Glossaire des mots piégés

Petit glossaire

des mots piégés

Que sont les mots piégés ?

Ce sont des mots détournés de leur usage premier à des fins idéologiques, comme le mot "idéologie" lui-même, ou encore le mot "réforme" et, dans l'actualité la plus récente, le mot "élitisme". Ce sont encore des termes qui semblent avoir été forgés pour créer la confusion, tels "populisme" ou "islamophobie". Ce sont enfin des  termes ou expressions que l'actualité a mis sur le devant de la scène, tels "amalgame" ou "laïcisme", et bien d'autres encore : ce sont des mots qu'il convient d'utiliser avec circonspection et de manière critique.

Avertissement :

L'intégralité des articles de ce glossaire a été reproduite  in extenso sur le site Agoravox ( à consulter ici ), et signée "chapoutier", qui s'en est attribué la paternité  (à l'exception des articles qui viennent d'y être ajoutés : amalgame et blasphème).

Il a été expressément demandé aux modérateurs du site Agoravox et au susnommé chapoutier d'indiquer la source de  ces articles , conformément à la politique éditoriale du site Agoravox, article 2 : "AgoraVox exhorte tout rédacteur à porter une attention maximale à la propriété intellectuelle des informations utilisées ainsi qu’au strict respect du droit d’auteur" , et d'insérer un lien vers le site du POI de Saint-Quentin, ce qui serait la moindre des choses.

 

Le 25 janvier 2015 

 

Le lien pour enregistrer des commentaires sur les définitions du glossaire est au bas de cette page.

Abus (il y a des)

A distinguer de : "Il y a de l'abus".

Remarquez que l'expression "il y a des abus" est toujours utilisée dans un contexte précis, à tel point qu'il n'est même pas utile de l'indiquer : ces abus sont ceux qui affectent les systèmes de protection, au point de compromettre leur fonctionnement, quand ce n'est pas leur pérennité et leur existence. Il s'agit effectivement, pour l'essentiel, de la sécurité sociale et de l'assurance chômage. La sécu, c'est très bien, dans le principe, mais il y a des abus ; le chômage répond certes à un nécessaire devoir d'assistance, mais il y a des abus, sous entendu, il y a des gens qui en profitent indûment, au point d'en tirer l'essentiel de leurs moyens d'existence. Qui n'a jamais entendu raconter l'histoire de ces immigrés débarquant en France avec toute leur smala et bénéficiant incontinent d'une pléthore d'allocations les mettant à la fois à l'abri du besoin et de la nécessité de travailler ! Ce sont bien entendu des balivernes : alors que les droits sociaux et les systèmes de protection sont aujourd'hui l'objet d'attaques sans précédent, comment voudrait-on que des immigrés sans papiers, ou même avec papiers, puissent bénéficier d'avantages aussi extravagants, et cela en dehors de tout cadre légal ? Pourtant, de telles rumeurs ont les reins solides et elles sont constamment invoquées dès lors qu'il s'agit d'attaquer le système de santé, le système de protection sociale, les allocations familiales et l'assurance chômage : "Mais tout de même, il y a des abus !".

Soyons clair : bien sûr qu'il y a des abus. Qui pourrait imaginer qu'il pût y avoir des us sans abus ? Il est même un droit qui se définit comme droit d'user et d'abuser, c'est-à-dire de disposer d'un bien sans aucune restriction, de l'aliéner ou de le détruire, et c'est le droit de propriété. C'est dire ! Mais dans le cas qui nous occupe, abuser signifie plutôt passer outre aux règles qui inscrivent un usage dans certaines limites, et en particulier les limites légales. Si donc, en matière de sécurité sociale ou de droit du travail, il y a des abus, ces abus vont à l'encontre des lois, et peuvent être réprimés comme tels. On ne voit pas très bien où est le problème. On entend souvent parler d'escroquerie à la sécurité sociale, ou aux allocation familiales et les médias ne manquent jamais de les monter en épingle et de s'en indigner, mais quoi, ce sont des délits qui peuvent et doivent être punis.

Donc par abus on veut manifestement désigner d'autres limites que les limites légales ; on veut stigmatiser certains "excès". Ainsi, ces patients qui vont consulter leur médecin à tous propos, ces médecins qui prescrivent une pléthore de médicaments inutiles, ces fonctionnaires constamment en arrêt maladie, ces chômeurs qui refusent tous les emplois qui leur sont proposés, etc, etc. Et l'on citera toujours une multitude d'exemples, plus extravagants les uns que les autres. Notez que ce ne sont jamais les auteurs de ces récits qui sont coupables de ces excès, mais toujours les autres, et nonobstant les "témoins dignes de foi et les metteurs de main au feu", auxquels on vous renverra invariablement, c'est toujours l'histoire de l'homme qui vu l'homme qui a vu l'ours !

Alors, il y a des abus ? Certes, mais quels sont-ils ? Est-ce d'être malade qui constitue un abus, ou de l'être trop, ou d'être âgé, ou d'être chômeur, en somme, de faire appel, à un titre ou à un autre, aux systèmes de solidarité qui, comme chacun sait, coûtent trop cher à présent, et que la société n'est plus en mesure de financer. C'est bien ce qu'on voudrait nous faire croire, ou que les malades sont des tire-au-flanc, que les médecins prescrivent à tort et à travers, que les chômeurs sont des fainéants ? C'est bien ce que l'on suggère, et l'on voit alors la perversité de l'argument, véritable arme de guerre contre les systèmes de protection et de solidarité puisque, quels qu'ils soient, on peut être assuré qu'ils donneront lieu à des abus !

Agnosticisme :

Terme souvent donné comme synonyme d’athéisme, ou comme sa version douce : alors que l’athée prendrait fermement position pour la non existence de Dieu, l’agnostique suspendrait son jugement ; alors que l’athée affirmerait péremptoirement que Dieu n’existe pas, l'agnostique n’assurerait ni qu’il existe, ni qu’il n’existe pas : il se tiendrait donc à mi-chemin entre croyance et incroyance.

En fait, cette analyse, très réductrice, ne rend pas compte de la véritable articulation des concepts. Il serait en effet plus juste de dire que l’agnosticisme désigne une position générale vis à vis de la connaissance, que l’athéisme applique à l’un de ses objets (Dieu), et plus juste encore de dire que l’athéisme tire toutes les conséquences de l’agnosticisme en excluant des objets de la connaissance celui que l’ancienne métaphysique avait placé au fondement de toutes les connaissances, à savoir Dieu.           

En effet, l’agnosticisme consiste d’abord dans l’exclusion de la métaphysique de l'ordre de la science, ce qui le met dans le prolongement de la philosophie critique de Kant (représentant allemand de la philosophie de lumières), qui avait récusé la métaphysique dans sa prétention à produire la connaissance positive d’objets suprasensibles, tels l’âme et Dieu. Mais, alors que Kant, dans son souci de préserver la croyance de la ruine de la connaissance métaphysique, avait décidé de « supprimer le savoir pour lui substituer la croyance » ou « de mettre de côté le savoir afin d’obtenir de la place pour la croyance », les agnostiques, au contraire, ont choisi d'abolir les croyances, pour donner toute sa place au savoir. Que dire qui vaille, en effet, de ce qui est inaccessible tant aux sens qu’à la raison et sur l’existence d’« objets » dont on ne peut produire aucune connaissance ?                      

