Écrivain des Lumières, c'est un auteur très polyvalent qui soutient les idées progressistes de la Révolution. Il défend notamment la causes des femmes dans le Tableau de Paris, une œuvre argumentative où il dépeint le Paris populaire qui l'entoure avec un regard critique. Dans cet extrait, il dénonce notamment le comportement restrictif des hommes vis-à-vis des femmes, et le condamne.
Si l'on ne défend point aux femmes la musique, la peinture, le dessin, pourquoi leur interdirait-on la littérature ? ce serait dans l'homme une jalousie honteuse que de repousser la femme dans l'ignorance, qui est un véritable fléau avilissant. Quand un être sensible a reçu de la nature une imagination vive, comment lui ravir le droit d'en disposer à son gré ?
Mais voici le danger. L'homme redoute toujours dans la femme une supériorité quelconque ; il veut qu'elle ne jouisse que de la moitié de son être. Il chérit la modestie de la femme ; disons mieux, son humilité, comme le plus beau de tous ses traits ; et comme la femme a plus d'esprit naturel que l'homme, celui-ci n'aime point cette facilité de voir, cette pénétration. Il craint qu'elle n'aperçoive en lui tous ses vices et surtout ses défauts.
Dès que les femmes publient leurs ouvrages, elles ont d'abord contre elles la plus grande partie de leur sexe, et bientôt presque tous les hommes. L'homme aimera mieux toujours la beauté d'une femme que son esprit ; car tout le monde peut jouir de celui-ci.
L'homme voudra bien que la femme possède assez d'esprit pour l'entendre, mais point qu'elle s'élève trop, jusqu'à vouloir rivaliser avec lui et montrer égalité de talent ; tandis que l'homme exige pour son propre compte un tribut journalier d'admiration. [...]
Ainsi, à travers tous les compliments dont l'homme accable une femme, il craint ses succès, il craint que sa fierté n'en augmente et ne mette un double prix à ses regards. L'homme veut subjuguer la femme tout entière, et ne lui permet une célébrité particulière que quand c'est lui qui l'annonce et qui la confirme. Il consent bien qu'elle ait de la réputation, pourvu qu'on l'en croie le premier juge et le plus proche appréciateur.
[La lecture linéaire s'achève ici.]
Une femme qui écrit doit faire exception, on en conviendra ; car les devoirs d'amante, d'épouse, de mère, de sœur, d'amie, souffrent toujours un peu de ces ingénieuses distractions de l'esprit, et l'homme tremble que les qualités du cœur ne viennent à se refroidir au milieu de l'enchantement de la renommée. Il désire, enfin, qu'elle ne soit susceptible que d'une sorte d'enchantement : de celui-là que l'homme voudrait inspirer exclusivement.
Encore si les femmes s'emparaient de la science ; mais non, elles prennent les légèretés, les finesses, le sentiment, les grâces originales de l'imagination, la peinture de nos défauts, et elles font tout cela sans études, sans collèges, et sans académie.
Les lignes des lectures linéaires correspondent à la version papier distribuée en classe.
Mouvements
Premier mouvement : Introduction de sa thèse (paragraphe 1)
Deuxième mouvement : Une mise en valeur de l'esprit féminin (paragraphes 2 et 3)
Troisième mouvement : Une condamnation du comportement de l'homme. / La hiérarchie imposée par les hommes. (paragraphes 4 et 5)
l.1 - "Si l'on ne défend point aux femmes la musique, la peinture, le dessin, pourquoi leur interdirait-on la littérature ?"
→ Énumération des arts "la musique, la peinture, le dessin" qui met en avant une incohérence, une sorte de paradoxe, d'antithèse, entre tous les arts permis aux femmes et un seul qui leur est défendu.
→ Question rhétorique de l'auteur qui s'adresse au lecteur et cible déjà sa thèse.
l.2/3 - "ce serait dans l'homme une jalousie honteuse que de repousser la femme dans l'ignorance, qui est un véritable fléau avilissant."
→ L'usage d'un vocabulaire péjoratif marque davantage sa thèse et permet aux hommes de cibler le problème.
→ "ce serait", conditionnel présent. Il considère cette attitude comme tellement néfaste (repousser la femme dans l'ignorance) qu'il devient presque inenvisageable que cela soit fait intentionnellement. Il condamne cette interdiction.
→ "l'ignorance est un véritable fléau avilissant", qualificatif très fort, avec un présent de vérité générale. C'est le jugement d'un philosophe des Lumières : il combat l'ignorance.
l.3/4 - "Quand un être sensible a reçu de la nature une imagination vive, comment lui ravir le droit d'en disposer à son gré ?"
→ Question rhétorique qui cible une nouvelle fois la thèse de l'auteur en faisant apparaître un argument fort avec l'idée de la nature qui offre et de l'homme qui dérobe. Il est présenté non seulement comme un voleur, mais comme quelqu'un qui va imposer ses privations.
→ L'usage du vocabulaire mélioratif distingue radicalement les deux corps, et il met en place une valorisation de la femme.
l.5 - "Mais voici le danger."
→ Phrase brève qui structure le texte. On s'attend à une explication après, elle introduit son argumentation.
→ "voici" est un présentatif qui permet de rehausser la portée "danger". Le fait que la phrase soit nominale fait aussi ressortir la notion de dangerosité.
l.5/6 - "L'homme redoute toujours dans la femme une supériorité quelconque ; il veut qu'elle ne jouisse que de la moitié de son être."
→ "redoute", un présent de vérité générale renforcé par "toujours". Le propos est présenté comme étant valable de manière universelle.
→ "quelconque" montre une valeur de crainte qui est générale, dans n'importe quel domaine.
