Mon moi écrivant

Mon moi écrivant


L'art de (se) raconter est à la portée de chacun en âge de s'y mettre et qui en éprouve le désir. C'est ainsi que, pour ma part, je ne me le suis pas fait dire deux fois. Mais écrire ne signifie pas être écrivain pour autant. Il existe une nuance entre l'acte d'écriture et l'identité, le style de l'auteur écrivain qui a le pouvoir d'écrire dans la durée en respectant des règles précises.

Un jour où " le galet du ciel "(la lune) était plein et que " le chagrin de l'île "(la pluie) ne tombait pas, j'ai senti que l'écriture me parlait, m'attirait, persuadée alors, que mon chemin s'écrirait en étroite liaison avec elle. J'emprunte ici les termes poétiques de Vendredi, héros indien d'une reprise par Michel Tournier du " Robinson Crusoë " de Daniel Defoë. Je n'avais pas d'autre solution que de me lancer pour me juger, me jauger et les outils tels, la feuille et le crayon étaient faciles à posséder. Je n'avais plus qu'à procéder.

Ce jour en question était-il celui de la Lune, de Mars, de Jupiter ou de Mercure ? Toujours est-il que je décidai d'habiller les mots, en creux ou en relief pour travestir la réalité, inventer une histoire qui sonne vraie, dans un jeu de forces pour placer des personnages, dans une direction, avec un objectif. J'écrivis, écrivis, du poème aux nouvelles, des contes aux simples récits, consciente que cet apprentissage de pratiques scripturales, de respect des rouages et dimensions langagières devait s'opérer dans la discipline et l'enthousiasme. Même si le monde romanesque n'est pas la correction de notre monde, je tendais à l'imiter au mieux.

A l'adolescence, l'écriture de soi par soi, de moi par moi sur moi au jour le jour, le fameux journal intime a nourri bien des cahiers. Aujourd'hui, je lui préfère le journal objectif qui fait entrer le monde dans lequel je suis " intimement " liée. Il est clair pour moi que je n'ai pas l'intention de faire part à autrui d'un exercice égocentré en flatterie ou en pleurnicherie. Ainsi, le carnet de voyage me correspond-il mieux.

Cette passion de l'écriture ne m'a jamais quittée et me tient même dans une saine possession : la motivation ! Quelques années auparavant, le plaisir d'écrire passant par cette pierre ajoutée à mon édifice, qu'est le sentiment du travail accompli répondant le mieux possible aux règles de français et l'originalité du sujet de l'écrit choisi, n'avait pas encore lieu d'être un livre. Livre que je n'ai pas tout de suite senti venir. Mon premier roman eut donc un jour de 2008 ses pages rassemblées, brochées, imprimées résultant de quantité de pages antérieures, de pages tests passés, de pages échantillons, de pages recherches impératives, de pages brouillons subordonnés ! Avant d'en arriver là, je souhaitais me forger, me former, collecter, me lancer des défis pour tirer quelque enseignement de mes écrits engrangés mais revus car il ne suffit pas d'écrire au kilomètre pour s'afficher écrivain. Si ce qualificatif s'est posé sur mon nom suite à mes écrits publiés, il ne tient pas de l'auto-proclamation. Sur ce point, la suite s'écrit toute seule : je présente mes écrits, consciente que l'accueil peut ne pas être au rendez-vous. J'aime assez cet aspect, cette difficulté.

Ainsi, pour l'artisan du verbe que j'ai voulu être, le mot a une résonance particulière. Il est ma matière première, la levure qui nourrit mes textes, donne du sens et du poids à mes phrases qui dévoilent une histoire. Par bonheur, les mots se prêtent au jeu des combinaisons, des associations multiples, au service des idées. Quand commence la moisson, c'est la mise en marche : je m'accapare ce qui est extérieur, l'interprète, le modèle. Pour cela, mon regard doit être nouveau, en apparence comme tel, pour être intéressant et que le lecteur l'emprunte. Tout texte ne doit-il pas être à la fois conservateur et novateur ? Et puis, écrire est un passeport pour l'étranger.

