.
Le fait que le Mwalimu n’était pas un bigot doit être souligné. Il pouvait prier sincèrement avec des croyants d’autres convictions religieuses, et l’a souvent fait. Son ouverture en matières religieuses était telle que jusqu’à ses derniers jours il cherchait des fonds afin d’achever la construction d’une mosquée, une maison de prière pour les musulmans, dans son village à Butiama. Les catholiques avaient bien une église là-bas ; pourquoi pas les musulmans ? Son épouse, Mama Maria Waningo Nyerere s’est assurée de la complétion du projet après son décès.
Une fois encore, Mwalimu Nyerere croyait qu’il y avait autant de valeurs positives et morales dans les religions africaines que dans n’importe qu’elle autre religion. Les connaissant bien les deux, il ne comparait jamais le christianisme et la religion africaine dans le but de prouver laquelle des deux était « meilleure » que l’autre. En refusant de mépriser n’importe quelle religion légitime, Nyerere montrait un esprit de tolérance celui-la même qui est nécessaire pour une rencontre ou un dialogue interreligieux.
Quelques Anecdotes en Guise d’Illustration
Il existe de nombreuses anecdotes connues en référence de l’engagement personnel de Nyerere aux principes catholiques tout au long de sa vie. Certaines d’entre elles ne peuvent être mentionnées puisqu’il est difficile d’en garantir l’authenticité, mais considérant la marche même de sa vie, la plupart d’entre elles doivent bien contenir une part de vérité. Deux d’entre elles cependant peuvent être mentionnées sans peur d’être contredit : sa conscience d’une autorité divine au dessus de lui et conséquemment sa fidélité à la prière d’une part, et son impartialité d’autre part.
Nyerere avait une chapelle construite à Butiama, près de sa maison afin qu’il puisse fréquemment assister à la messe et recevoir la communion. Nous avons mentionné que c’est probablement la raison pour laquelle il se montrait soucieux d’aider la communauté musulmane du village à construire une mosquée dans ces mêmes lieux. En ce qui concerne son impartialité, il est connu pour avoir insisté que ses enfants ne bénéficient d’aucun privilège ou honneur pour la seule raison qu’ils étaient ses enfants. Ils devaient gagner leurs vies comme tout le monde. Nyerere n’avait ni le temps ni la patience pour quoi que ce soit de différent. Il dit un jour en référence à ce fait qu’il ne serait pas celui qui ferait de la présidence de Tanzanie quelque chose qui ressemblerait à une chefferie héréditaire.
Nyerere l’Intellectuel
La troisième observation générale que nous aimerions faire concerne ici l’intelligence de Nyerere, qui comme l’a remarqué un observateur était « étincelante. » Le père Arthur Wille, un prêtre catholique américain, confident de Nyerere et de sa famille a remarqué à ce sujet en citant l’histoire même de Nyerere la manière avec laquelle il s’est inscrit à l’école alors même que son frère aîné Wanzagi ne l’avait pas fait. Le père Wille se rappelle du fait que Nyerere lui racontait qu’il avait l’habitude de jouer « bao », une sorte de jeu d’échec africain avec les anciens, amis de son père, alors même que son père s’occupait des affaires officielles de la chefferie. Il était si fort qu’il gagnait souvent.
Remarquant son acuité intellectuelle, un chef voisin et ami de son père du nom de Chef Mohamedi Makongoro de la chefferie d’Ikizu conseilla son père d’envoyer le fils à l’école de Mwisenge, à Musoma, que l’administration coloniale britannique venait justement d’ouvrir. Le père de Nyerere accepta cette suggestion et Nyerere fut envoyé à l’école, ce que nous pouvons imaginer était une opportunité rare dans ces temps-là. Les débuts de l’éducation de Nyerere peuvent ainsi être considérées comme étant un accident, dans le sens qu’elle n’est pas initialement prévue pour lui.
A l’école, Nyerere était excellent. Ceci est de notoriété publique. Comme l’écrit son biographe Gofrey Mwakikagile :
Nyerere était à l’école primaire de Mwisenge de 1934 à 1936. Ses enseignants catholiques rapidement prirent notice de son intelligence extraordinaire. Il démontrait entre autres choses une habileté pour les langues étrangères et apprit rapidement l’anglais et le swahili. En 1936, il brilla lors des examens de fin d’année et gagna les honneurs d’être le premier de la liste de tous les étudiants de l’ensemble du Tanganyika qui prirent cet examen d’entrée pour des études secondaires au lycée Sainte Marie de Tabora, dans l’ouest du Tanganyika, une école pour élite dirigée par des catholiques. Cette école était modelée selon le modèle des écoles privées de Grande Bretagne et avait une excellente réputation pour sa rigueur intellectuelle et pour sa discipline, préservant un niveau académique élevé. Nyerere a démontré qu’il était parfaitement à la hauteur pour cela, et de nouveau se fit remarquer parmi ses professeurs comme excellent étudiant, étant aussi parfait en classe que lors des activités extérieures. Il acheva ses études secondaires à Tabora en 1943 avec mention.
