De l'étoffe des héros de roman et des miens

De l'étoffe des héros de roman et des miens

Qu'attend-on de ces fameux personnages ?

Qui sont-ils ?

Quelle est leur dimension ?

Il est évident que pour servir une fiction, tout personnage est dans ses moindres recoins, les yeux, la tête et les jambes du lecteur puisqu'il l'informe. Et ce, même s'il n'a qu'un rôle secondaire, voire tertiaire. Ainsi en retrait apparent, un personnage n'est pas inutile car il en balise à sa manière l'histoire.

Cependant, le faire exister n'implique pas de le détailler avec autant de précision que pour les personnages principaux. Sa carte d'identité peut jouer aussi de celle du contraste.

Au lecteur averti qui n'aime pas qu'on lui explique les choses, n'échappera pas le fait qu'il ne faut pas assassiner l'enfant que nous avons été, passeport indispensable pour entrer dans beaucoup d'univers romanesques !

Quand à cette nécessaire profondeur du personnage de roman, qu'il nous ressemble, soient un animal, un objet ou un végétal, l'homme a la triple casquette de romancier-cinéaste-essayiste, Alain Robbe-Grillet, affirmait qu'" il lui faut assez de particularité pour demeurer irremplaçable, et assez de généralité pour devenir universel. "

Alors l'écrivain doit-il, passage obligé, s'en référer aux neuf points de l'ennéagramme des personnalités et structure psychologique en matière de narration, s'il veut être original sans tomber dans le stéréotype ? Là est la question ! Pour ma part, je crois qu'il est des récits qui permettent d'envisager des acteurs de papier sous d'autres angles, telle que l'histoire du moment l'impose et qui n'interdisent pas les sentiments d'empathie du lecteur envers l'un d'eux. Certains font jusqu'à parler de fonction cathartique !

Dans mes deux romans, j'ai choisi des personnages qui possèdent une base solide puisque leur enfance n'a rien de tourmentée et est même heureuse. Ils prennent du caractère au fil de l'histoire, se nourrissant des problèmes qui surviennent et impliquent qu'ils se forgent face à la situation devant laquelle ils se trouvent confrontés. Mes personnages se construisent donc dans un cadre de " vie " qui se décline au détour des chapitres : d'une certaine façon, décrire un contexte, c'est aussi décrire des personnages en devenir !

Je pense à Edouard Glissant qui parfois déstabilise son lecteur, pourtant informé, en décrivant très peu ses personnages. A leur sujet, il est deux écrivains de renom, Sartre et Mauriac, qui se sont largement affrontés ...

A ce jour, les personnages de mes paléofictions sont tous individu et collectivité. Ils évoluent et grandissent au fur et à mesure des épreuves. Quant à ceux dits " auxiliaires " qui gravitent autours d'eux dans les deux groupes, ils les aident à être mis en valeur. Je me suis attachée à rendre compte de leur caractère en organisant ma hiérarchie des tempéraments et en y incluant une représentation de " vilains ". Lesquels ne sont pas les ados : un en particulier enfile très vite le costume de méchant, mais à qui le destin offre une toute autre orientation ! Quoique ! Sur ce point, je n'ai pas boudé mon plaisir de jouer sur son statut revisité... Je suis là de l'avis de Gide qui, pour " Les faux-monnayeurs ", a déclaré découvrir ses personnages à mesure qu'il rédigeait son livre. C'est alors une manière de comprendre en premier lieu un personnage en profondeur.

Ma peuplade magdalénienne est bel et bien porteuse d'une identité culturelle que je suis prête à défendre bec et ongle. D'autant plus qu'elle ne manque pas d'intelligence syllogistique : les personnalités de ses membres sont marquées. Tous mes personnages inscrits dans le 21ème siècle ou au Magdalénien répondent à un accomplissement de soi. Certes, je ne les fais pas beaucoup vieillir : ils sont libres d'évoluer, de me surprendre à travers d'autres péripéties ! Je suis leur nègre, un autre personnage en quelque sorte ! Et comme le prétendait, Goëthe, après rédaction, " l'écrivain qui achève une œuvre n'est pas le même que celui qui la commençait ".

Ainsi, pour le lecteur, l'attente première d'un roman n'est-elle pas d'être plongé, invité dans un autre monde, une époque différente voire aux antipodes des siens et ce pour le distraire, le dépayser ?

Si l'écrivain a souvent été considéré comme le secrétaire de son siècle, je m'en différencie, dans le sens où écrire avec mon siècle ne pourra que transparaître mais ne reste pas mon objectif premier. Autrefois, les personnages-modèles de roman procédait de l'épopée et de l'odyssée parmi les géants de la mythologie au pays des dieux. Aujourd'hui, je ne nie pas l'inscription sociale du texte. Sans pour autant faire sauter quelques verrous des schémas traditionnels ou des fameux stéréotypes de notre époque, dans ma posture auctoriale, mes personnages s'installent, pas toujours dans ce positionnement de noir-blanc, mais dans ce potentiel de multitude de nuances en gris et autres couleurs métissées ou vives. Enfin, un peu tels que nous pouvons l'être dans la vie que tout écrivant singe par certains côtés !

A mes yeux, il n'est pas forcément nécessaire de chercher à créer un modèle social de poser des repères arbitraires d'un comportement, d'une tenue vestimentaire, pour rassurer le lecteur dans ses habitudes. Si des détails, des fragments d'information partent dans une autre direction, ils vont l'orienter et pas forcément lui "infliger une blessure narcissique" puisque ce lecteur-critique attendrait plutôt un personnage calibré, "fidèle" au cliché qu'il connaît depuis toujours et dont il a l'impression qu'il lui garantit une sorte de stabilité. Lequel lecteur, perdu, s'arc-bouterait ne retrouvant pas les fissures des univers qui lui étaient familiers jusque là ! Pourtant, ce lecteur n'est pas aussi "paumé" que certains essayeraient de nous le faire croire car il comprend que ce genre de personnages n'a pas de destin mais une destinée. Sans vraiment entrer dans cette appartenance en caractérisant mes personnages, je n'ai pas voulu qu'ils soient prisonniers du carcan fictionnel conventionnel. D'ailleurs, dans les romans d'aventures ou à caractère initiatique, l'accent n'est-il pas mis sur l'action, les événements, les rebondissements ainsi que les péripéties ?

Pour Zola, " le premier homme qui passe est un héros suffisant ; fouillez en lui et vous trouvez certainement un drame qui met en jeu les ravages des sentiments et des passions !" Il peut tout aussi s'agir de n'importe quelle femme. Mais y-a-t'il alors vraiment matière à dénicher en chacun d'eux un bon, un vrai personnage, bien trempé qui tiendra la route ? Tout dépend de son rôle dans une histoire précise. Et puis, je suis convaincue que selon nos humeurs, nos velléités, nos préoccupations, ou notre bon plaisir, nous cherchons à nous retrouver dans le choix de nos lectures ? ... Plus encore, n'y voyez pas là méchanceté de ma part, mis à part le cas d'un mauvais roman, la perception de l'épaisseur des personnages est influencée par notre propre épaisseur.

Enfin, quelqu'un me disait l'autre jour en citant Spitzer que " Le critique a pour tâche de chercher l'étymon spirituel. " Je lui laisse cette conclusion.

Tout simplement,

Laurence F. Daigneau Novembre 2011