L’agnosticisme conduit donc naturellement à l’athéisme ; l’athéisme se conclut d’un agnosticisme conséquent, de sorte qu’il n’y a pas lieu de faire des agnostiques et des athées deux catégories distinctes, et d’introduire entre ces termes des différences artificielles. Entre les deux, il n’y a qu’une différence de niveau : alors que l’agnosticisme renvoie à une position vis à vis des croyances en général, et pas seulement des croyances religieuses, l’athéisme se rapporte à l’une de ces croyances qui, dans les religions monothéistes, s’énonce par le terme de Dieu.

Amalgame :

Tous le musulmans ne sont pas des fanatiques ni à fortiori des terroristes, c’est entendu. Il faut absolument se garder d’assimiler les cinq millions (1) de Français de confession musulmane aux quelques centaines (ou peut-être quelques milliers) d’excités qui appellent à la guerre sainte, c’est une évidence. Il faut s’interdire de faire supporter aux premiers le poids de la stupidité des seconds, a fortiori de leur faire payer le prix des attentats perpétrés par trois extrémistes enragés. Ce serait injuste, stupide et catastrophique et l’on ne peut que consentir à ce qui s’est exprimé sous les termes de « refus de la stigmatisation et de l’amalgame ».     

Ceci dit, le terme d’amalgame, ressassé sur tous les médias dès les attentats contre Charlie Hebdo n’est pas sans faire problème. Il désigne, dit le Petit Robert, le « mélange hétérogène de personnes ou de choses de nature différente.» Or, qu’il ne faille pas mettre sur le même plan les musulmans pratiquant leur religion sans causer de troubles à l’ordre public et dans le cadre des lois de la République, et des assassins se réclamant de l’islam, qu’il ne faille pas les confondre ne signifie pas que l’islam n’ait rien à voir avec ces attentats. Autrement dit l’islam, pas plus qu’aucune autre religion, ne peut être totalement exonéré des crimes que l’on commet en son nom. Que le Judaïsme, le Christianisme et l’islam soient, comme on l’a dit et répété, des « religions de tolérance », n’a pas empêché les guerres de religion, les croisades, les anathèmes de toutes sortes, excommunications et autres fatwas. Il est faux de dire que "ceux qui ont commis ces actes, ces terroristes, ces illuminés, n'ont rien à voir avec la religion musulmane". D’abord parce qu’ils sont musulmans ou se disent tels, et ensuite parce qu’ils agissent au nom de l’islam. Qu’ils ignorent les principes fondamentaux de leur religion ou de la religion qu’ils revendiquent comme la leur ne suffit pas à à affirmer qu’ils lui sont radicalement étrangers. Lorsque Laurent Fabius refuse d’utiliser l’expression islamiste parce qu’elle contient le mot islam, « qui est une religion de paix », excluant par définition toute interprétation de la religion musulmane admettant la possibilité du terrorisme, il donne dans la pétition de principe et dans le jésuitisme, ou au moins dans la facilité. Certes, il ne faut pas confondre islam et islamisme, mais prétendre qu’ils n’ont aucun rapport est insoutenable. Certes, il faut bannir les généralisations et les confusions, les assimilations et identifications hâtives, mais le mot d’ordre « pas d’amalgame », en tant qu’il vise à mettre globalement l’islam hors de cause, est à reconsidérer de manière critique. On dira peut-être qu’il s’agit là d’une querelle de mots, et que lorsqu’on presse l’opinion et les médias de ne pas faire d’amalgames, tout le monde sait ce que cela veut dire. Ce n’est pas aussi évident, et pour éviter les malentendus, autant parler juste ! Derrière les « querelles de mots », il y a toujours des enjeux idéologiques.

(1) Encore faut-il relativiser ce chiffre : c'est Nicolas Sarkozy qui, mettant en place le CFCM, assimilant "immigrés" et "musulmans" avance ce chiffre de cinq millions. 

Aristocratie :

Suivant l’étymologie, le mot signifie « gouvernement des meilleurs », présupposant soit que ce sont les « meilleurs » qui ont vocation à gouverner, soit que ceux qui gouvernent sont, de fait, les meilleurs. Je ne m’attarderai pas à réfuter ce préjugé absurde qui confère à une minorité de dominants une essence supérieure qu’ils tiendraient de leur naissance et qu’ils transmettraient à leurs descendants : cela a déjà été fait. Mais l’on n’a peut-être pas assez souligné que, même en écartant l’idée d’« âmes bien nées », le préjugé aristocratique continue d’imprégner l’idéologie, et particulièrement l’idée de hiérarchie qui en constitue le noyau. Simplement, au lieu de situer le principe de la hiérarchisation sociale et de l’ordre de domination qu’il implique dans la « naissance », on le placera dans l’intelligence, le courage bref, toutes les qualités intellectuelles et morales que l’on voudra, et mieux encore, le « mérite » qui les résume toutes indistinctement. Ce n’est donc pas tant le mot « aristocratie » qui est piégé et qui constitue un danger que les mots qui ont pris en charge le légitimation de l’ordre de domination existant, comme ceux de « méritocratie » ou d’« élitisme ». L’expression « élitisme républicain » montre de manière éclatante comment la légitimation de l’ordre social de domination a pu se dégager des vieilles valeurs aristocratiques en se fondant sur la valeur ambiguë de « mérite ».

Athéisme :

Être athée, ce n’est pas croire que Dieu n’existe pas, c’est ne pas croire qu’il existe. On dira que cela revient au même pour ce qui est de l’existence de Dieu. Si l’on veut, mais cela change tout pour ce qui est de la croyance, car en effet, on ne peut tenir l’athéisme comme une croyance parmi d’autres, en ajoutant de surcroît que toutes se valent, que s’il est impossible de démontrer que Dieu existe, il est tout aussi impossible de démontrer qu’il n’existe pas, et qu’il ne resterait donc plus qu’à croire, soit qu’il existe, soit qu’il n’existe pas.

Or, l’athée refuse d’entrer dans le jeu de la croyance (qu’elle soit affirmative ou négative), plus radicalement il met la croyance hors jeu, tenant pour dépourvue de tout intérêt et de toute pertinence la question même de l’existence de Dieu, à laquelle il serait vain de chercher une réponse, de quelque ordre qu’elle soit, tout simplement  parce qu'elle est sans objet.