On écrirait, parait-il, pour combler quelque chose en soi. Pour ma part, je n'écris jamais dans le tourment car je ne suis pas brouillée avec la vie. Je pars donc sans handicaps, sans blessures à raccommoder. De mes pages écrites en devenir de livre, aucune n'est détournée, empruntée. Toutes sont à tourner selon la maxime : des mots pour des histoires.

Ma prise d'écriture est assurément quotidienne, mais sans lieux, horaires, ni moments de solitude définis. Tout est souple. Tout est possible. Qu'est-ce qui conditionne mon envie d'écrire, ma passion décrire, oui, décrire, mon besoin, cet amour des mots et de la construction ? Aller décrire une envie de cette sorte semblerait ne jamais s'arrêter. Et pourtant, il faut bien répondre à cette question sans trop développer. C'est tout bête, sans secrets ni recette : je n'écris pas toujours avec un but précis. Je laisse partir ma plume, pars-cours (!), sur une feuille volante ou celle d'un vade-mecum en y couchant des mots-clés, des mots balises, des impressions. Cela donne parfois matière à développer, à s'en aller plus loin, voire même très loin. Alors, je suis mon instinct. Une fois que l'on a goûté à quelque chose qui nous porte, qui se transforme, on y revient parce que l'on veut renouveler cette sensation, une sensation. On veut toujours aller plus haut, toucher quelque chose d'indéfinissable et d'immense. La maturité est une force. Ce veni-mecum compagnon de découvertes, parfois de ma facture puisque agrémenté de collages, me suit. Plus complet qu'un pense-bête, il recueille mes mots voyageurs. Loin de moi, en ces instants, l'idée d'appartenir ou de rentrer dans le cercle des scripteurs publiant. Cependant, le hasard des choses, tel le bricoleur ou l'artisan, voire l'artiste, l'auteur finit par montrer son travail mais ne peut plus revenir dessus une fois paru. Le tout réside dans un mélange d'imagination, de travail et d'inspiration. Selon la longueur, le thème, cet écrit prendra une orientation parfois différente que celle prévue initialement car les mots sont les premiers à me faire penser, à pousser plus avant mon raisonnement. Puis, il est des rendus que je garde pour plus tard : susceptibles d'être recevables, ils ont besoin de décanter. D'autres que je ne conserve pas : je les trouve insipides ou arides mais en fait, c'est moi qui sèche, qui ne vois pas la bonne direction à prendre. Et d'autres qui font s'agiter ma plume, carburer mes neurones, exploser, s'électriser mon envie d'aller au-delà d'une ligne, entraînée par un mot que je devine plus après, puis un autre, pour chercher ce qui se trouve derrière, dessus, dessous, savoir ce qu'il me montre. Tiens, seraient-ce alors là des cailloux semblables à ceux d'un certain " Petit Poucet ", celui alors de l'écriture qui me guiderait ?

De ce fait, un écrivain, digne de ce nom, naît de la conjugaison de sa personnalité qui fait son style, de son aptitude à manier la langue, ses contraintes et de son(ses) idée(s) qui tient(nent) la route. Ecrire bien mais bien écrire est encore meilleur : de ce petit quelque chose en plus qui fait la différence qui n'est pas donné à tout le monde et que nous aimerions tous posséder en tant qu'auteur !

Du bout de mes doigts à celui de ma plume ou des touches de mon clavier débutent mes voyages revisités. Dans l'écriture, alors que j'ai la chance de me trouver dans un pays où la parole est libre, la prise de risque tient plutôt de l'exercice. Ainsi, l'unique sanction est l'avis, le jugement du lecteur. S'il est avisé, ce dernier aime avoir à faire à la trempe d'un auteur, à découvrir quelqu'un tout en l'oubliant derrière l'histoire. Notre ego n'existe que dans la confrontation aux autres.

Comme bons nombres d'entre nous, j'ai pu laisser s'exprimer mon imagination grâce à la formidable invention qu'est l'écriture apparue au fil de notre Histoire d'humains qui l'ont fait évoluer. En conséquence, nous pouvons puiser, sans nous poser de question, quantités de mots dans ce formidable prêt-à-écrire. " L'aventure est dans les phrases ." affirmait Flaubert. Forte de ces propos, appuyée à mon écritoire, combien de fois, mes rédactions sont-elles remises sur le métier pour arriver à l'ouvrage abouti ? Si écrire rime avec plaisir, il n'est pas qu'un passe-temps, une occupation, il est aussi remise en question et dépassement. Nombreux sont les pré-textes retravaillés à chacune de mes histoires.

