Que se trame-t-il en moi ?

Que se trame-t-il en moi ?

Pataugas aux pieds, appareil photo en bandoulière, un bon pullover, une écharpe et parfois des mitaines pour me tenir chaud, je réponds volontiers à l’appel de " ma " forêt. J’arpente alors ses sentiers caillouteux à l’affût de son petit peuple. Aux premières lueurs, les paris s’éveillent : qui montrera le premier, un bout d’antenne, de queue, de moustache, d’aile ... ? J’aime aussi tutoyer les toiles arachnéennes que la rosée a décorées de ses perles …

Comme à chaque fois, ma séance photos achevée, les yeux pleins de ces beautés sylvestres éphémères, mes pas me portent tout naturellement vers mon véhicule pour rentrer chez moi. Pourquoi en immortalisant cette dernière dentelle de soie, mon esprit vagabonde-t’il vers la métaphore du tissage et de l’écriture ?

Prise malgré moi par cette réflexion sans fil d’Ariane, j’ignore bien sûr où elle me mènera, mais laisse la bobine de l’improvisation se dévider. Le fait d’avoir récemment appris que le Vénitien est à l’origine de la langue des fabricants de tissus aurait-il un lien ? Ceci dit, cette information n’implique pas nécessairement un rapport avec la dentelle de Burano car il existe bien d’autres villes, Françaises par ailleurs, dont le nom est associé à divers types de guipures ! …

Mon entrelacs de pensées se trouve en calque dans la réalité puisqu’à cette patte d’oie que je connais bien, il me faut choisir : allez, pour cet itinéraire de randonneuse gâtée, ce sera le deuxième chemin !

Ma " préoccupation ", quelques nano-secondes mise de côté, reprend sur le thème des similitudes entre les travaux de dames et l’écriture. Je songe alors à la pratique tisserande fémine incluse dans certaines histoires populaires. Et pourtant, dans la vraie vie, encore de nos jours, les hommes n’y sont pas étrangers : chez les Dogons, par exemple, pour lesquels parler et tisser sont indissociables, fusionnels presque…

Je regarde ma montre. Ses deux aiguilles qui représentent une paire de ciseaux me signalent que j’ai encore du temps devant moi. La menace céleste de tout à l’heure s’est effilochée loin à l’horizon. Si tout ceci est bien un peu décousu, cela ne m’empêche pas de profiter de cette atmosphère féérique d’entre brume et soleil levant aux couleurs douces : mes pensées sauvages galopent, vont et viennent, telle une navette. D’ailleurs, me voici repartie en Egypte ancienne où les scribes " hiéroglyphaient " sur des papyrus tissés …

A ce moment de rêverie éveillée, ma broderie est toujours confuse. Serais-je donc mal partie pour entamer un ouvrage au point de plumetis, lequel est un exercice d’excellence ?

Allez, permettez-moi de le remettre sur mon métier ! Vous acceptez ? Merci ! Oula, je m’égare car je n’ai d’autre compagnie dans ce sous-bois enchanteur que celle des animaux de la faune locale ! … D’ici peu, en rejoignant le tissu urbain, je me trouverai face à des gens à qui je ne ferai pas part de mes pensées du moment. Sinon, quelle cacophonie, s’ils se mettaient à en faire autant, sujets à des réflexions sur des thèmes différents ! …

Passer du texte au textile, je m’y livre volontiers parce que j’aime aussi faire travailler mes dix doigts autrement qu’en maniant le stylo ou en tapant sur les touches de mon clavier. J’apprécie de sauter de la boucle d’une lettre cursive à celle(s) de coton, de lin, en relief ou en jour pour posséder quelque chose d’original, de personnel …

Hum, je craque maintenant pour ce joli tapis de mousse qui n’a point été tricoté. Son manteau vert recouvre la pierre de la petite fontaine devant laquelle je me suis arrêtée. J’y contemple deux escargots dans une immobilité qui me déconcerte aujourd’hui : " ô temps suspends ton vol ! " Mon pauvre cerveau aurait-il été trop oxygéné car je sais bien que ces animaux n’ont jamais été rapides ? …