C’est la radicalité de cette position qui rend l’athée tellement insupportable aux religions. L’athée, le sans Dieu, est pis qu’un « mécréant » ou un « infidèle » ( qui n’a pas la vraie foi), c’est un « impie » (qui n’a aucune foi). Quoi de pire que cela ? L’hérétique pourra toujours abjurer, revenir dans le chemin de la vraie foi : ce qui importe, c’est d’en avoir une. Celui qui n’en a aucune est perdu, il est bon pour le bûcher et pour l’enfer. Lorsqu’il s’agit de dénoncer et de combattre l’athéisme, toutes les religions de coalisent, quelle que soit la haine qu’elles se vouent mutuellement.

C’est pourquoi il faut se défier de cette tolérance qui ne porterait que sur la possibilité d’élire une croyance et de pratiquer la religion de son choix, pourvu qu’on en pratique une. Certains pays sont très tolérants en matière religieuse, les sectes de tout poil y ont droit de cité, mais il y est très mal vu de se déclarer athée.

Il faut alors rappeler que la liberté de culte proclamée par la laïcité (voir ce mot) comprend la liberté de n’avoir aucune religion et de ne pratiquer aucun culte, ainsi que la totale liberté de critique à l’endroit des croyances et des cultes, quels qu’ils soient: rappelons que du point de vue de la laïcité, le terme de blasphème est vide de sens.

Autre (alter) :

Adjectif commode quand on le rapporte à certains noms, qui permet de concilier sans frais acquiescement et refus. C’est le pendant d’un célèbre « oui mais », une sorte de « non mais », l’amorce d’une trahison. Ainsi dira-t-on « une autre mondialisation » pour exprimer un refus de la « mondialisation néo-libérale ». Mais, qu’est-ce que la mondialisation, sinon la mise en coupe réglée de la planète par les puissances financières, sous l’égide des intérêts américains ? Il n’y en a pas d’autre que celle-là. Le mot « mondialisation » n’est qu’un euphémisme pour ce que l’on appelait il n’y a guère « l’impérialisme américain ». Qui, décemment, pour dénoncer cet impérialisme-là, en demanderait un autre ? Bien sûr, « si tous les gars du monde voulaient se donner la main…tout autour de la terre…» il en irait peut-être autrement, mais il faudrait être bien naïf pour voir dans cette image poétique une figure possible de la mondialisation. Se dire partisan d’une autre mondialisation, fût-elle « citoyenne », c’est sauter le pas, c’est franchir le Rubicon, c’est faire la concession mortelle. Si les adeptes du libéralisme peuvent se permettre de faire des concessions, c’est parce qu’ils sont en position de force et que le libéralisme est l’idéologie dominante. Nous ne pouvons nous permettre ce luxe. Il faut, si nous voulons redonner un sens aux mots, et une pertinence aux idées, mettre un terme à ces formules euphémiques qui sont autant de compromissions, quand elles ne relèvent pas de la pure et simple hypocrisie. Il n’y a qu’une seule manière aujourd’hui de s’opposer à la mondialisation, ce n'est pas d'être "altermondialiste", c’est d’être résolument anti-mondialiste.

Blasphème :

Il ne semble pas  que ce mot ait vraiment sa place dans le glossaire : le dictionnaire en donne en effet une définition claire et univoque « parole qui outrage la divinité, la religion », Le Petit Robert, et on ne voit pas pourquoi il y aurait lieu de s’écarter de cet usage. Pourtant l’actualité récente (les attentats contre Charlie Hebdo et contre l'Hyper Cacher de la Porte de Vincennes) a remis ce terme au centre d’un débat qui n’est pas sans souffrir de quelques confusions.           

Pour les dissiper, autant que faire se peut, il n’est pas inutile de rappeler que c’est la révolution française qui a aboli le délit de blasphème : il s’agissait alors de libérer l’État de la tutelle de la religion catholique et de mettre les citoyens à l’abri de l’arme qui lui avait si longtemps permis de juguler et de borner la liberté d’expression.   

L’abolition du délit de blasphème signifie que l’État n’est plus sous  la dépendance de la loi religieuse et que la religion peut légiférer autant qu’elle veut dans sa sphère, les citoyens n’ont, comme tels, aucune obligation de se soumettre à ses prescriptions, qui ne valent plus que comme des recommandations morales à l’adresse de ses adeptes. C’est cette autonomie du civil par rapport au religieux qui deviendra le principe fondateur de la République laïque. Une église n’a aucun moyen, dans une République laïque, de punir ce qu’elle tient pour des fautes contre ses prescriptions, ni aucun droit de le faire. Un pécheur n’est pas un criminel et ce n’est pas parce qu’un citoyen a transgressé un « commandement divin » qu’il est traduit devant un tribunal, c’est parce qu’il a enfreint une loi de l’État. Les notions de blasphème, de péché, de sacrilège…n’ont de sens que dans leur référence à une religion ; elles ne sont pas juridiquement qualifiables. Il n’y a donc pas plus de droit au blasphème qu’il n’y a de délit de blasphème : la plainte déposée par des associations musulmanes contre Charlie Hebdo qui avait publié les caricatures de Mahomet, parues initialement dans le journal danois Jyllands-Posten et jugées blasphématoires, montre à quel point les religieux peinent à comprendre et à admettre cette distinction entre commandements d’une religion et lois d’un État.   

Le pape François a trahi cette totale incompréhension dans les propos qu’il a tenus sur la liberté d’expression, où il apparaît que ce n’est pas tant cette liberté qui lui importe que les limites qu’il voudrait lui prescrire. « Si M. Gasbarri, qui est un grand ami, dit un gros mot sur ma mère, il doit s'attendre à recevoir un coup de poing ! C'est normal… » Le pape légitime sans sourciller la violence qu’il vient de condamner, au nom de la dignité des religions. Se rend-il compte qu’entre la rafale de Kalachnikov et le coup de poing, il y a une différence de degré, mais non pas de nature ?  « On ne peut pas provoquer, on ne peut pas insulter la foi des autres, on ne peut pas se moquer de la foi ! (…) Chaque religion a de la dignité, chaque religion qui respecte la vie humaine et l'homme, et je ne peux pas me moquer d'elle… c'est une limite. », poursuit-il. Le pape, du haut de son magistère, prescrit à la France les limites qu’elle doit fixer à la liberté d’expression ! Ce faisant, il remet en cause le principe même de laïcité (mais l’a-t-il jamais admis ?), et il rétablit insidieusement le délit de blasphème. Ce faisant, il ignore (ou feint d’ignorer) que la liberté d’expression en France  n’admet que les limites qui sont prescrites par la loi, et qu’elle ne reçoit pas sa loi de la Bible ou du Coran, ou d’aucun « livre  saint ». La question des limites de la liberté d’expression est bien mal posée par le pape, ainsi que par les musulmans, même « modérés ». Car si c’est bien la liberté d’expression qui a été assassinée en même temps que les journalistes de Charlie, cette liberté est celle qui est comprise dans les principe de la laïcité, pour laquelle la liberté d’expression n’a pas à recevoir de limites, et qu’elle doit seulement s'exercer en conformité avec les lois de la République, ce qui est tout autre chose.    

