Lire et écrire ou écrire et lire

Lire et écrire ou écrire et lire :

notes jetées qui peuvent procéder de l’inventaire.

« On a beau le saisir par les yeux, un texte reste lettre morte si on ne l’entend pas. » Hubert Nyssen, écrivain, fondateur de la maison d’éditions Actes Sud.

Chacun sait que les enfants ne sont pas égaux de naissance, de milieu, d’environnement. Lors de leur éducation culturelle que se passe-t-il ? Que mettons-nous dans leur berceau, dans le sein maternel, dans leurs biberons, dans leurs petits pots, dans leurs assiettes, dans leurs programmes télévisuels, dans leurs jeux, et leur tête ?

N’est-il pas trop souvent fait allusion à bien des facteurs comme :

- la chance,

- l’intelligence,

- le potentiel,

- la gourmandise intellectuelle,

- l’écoute,

- le temps,

- la communication … ?

La liste n’est pas exhaustive.

Bien sûr, Monsieur de la Palice, que tout est question d’équilibre, de conditions réunies favorables ou non. Il semblerait que parfois ce « tout » tiendrait un petit peu ou pour beaucoup dans le mot fourre-tout destin auquel nous faisons « tout » porter !

Si l’école est heureusement obligatoire et accessible à tous en France, elle ne peut hélas pas rendre tous ses enfants égaux comme elle le souhaiterait. A ces tout petits qui auraient souvent des capacités à être tirés vers le haut, n’est-elle pas présentée que par son côté obligatoire, un passage obligé qui n’aboutirait à rien, sans liens directs avec un projet de vie ? Cette école, de la toute petite section au stade universitaire, est-elle, un jour, décrite à l’enfant comme un lieu d’apprentissage des fondamentaux et bien plus, en complément de ceux de son foyer et de son environnement : un partenariat multiple pour son développement. C’est qu’en plus, il en passe du temps dans ses murs, ce petit ! Alors autant ne pas le gâcher à s’ennuyer, en changeant par exemple d’orientation. Mais il convient de se demander quelle est l’attente des parents à ce niveau-là ? Quelles sont leurs visées éducatives ? Qu’ils ne les confondent pas non plus avec leur propre désir.

Dans ce domaine parfois sensible pour certains qui se sentent jugés ou pointés du doigt, rien n’est simple ni vraiment secret, depuis le temps : tout est écrit d’avance. Enfin, pas toujours, il faut bien le reconnaître. Entre les parents qui considèrent que l’acquisition des savoirs ne relève que du travail des enseignants qui sont là pour ça, ceux qui s’impliquent a minima puisqu’ils se bornent au suivi des devoirs, ceux qui n’ont pas le temps car ils ont des horaires professionnels décalés, ceux qui ont des problèmes familiaux et/ou financiers, ceux qui baissent les bras, les enfants qui ne trouvent pas leur place sur les bancs de l’école, il est logique que les enfants qui tirent leur épingle du jeu sont les mieux entourés, les mieux épaulés, conscients que ce qu’ils glanent à droite et à gauche leur profite ou leur servira… D’ailleurs, bien des années plus tard, devenus de jeunes gens, ils ne sont pas finis : au sortir de l’école, même des plus prestigieuses, celle de la vie les attend pour une autre forme d’apprentissage. S’ils ne sont pas un minimum armés, cultivés, ils n’accèdent pas à une vie confortable. L’ascenseur social ne fonctionne pas toujours. Entre regret, amertume voire rancœur, rares sont ceux qui, sortis du milieu scolaire pour x raisons, reprennent des études ou suivent des formations pour une remise à niveau.

L’apprentissage du lire et de l’écrire est sujet de bien des débats entre spécialistes et revient de manière récurrente sur le devant de la scène à grand renfort d’articles, de réformes, de commissions. La République dont nous sommes, a-t-elle vraiment souci de prendre soin de ses nouvelles générations de citoyens ?