Distinction à l’Université
De Tabora, il rejoignit Makerere University College en Ouganda en 1943 et puis l’Edinburgh University en Ecosse en 1949 à la suite d’une courte période de professorat à l’école secondaire Sainte Marie de Tabora pour son Alma Mater. Dans ces deux universités, Nyerere démontra la même habileté intellectuelle. Il gagna une maîtrise en histoire et économie à Edinburgh à l’age de 30 ans en 1952.
A l’age de 21 ans, alors qu’il était encore à Makerere University, son intérêt pour le bien-être des peuples africains devint évident lorsqu’il créa en 1943 l’association pour le bien-être du Tanganyika africain. Selon ses propres dires, il ne s’agissait pas d’une organisation politique, mais une sorte d’œuvre sociale, ayant comme projet l’amélioration du sort des peuples africains qu’il estimait être profondément désavantagés par les administrations coloniales. Comme je l’ai déjà signalé, ceci provenait à la fois de son identité africaine ainsi que de son sens de la justice et de l’égalité.
La vision de Nyerere sur l’égalité des sexes par exemple – une critique souvent faite comme un point négatif des structures sociales africaines – s’exprima en 1944 lorsqu’il signa un essai sur la liberté des femmes. Ce travail révèle toute sa signification et sa juste valeur lorsque l’on considère que cette époque était encore bien antérieure à la naissance de tout mouvement sérieux pour la libération féminine où que ce soit dans le monde, même dans le monde occidental, sans parler de l’Afrique. Nous pouvons également signaler le fait que cet essai fut rédigé plusieurs années avant la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme à l’Organisation des Nations Unies en 1948.
Pas d’Arrogance
Beaucoup ont remarqué que l’intelligence de Nyerere ne s’est jamais transformée en arrogance ou mépris, comme cela arrive si fréquemment. Il a toujours cherché la compagnie avec les gens de toutes les classes sociales et de tous les ages. Il était capable d’expliquer les choses les matières économiques et politiques des plus compliquées et complexes en termes que presque tout le monde pouvait comprendre.
Il existe beaucoup d’exemples de ce fait. Un d’entre eux concerne son explication sur les raisons qui ont conduit le Tanganyika à quitter le Commonwealth, suite à l’attitude des britanniques à l’égard de la déclaration unilatérale d’indépendance de la Rhodésie du Sud par Ian Smith en novembre 1965 ; un autre exemple était son explication de la crise économique en Tanzanie dans les années 70 ; et un troisième exemple fut sa décision de déclarer la guerre contre Idi Amin d’Ouganda en 1978-79. Il s’agissait alors d’évènements complexes et compliqués. Mais Nyerere se faisait un point d’honneur de les expliquer à la population, comme pour demander sa permission et sa bénédiction pour agir – ce qu’il reçut.
Le manque d’arrogance chez Nyerere se reflète dans son intérêt pour « tout et pour tous », tout comme Vyacheslav Ustinov l’écrit dans son « Nyerere’s Time : In Memory of the First President of the United Republic of Tanzania. » Il était capable de rire même au milieu des discussions les plus sérieuses. Plus encore, il était capable de rire au sujet de son humanité même ainsi que de celle de ses pairs. L’histoire qu’il raconta un jour lors d’une réunion officielle, au sujet d’un ministre majeur, appelant sa mère par son nom et dans sa langue maternelle, alors que l’avion qui les transportait tous les deux se trouvait dangereusement bousculé par des turbulences, est très drôle. Mais ce qu’il voulait exprimer n’en n’était pas moins très sérieux : il est impossible d’oublier ses racines, tout « éduqué » qu’une personne puisse être.
L’identité africaine de Mwalimu Nyerere, sa foi et son engagement religieux et plus particulièrement chrétiens, son intelligence perceptive sont donc des éléments formateurs majeurs de son caractère. Mais je dois mentionner qu’il n’existe aucune évidence pour le fait qu’il aurait consciemment permis à ces éléments de le pousser à prendre parti pris dans ses décision sur les affaires dont les conséquences sur les être humains transcendent ces réalités. En d’autres mots, Nyerere était :
· Un africaniste mais pas un raciste ;
· Un chrétien catholique mais ni un religieux fanatique ni un bigot ;
· Un intellectuel mais sans être snob.