L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pose la liberté d’expression comme un principe absolu : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement ». Il est vrai que l’article ajoute : « sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi », mais ce n’est pas remettre en cause le caractère absolu du principe, ni restreindre la liberté d’expression, c’est manifester qu’il n’est pas légitime de se prévaloir d’un principe, fût-il absolu, pour ignorer la loi ou l’enfreindre. On sait quels sont les cas déterminés par la loi : la diffamation, l'injure et la calomnie d’une part, les propos appelant à la haine ou à la violence envers un groupe ethnique, un sexe, une orientation sexuelle ou un handicap d’autre part, à quoi s’ajoute l’apologie des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et des actes de terrorisme. Mais la loi n’indique rien qui ait rapport à la foi et au sacré : elle n’interdit à cet égard aucune critique ni aucune moquerie. À l’égard des religions, mais aussi des pouvoirs, l’irrévérence, l’impertinence et la caricature se sont imposées comme des expressions emblématiques de la liberté d’expression. Aux religions de s’en accommoder, aussi choquées qu’elles puissent être par certain textes, certains films,  ou certaines caricatures. C’est le tribut qu’elles doivent payer à la laïcité, en contrepartie des garanties qui leur sont accordées dans ce cadre. De même que la laïcité comprend une certaine définition de la liberté d’expression, elle comprend une certaine idée de la liberté religieuse et de ce qui est dû aux religions et qui se résume à deux choses : liberté de culte et liberté de conscience, rien qui ait été mis en cause par le journal satirique si sauvagement frappé par des islamistes fanatiques. Mais elle comprend aussi une certaine idée de ce que les religions doivent à la société qui les abrite : non ingérence dans les affaires de l’État qui sont affaires de citoyens et non de religieux. Que cette manière de comprendre la liberté d’expression soit propre à la France, en tant qu’elle est une république laïque, a pu se voir dans le fait que très peu de journaux, en dehors de la France, ont reproduit les caricatures du dernier Charlie Hebdo, celui d’après le massacre. Les pays anglo-saxons en particulier, en raison d’un autre rapport à la religion, ont cessé « d’être Charlie », ou selon une formulation plus adéquate, de soutenir cette idée de la liberté d’expression qui faisait aux journalistes de Charlie Hebdo une obligation, eu égard aux circonstances, de caricaturer une nouvelle fois Mahomet. Cette idée de la liberté d’expression, la France l’hérite de la révolution de 1789, dont la l’idée laïque est également le fruit. Et c’est ce que le peuple français a exprimé lors de la manifestation du 11 janvier 2015, à Paris et dans les autres villes de France : c’est au nom de ce principe qu’il s’est mobilisé de manière aussi massive. Les combats historiques qui ont permis au peuple de France d’imposer la laïcité contre tous les cléricalismes ont libéré une fois pour toutes les citoyens français du chef d’accusation de blasphème. Tant que la République française sera régie par le principe de laïcité, personne ne pourra en France être condamné pour offense à une religion, et nul ne risquera de subir des châtiments inhumains comme ce militant libéral saoudien, condamné à dix ans de prison et mille coups de fouet pour atteinte à l'islam ! Gérard Briard a bien raison, dans le dernier Charlie, de voir dans la laïcité le principal enjeu, et d’enfoncer le clou :          

« Pas la laïcité positive, pas la laïcité inclusive, pas la laïcité je-ne-sais-quoi, la laïcité point final. Elle seule permet, parce qu’elle prône l’universalisme des droits, l’exercice de l’égalité, de la liberté, de la fraternité. Elle seule permet la pleine liberté de conscience, liberté que nient plus ou moins ouvertement (…) toutes les religions dès lors qu’elles quittent le terrain de la stricte intimité pour descendre sur le terrain politique. Elle seule permet, ironiquement aux croyants, et aux autres, de vivre en paix. »

Communication :

Mot dont l'usage actuel est caractéristique d'une société où les moyens de communiquer - les fameux médias - vont finir par tuer le langage, remarque Antoine B.

Et il est vrai que le verbe communiquer est devenu intransitif. Il ne s'agit plus aujourd'hui de communiquer quelque chose, mais de communiquer tout court, autant dire que l'objet de la communication devient accessoire. Il s'agit tout au plus de communiquer sur quelque chose, peu importe ce qu'on en dit : le tout est de savoir si on en dit quelque chose ou si on n'en parle pas.

D'où un étrange paradoxe : si ne pas communiquer sur une chose, c'est n'en dire rien, communiquer sur une chose, c'est en parler pour n'en rien dire. La question ne porte pas sur le contenu de la communication, mais sur le fait de la communication. On ne communique pas pour faire connaître un objet dont il y aurait quelque chose à dire, mais pour se faire connaître comme sujet de la communication, autrement dit comme quelqu'un qui aurait quelque chose à dire.

Et c'est pourquoi l'on tue le langage. On le tue dans sa fonction symbolique, à savoir sa capacité à contenir des pensées et à communiquer du sens. On le tue dans sa fonction discursive, à savoir sa capacité à enchaîner les idées dans un discours signifiant, pour les donner à penser par l'autre. On le tue enfin dans sa fonction informative, puisque la seule chose que l'on fait savoir sur une chose, c'est qu'il n'y a rien d'autre à en savoir que ce que l'on donne à appréhender dans une saisie immédiate. On aura reconnu ce discours dépourvu de toute discursivité, de tout contenu, vide de pensée et d'information : c'est le discours de la publicité.

Com = Pub. Elles usent des mêmes procédés, elles ont les mêmes finalités : remplacer les pensées par des affects. Abolir toute réflexivité au profit de l'immédiateté des sentiments primaires. Il n'y a pas lieu de penser là où il suffit de sentir. Tout se joue alors dans l'empathie. La presse "pipole" est emblématique de cette tendance : il s'agit de mettre en scène la vie des personnages en vue auxquels on invite le lecteur à s'identifier. On voit, avec l'affaire Betancourt, ce que cela peut donner en matière d'information. On doit également s'interroger sur la valeur et sur l'autonomie d'un discours politique de plus en plus marqué par les conseillers en communication.

Une journaliste me conseillait récemment de changer ma "manière de communiquer", faute de quoi je risquais, selon elle, d'ennuyer les gens. On voit bien l'enjeu. Inviter les gens à se saisir des questions qui les concernent, et les convier à en débattre, leur demander d'y réfléchir, leur proposer pour cela des éléments d'analyse, c'est les exposer au risque de la pensée et c'est en effet risquer de les ennuyer!

J'ai pris ce risque ici, pour parler de la "communication", tout simplement parce que je ne veux pas jouer le jeu de la communication. Non, Madame, je ne peux changer ma manière de communiquer, tout simplement parce que je ne communique pas. Je suis trop attaché, pour cela, à la pensée et convaincu de son caractère irremplaçable. Qui donc a intérêt à nous faire croire que la communication pourrait en tenir lieu ?

Communisme :

Toujours employer ce mot avec "fin" : depuis la fin du communisme, etc. 