Quoi que nous en disions, le b-a ba de l’éveil de l’enfant n’a-t-il pas lieu dans son univers familial ? N’est-il pas du registre des heureux devoirs parentaux ? Les premières pages de cet enfant s’écrivent à la maison, le foyer où beaucoup de choses se jouent alors, selon la place qui lui est réservée. Il aura droit à la découverte du monde et de l’univers de la lecture. Il accédera au partage du livre au sein de cette précieuse cellule familiale avec toutes ses composantes en référents adultes et fraternels qui vont le nourrir. Quand elles existent ! Les albums jeunesse seront présents en lecture plaisir. Un à un, ils constitueront sa première bibliothèque basée sur ses préférences. Sans compter que l’action éducative et culturelle parentale repose aussi sur une part d’affectif, de faire plaisir et d’échange.

De mon côté, je demeure sans a priori idéologique sur les chemins qui mènent à la « vraie lecture », celle qui, pour certains, ne doit avoir d’apprentissage qu’à travers des œuvres littéraires. Pourtant, effectuer en douceur ses premiers pas en lecture et en écrit avec des mots et à travers des textes simples, semble logique : personne ne peut courir avant de marcher. Ces derniers ne sont pas forcément exempts de qualité : un mot bien placé ou bien senti, un nouveau vocabulaire bien ancré dans le quotidien qui rend curieux et dont, un jour, l’enfant pourra rechercher l’origine. Il constatera alors que les mots ont des histoires et sont de grands voyageurs.

Etre à l’aise en lecture ne signifie pas non plus faire figure d’extraterrestre qui se nourrirait de mots « racés » qui sonneraient bien et qui s’exprimerait dans un langage précieux risible ou incompréhensible. Il est vrai que la question provocatrice, Y a-t-il un prof de français dans l’avion du quotidien ?, se pose. Car sans être élitiste ou snob, le bon emploi de la langue française est parfois bien absent ! Il en va de même dans le milieu scolaire : la question-remarque remonte régulièrement à la surface, bien à l’ordre du jour, face au constat renouvelé de l’appauvrissement des acquis. Pourtant, avoir un niveau satisfaisant en français est une clé, un passe-partout qui permet aussi de bien saisir tous les termes d’un énoncé mathématique, d’être un scientifique ….

En tant que parents ne sommes-nous pas les premiers acteurs du bien-être de nos enfants et de leur confort intellectuel, soucieux de leur offrir les meilleures conditions de réussite sociale ? Pendant quelques années maison-école sont censées « travailler » de concert. Mais faut-il en avoir conscience et pouvoir bien s’entourer pour entourer nos enfants à notre tour. Cette phrase n’a rien de moralisatrice, il s’agit d’un factum et de l’accepter.

La clé de tout apprentissage est ce formidable pouvoir de transmission, de partage ! L’attention que l’on a la chance de pouvoir porter à notre enfant, n’est donc pas étrangère à la réussite du passage de témoin. Car dans nos civilisations dites modernes, que transmettons-nous ? Nous qui avons tendance à déléguer et à nous plaindre. Nous n’avons plus de rites initiatiques pour inscrire l’enfant dans une famille, lui reconnaitre des valeurs. La moindre épreuve est jugée insurmontable et nous nous plaignons que nos chers bambins soient surchargés de travail. Pourtant et je ne fais pas preuve de nostalgie, beaucoup d’enfants ont quartier libre à la sortie des cours et ne savent pas comment défouler leur énergie. Alors que notre société offre mille possibilités de se distraire, de se bouger pour forger autant l’individualité que l’esprit d’équipe.

Il est également évident que l’intelligence de l’enfant, du petit d’homme qui fait face au « transmetteur » est un appel à la communication s’il est demandeur : de là, tout coule de source, s’imbrique. Il s’agit alors de la situation idéale.