Caractéristiques Formatives Importantes
Après avoir peint le cadre contextuel, j’aimerais maintenant tenter de le remplir de détails qui indiquent la face privée de Nyerere. J’ai identifié huit caractéristiques que j’aimerais appeler vertus sur la base de l’éducation de Nyerere ainsi que de la mienne. Mais c’est aussi parce que je souhaite les expliquer brièvement dans une perspective théologique. Leur énumération comprend l’honnêteté, l’humilité ou la simplicité, la générosité, la sincérité, la sensibilité, l’engagement, la prévoyance ou vision des choses et la loyauté de Nyerere. Considérons-les sous une forme abrégée.
Tout d’abord l’honnêteté et la transparence de Nyerere. La perception populaire du monde politique (comme « sale jeu ») n’inclut habituellement pas l’honnêteté comme un de ses piliers. Plutôt, la politique est souvent comprise comme une école de discours diplomatiques remplis d’ambiguïté. Vous ne vous devez pas d’être honnête, vous ne vous devez pas de dire la vérité. En fait, en ce qui concerne certaines affaires, vous ne devez pas dire la vérité. Vous devez persuader, convaincre le peuple que ce que vous dites est vrai, que cela soit le cas ou pas !
Lors de sa carrière politique, Nyerere ne semble pas avoir partagé cette vision du monde politique. Il était honnête et transparent, acceptant que des décisions politiques soient qualifiées d’erreurs quand il comprenait qu’elles l’étaient. Les êtres humains ne sont pas des anges dirait-il. Mais il revient aux hommes de corriger leurs erreurs et de continuer la marche. Comme il l’a exprimé lors d’une interview en 1973, « si nous déclarons que la Nouvelle Jérusalem est l’endroit vers lequel nous nous dirigeons et puis nous commençons la marche, nos amis ne doivent pas se décevoir du fait qu’ils trouvent que nous sommes toujours dans le désert. »
Le « désert » est ici pour Nyerere le symbole de l’imperfection et de l’erreur qui accompagne le pèlerinage de la vie et de beaucoup de ses aspects essentiels. Suite à la mise en pratique de la Déclaration d’Arusha, Nyerere a reconnu de manière publique, comme Kaunda le signale, que « lui-même et ses collègues n’ont pas reconnu l’importance de développer une classe dirigeante transparente dans la gestion… des entreprises [qui avaient été nationalisées] – un effort qui se doit d’être continu dans n’importe quelle situation humaine donnée. » Dans une autre interview, lorsqu’il lui était demandé ce qu’il considérait comme la plus grande réussite de la Tanzanie jusqu’alors, il ne porta pas de crédit pour lui-même. A l’inverse, il déclara simplement, « que nous ayons survécu. »
Contre le Culte de Personnalité
Nyerere refusait catégoriquement les stratégies de mystification telles que l’encouragement du développement d’un culte de personnalité autour de lui. Une grande part de mystification consiste à préserver le peuple dans l’ignorance, en élevant quelqu’un au delà de l’humanité qui appartient à chacun d’entre nous, qui fait toute sa beauté et son désordre avec tous ses échecs et réussites. Nyerere était simplement humain. Peut-être qu’en termes politiques, c'est-à-dire dans ses relations avec les autres hommes politiques, il a du le payer. Certains de ses collègues ont pu exploiter sa transparence afin de miner sa politique Ujamaa. Beaucoup d’observateurs affirment que ce fut le cas lors des deux décades de l’ « expérimentation », de la fin des années 60 jusqu’au début des années 80.
Et bien des personnes jugeaient son honnêteté embarrassante. Un jour, un dignitaire catholique remarqua qu’un leader ne doit jamais s’excuser publiquement, et encore moins confesser ses erreurs. Il disait cela dans une critique de la transparence et l’honnêteté de Nyerere.
Tout cela est bien surprenant puisque en théologie chrétienne dire la vérité ou l’honnêteté (parrhesia) est une vertu de grande valeur. La signification même de la tentation, dans quelque forme que se soit, est une invitation à la malhonnêteté. De telle sorte que le Diable, aussi connu sous le terme de tentateur, est décrit dans la tradition chrétienne comme le « Père du Mensonge. » A l’inverse, Jésus se présente lui-même comme la Vérité, le Chemin et la Vie et se distingue en conséquence des leaders politiques et religieux de son temps par son honnêteté sur lui-même, en la qualité de personne, sur sa mission, et sur ses relations dans la société qui lui est contemporaine.
