Beaumarchais est un auteur des Lumières, considéré comme l'un des annonciateurs de la Révolution Française. Sa carrière est plutôt atypique : il a au départ suivi une formation d'horloger de la part de son père, au service du roi. Il a fini par l'abandonner, mais est resté très proche de Louis XV, dont il est devenu l'espion. Il s'est remarié 4 fois et cela fait de lui un veuf riche. Dans ses œuvres, les thèmes les plus récurrents sont la gaieté et la satire politique.
Le Mariage de Figaro est le second volume de la trilogie comportant Le Barbier de Séville et La Mère Coupable. La pièce est rédigée en 1778, mais elle ne sera jouée pour la première fois qu'en 1784 à la Comédie Française. Elle est composée de 5 actes qui critiquent la politique de l'Ancien Régime.
L'extrait se situe à l'acte 5, scène 19, dans le dénouement. C'est la scène qui clôture la pièce. On assiste à un discours en chanson qui montre les différents point de vue des personnages.
Texte 1 : Le Mariage de Figaro ou la Folle Journée (1778), Beaumarchais
Acte V scène 19
FIGARO
Septième couplet
Par le sort de la naissance,
L'un est roi, l'autre est berger ;
Le hasard fit leur distance ;
L'esprit seul peut tout changer.
De vingt rois que l'on encense,
Le trépas brise l'autel ;
Et Voltaire est immortel. (Bis)
CHÉRUBIN
Huitième couplet
Sexe aimé, sexe volage,
Qui tourmentez nos beaux jours,
Si de vous chacun dit rage,
Chacun vous revient toujours.
Le parterre est votre image :
Tel paraît le dédaigner,
Qui fait tout pour le gagner. (Bis)
SUZANNE
Neuvième couplet
Si ce gai, ce fol ouvrage,
Renfermait quelque leçon,
En faveur du badinage
Faites grâce à la raison.
Ainsi la nature sage
Nous conduit, dans nos désirs,
A son but par les plaisirs. (Bis)
BRID'OISON
Dixième couplet
Or, messieurs, la co-omédie,
Que l'on juge en cè-et instant
Sauf erreur, nous pein-eint la vie
Du bon peuple qui l'entend.
Qu'on l'opprime, il peste, il crie,
Il s'agite en cent fa-açons
Tout fini-it par des chansons. (Bis)
BALLET GÉNÉRAL
Mouvements
Premier mouvement : Figaro et sa critique de l'ordre social.
Deuxième mouvement : Chérubin et l'art de la séduction.
Troisième mouvement : Suzanne et Brid'oison allègent de la portée politique de la pièce.
v.1/4 - "Par le sort de la naissance, / L'un est roi, l'autre est berger ; / Le hasard fit leur distance ; / L'esprit seul peut tout changer."
→ Lance la thématique de la destinée. Idée d'inégalité des droits.
→ "roi" entre en antithèse avec "berger". Il fait ressortir une forte opposition. Il veut faire ressortir un constat universel des inégalités, liées au hasard et non pas au mérite. Il y a une opposition des deux mondes, marquée en plus par l'association du hasard au sort et à la distance. On naît d'un côté et on y reste.
v.5/7 - "De vingt rois que l'on encense, / Le trépas brise l'autel ; / Et Voltaire est immortel. (bis)"
→ "brise", terme fort qui transmet une image toute aussi forte.
→ "autel", la métaphore montre que la mort peut effacer le statut quasi vénéré de ces hommes. De la cour qui l'honore, il ne restera plus rien, et plus personne ne parlera d'eux après leur mort.
→ "immortel" entre en antithèse avec "trépas", qui place Voltaire comme un exemple, un représentant, une sorte de métonymie des Lumières. Il veut montrer qu'il traverse le temps par son art. Il montre les préférences et la culture de Figaro. Beaumarchais est caché derrière ses paroles.
v.8/11 - "Sexe aimé, sexe volage, / Qui tourmentez nos beaux jours, / Si de vous chacun dit rage, / Chacun vous revient toujours."
→ Chérubin prend la parole sur l'idée qu'il incarne dans la pièce.
→ Commence par une allusion à la séduction avec les adjectifs "aimés" et "volage" où il apostrophe les femmes dans un parallélisme.
→ Apostrophe élogieuse avec "aimé" mais péjorative avec "volage" et "tourmentez".
→ "nos beaux jours", périphrase pour désigner la jeunesse.
→ Anaphore de chacun.