Dans chaque demeure, lire « devrait » relever du quotidien le plus naturellement possible. Cela parait peut-être saugrenu, mais dans notre société, être, vivre, bouger, agir, jouer peuvent être liés à l’écrit. Cet écrit qui est aussi l’extérieur dans le monde qui entre au quotidien chez nous auquel nous répondons volontiers : courriers, courriels, SMS, découvertes médicales, avancées scientifiques, informations. Lire-écrire sont autant de moments de discussions, de compréhension, de jeux, pêle-mêle !

Durant cet apprentissage dispensé en famille, complicité, bonne humeur et enthousiasme s’inscrivaient dans la démarche.

« Pourquoi y a-t-il un y grec et un i latin ? Pourquoi tu dis un « e » muet mais on le voit ? » La liste des « pourquoi » et « remarque là » était longue et variée. Mon enfant était curieux de tout. Je passais par les lettres de son prénom en référence et repère. Les autres lettres apprises étaient tirées des noms papa, maman, frère, sœur, chat comme d’autres aides et balises. Cet enfant-là était autant traducteur qu’interprète pour lui-même : il a bien gribouillé un peu durant le stade de la maîtrise du geste pour bien caler son stylo, crayon, feutre entre ses doigts et positionner sa main à la recherche du meilleur emplacement sur la feuille. Et très vite tout s’est mis en place.

Le quotidien fourmillait d’occasions pour se familiariser à l’écriture et son pendant en lecture comme suivre étape par étape une notice explicative pour monter un meuble, comprendre la règle d’un jeu de société, consulter un dictionnaire pour vérifier le sens d’un mot très curieux et rigolo comme ziggourat qui finit comme patate, tomate et le suricate qui regarde partout et saute (et nous avons sauté partout), établir une liste pour le Père Noël, une autre, nominative pour placer des invités, ou encore celle d’ingrédients nécessaires à la réalisation d’un succulent gâteau ! Du réel, nous pouvons aller loin avec l’imaginaire. Nous avons inventé une liste de formules magiques et de cris d’oiseaux que nous lisions chacun à voix haute !

« La vertu paradoxale de la lecture est de nous abstraire du monde pour lui trouver un sens. » avance Daniel Pennac. Lire, c’est aussi découvrir d’autres coutumes, des regards différents sur les petites choses et réalités de la vie et de notre éducation. Le roman offre des types de textes variés, du polar à la thèse, du Cape et d’épée à celui de gare, passant par l’épistolaire et le " cross age ". Mais avant d’en arriver là, l’aventure à travers les mots, leurs déclinaisons et leurs richesses peut être un parcours du combattant ou un voyage complémentaire. Pousser la pensée, pousser à se penser !

En effet, un mot qui échappe à la compréhension, n’est que déchiffrage, un autre sur lequel l’enfant bute, puis une phrase qu’il juge trop longue, et son attention se perd. C’est ainsi que peu à peu, il s’éloigne de la lecture, donc de la lecture plaisir, de la lecture informative, de celle qui apporte le savoir sous moult ramifications…

Bien posséder sa langue maternelle permet aussi d’être à l’aise dans l’acquisition d’une seconde puis encore d’une autre…D’ailleurs, sur ce point, au stade précoce du développement du tout-petit et quasi embryonnaire, l’enfant issu d’un foyer bilingue a d’emblée l’esprit formaté à l’adaptation et possède les clés d’un champ supérieur de possibilités.

Comprendre, c’est déjà apprendre à aller plus loin, à être éclairé(e), à s’ouvrir l’esprit. Lire/écrire est une sacrée liberté intellectuelle et un fabuleux pouvoir ! D’ailleurs, écrire ne fait-il pas rêver ?

De l’imagier qui acte un objet, une chose, un métier, à l’histoire narrée du conte au petit roman, ces trois figures de l’écrit aident la progression dans la gradation de la lecture, permettent de développer son imaginaire, de voyager tout seul ou de conserve grâce aux mots,…

Au fait, qui donne le plus de sens à l’autre lorsqu’ils sont ensemble, de l’image ou du texte ? A moins qu’ils ne se répondent ! La correspondance grapho-phonique élargit le champ de connaissances et du langage de l’enfant. Mais encore, un livre peut se parler après une lecture, ouvrir une discussion. D’autant plus que les romans, les essais sont les reflets et les rêves de l’humanité.