L'objectif de l'émancipation ouvrière, la révolution sociale, doivent être constamment assimilés au régime policier totalitaire fondé par Staline. Ce qui vise à persuader les salariés que le système dominé par les banques, fondé sur l'exploitation et le profit, est désormais éternel. Le fait que ce régime policier  ait commencé par l'exécution de tous les dirigeants de la révolution russe ne présente aucun intérêt. D'ailleurs la connaissance de de l'histoire de la révolution russe a été judicieusement ôtée des programmes scolaires.

Attention : le régime policier totalitaire chinois doit être traité avec courtoisie et déférence. En interdisant les syndicats et en réprimant les grèves, il garantit de fabuleux profits aux investisseurs.

Michel Sérac, "Petit lexique du mensonge médiatique ordinaire", in Informations Ouvrières n° 176, p 16 (L'humeur de Michel Sérac

Courage :

Se dit d'un homme politique qui a "le courage de prendre des mesures impopulaires" : priver les malades du remboursement des soins, s'attaquer aux retraités, aux handicapés, aux chômeurs, etc. 

Ne pas confondre avec la morale commune qui voit l'acharnement contre les faibles au profit des puissants comme une marque de lâcheté et de veulerie. La différence des deux morales s'enseigne dans les grandes écoles.

Michel Sérac, "Petit lexique du mensonge médiatique ordinaire", in Informations Ouvrières n° 175, p 16. (L'humeur de Michel Sérac

)

Démocratie :

1. (sens vieilli) : désignait autrefois l'expression par un peuple de sa volonté majoritaire.

2. (sens actualisé par la Commission européenne) : libre interprétation par les gouvernements de ce qui est bon pour leur peuple, à la manière des monarques avec leurs sujets.

Exemple : le non majoritaire des peuples français, néerlandais, irlandais signifie oui.

Michel Sérac, "Petit lexique du mensonge médiatique ordinaire", in Informations Ouvrières n° 175, p 16. (L'humeur de Michel Sérac)

Dictionnaire (Bon usage du) :

Ce ne sont que querelles de mots, dit-on, et pour cela faciles à résoudre. C'est le dictionnaire qui mettra d'accord les disputeurs, pourvu qu'ils se soumettent à son arbitrage, nécessaire et juste de surcroît, parce qu'impartial. Voire ! ce n'est peut-être pas rendre service au dictionnaire que d'en faire le garant d'un « sémantiquement correct » péremptoire : d'abord parce qu'il n'y a pas un dictionnaire, mais plusieurs, et qu'avant de faire du dictionnaire un instrument d'accord, il faudrait mettre les dictionnaires d'accord. Ensuite, parce qu'il appartient à tout être raisonnable de juger de la valeur des définitions et de les confronter, en fonction de ses connaissances et de son questionnement propre, comme ont dû le faire, d'ailleurs, les auteurs des dictionnaires. Enfin, parce qu'un dictionnaire de langue a pour vocation d'indiquer les différents usages d'un mot, anciens et récents, courants et techniques, mais non de statuer sur la légitimité de ces usages. Ainsi qui clamera, dictionnaire en main, qu'utopique signifie irréalisable, et rien d'autre, révélera son ignorance de l'étymologie du mot, et de son histoire, mais de plus, il admettra, sans le savoir, que ce qui n'est "d'aucun lieu", ne sera jamais, et qu'il faut bannir l'imagination des projets de société, ce qui est loin d'aller de soi. On devrait donc toujours se servir des dictionnaires pour ouvrir, ou pour relancer la discussion, non pas, comme on le fait trop souvent, pour la clore.

Économie :

Ce qui est bon pour les capitalistes est bon pour l'économie. Ainsi, les lois grecques qui exonèrent d'impôts les bénéfices des riches armateurs (4 173 navires, première flotte du monde, 1/5 des tankers et vraquiers), ainsi que ceux de l'Église, fonciers et boursiers (50 à 100 milliards sur les marchés), s'ajoutant aux salaires de 11 000 prêtres payés par l'État 2 000 euros par mois, sont bonnes pour l'économie.

Le peuple grec, qui ose manifester contre l'imposition des revenus à partir de 450 euros par mois (bonne pour l'économie), doit être maté : les médias saluent donc l'arrivée au pouvoir d'un agent direct de la Banque centrale européenne.

Michel Sérac, "Petit lexique du mensonge médiatique ordinaire", in Informations Ouvrières n° 175, p 16. (L'humeur de Michel Sérac)

Efficacité :

"Boussole managériale en vogue qui permet de faire accepter, parce que c'est moins cher, une efficacité moindre.." Contribution de Antoine B.

Est efficace ce qui produit l'effet attendu. Ce terme tient donc son sens d'une perspective qui mesure la valeur d'une chose à son utilité, à savoir sa capacité à produire un effet avantageux. Le terme d'utilité pose d'ailleurs le même problème que celui d'efficacité. Lorsqu'on nous dit d'une chose qu'elle est utile, on ne nous dit jamais à quoi elle est utile, comme si l'utilité était une propriété objective de la chose ; lorsqu'on nous dit d'une action qu'elle est efficace, on ne nous dit jamais quel effet en était attendu. La "boussole managériale" dont parle Antoine B. est un très curieux instrument qui mesure la valeur d'une chose, ou d'une activité à son seul coût. Elle est particulièrement employée lorsqu'il s'agir d'évaluer le travail, les soins hospitaliers, le nombre des fonctionnaires, les services publics, etc.. Tout cela coûte beaucoup trop cher et nuit à l'efficacité de l'économie (de la compétitivité). Supprimons donc tout cela, au nom de l'efficacité, et privons-nous par là même de tout les effets bénéfiques que nous pouvions en attendre, par exemple l'emploi, la santé, l'éducation, la sécurité, des conditions de vie décentes : bagatelles, n'est-ce pas ? Telle est précisément la logique de la LOLF (loi organique relative aux lois de finances), qui a pour ambition déclarée "de réformer la gestion de l'État tout entière, c'est-à-dire la façon dont l'argent public est utilisé par chaque ministère et qui vise à instaurer une gestion plus démocratique (sic) et efficace des dépenses publiques." Nous aurons bien l'occasion de revenir sur ce caractère prétendument démocratique de la LOLF, mais on voit que c'est avant tout le principe d'efficacité qui gouverne cette invraisemblable machine à gaz !

