Extrait 2 : "Femme, réveille-toi !", Olympe de Gouges, DDFC (1791)
Femme, réveille-toi ! Le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l’usurpation. L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. Ô femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. Dans les siècles de corruption vous n’avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre empire est détruit ; que vous reste-t-il donc ? La conviction des injustices de l’homme. La réclamation de votre patrimoine fondée sur les sages décrets de la nature ! Qu’auriez-vous à redouter pour une si belle entreprise ? Le bon mot du Législateur des noces de Cana ? Craignez-vous que nos Législateurs français, correcteurs de cette morale, longtemps accrochée aux branches de la politique, mais qui n’est plus de saison, ne vous répètent : « Femmes, qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? » — Tout, auriez-vous à répondre. S’ils s’obstinaient, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en contradiction avec leurs principes ; opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de supériorité ; réunissez-vous sous les étendards de la philosophie ; déployez toute l’énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles adorateurs rampants à vos pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l’Être Suprême. Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir.
Mouvements
Premier mouvement : Incitation de la femme à prendre conscience que l'homme la prive de ses droits.
Deuxième mouvement : Tentative de vaincre les réticences des femmes en les sortant de l'aveuglement.
Troisième mouvement : Incitation à mobiliser leur intelligence pour vaincre les résistances des hommes.
l.1 - "Femme, réveille-toi : le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l'univers ; reconnais tes droits."
→ "Femme", elle apostrophe son auditoire et le rend concerné. Le nom est au singulier, et par la suite, elle tutoie, ce qui permet de cibler plus intensément. Sorte d'écho avec "Homme, es-tu capable d'être juste ?".
→ "réveille-toi", impératif présent. Crée une métaphore avec une image forte. Elle veut imposer une prise de conscience aux femmes.
→ "le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l'univers" est une métaphore. Elle demande à la femme de prendre parti à la raison, de se battre pour ses droits.
→ "dans tout l'univers", complément circonstanciel de lieu, généralise la nécessité d'agir.
→ "reconnais tes droits", elle utilise une fois de plus l'impératif. Elle incite la femme, non seulement à prendre conscience, mais à agir pour obtenir ses droits en tant que femme.
l.2/3 - "Le puissant empire de la nature n'est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstitions et de mensonges."
→ Énumération de termes péjoratifs qui sont des notions combattues par les Lumières. Ils sont au pluriel pour appuyer sur leur abondance et la difficulté de la lutte.
→ "n'est plus", montre que le combat mené porte ses fruits.
→ "puissant empire de la nature", allégorie de la nature qui possède un pouvoir influent. Elle est valorisée par cette reconnaissance de sa puissance.
l.3 - "Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l'usurpation."
→ "Le flambeau de la vérité", métaphore qui incarne les Lumières et met en avant la vérité en l'opposant au mensonge.
→ "tous les nuages", appuie avec le pluriel et le déterminant indéfini "tous" sur le travail abondant qu'il y avait à faire. Montre l'énorme pouvoir de la Révolution Française.
→ Écho au termes péjoratifs de la phrase précédente.
→ "nuages", poursuit la métaphore en étant associé aux termes péjoratifs.
l.4/5 - "L'homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers."
→ Métaphore filée de l'homme en esclave, comme ayant été soumis par le mensonge et l'usurpation.
→ "briser ses fers", reprend la métaphore, ce qui entrave et enchaîne, image forte.
→ "multiplié ses forces", désigne le fait que l'homme ait gagné du pouvoir avec la Révolution Française.
→ "eu besoin de recourir aux tiennes", l'effet positif des Lumières sur l'homme ne peut pas être dissocié de l'intervention des femmes. Elle associe les deux.
l.5 - "Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne."
→ "libre" entre en antithèse avec "injuste". Il y a presque un paradoxe entre les deux.
→ Elle insiste sur le champ lexical de la liberté humaine. Il n'a pas su être reconnaissant et partager sa victoire.
→ "sa compagne", et pas simplement "toi". Elle veut montrer que la femme accompagne l'homme et le soutient, ce qui rend d'autant plus le fait qu'il soit injuste révoltant.
l.6 - "O femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d'être aveugles ?"
→ Elle apostrophe de nouveau la femme, 2 fois, et passe au pluriel. Elle s'adresse à toutes les femmes et plus à chacune d'elles.
→ "O", vocatif lyrique, comme une plainte.
→ Question rhétorique qui provoque la femme. Question ciblée sur un moment, conjonction "quand".
→ "aveugles", terme à la fois symbolique et métaphorique. Rappel au sommeil, mais plus fort. Elles ne sont pas clairvoyantes.
→ "cesserez", futur simple de certitude. Elle place une notion de temps qui annonce qu'elle veut qu'il y ait un changement rapide.
l.7 - "Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la Révolution ?"
→ Nouvelle question rhétorique.
→ "les avantages", pluriel ironique. Elles auraient dû en gagner plusieurs et ne ressortent avec rien.
l.7 - "Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé"
→ Phrase construite sur un parallélisme. Elle répond à sa question.
→ Termes péjoratifs presque synonymes, accentués par "plus".