→ "veut" entame le champ lexical de la volonté masculine, qui est très présent dans l'extrait. Il veut qu'elle soit seulement en possession de son aspect physique, il l'exige.
→ "ne... que" est une négation restrictive. Il lui impose une privation.
l.6/7 - "Il chérit la modestie de la femme ; disons mieux, son humilité, comme le plus beau de tous ses traits ; et comme la femme a plus d'esprit naturel que l'homme, celui-ci n'aime point cette facilité de voir, cette pénétration."
→ Hyperbole par le superlatif "le plus beau" qui montre que l'homme va apprécier chez la femme qu'elle soit discrète, qu'elle reste en arrière. Il montre une certaine ironie, un regard moqueur. Il se démarque des autres.
→ "esprit naturel" renvoie une idée d'esprit et de supériorité innée.
→ "chérit", verbe mélioratif, entre en antithèse avec "n'aime point", qui montre que l'homme rejette l'intelligence de la femme.
→ On a aussi dans cette phrase un champ lexical important de l'intelligence et de l'esprit.
l.8/9 - " Il craint qu'elle n'aperçoive en lui tous ses vices et surtout ses défauts."
→ "craindre" renvoie au champ lexical de la peur, lui aussi très présent dans cet extrait. C'est un présent de vérité générale, qui montre une nouvelle fois l'universalité de la crainte.
→ "vices" et "défauts" sont au pluriel et appuyés par "tous", ce qui apporte une importante notion de nombre.
l.10/11 - "Dès que les femmes publient leurs ouvrages, elles ont d'abord contre elles la plus grande partie de leur sexe, et bientôt presque tous les hommes."
→ "dès que... publient", présent de vérité générale. Il présente comme toujours vrai que la société entière rejette leurs œuvres.
→ "dès que", locution conjonctive qui apporte une dimension d'un rejet immédiat.
→ "la plus grande partie" est quantitatif et l'auteur fait donc une concession. Il admet qu'elles mêmes, entre elles, se rejettent.
l.11/12 - "L'homme aimera mieux toujours la beauté d'une femme que son esprit ; car tout le monde peut jouir de celui-ci."
→ "aimera" est un futur qui amène une certaine certitude, renforcée par "toujours".
→ "car tout le monde peut jouir de celui-ci", proposition conjonctive qui montre une certaine jalousie de la part de l'homme. L'esprit de ma femme peut être partagé mais lui seul peut profiter de sa beauté.
l.13/15 - "L'homme voudra bien que la femme possède assez d'esprit pour l'entendre, mais point qu'elle s'élève trop, jusqu'à vouloir rivaliser avec lui et montrer égalité de talent ; tandis que l'homme exige pour son propre compte un tribut journalier d'admiration."
Rappel : entendre signifie comprendre
→ "voudra bien", futur simple, l'homme fait une concession, il accepte que la femme ait de l'esprit, mais seulement à son service.
→ "voudra" amène la certitude, et avec la négation "mais point que", ils appuient sur un refus d'une égalité de talent de la part de l'homme. Il ne veut ni d'une rivalité, ni d'une possibilité de surpassement.
→ "tandis que" marque une opposition, presque une antithèse entre les deux genres.
→ "exige" relève du vocabulaire de l'autorité. Fait écho à "vouloir", mais monte en intensité par rapport au champ lexical de la volonté.
→ "tribut journalier d'admiration" relève de l'ironie. L'admiration est présenté comme un dû. Il infantilise l'homme.
l.16/17 - "Ainsi, à travers tous les compliments dont l'homme accable une femme, il craint ses succès, il craint que sa fierté n'en augmente et ne mette un double prix à ses regards."
→ "craint", anaphore qui montre une peur obsessionnelle, presque maladive.
→ "accable"marque une certaine hyperbole, et entre en antithèse avec "compliments", dont il ressort une touche ironique. Les compliments ne sont pas plaisants car ils ne se concentrent que sur son physique.
→ "un double prix à ses regards" est métaphorique et nous fait entrer dans le thème de la séduction. Si la femme réussit, elle sera plus sûre d'elle et plus exigeante. Il sera alors plus compliqué de la séduire. Il y a une association du succès et de l'assurance, qui risque de coûter à l'homme.
l.18/19 - "L'homme veut subjuguer la femme toute entière, et ne lui permet une célébrité particulière que quand c'est lui qui l'annonce et qui la confirme."
→ "subjuguer" est un verbe déjà fort, mais il monte encore plus en intensité avec "toute entière". On voit que l'homme est obsédé par le fait qu'elle l'admire totalement et sans réserve.
→ "L'homme veut", se rattache une fois de plus au champ lexical de la volonté ou de l'autorité masculine. Présence d'un présent de vérité générale, qui appuie sur l'idée précédente.
→ "que quand", mise en place d'une négation restrictive qui laisse place à une concession en lien avec le succès de la femme. Il accepte qu'elle ait de la réputation seulement s'il est reconnu comme en étant à l'initiative. Il n'envisage pas la femme comme indépendante.
→ "qui l'annonce" "qui la confirme". Présence de propositions subordonnées relatives brèves qui montre qu'il veut un rapport actif au succès de la femme.
l.19/20 - "Il consent bien qu'elle ait de la réputation, pourvu qu'on l'en croie le premier juge et le plus proche appréciateur."
→ "consentir" amène une concession, et "pourvu que" une condition, une restriction. Elle peut réussir, à condition qu'il soit à l'origine du succès. Fait écho à l'idée précédente.
→ "le premier", "le plus" sont des superlatifs qui mettent à nouveau l'homme en avant dans le succès de la femme.
→ "juge", nom commun qui le place en position de supériorité, car il doit connaître un sujet pour se permettre de le juger.