Élitisme :

L’élitisme est la version roturière (ou bourgeoise) de l’aristocratie. Si l’on n’y trouve plus l’idée d’une supériorité de naissance légitimant un droit à gouverner, on y trouve toujours l’idée d’une inégalité foncière entre les hommes et d’un ordre hiérarchique inhérent à l’état social. Surtout, il s’agit toujours de favoriser ceux qui sont considérés comme les meilleurs au préjudice de la masse, mais comme la bourgeoisie ne peut plus, comme la noblesse, asseoir  son pouvoir sur un sang prétendument bleu et sur un rang sans doute de même couleur, elle a dû retenir d’autres critères pour distinguer les meilleurs. Rien d’étonnant à ce qu’elle ait choisi la richesse : l’Assemblée constituante de 1791 a établi le suffrage censitaire limitant le droit de vote aux citoyens les plus fortunés ; il a fallu attendre la Constitution de 1793 pour que soit établi le suffrage universel (masculin), mais cette constitution n’a jamais été appliquée. Bref, la démocratie promise par la Révolution française s’est d’emblée constituée comme une ploutocratie (gouvernement des plus riches), ce qu’elle est restée : ce sont plus que jamais les puissances d’argent qui sont au pouvoir. Et ceux qui « tiennent un rang dans le monde », comme on disait autrefois, ce sont toujours les plus fortunés.             

1.     Élitisme républicain.  

Il ne suffit pas d’éliminer le préjugé d’une inégalité héréditaire entre les hommes pour rendre l’élitisme soluble dans la République, ce à quoi prétend la notion d’« élitisme républicain », au nom de la nécessité, pour toute société, de distinguer les plus aptes à la gouverner. Il suffirait, pour faire de l’élitisme une valeur républicaine, de la fonder non  pas sur la naissance, non pas sur la richesse, non pas sur la puissance, mais sur le mérite. Or, le mérite est une valeur auto référencée qui ne résout rien ; il engendre un système de valorisation qui ne vaut qu’après qu’il a été appliqué : ceux qui exercent le pouvoir sont les plus méritants parce qu’ils ont été distingués comme les meilleurs. C’est admettre que « ceux qui commandent valent mieux que ceux qui obéissent et que la sagesse ou la vertu se trouvent dans les mêmes individus en proportion de la puissance, ou de la richesse » : parole « d’esclaves entendus de leurs maîtres », selon Rousseau. C’est sans doute par des oreilles serviles que Laurence Parisot aimerait être entendue lorsqu’elle brandit l’argument du mérite et des « incitations destinées aux meilleurs » pour justifier l’extravagante inégalités des revenus. Car cette « élite » autoproclamée, qui concentre entre ses mains le pouvoir, les honneurs et les richesses prétend de surcroît à une onction républicaine en lieu et place de l’onction divine qui lui avait été consentie par le pouvoir monarchique. Elle oublie que la République, en abolissant les privilèges, a mis fin à un tel principe de valorisation. Pour la République, il n’y a que des représentants élus, qui sont seuls habilités à participer à un gouvernement. Qu’on cesse donc de nous parler « d’élite dirigeante », comme s’il s’agissait d’une espèce particulière ayant vocation, en raison de ses caractéristiques propres, à diriger et à gouverner. La question tellement agitée aujourd’hui du divorce entre le peuple et l’élite dirigeante, est bien une question tout juste bonne à être « agitée entre des esclaves entendus de leurs maîtres » : c’est Rousseau qui avait raison. La vraie question qui, comme telle doit être débattue entre « des hommes libres et qui cherchent la vérité » autrement dit des citoyens, est celle d’un système de représentation qui ne confisque pas le pouvoir du peuple, seule source de la souveraine puissance.     

2.     Élitisme scolaire.            

En tant que l’élitisme est un système établi en faveur des privilégiés, il doit certes être dénoncé et combattu comme antidémocratique et antirépublicain. Mais que dire du Petit Robert qui, après avoir défini l’élitisme comme la « politique  visant à favoriser et à sélectionner une élite, au détriment du plus grand nombre », juge bon d’illustrer cette définition par la citation : « Il faut renverser l'esprit de notre enseignement qui souffre de la maladie de “l'élitisme” (Le Figaro, 1967) » ? Ainsi, ce serait le système d’enseignement qui, en France, serait le responsable le plus flagrant de l’élitisme. Le Figaro, journal de droite, se saisit en 1967 de la thèse diffusée en  1964 par Pierre Bourdieu, sociologue « de gauche ». Dans Les Héritiers, Bourdieu et Passeron soutiennent en effet que l'école, loin d'être un instrument d'éducation au service de la culture, est une machine de reproduction sociale qui confirme et renforce les inégalités. Les valeurs du système d'éducation seraient celles de la classe dominante dont les rejetons sont les « héritiers privilégiés ».

Plus de 50 ans après, la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem fait de cette thèse l’argument principal de sa réforme du collège. Les classes bilangues et bilingues, les classes européennes, les options grec et latin bref, tout ce qui porte l’empreinte des humanités classiques et d’une culture désintéressée est sacrifié, au nom de l’égalité républicaine et… de la justice : argument vicieux et hypocrite s'il en est, car ce n’est pas l’objet d’un enseignement ou son contenu qui le rend « élitiste », mais le public auquel on le destine. Une école élitiste n’est pas une école où l’on enseigne le grec et le latin, les arts et les sciences, la philosophie et l’histoire, bref tout « ce qui ne sert à rien» (sic), c’est une école où l’on réserve ces enseignements aux enfants des classes privilégiées, alors qu’une école égalitaire est celle où l’on rend ces savoirs accessibles à tous, où l’on n’en juge a priori personne incapable ou indigne. C'est la leçon de Condorcet : une école est vraiment égalitaire lorsqu'elle  considère l'excellence comme la forme la plus haute de l'égalité, non pas lorsqu'elle les oppose. Les classes privilégiées l’ont bien compris qui ont trouvé le moyen de retourner l’argument de l’élitisme à leur profit pour se réserver les savoirs dont elles veulent interdire l’accès aux autres. Najat Vallaud-Belkacem, qui reconnaît tout ce qu’elle doit à l’école de la République, voudrait-elle retirer aux autres l’échelle dont cette école lui  a permis de gravir les échelons ? L’école d’aujourd’hui souffre, non pas de son prétendu « élitisme », mais de ses renoncements successifs. La réforme du collège se dispose aujourd’hui à renoncer à tout et d’abord, sous prétexte de combattre l’élitisme, à instruire le peuple : voilà à coup sûr de quoi satisfaire « l’élite ». 

Idéologie :

Un article plus développé a été également consacré à ce terme.

S’il n’y avait qu’un mot piégé, ce serait celui-là, car le mot « idéologie » est piégé à plusieurs titres, et d’abord par son effet boomerang et sa capacité à changer de camp.

Pourtant, le mot n’a au départ aucun caractère péjoratif. C’est Destutt de Tracy qui en 1796 crée le néologisme « idéologie » pour désigner la « science des idées, de leurs lois, de leur origine ».