→ Paradoxe entre le vers 10 et 11 qui montre la force du pouvoir séducteur de la femme : même si elle rend malheureux, ils reviennent toujours vers elle. Marqué par le présent de vérité général "revient", "dit".
l.12/14 - "Le parterre est votre image : / Tel paraît le dédaigner, / Qui fait tout pour le gagner. (Bis)"
→ "parterre", renvoie à l'univers du théâtre. Il change de sujet, ça n'a plus de rapport avec la séduction. Raisonnement par analogie. Le parallèle montre qu'un auteur digne de ce nom ne peut pas négliger son public, et qu'il doit avouer qu'il lui tient à cœur.
→ Le parallèle est aussi marqué par l'antithèse entre "dédaigner" et "qui fait tout pour le gagner". Suzanne va reprendre cette thématique.
l.15/18 - "Si ce gai, ce fol ouvrage, / Renfermait quelque leçon, / En faveur du badinage / Faites grâce à la raison."
→ "ce", fait référence à la pièce. L'ouvrage est désigné par 2 adjectifs épithètes : "fol" et "gai". elle met en avant le côté léger, divertissant et agréable de la pièce. Elle comporte beaucoup de messages directs et il essaye donc d'atténuer la portée contestataire forte.
→ Elle fait cependant allusion à la notion d'instruction avec le terme "leçon".
→ "badinage" entre en confrontation avec les termes "raison" et "leçon". Il oppose la légèreté à la raison.
l.19/21 - "Ainsi la nature sage / Nous conduit, dans nos désirs, / À son but par les plaisirs. (Bis)
→ "ainsi", amène encore un raisonnement par analogie, où cette fois est mis en comparaison l'intention de la pièce avec la nature. Elle établit une relation entre la manière dont la pièce instruit et la manière dont la nature instruit. Ce regroupement est une référence du mouvement des Lumières.
→ La nature est allégorisée, et valorisée par l'adjectif épithète mélioratif "sage".
→ L'enseignement est montré de manière plaisante comme le montre le nom commun au pluriel "plaisirs". Le pluriel intensifie cette notion de plaisir de l'apprentissage.
l.22/25 - "Or, messieurs, la co-comédie, / Que l'on juge en cè-et instant, / Sauf erreur, nous pein-eint la vie / Du bon peuple qui l'entend."
→ Brid'oison poursuit la réflexion quant à l'enjeu de la pièce avec le champ lexical du théâtre. Il désigne la pièce par le terme de "comédie", un terme qui continue d'atténuer la portée politique de celle-ci.
→ "juge", terme qui renvoie au juridique, et à la position du personnage dans la pièce. Il prend la parole en dernier, comme dans un procès. Il clôture la question.
→ Il rappelle dans sa prise de parole que le but du théâtre est de "[peindre] la vie", ce qui fait écho à la fonction de la mimèsis, c'est-à-dire le fait de mimer la réalité afin d'ajouter du réalisme à la pièce et de permettre au lecteur de s’y identifier. Il appuie sur cette notion du théâtre.
→ "le bon peuple", groupe nominal qui valorise le public. On retrouve cette notion tout au long de la pièce. Il s'adresse plus au Tiers État qu'à l'aristocratie.
l.26/28 - "Qu'on l'opprime, il peste, il crie, / Il s'agite en cent fa-açons ; / Tout fini-it par des chansons. (Bis)"
→ "il peste, il crie, il s'agite", gradation ascendante qui témoigne d'une réaction très marquée, très vive.
→ "s'agite en cent façons", montre que le peuple français est capable de manifester son mécontentement (ce qui sera confirmé avec la Révolution Française de 1789 et toutes les suivantes.)
→ Il achève sa prise de parole sur le terme "chansons", qui clôt la pièce sur une fonction divertissante. Il atténue en une phrase simple la portée politique pour achever sur une note de légèreté.
→ Le bégaiement systématique présente une petite satyre de la justice, car un juge, dans les idées, devrait pouvoir exprimer ses idées clairement, sans barrières.
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Cet épilogue donne des réponses sur la fonction de la pièce, de manière vive et enjouée (sous forme de ballet).
Ils proposent chacun leur vision du monde, mais essaient principalement de donner un sens à la pièce : divertir, amuser, proposer un miroir à la société, s'adresser à un peuple en souffrance.
Cependant, il ne veut pas que ces éléments politiques prennent trop de place, c'est pourquoi il appuie sur une certaine légèreté.
Rapprochement possible : dernière scène du malade imaginaire présentée comme un carnaval où Argan devient médecin comme par enchantement pendant que les autres se moquent.
Dans les deux cas, on a une présence de chant et de musique.