→ Phrase nominale, ce qui la rend plus percutante. Elle montre ce que les hommes ont gagné, puis ce que les femmes ont recueillies.
l.8 - "Dans les siècles de corruption vous n'avez régné que sur la faiblesse des hommes."
→ "siècles", très vague, longtemps avant la Révolution. La "corruption" régnait dans la société (comme Louis XIV qui a invité la noblesse à vivre à la cour pour les faire taire et mieux les contrôler).
→ "n'avez régné que sur la faiblesse des hommes", négation restrictive qui montre qu'elles n'ont pas eu beaucoup de pouvoir et que le peu qu'elles gagnaient provenaient de l'usage de leur féminité pour obtenir des avantages.
l.9 - "Votre empire est détruit ; que vous reste-t-il donc ? La conviction des injustices de l'homme."
→ Question rhétorique, provoque la femme, tend à lui faire réaliser qu'elle doit agir maintenant qu'elle n'a plus rien.
→ Elle répond une fois de plus à sa question.
→ "des injustices", pluriel qui montre le grand nombre d'injustices dont elle est victime.
→ "conviction", mot fort, montre que la femme sait profondément qu'elle est victime d'injustices. (écho à injuste l.5)
l.10/11 - "La réclamation de votre patrimoine, fondée sur les sages décrets de la nature ; qu'auriez-vous à redouter pour une si belle entreprise ?"
→ Elle apporte un nouvel élément de réponse à sa question précédente, faisant cette fois allusion à la propriété.
→ "réclamation" fait ressortir une idée d'action.
→ Elle légitime cette nécessité d'agir parce qu'elle l'annonce comme "fondé sur les sages décrets de la nature". L'argument de la nature, à l'époque des Lumières est très influent. Il est d'ailleurs valorisé par l'adjectif épithète "sage".
→ Nouvelle question rhétorique.
→ Elle essaie de balayer les réticences à agir en ajoutant l'adjectif épithète "belle" pour valoriser "entreprise". Elle veut que les femmes passent outre leurs peurs car elles ont tout à gagner.
l.12 - "Le bon mot du législateur des noces de Cana ?"
→ Répond une nouvelle fois à sa question rhétorique de manière brève, et en une phrase nominale.
→ Raisonnement par analogie à Jésus ("Que me veux-tu, femme ?"). Forme d'ironie.
l.12/14 - "Craignez-vous que nos législateurs français, correcteurs de cette morale, longtemps accrochée aux branches de la politique, mais qui n'est plus de saison, ne vous répètent : femmes, qu'y a-t-il de commun entre vous et nous ?"
→ Question rhétorique encore directe. Elle essaie d'imaginer les réactions de ceux qui vont s'opposer à leur émancipation. Elle les fait parler en introduisant leur parole par " : ", elle imagine un conflit.
→ "Craignez" fait écho à "redouter" l.10. La femme s'est tue par crainte.
→ "qu'y a-t-il de commun", elle oppose l'homme et la femme en disant qu'ils sont différents et donc que les droits ne sont pas les mêmes.
l.15 - "Tout, auriez-vous à répondre."
→ Elle guide les femmes en leur donnant la réponse à formuler.
l.15/20 - "S'ils s'obstinent, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en contradiction avec leurs principes, opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de supériorité ; réunissez-vous sous les étendards de la philosophie ; déployez toute l'énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles adorateurs rampants à vos pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l'Être Suprême."
→ "faiblesse", elle appuie sur le fait que l'homme lâchera l'affaire à un moment donné.
→ "cette inconséquence", montre qu'ils ne comprennent pas que la femme veuille disposer des mêmes droits que ceux qu'ils ont obtenu et qu'ils ont désiré pendant la Révolution Française.
→ "opposez", impératif qui intensifie l'adverbe "courageusement" de manière méliorative.
→ "forces de la raison" entre en opposition avec les "vaines prétentions de supériorité".
→ "réunissez", impératif présent, elle leur demande d'agir. Toutes les phrases sont injonctives. Elle n'est pas simplement dans l'action mais dans le tempérament : son tempérament à elle.
→ "étendards de la philosophie", les Lumières présentées comme une armée de la raison. elle veut que leurs idées soient partagées entre les deux sexes.
→ "et", conjonction de coordination qui vient amener mes conséquences de l'action des femmes.
→ "bientôt", adverbe de temps qui montre que leurs agissements porteront leurs fruits dans un futur proche.
→ "orgueilleux", "non serviles adorateurs", tous les deux périphrases pour désigner l'homme.
→ "non serviles adorateurs", la périphrase montre qu'elle veut que la femme soit la totale égale de l'homme. elle ne veut pas qu'ils soient méprisés ou inférieurs, mais sur le même pied d'égalité.
→ "fiers de partager", image plus positive de l'homme, il ne réprime plus mais exprime de la bienveillance à l'égard de la femme.
l.20/21 - "Quelles que soient les barrières que l'on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n'avez qu'à le vouloir."
→ Forme de conclusion.
→ "les barrières" fait écho à tout les désavantages vus précédemment..
→ Le combat est initié par Olympe de Gouges. Elle met les notions de volonté morale avec "vouloir" et de pouvoir en relation. La volonté crée le pouvoir. Il y en a un du côté de l'intellectuel et l'autre du côté des capacités.