Michel Foucault: extraits utiles

"Messieurs,


Je ne peux vous appeler Camarades car je suis moi-même une crapule. Je dois dire que tous les professeurs sont des ordures. Ils ont toujours en retard et font profession de cultiver le retard. Le mouvement réel qui supprime les conditions existantes sera leur mort, c’est pourquoi ils travaillent au maintien de ce qui existe.


La marchandise que nous fabriquons, c’est le mensonge savant, c’est ce pourquoi l’ETAT NOUS PAIE, et c’est ce que nos singes savants d’étudiants sont avides d’acquérir, pour pouvoir devenir des praticiens du mensonge dans tous les partis et groupuscules bureaucratiques, qui veulent moderniser le capitalisme.


Nous sommes des penseurs garantis pas l’Etat, mais je dois dire que notre activité bénévole la plus méritoire a été depuis cinquante ans d’essayer de cacher aux jeunes générations ce que fut l’histoire réelle du mouvement ouvrier, ses manifestations les plus grandioses : Cronstadt, Turin 1920, la Commune de Spartakus, et enfin Barcelone 1936-1937.


J’ai honte, mais cette honte ne fera pas de moi un révolutionnaire.


Messieurs, je vous salue


Michel Foucault"


[Fonds Vincennes-Paris 8, document non daté, in Jean Michel Djian, dir, Vincennes, une aventure de la pensée critique, Flammarion, Paris, 2009]



Voir aussi dans la même veine la critique récente d'un collègue de sociologie non plus tant sur les contenus que ce que l'on appelle en sociologie de l'éducation le "curriculum caché" ou le "programme caché" qui entretient le mépris institutionnalisé des personnels Biatss, des étudiantes, et de toute ce qui a trait à la pédagogie. La partie intitulée "Enseigner à l’université : apprendre à mépriser les étudiant·es" est particulièrement intéressante.

"Je dirais que la première chose qu'on devrait apprendre -si ça a un sens d'apprendre comme ça-, c'est que le savoir est tout de même profondément lié au plaisir, qu'il y a certainement une façon d'érotiser le savoir, de rendre le savoir hautement agréable. Que l'enseignement ne soit pas capable même de révéler cela, que l'enseignement ait presque pour fonction de montrer combien le savoir est déplaisant, triste, gris, peu érotique, je trouve que c'est un tour de force. Mais ce tour de force a certainement sa raison d'être. Il faut savoir pourquoi une société a tellement d'intérêt à montrer que le savoir est triste. Peut être précisément à cause du nombre de gens qui sont exclus du savoir. (...) Imaginez que les gens aient une frénésie de savoir comme une frénésie de faire l'amour. Vous imaginez le nombre de gens qui se bousculeraient à la porte des écoles. Mais ça serait un désastre social total.

Il faudrait, si l'on veut, restreindre au minimum le nombre de gens qui ont accès au savoir, le présenter sous cette forme parfaitement rébarbative, et ne contraindre les gens au savoir que par des gratifications annexes ou sociales qui sont précisément la concurrence, ou les hauts salaires en fin de course. Mais je crois qu'il y a un plaisir intrinsèque au savoir, une libido sciendi comme disent les gens savants, dont je ne suis pas.

"Radioscopie de Michel Foucault" Entretien avec J. Chancel, 10 mars 1975, Paris Ed. Radio France, 3 octobre 1975, pp. 1-14