C’est Marx qui donne au terme son caractère péjoratif  dans la critique qu’il mène de l’idéalisme. Selon les penseurs bourgeois en effet ce seraient les idées qui mènent le monde. Or, pour Marx,  ce sont au contraire les conditions économiques et sociales, en particulier les rapports entre les classes sociales, qui sont cause des événements historiques, de l’organisation politique et juridique des sociétés ainsi que des croyances des hommes, de leurs idées et de leurs doctrines

Une telle analyse est fatale à l’idée de l’idéologie comme science, puisque l’idéologie n’est en réalité rien d’autre que cet ensemble d’idées, de croyances et de représentations plus ou moins élaborées, plus ou moins cohérentes, reflétant  les conditions matérielles de l’existence des hommes et singulièrement leurs intérêts de classe. « L’idéologie dominante est l’idéologie de la classe dominante », dit Marx, le moyen par lequel les classes dominantes s’efforcent de justifier l’exploitation des classes dominées, à leurs propres yeux comme aux yeux de ceux qu'ils exploitent Il faut donc en démonter les mécanismes, montrer par exemple comment la religion parvient, par la promesse du paradis, à faire accepter aux classes exploitées leur vie misérable ici-bas : « la religion est l’opium du peuple ». Dès lors le combat idéologique prend une place importante dans la lutte de classe.

Mais l’idéologie avance masquée : c’est pourquoi les intellectuels bourgeois ont d’abord nié leur rôle dans la production idéologique, puis dénoncé la critique marxiste de l’idéologie comme une idéologie, dénonçant en particulier la lutte des classes comme un mythe, une invention dangereuse pour l'ordre social. Enfin, plus récemment, ils ont fourbi leur dernière arme idéologique : « la mort des idéologies ».

 Curieux destin que celui de ce mot . Par une sorte d’ironie de l’Histoire, la pensée marxiste, qui s’était affirmée, de Marx à Althusser comme une critique des idéologies est aujourd’hui désignée par ses détracteurs non pas seulement comme une idéologie parmi d’autres (ce qui était déjà un moyen de la relativiser et de la discréditer), mais comme  l’Idéologie même. A tel point que lorsque les « chiens de garde de l’idéologie bourgeoise »  dénoncent aujourd’hui des visées, ou des intentions, ou des présupposés « idéologiques », c’est généralement pour stigmatiser, par delà cette fameuse « mort des idéologies », l’ombre de Marx. Le terme est de ce fait utilisé pour désigner tout ce qui, dans une pensée ou dans une analyse, conserve quelque chose d’une approche ou d’une perspective marxiste, comme le retour d’un refoulé marxiste.

C’est au détour des années 1980 que s’est affirmée « l’idéologie de la mort des idéologies », idéologie (il faut insister sur le terme) qui a célébré la flexibilité, décrié l'État providence », popularisé le libéralisme (néo ou ultra comme on voudra le désigner), poussé le zèle antimarxiste jusqu’à la célébration du reaganisme.

C’est bien entendu dans cette ligne de l’antimarxisme et de la célébration du libéralisme qu’il faut situer l’idéologie de Sarkozy, dont l’une des premières déclarations théoriques fut qu’il fallait « en finir avec mai 1968 ». Libéral façon Reagan, Thatcher, Bush, il le fut, jusqu’à ce que la crise lui fasse obligation de redécouvrir les vertus de l’Etat et il le reste lorsqu’il qu’il s’attribue comme mission nouvelle la « refondation du capitalisme » car l’idéologie sarkozyste est à géométrie vartiable, elle se doit d’être dans l’air du temps. « Je ne suis pas un théoricien, je ne suis pas un idéologue, je ne suis pas un intellectuel : je suis quelqu’un de concret », ne cesse de dire Nicolas Sarkozy. Fort bien, mais « cette "concrétude" revendiquée n’en dessine pas moins une idéologie» et cette idéologie est à l’évidence une idéologie de droite : « un bonapartisme au service du libéralisme » dit Marcel Gauchet, « un napoléonisme institutionnalisé » selon Peter Stoderdijk, « un pétainisme transcendantal », dénonce Alain Badiou. Bref, le « pragmatisme » dont se prévalent Sarkozy et ses acolytes est un pragmatisme dévoyé, la pire des idéologies , celle qui se met au service d’une aristocratie de l’argent. Enfin, cet anti-intellectualisme revendiqué par le président d’une nation qui, quoiqu’il en pense, avait fait de l’intelligence et de la culture une de ses valeurs essentielles, c’est l’option de l’obscurantisme, une déclaration de guerre aux humanités  Est-il bien utile d’avoir lu « La princesse de Clèves » pour réussir dans la vie, demande Sarkozy, car l’idéologie sarkoziste s’appuie sur une « rhétorique de la réussite », réussite individuelle qui est d’abord la sienne et de sa classe sociale, et  qui est en fait la mort des idées, l’éloge de l’inculture et, par suite, le triomphe sans partage de l’idéologie et la tyrannie de l’opinion.

On aurait donc plus que jamais besoin d’une idéologie, au sens premier du terme, c’est-à-dire d ‘une science des idées, de leurs lois, de leur origine, capable de « démonter les mythes et l'obscurantisme, d'une idéologie pour dénoncer l’idéologie au deuxième sens du terme, cet agglomérat d’idées reçues au service des intérêts de la classe dominante. En ce temps où  la reconquête du terrain idéologique constitue un enjeu décisif, il est essentiel de renouer avec le projet d'une critique des idéologies tel qu'il avait été initié par Marx et Engels dans "L'Idéologie allemande" et la "Préface à la critique de l’économie politique". C'est alors, et alors seulement que la boucle pourra être bouclée.

Interdit (d'interdire) :

« Il est interdit d’interdire » ; voilà le slogan auquel on prétend aujourd’hui réduire mai 1968.

Ce qui peut étonner, ce n’est pas le succès d’une maxime qui prenait à contre-pied le principe de la morale établie ; ce n’est même pas, à travers elle, la pérennité d’un certain esprit de soixante-huit ; c’est plutôt la portée qu’on lui confère à présent lorsqu’on soutient que c’est elle qui a sapé l’autorité, ruiné la moralité, ouvert une ère d’hédonisme débridé et d’individualisme effréné. Le slogan soixante-huitard aurait ainsi fait descendre dans la rue la proclamation nietzschéenne de la mort de Dieu et avalisé le « tout est permis » que Dostoïevski avait posé comme sa conséquence inéluctable.

C’est sans doute aller trop loin car si la formule a fait florès, ce n’est pas tant en raison de ce nihilisme radical que d’un verbe à la fois provocateur et ludique propre à l’esprit de soixante-huit et dont les slogans qui fleurissaient sur les murs étaient imprégnés. Il suffit de citer, parmi bien d’autres : « la barricade ferme la rue mais ouvre la voie » ; « soyez réalistes, demandez l’impossible » ; « assez d’actes, des paroles » ; « consommez plus, vous vivrez moins », etc.

Pourquoi ne reste-t-il que le fameux « il est interdit d’interdire », sinon parce que, plus que les autres, il faisait mouche ? Qu’exprimait-il en effet, sinon le refus exaspéré d’une morale bornée à l’interdit ?. Il ne s’agissait pas tant de récuser l’autorité en général que de lui demander des comptes et donc, de rejeter son caractère arbitraire. Mais c’était encore trop : l’autorité en question, parce qu’en effet, elle était arbitraire, n’a pas admis qu’on lui demande des comptes, et parce qu’elle est restée arbitraire, elle n’a toujours pas accepté qu’un jour de 1968, on lui en ait demandé. C’est pourquoi elle brandit encore son privilège, qui est d’interdire sans avoir à rendre de comptes, rappelant que la première chose qui soit interdite, c’est d’interdire que l’on interdise.