Conscience de Faillibilité Humaine
Peu de temps après l’indépendance, en mai 1962, Nyerere a publié un essai en swahili sous la forme d’un pamphlet intitulé Tujisahihishe, c'est-à-dire Corrigeons-Nous Nous-Mêmes. Dans cet essai, il énumérait plusieurs tendances erronées qui apparaissaient alors déjà au sein du Tanganyika Africa National Union (TANU), le seul mouvement politique majeur du moment. Il mentionnait, entre autres choses, la tendance de se croire en temps que parti ou en la qualité d’individus comme infaillibles, incapables d’erreur ! Dans le dernier paragraphe de cet essai, il avoua qu’il n’était pas lui-même complètement libre des erreurs qu’il décrivait. (Ce pamphlet n’a jamais été officiellement traduit en anglais, mais une traduction non officielle existe et est disponible dans un livre intitulé Honest to My Country par une personne qui écrivit sous le nom de plume de Candid Scope :
J’ai tenté d’expliquer certaines erreurs qui doivent disparaître de notre parti. Je ne désire pas que qui que se soit puisse penser que je n’aurais pas ces erreurs simplement parce que j’ai écrit à leurs sujets. Cela n’est pas vrai. Une très grosse erreur qui provient de l’égoïsme est de mentionner les erreurs que nous commettons nous-mêmes. C’est la même faute qui nous pousse à condamner ceux que nous n’aimons pas, et de justifier ceux que nous aimons sans se soucier de ce qui est vrai. Je mentionne ces erreurs non seulement dans le but de juger les autres, ce qui est chose aisée, mais également afin d’apprécier nos propres actions, sont elles justes ou non, ce qui est une chose beaucoup plus difficile, mais plus importante.)
Admettre la faillibilité humaine permet d’éviter la rigidité excessive, ce que nous pourrions nommer dogmatisme ou mentalité doctrinaire ; cela exige plutôt un esprit de réforme constante, de soi-même et des institutions. Il ne doit pas nous étonner que le pape Jean XXIII, à la convocation du Concile Vatican II lors de la deuxième partie du siècle dernier – un concile qui n’était pas encouragé par tout le monde en raisons des changements potentiels qu’il pourrait occasionner – forgeait l’expression suivante, Ecclesia simper, reformanda, l’Eglise doit se réformer et se repenser elle-même. La vision de Nyerere l’a conduit dans la même direction. Nous devons rappeler qu’il a démissionné les dirigeants peu de temps après l’indépendance afin de réformer le TANU et le porter plus près des masses alors que ce parti développait ce qu’il pensait être un élitisme dangereux parmi ses rangs. Aussi, singulièrement, après bien des années à promouvoir le système tanzanien de parti unique, il déclara une pressante invitation pour un système multipartite quand il pensa que les temps étaient mûrs pour ce changement.
(a suivre)
Un Saint Catholique se Cacherait-il Parmi les Chefs d’Etats Africains ?
La Tanzanie Répond Oui : Le Procès de Béatification du Vénérable Julius Nyerere est Ouvert !
(Suite et Fin de l'Article de Laurent Magesa: La Face Cachee de Julius Nyerere)
Humilité et Simplicité
L’humilité de Nyerere a également été partout remarquée, ce qui avec l’honnêteté signifie un sens profond de conscience de soi et une acceptation de faillibilité personnelle.
Lorsque les chrétiens parlent d’examen de conscience et de confession des pêchés ils se réfèrent à cela. Un des ingrédients majeurs de la confession est l’attitude morale non pas seulement d’honnêteté mais également de l’humilité, la reconnaissance du fait que la faillibilité concerne tous les êtres humains sans faire état de leur condition ou rang social. Dans son livret Tujisahihishe Nyerere mentionne ce point. Mais dans son expression pratique l’humilité apparaît sous la forme de respect pour l’égalité entre les hommes. Ceci à son tour appelle pour la simplicité de vie et le refus inconditionnel d’attitudes pompeuses ou ostentatoires.
Tout juste un an après la publication de Tujisahihishe, Nyerere dans une lettre du 13 juillet 1963 demanda à tous les représentants officiels à la fois du gouvernement et du parti d’éliminer toute attitude pompeuse, attitude qu’il pensait maintenant confuse avec dignité. Il remarqua le fait que l’hymne national était maintenant entonné pour n’importe quelle occasion dans laquelle se trouvait un officiel du gouvernement, même s’il s’agissait d’affaires privées. Cela est une attitude non nécessaire et pompeuse, déclara Nyerere. Pompeuses également étaient les escortes de police pour lui-même et pour les autres dignitaires officiels du gouvernement. Celles-ci, souligna-t-il devenaient inutilement excessives et malvenues, pour ne pas dire impolies pour les usagers réguliers des routes, juste pour impressionner ! Et pourquoi donc, demanda-t-il, ne doit-on pas permettre l’accès aux citoyens ordinaires dans la résidence présidentielle afin qu’ils puissent voir les fonctions d’état qui y ont lieu ? La directive de Nyerere était claire : ceci doit cesser.