Parce qu'écrire est une terre, un territoire à explorer, sur lequel la sédentaire que je suis promène sa plume, se fait nomade. L'écriture n'a pas besoin d'être sacrée pour revêtir une forme de sacerdoce, choisi. Parfois, je me prends pour cet arpenteur des mots qui teste leurs pouvoirs, les dépose selon un axe donné sur des pages et des pages pour promener ou accompagner le lecteur consentant, avec l'espoir, la satisfaction que mes paysages imaginaires, mes descriptions imaginées se fassent tableau qui en convoque un autre et ainsi de suite. En écriture, tout est là, dans le nomadisme et le cheminement.

C'est mon chemin de " croi(s) " qui se compose tel qu'il est devenu mon credo. (Dois-je garder cette phrase ostentatoire ?) Bref, l'écriture est un bel acte intentionnel. Ecrire hors du temps, conter le monde, converser avec n'importe qui de n'importe quelle époque, culture ou langue, quel bonheur ! Mais écrire ne signifie pas, mettre les autres, les êtres que j'aime, de côté. Jusqu'ici, j'ai réussi à concilier les deux. Il n'est pas question que je passe à côté d'une vie familiale, de déléguer.

Si à travers mes écrits, je devais avoir un rôle, ce ne serait pas d'émouvoir à tout crin mais de relever, de souligner, de parler, de dire et de faire dire pour faire partager... Chaque écrivain, en héritage à la rhétorique antique du " docere et placere ", les " instruire et plaire " horatiens, se doit-il de divertir pour donner à penser ou n'est-il qu'un brodeur de rêves ? Ce qui n'est déjà pas mal !

De part et d'autre du livre se situe l'attention : en amont, celle du rédacteur qui doit soigner ses écrits, en aval, celle du lecteur qui rentre dans l'univers de cet auteur qui parfois n'est pas au bout de ses surprises comme le souligne Nicolas Bouvier avec subtilité :

" On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt, c'est le voyage qui nous fait, ou nous défait ! "

Artisan du mot, acrobate du verbe. Architecte du moi, en parlant de nous, nous empruntons forcément les idées des autres, des idées reçues, convenues ou retenues car admises comme valables influencés par notre milieu socio-éducatif. Comme je n'ignore pas qu'en parlant des autres, je parle quelque part de moi.

Si nous réfléchissons trop, remplir une feuille tient autant de la magie, du mystérieux que de l'intimidant. Le mythe de la page blanche ! Lorsque le premier mot paraît, là, de prime abord insignifiant, presque timide, perdu, il a pour mission de débuter une histoire. Mais encore faut-il le dénicher. Tout semble reposer sur lui : il a tant de choses à dire. Grâce à lui viendront tant d'autres mots. D'ailleurs, existe-t-il un roman composé d'un seul et unique mot assez puissant pour tout dire qui nous ferait rester devant la feuille qui le supporterait ? Trêve de plaisanterie, mot après mot, la feuille devient presque vivante. Elle s'anime, se rature, s'annote de corrections, de gloses. Et parfois même de paperoles ! Les coulisses d'un écrit feraient parfois croire qu'il s'agirait d'un livre d'artiste ou même d'un livre pauvre vu le matériel rudimentaire ajouté de-ci, de-là : objet hirsute ou génial !

Lorsqu'il s'est agi de le faire figurer sur ma première première de couverture, je n'ai pas une seconde éprouvé la nécessité, par honte, caprice ou snobisme, de modifier mon patronyme de femme mariée. Il est là en filigrane comme un garde-fou moral pour que j'ai bien à l'esprit un minimum d'exigences à tenir lors de mes rédactions.

Cette approche sur mon moi écrivant aurait très bien pu s'écrire en dressant un portrait araucan en cinq ou dix touches pour établir des rapports de ressemblance et clore ces lignes avec un clin d’œil à Vendredi évoqué en introduction.

Ainsi, tout, tout au long et autours de l'écriture n'est que question de rencontres. Je ne vis que pour celles-là !

Laurence, ses plume et crayons vagabonds