A part l’évocation suivante des auteurs de méthodes pédagogiques alternatives éponymes Montessori (Maria), Freinet (Célestin), Aubertin (Térèse), aux noms reconnus, aucune stratégie d’apprentissage à la lecture n’a, ni ne sera abordée, mais seulement une piste, la mienne, persuadée qu’il faudrait du sur mesure pour chaque enfant car tous n’ont pas le même rythme d’acquisition. Et cela est bien utopique. D’autant plus qu’il n’existe pas de véritable consensus sur la méthode supra, ou miraculeuse de l’apprentissage de la lecture. Cependant, donner l’exemple, se montrer parent lecteur dans une démarche naturelle et avec plaisir peut contribuer à intéresser, à piquer la curiosité de l’enfant comme à susciter chez lui une envie d’imiter, « jouer » son rôle de transmetteur au-delà de l’oralité.

Désormais, les professionnels de la petite enfance, à défaut de s’accorder, admettent que l’enfant qui arrive en classe avec un bagage, une sorte de diplôme « invisible » d’aptitudes à engranger, à repérer, à s’adapter, à anticiper, à assembler, possède un capital non négligeable qui le différencie de ses camarades qui n’ont reçu aucune initiation. Hélas, souvent au fil de la scolarité, ce potentiel reste un fossé entre deux vécus opposés.

En conclusion, pour lire/écrire ou écrire/lire, il en va de même que pour l’apprentissage de la marche. Le parent ou éducateur doit faire son possible pour que l’enfant ne soit pas perdu par quelque chose qui lui semblerait abstrait et complexe. Cependant, dégager du temps, avoir la volonté de partager demandent des compétences que certains parents n’ont pas. D’autres ne souhaitent pas prendre cet apprentissage en charge puisque selon eux, cet enseignement relève du « devoir » de l’Ecole et que nos enfants n’ont pas à être des singes savants avant l’heure !

En tout cas, à défaut de disposer d’outils personnels et de soutien familial en ce domaine, tout enfant peut bénéficier de support dans des lieux de lecture, des endroits dédiés et ouverts que sont les bibliothèques et les médiathèques. D’ailleurs, souvent, les bibliothécaires concoctent de merveilleux coins confortables, colorés, accueillants pour que des lectures soient faites par les mamans, des proches, une nounou, voire un papa conteur à tous ces petits ! C’est bien là que tout au long de sa vie scolaire, l’enfant peut venir piocher, accéder à des revues, des documentations, des dictionnaires, des encyclopédies, des vidéos aussi bien en consultation libre qu’à l’emprunt gratuit ou à des tarifs d’abonnement peu onéreux.

Pour ma part, je reste persuadée, hormis les cas extrêmes, que la réussite en matière d’apprentissages est la résultante de rencontres, de qualités humaines et de volonté personnelle. Que cette première rencontre avec le livre, donc avec l’écrit à travers la lecture se fait dans le giron parental et familial, qui est sans aucun doute déterminante. Pourtant, cela n’empêche pas, et bien au contraire, qu’à un certain âge, le petit humain se prenne en charge en acteur décideur de sa vie, ayant alors compris les enjeux de cette connaissance qui peut lui apporter une indépendance d’esprit.

Enfin, que nous le voulions ou non, nos enfants, lorsqu’ils sont en dehors de chez nous, sont les ambassadeurs de notre famille et véhiculent ce que nous leur inculquons. Ne dit-on pas élever un enfant ? Certes le nourrir, lui apprendre la propreté, … mais également le porter vers le haut au mieux pour lui. Si nous l’investissons, nous savons qu’un enfant même s’il est le nôtre, si nous le reconnaissons à part entière, ne nous appartient pas.

Laurence F. Daigneau,

éternelle enfant en promenade sur les mots.

Fin août 2012