Nyerere estimait que les attitudes pompeuses doivent être évitées à tous prix plutôt que d’en être fiers. De plus, elles constituaient dans son esprit de quelque chose de faux. Contre l’affirmation qu’elles étaient appréciées par le peuple lui-même, il répondit : « Même s’il était prouvé que le peuple réellement appréciait tout cela – ce que je doute grandement – cela n’empêcherait toujours pas le fait qu’elles soient néfastes ; et en temps que telles, il serait encore de notre devoir d’y mettre un terme, et de dire au peuple que ce qu’ils ont appris à aimer était faux. »
Le sens de l’humilité chez Nyerere possède des réminiscences bibliques. En ce moment de recherche biblique cependant, personne ne doit être intéressé à citer quelques versets bibliques afin de « prouver » une cause. Nous sommes entrés au delà de méthode « preuve par le texte » dans les discussions théologiques. En conséquence, lorsque nous mentionnons l’attitude de Nyerere envers les écritures, nous nous référons à l’esprit des deux. L’esprit de la vie et de la mission de Jésus, du début jusqu’à la fin, de la naissance jusqu’à la mort est rempli d’humilité, qui pour lui se traduit en service. Jésus récapitule dans son sermon sur la montagne (selon la version de Matthieu) ou de la vallée (selon celle de Luc) en ces mots : « Heureux sont les humbles, ils recevront ce que Dieu a promis. » Il est cité comme disant de manière spécifique dans les évangiles « Si l’un d’entre vous désire être grand, il doit être serviteur des autres ; et si l’un d’entre vous désire être le premier, il doit être votre esclave – tout comme le Fils de Dieu, qui n’est pas venu pour être servi mais pour servir et pour donner sa vie pour la multitude. »
Quoique qu’on puisse dire de Nyerere, il était un homme heureux. Il ne se souciait pas outre mesure au sujet de sa sécurité personnelle, se considérant lui-même en sécurité de la même façon que la personne suivante.
Ceci était une conséquence de son honnêteté et de sa simplicité. Je sais que les comparaisons sont souvent odieuses, mais quiconque a les yeux suffisamment ouverts peuvent observer les attitudes qui prévalent dans le leadership africain et ne manqueront pas de noter le contraste qui existe entre Nyerere et tant d’autres. Qu’ont fait les chefs d’états africains pour leurs villages natals ? Et qu’a donc fait Nyerere en utilisant son influence comme président pour son propre village de Butiama ? Le contraste est si frappant qu’il ne peut être tu. Il est de notoriété publique par exemple que Nyerere n’a jamais accepté l’idée que le gouvernement construise une nouvelle maison pour lui à Butiama, pensant que celle dans laquelle il résidait alors lui était bien suffisante. Il a été « forcé » dans ce projet, mais ne vécu pas longtemps dans cette maison avant qu’il ne meure. Il est aussi dit que lors de sa vie il n’a pas accepté la construction d’une route goudronnée à Butiama, demandant pourquoi les autres villages n’auraient pas de tels privilèges.
Bien entendu, nous avons aujourd’hui un aéroport international Mwalimu J.K. Nyerere à Dar es Salaam, ainsi que tant d’autres services nommés à son honneur. Il est peu probable cependant que Nyerere aurait permit cela au cours de son existence. Ce qui est expliqué lors de tant de ses discours contre les attitudes pompeuses ou autres et qui peuvent suffire pour nous le faire croire. Cela signifie que ses plus grandes décisions, tout comme les observateurs peuvent nous le dire, n’ont pas été prises pour gagner quelque avantage politique, mais sur le principe qu’elles étaient moralement justes et qu’elles peuvent bénéficier au peuple tanzanien, africain et à l’humanité en général.
Décisions Impopulaires
Comment autrement pourrions-nous comprendre certaines décisions extrêmement impopulaires qu’il a prises, et non pas seulement en Tanzanie mais également dans des enjeux internationaux ? Nous devons mentionner la politique Ujamaa elle-même, pièce centrale de la pensée politique de Nyerere, une politique pour laquelle il s’est engagé sachant bien qu’elle occasionnerait les pressions deux super puissances du moment. Pour l’occident, Ujamaa était de fait un communisme « sans dieu » (une position que l’Eglise catholique avait tendance à adopter). Pour le bloc des pays de l’est, il n’était pas suffisamment scientifique ou communisme. Pour l’atmosphère politique internationale d’alors, nous ne pourrions pas trouver meilleur exemple d’une position entre le clou et le marteau.