Une légère brise qui agite les feuilles me caresse le visage, et me rappelle les rideaux de ma salle de séjour qui m’ont déjà donné l’impression de dialoguer avec les rais de lumière traversant leurs jours brodés. Et lorsqu’un vent nerveux et coquin s’invite par la fenêtre entrebâillée, il n’est pas rare de les voir interpréter un tango frénétique : je les ai déjà retrouvés enlacés accrochés par leurs picots. Le fin tissu en organza favorise ces danses tendrement endiablées. Jamais je ne retrouverai de petits rideaux à leur image aux pieds de ma fenêtre ! Et je m’emporte : je dois sûrement lâcher une maille quelque part ! …

Tiens, qui me souffle que broder un tissu est un Riche … lieu pour … parler, donner sa langue au chas, lequel aiguille le fil de point en point ? …

Alors, l’ouvrage écrit avance de mot en mot, celui à l’aiguille de maille en maille dans un murmure de cliquetis alors que le crochet solitaire, moins bavard, finit toujours par la boucler, … la maille !

Désormais influencée par la densité des arbres à cet endroit de la forêt, les oiseaux moins présents, mon raisonnement aléatoire se fait sérieux : des personnes plus compétentes que moi diraient au sujet de cette métaphore et du rôle éducatif qui transparaît dans la littérature des contes qu’ils ne sont pas si anodins que cela. Décidément, je me crois toujours accompagnée ! Tant que je ne suis pas mal habitée ! …

Bon, je ne vais pas vous embrouiller l’esprit avec le volet ethnographique de l’ordre social, de l’attribution des rôles qui différenciait très tôt les filles des garçons, ni ne vous obligerai à plonger dans un champ analytique. Cependant, je pense à ces jeunes filles de conditions modestes qui marquaient le linge de leur futur trousseau au point de croix, considéré comme grossier en regard de la broderie vestimentaire de celles issues de la bourgeoisie. Lesquelles pouvaient prétendre posséder de belles étoffes, du fil perlé, des rubans bigarrés qui faisaient si joli ? De plus, les petites mains qui filaient pour les autres ne bénéficiaient que de maigres rémunérations et n’avaient plus de temps pour elles-mêmes ! Ceci n’est pas un tissu de mensonges ! …

En ce XXIème siècle, qu’importe mon rang, vers mes dix ans, je suis partie à la recherche de l’araignée qui était en moi, ignorant alors que notre cher Ovide, fabuleux brodeur de mots affirmait " antiquas exercet aranea telas " : " comme autrefois, l’araignée tisse sa toile " et que cette déclaration en inspirerait plus d’un. Ainsi, dans mon quotidien, je passe facilement de l’écrit au travail d’aiguilles puisqu’il s’agit de la même chose : texte et tissu venant tous deux du latin texere. Parfois, en faisant crocheter, broder mes mains, je travaille des morceaux de texte. Il me vient d’ailleurs une remarque sous forme de question : lors d’une dédicace qui ne marche pas, l’auteur du livre ne fait-il pas tapisserie ? …

Eh bien voilà, à force de parcourir la lande, les bosquets et les forêts, de croire aux légendes, je me suis perdue et ne reconnais plus " mes arbres ". Je parie que les dentellières de soie qui me voient passer, se moquent allègrement de moi !…

Je lève le nez et devant moi, je rêve pas, le sentier que je foule s’appelle : le " Point " conté " " ! Il est des coïncidences pour le moins troublantes ! Ainsi, de ce tissage vagabond que je dépose sur la toile, je fais un de mes métissages !

En tout cas, une constatation s’impose : sans chiffon, il n’y aurait pas de papier ! Espérant que celui-ci ne soit pas un torchon ! Après ce dernier mot, rideau !

Signé, l’espace de ces pas vagués :

Pénélope de la dentelle d’encre qui ne se " lace " pas de broder en général et précise que ce thème est loin d’être traité là, sous toutes ses coutures ! (Laurence F. Daigneau Début décembre 2010)