Ce texte est un réquisitoire contre l'homme, où l'on retrouve beaucoup de formules négatives et fortes. Le ton est vif : le registre est polémique. Le texte est bref et percutant. Il est structuré et les paragraphes sont presque de longueur égale. Le deuxième paragraphe reste lié au premier.
Extrait 1 : "Homme, es-tu capable d'être juste ?", Olympe de Gouges, DDFC (1791)
Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? Observe le créateur dans sa sagesse ; parcours la nature dans toute sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi, si tu l’oses, l’exemple de cet empire tyrannique.
Remonte aux animaux, consulte les éléments, étudie les végétaux, jette enfin un coup d’œil sur toutes les modifications de la matière organisée ; et rends-toi à l’évidence quand je t’en offre les moyens ; cherche, fouille et distingue, si tu peux, les sexes dans l’administration de la nature. Partout tu les trouveras confondus, partout ils coopèrent avec un ensemble harmonieux à ce chef-d’œuvre immortel.
L’homme seul s’est fagoté un principe de cette exception. Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré, dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l’ignorance la plus crasse, il veut commander en despote sur un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles ; il prétend jouir de la Révolution, et réclamer ses droits à l’égalité, pour ne rien dire de plus.
Mouvements
Premier mouvement : Un interrogatoire virulent (paragraphe 1)
Deuxième mouvement : Une recherche scientifique pour l'homme (paragraphe 2)
Troisième mouvement : Un portrait péjoratif de l'homme (paragraphe 3)
l.1 - "Homme, es-tu capable d'être juste ?"
→ "Homme", apostrophe. Elle commence par une appellation avec une portée générale.
→ "es-tu capable d'être juste ?", question rhétorique qui interpelle le lecteur.
→ Le tutoiement permet au lecteur de se sentir plus concerné et place l'autrice et l'homme sur un pied d'égalité.
→ "capable", adjectif qui lui permet de remettre en cause la capacité de l'homme sur le sujet de justice.
l.1/2 - "C'est une femme qui t'en fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce droit."
→ "une femme", groupe nominal singulier, elle revendique ce discours comme celui d'une femme, parmi tant d'autres. Elle revendique sa féminité et le fait que n'importe quelle autre femme aurait pu être l'autrice de ce texte. C'est une femme contre un homme.
→ "ôteras pas", futur simple de certitude. Elle affirme sa volonté : il ne pourra pas l'empêcher d'exercer sa liberté d'expression. Elle prend son droit.
→ "du moins", locution adverbiale qui montre qu'il a déjà, ou qu'il essaye de lui retirer ses droits.
l.2 - "Dis-moi ? Qui t'as donné le souverain empire d'opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ?"
→ Question rhétorique, impératif. Interpelle le lecteur.
→ "Qui", pronom relatif, idée que quelqu'un le lui a permis, la religion, un roi, la justice.
→ "empire"
→ Énumération de questions brèves et rhétoriques dont il ressort une forme d'ironie. Elles prennent à parti l'homme, le provoquent, le percutent. L'autrice montre qu'elle doute de ses talents et de sa force.
l.3/6 - "Observe le créateur dans sa sagesse ; parcours la nature dans sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi, si tu l'oses, l'exemple de cet empire tyrannique."
→ Impératifs, elle donne des ordres, ce qui montre qu'elle gagne en pouvoir.
→ "le créateur", référence explicite à la religion associée à l'adjectif mélioratif "sagesse".
→ Valorisation de la nature avec l'association du mot "grandeur". L'homme n'est pas au même niveau. Parallélisme de construction par rapport à la proposition précédente.
→ "tu sembles vouloir te rapprocher", forme d'ironie. Elle marque son intention mais se moque du fait qu'il n'y parvient pas.
→ "donne-moi", nouvel impératif. Marque une attente de la locutrice qui s'implique directement avec le pronom personnel.
→ "si tu l'oses", proposition circonstancielle de condition. Elle provoque l'homme et continue de prendre de plus en plus de pouvoir.
→ "empire tyrannique", terme péjoratif. Elle est certaine que dans la nature, l'homme ne pourra pas retrouver une si grande inégalité.
l.7/9 - "Remonte aux animaux, consulte les éléments, étudie les végétaux, jette enfin un coup d’œil sur toutes les modifications de la matière organisée ; et rends-toi à l'évidence quand je t'en offre les moyens."
→ Champ lexical de la recherche, toujours à l'impératif présent. Elle continue de provoquer en lui demandant une attitude propre au XVIIIe : observer avant de conclure. C'est propre aux philosophes des lumières.
→ "toutes les modifications de la matière organisée", elle attend de l'homme une démarche scientifique exhaustive (appuyé par "toutes")
→ "je t'en offre les moyens", elle s'implique et se valorise (elle offre). Elle prend encore en pouvoir et se place en position de supériorité.
l.10 - "Cherche, fouille et distingue, si tu le peux, les sexes dans l'administration de la nature."
→ Encore champ lexical de la recherche à l'impératif présent. Ce sont presque de synonymes.
→ "si tu le peux", proposition circonstancielle de condition. Elle doute une fois de plus qu'il trouve une preuve. Écho à "si tu l'oses".
l.11/12 - "Partout, tu les trouveras confondus, partout ils coopèrent avec un ensemble harmonieux à ce chef d’œuvre immortel."
→ Anaphore de "partout", complément circonstanciel de lieu.
→ "tu les trouveras" futur de certitude, elle est certaine qu'ils coopèrent, dans n'importe quel lieu. Son affirmation n'attend pas d'opposition.
→ "ensemble harmonieux", adjectif épithète très mélioratif qui valorise la coopération.
→ "chef d’œuvre immortel", encore une fois très élogieux. Le paragraphe s'achève sur une note très méliorative.
l.13 - "L'homme seul s'est fagoté un principe de cette exception."
→ "seul", adjectif épithète qui insiste sur le fait qu'il soit la seule espèce a avoir créé un décalage. Elle considère qu'il est une exception à la règle naturelle avec le lien entre "seul" et "exception".
l.16-18 - "Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré, dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l'ignorance la plus crasse, il veut commander en despote sur un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles ; il prétend jouir de la Révolution, et réclamer ses droits à l'égalité, pour ne rien dire de plus."
→ Vocabulaire très péjoratif. Elle est dans le registre polémique, est agressive, et formule de fortes reproches. Elle martèle les défauts de l'homme dans une gradation ascendante.
→ "veut", "prétend", présent de vérité général qui universalise son propos et le rend plus percutant.
→ "ignorance la plus crasse", superlatif qui entre en antithèse avec "toutes les facultés intellectuelles". Elle met en avant l'inégalité de sexes dont l'homme aurait pu changer la mise.
→ "toutes les facultés intellectuelles", elle crée une opposition forte entre l'homme et la femme.
→ "réclamer ses droits à l'égalité", forme d'ironie, montre le décalage entre le désir de l'homme pour lui même et ce qu'il inflige à la femme.
→ Évocation du mouvement des Lumières avec les mots "despotes, sagacité, lumières, sciences". Elle rattache le mouvement et la sagacité. Elle le valorise.
→ "pour ne rien dire de plus." forme d'euphémisme, il ne s'étale pas dessus. Il s'est arrêté aux droits qu'il a acquis sans pour autant apporter l'égalité à tous. Forme d'ironie