Bien qu’il fût socialiste dans ses orientations et convictions fondamentales, Nyerere n’a pas hésité d’exprimer ses désaccords avec les deux blocs capitalistes et communistes pour le principe et pour l’intégrité. En 1965, l’Allemagne de l’Ouest menaça Nyerere de ne pas permettre l’ouverture d’un consulat d’Allemagne de l’Est à Dar es Salaam. Et s’il le faisait, l’Allemagne de l’Ouest devait alors reconsidérer son engagement à former l’armée de l’air tanzanienne. Nyerere ne s’est pas laissé intimider, il renvoya l’ambassadeur de l’Allemagne de l’Ouest chez lui et chercha les canadiens pour prendre la relève.
Il agissait de la même manière avec le bloc de l’Est. En 1968 les troupes soviétiques envahirent la Tchécoslovaquie afin de contrer les réformes entamées par Alexandre Dubcek. Nyerere était furieux contre cette action qu’il jugeait injustifiable et inexcusable. Tchécoslovaquie tout comme la Tanzanie était un état souverain et nul autre état tout puissant qu’il puisse être n’avait le mandat d’agir comme le faisait l’Union Soviétique. Il est important de se rappeler qu’en ce moment même, la Tanzanie et l’Union Soviétique bénéficiaient de relations diplomatiques et un niveau de coopération qui n’avaient jamais été aussi importants. Pour le principe de l’égalité entre les nations, il n’en n’était cependant nullement découragé.
Un aspect de la politique Ujamaa était en particulier très controversé, il s’agissait de la villagisation. Il ne fait pas de doute qu’elle a causée beaucoup de souffrances pour beaucoup. Une fois de plus, la vision de Nyerere dans ce processus n’était ni la cruauté, ni l’abus de pouvoir ni le désir des grandeurs, il s’agissait d’un intérêt sincère pour le peuple qu’il dirigeait. Nyerere croyait – et il n’a pas cessé de l’expliquer – que le peuple tanzanien développerait son identité seulement sur la base de ses propres traditions, et que son bien-être économique et social ne pouvait être garanti que s’il se regroupait dans des villages. Comme l’observait quelqu’un du Soudan lors d’une adresse de condoléances lors du décès du Mwalimu Nyerere, « S’il a fait des erreurs, ce fut seulement parce qu’il était humain, et non pas parce qu’il souhaitait quelque mal que se soit à l’humanité. »
Le jeudi 21 octobre 1999, à l’occasion des funérailles d’état à Dar es Salaam, le président d’alors Benjamin Mkapa lui fit un hommage sincère en remarquant entre autres choses sa sensibilité pour les pauvres et les désavantagés, un point que j’ai déjà mentionné. Sur ce sujet, le président Mkapa était en accord substantiel avec ce que savent beaucoup d’autres qui connaissaient bien Nyerere, à savoir que ses erreurs n’étaient jamais de mauvaise foi mais honnêtes. Selon les mots de Mkapa :
Le Mwalimu était extrêmement sensible envers les laissés pour comptes, les faibles, les infirmes, les humiliés. Il était également extrêmement sensible au triste sort des réfugiés et autres personnes déplacées. Sous sa gouvernance, la Tanzanie n’était pas simplement un pays paisible, ne générant donc pas de population réfugiée, mais il fit de la Tanzanie un refuge pour qui que se soit à la recherche d’un abris politique ou personnel.
Respect pour la Vie
Peut-être est-il maintenant temps de mentionner un autre aspect de la sensibilité de Nyerere qui est le respect de la vie. Tout au long de son terme au pouvoir, la peine de mort était légale en Tanzanie, mais il n’est pas connu pour l’avoir autorisé bien des exécutions. Mais quels que soient les faits en la matière – et ceux-ci peuvent facilement être vérifiés – l’angoisse profonde et la reluctance de Nyerere à engager toute action blessant l’intégrité et la vie de la personne de fait pas de doute.
Peu de temps après l’indépendance, Nyerere a emprisonné diverses personnes sans jugement dans le but de consolider « la sécurité nationale. » Il ne fait pas question que cette notion peut être facilement manipulée afin de faire taire des positions politiques et des idées diverses, conduisant ainsi vers la dictature. Il est une question ouverte au débat de savoir si lors du régime de parti unique la Tanzanie se trouvait-elle ou non dans la situation d’un système dictatorial. Des personnes différentes prennent des positions différentes à ce sujet. Tout au moins, il n’y a pas de preuve du fait que Nyerere aimait placer les personnes en détention, mais plutôt qu’il le faisait qu’avec extrême prudence.
La même chose se vérifie concernant sa décision en 1966 de fermer la seule université tanzanienne de l’époque à Dar es Salaam. Il prit cette décision lorsqu’il pensa que les étudiants, comme l’écrit Ivan Smith le premier représentant personnel du Secrétaire Général des Nations Unies en Afrique de l’Est et Afrique Centrale, dans le début des années 60, commencèrent à développer des « rêves de grandeur. » Ce qui rendit Nyerere furieux était ce qu’il considérait leur manque de considération pour la masse du peuple qui travaillait pour permettre leur éducation. Ils pensent, Nyerere croyait-il, qu’ils sont membres d’une « classe privilégiée, » au dessus de toutes les autres. Pour eux, ainsi comprenait-il la situation, l’éducation n’est pas affaire de service mais de gain personnel. Démontrant ainsi son identification instinctive et sa sympathie avec les pauvres, Nyerere ne pouvait tolérer de telles attitudes dans les leaders futurs du pays, aussi renvoya-t-il les étudiants chez eux, jusqu’à ce que leurs familles et autorités locales jugent qu’ils étaient devenus suffisamment responsables pour retourner à l’école.
La Mesure de l’Humanité
Nous parlons souvent de l’amour comme de la vertu centrale dans la spiritualité chrétienne. En cette matière nous ne faisons que suivre les instructions du Nouveau Testament dans son ensemble. Saint Paul mentionne la foi et l’espérance parmi les vertus cardinales de la vie chrétienne mais spécifie que l’amour ou la charité est la plus grande d’entre elles. L’amour ou la charité prend naissance avec l’empathie qui implique la capacité de « sentir avec » l’autre personne, mais ceci ne peut avoir lieu sans la sensibilité, la capacité de voir, d’entendre, d’aimer ou de souffrir comme une autre personne le fait. En conséquence, l’empathie va au delà de la sympathie puisque la sympathie signifie simplement la compréhension et le fait d’être désolé pour la situation de l’autre personne. Elle ne signifie pas nécessairement participation holistique dans cette situation, ce que fait l’empathie.
Au travers cette empathie intense avec les sous privilégiés, Nyerere démontrait dans sa personnalité une profonde humanité. Comme le note le président Mkapa dans les remarques qu’il fit lors des funérailles :
… La vraie mesure de l’humanité est le soin que quelqu’un porte envers les membres les plus faibles de la société. A ce sujet, et par le moyen de la spiritualité intense qui le caractérisait, le Mwalimu se distinguait comme être véritablement humain. Son souci, et peut-être pourrions-nous même dire, son obsession d’ôter les différences inégalitaires à l’intérieur de la société et dans le monde reste légendaire.
Son mépris pour les richesses au milieu d’un environnement pauvre avait un caractère particulier et était profondément ancré dans son esprit et dans son cœur. Le Mwalimu se considérait lui-même comme un homme chargé d’une mission, et il refusait la distraction que l’accumulation des richesses terrestres pouvait apporter dans la vie.
Dans un monde maintenant embourbé dans la corruption, qui gagne aussi la sphère politique, beaucoup ont remarqué le détachement de Nyerere envers les richesses et sa vie personnelle l’ont parfois conduit à être appelé « Monsieur les mains propres. » Comme le notent Y.N Vinokurov, S.M. Shlyonskaya et Y.V. Dyachkova dans leur préface éditoriale d’une collection d’essais célébrant le Mwalimu Nyerere « Humanist, Politician and Thinker, » c’est en raison de sa réputation d’être « un homme transparent, honnête qui servait son peuple avec dévotion généreuse. » Il n’a jamais amassé des richesses pour lui-même ou pour sa famille. Dans son service, Nyerere était engagé, ne permettant jamais la flatterie ou les menaces de le détourner de ce qu’il avait précédemment décidé.
Loyalisme
Nyerere était extrêmement loyal pour ses amis, jusqu’au moment où ils prouvaient sans l’ombre d’un doute qu’ils n’étaient pas digne d’une telle confiance. Alors, il pouvait devenir comme certains l’ont dit, sans merci dans sa réponse. C’est ce qui arriva pour ce qui concerne sa relation avec Oscar Kambona, précédemment l’un de ses lieutenants envers qui il avait le plus confiance. Mais peut-être faisait-il trop confiance, de telle sorte que certains individus prenaient avantage de cette confiance au point même de saboter la concrétisation de sa politique. Certains analystes ont remarqué que la pratique de déménager des « officiels ratés d’une position vers une autre lors de sa présidence (en raison de son engagement envers eux) y a contribué.
L’engagement de Nyerere est apparent dans d’autres aspects de sa vie de manière théorique et pratique. Nous pouvons mentionner ses engagements envers la justice, la paix et la réconciliation (lors de sa politique Ujamaa), envers sa foi (en la qualité de chrétien catholique), envers son pays (dans un long mandat de service généreux) et envers sa famille dans le mariage.
Le loyalisme et l’engagement sont deux très bonnes images des relations d’amitié de Dieu envers les êtres humains et envers toute la création. En langage biblique, ceci est décrit par l’alliance que Dieu établit comme un accord sans retour avec le peuple, une relation d’alliance pour laquelle Dieu est toujours fidèle en dépit des inconséquences humaines. Les êtres humains ne peuvent bien entendu être fidèles et engagés de la même manière que Dieu, mais une bonne personne doit se garder de casser la confiance. La fidélité dans l’amitié et dans les autres engagements et relations humaines est une marque de décence. Jusqu’à un degré remarquable, Nyerere l’a démontré.
Vision Prophétique
Il est maintenant l’heure d’un mot final au sujet d’une caractéristique de la personnalité de Nyerere qui sans doute inclut et encadre tout ce qui précède – le don de compréhension visionnaire. Bien qu’il fût une personne de grande foi, Nyerere n’avait pas moins prévu les dangers de la bigoterie religieuse et l’a combattu en Tanzanie. Bien qu’il fût un homme animé d’une grande espérance dans le développement de l’Afrique, il n’avait pas moins prévu les dangers de la mondialisation dans ce domaine pour l’Afrique. Bien qu’il fût une personne d’une grande confiance, il n’avait pas moins prévu et réfléchis sur les dangers de bien des revers politiques, économiques et sociaux. Il semble avoir été un prophète dans les deux sens du mot ; dans le sens de prévoir le futur, et dans le sens plus profond et davantage biblique d’être le porte-parole de Dieu pour l’humanité.
Selon Vinokurov, Shlyonskaya et Dyachkova, « Julius Nyerere appartenait à cette classe d’hommes d’états et personnes politiques africaines dont les noms deviennent plus lourd avec le passage du temps, et dont la contribution pour l’histoire du continent attend toujours une reconnaissance appropriée. »
Comme le déclare George Ivan Smith, qui fut officiel des Nations Unies pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique Centrale :
Nyerere est une des figures internationales des plus remarquables et distinguées, et dont il fut mon privilège de servir durant mes quarante années de service international qui m’offrait une occasion unique de reconnaître leurs qualités. Selon mon propre jugement, Nyerere fait partie des plus grands, et son dévouement produira des récoltes bénéfiques pour les générations futures, à la fois dans son propre pays que dans le monde entier ; un leader mondial de stature prophétique.
Conclusion
J’aimerais terminer avec une histoire racontée par Paul Merchant. Merchant était préfet départemental à Musoma et aussi de manière temporaire chef Zanaki, le peuple de la région de Nyerere. L’histoire est en guise d’illustration du caractère de Nyerere. Elle se passe en 1952, peu après son retour d’Edinburgh University en Ecosse où il venait d’obtenir sa maîtrise. Mr. Merchant raconte :
« Je me rappelle un jour en particulier. J’avais envoyé dans des différentes directions tout le personnel de la chefferie avec lequel je travaillais, pour me retrouver soudainement sans aide aucune pour nettoyer la latrine extérieure dans la mine désaffectée dans laquelle j’avais pris résidence. Je me préparais alors à le faire moi-même. Et qui devait arriver comme pour l’une de ses visites qui étaient par ailleurs fréquentes ? Julius.
‘Mais que fais-tu donc ici ?’
‘Je nettoie les toilettes, comme tu peux le voir.’
‘Je ne peux croire qu’il n’y ait rien de mieux qu’un chef doive faire que de nettoyer les toilettes. Continues avec ton travail, je le ferais moi-même.’
Alors nous les avons nettoyées ensemble.’
C’est toute l’humilité au moment même où l’éducation était comprise comme l’occasion de vous soustraire de ce genre de travail. Comme le remarquait ironiquement Nyerere lui-même au sujet de sa carrière et de sa personnalité, la politique était sans doute le mauvais choix pour lui. « Vous savez, si j’étais un électeur ordinaire, » disait-il, « je dirais alors : Nyerere au pupitre et pas à la présidence. » « Il n’est alors pas étonnant, » affirme Colin Legum, « que des personnes commencèrent à se référer à lui de manière sympathique, comme Saint Julius. »