Islamophobie :

Le néologisme « islamophobie » est plus qu’un mot piégé, c’est un mot « piégeux », c’est-à-dire fabriqué pour piéger et cela, par ses deux composantes.

- D’abord le  suffixe « phobie » conserve quelque chose de son origine psychiatrique : l’agoraphobie, la claustrophobie et la zoophobie, par exemple,  sont des troubles relevant de la « névrose phobique ». Désigner toute hostilité à l’endroit de l’islam, voire toute critique de l’islam comme relevant de l’islamophobie, c’est y voir implicitement la manifestation d’une pathologie ou d’une névrose, au moins d’une anormalité. Certes, phobie signifie étymologiquement peur et non pas hostilité, et c'est d'abord par cela que le mot pèche. Il est est d'ailleurs de même pour le mot "homophobie", car qui a peur des homos, et qui a peur des musulmans ? En fait, il s'agit plus de haine que de crainte (même si c'est bien souvent la crainte qui nourrit la haine) et le préfixe "miso" conviendrait mieux que le suffixe "phobie" pour désigner ce que l'on entend par "islamophobie" (comme dans misanthropie ou misogynie), mais pour ce qui est de l'islam, le mot ne semble pas facile à forger avec ce préfixe.  

- Ensuite, l’objet de cette « phobie » est indéterminé : rien ne permet de savoir s’il s’agit de la religion musulmane (l’ensemble de ses croyances, de ses dogmes, de ses rites), de la civilisation issue de cette religion, ou de la communauté de ses fidèles (les musulmans, pratiquants ou pas), voire de la communauté plus large dans laquelle la pratique de cette religion est dominante : essentiellement les « populations issues de l’immigration », en particulier du « monde arabo-musulman », expression tout aussi critiquable que la précédente  (tous les Arabes ne sont pas musulmans et tous les musulmans ne sont pas arabes).

1. Dans le premier cas, rien n’autorise à assimiler la critique de la religion musulmane à une « phobie », à l’imputer à une « crainte excessive, maladive et irraisonnée , comme dit le dictionnaire, et comme on le voit dans  la xénophobie par exemple : la peur de l'étranger, et la haine qui en découle, sont indiscutablement irraisonnées et maladives. En revanche, la dénonciation des fanatismes religieux et de la religion comme un "opium du peuple" procèdent d'un examen critique de la raison, et cette critique peut être appliquée à toutes les religions, y compris l’islam. 

2. S’il s’agit de l’Islam (de la civilisation), on admettra aisément que toutes les grandes religions ont concouru à fonder des civilisations, sans en être la source exclusive. Ainsi, lorsque Nicolas Sarzkozy martèle l’idée d’une identité de la France fondée sur les valeurs du christianisme, il oublie les racines gréco-latines, l’humanisme de la Renaissance qui les reprend, la philosophie des lumières et la révolution française. Il doit en être de même pour les autres civilisations dont la religion est une composante parmi d’autres.

Pour ce qui est de l’hostilité à l’endroit d’une communauté humaine, quelle que soit la religion qu’elle pratique, et des discriminations que cette hostilité peut entraîner, il faut rappeler qu'elle trouve son meilleur remède dans la laïcité qui proclame la liberté de culte, la liberté de conscience et renvoie les croyances religieuses au domaine privé. C’est à ces conditions que nul ne peut être persécuté, ni exclu en raison de sa religion (et ne doit davantage être favorisé) : cela vaut bien entendu pour les athées qui récusent toute croyance.

3. Enfin, il suffit de dire que toute hostilité dirigée contre une population humaine (qu’elle soit ethnique, culturelle ou religieuse) qui se traduit par des persécutions ou une discrimination relève du racisme ou de la xénophobie. C'est vrai pour l'antisémitisme (à ne pas confondre avec l’antisionisme ni la « judéophobie) ; c'est également vrai pour l'hostilité à l’endroit des populations issues de l’immigration, en particulier arabes ou maghrébines. On notera que le terme de "judéophobie" pose les mêmes problèmes que celui "d'islamophobie" :  si c’est la religion qui est visée,  le terme « anti-judaïsme » est moins ambigu.

Deux remarques pour conclure :

1.     aucune mesure (ou loi) visant de manière discriminatoire une religion ou une population ne peut s’autoriser de la laïcité.

2.    C’est à juste titre que la ligue française des droits de l’homme refuse d’utiliser le terme d’islamophobie, en raison des confusions qu’il rend possibles, voire  qu’il favorise, en particulier la confusion entre la lutte légitime contre le racisme et la volonté inacceptable d'interdire comme blasphématoires les critiques formulées à l’encontre de l’islam, ou d’un cléricalisme musulman. 

Laïcité (laïcisme, laïcard)

On peut sétonner que le mot laïcité figure dans ce glossaire des "mots piégés, car ce n'est évidemment pas le mot laïcité qui est piégé, mais quelques mots et expressions forgés pour introduire la confusion et tromper sur la nature de la laïcité, comme  "laïcisme" et "laïcard", "laïcité positive", "laïcité apaisée" ou "laïcité ouverte".

Il n'est nullement question ici d'entrer dans le débat voulu par Sarkozy et initié par son gouvernement pour redéfinir la laïcité, pour l'actualiser, pour "l'ouvrir". Elle n'a nul besoin de l'être : elle a été définie dans ses principes par la loi du 9 décembre 1905, dite loi de séparation des églises et de l'Etat, et cela suffit. Il suffira donc de renvoyer à cette loi, débarrassée de toutes les gloses actuelles qui, sous prétexte de l'éclairer, visent à la dénaturer, et en particulier aux articles 1 et 2 qui en formulent les principes.

"Article 1er:

La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public.

Article 2:

 La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes. Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.

Les établissements publics du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l'article 3."

La loi de 1905, qui pose pour son premier principe la liberté de conscience, en situe la condition de possibilité dans la séparation des églises et de l'Etat. Cette séparation, qui proscrit toute intervention du clergé dans les affaires de l'Etat, n'est pas un acte d'intolérance à l'égard des religions puisqu'au contraire elle impose la tolérance entre les différentes confessions qui se sont si souvent combattues, libère les églises du pouvoir hégémonique d'une église officielle, et libère la sphère publique en renvoyant les croyances et les pratiques religieuses au domaine privé. La laïcité instaure la liberté de penser, de croire ou de ne pas croire, et de soumettre les religions à l'exercice critique de la raison. 

On ne saurait donc être top laïque, et le terme de laïcisme, qui consiste à opposer une vision "souple" de la laïcité à une vision intransigeante relève d'un faux débat, comme si la volonté de protéger activement la vie publique de toute ingérence religieuse (ce que l'on appelle encore "anticléricalisme" ) était autre chose que la laïcité elle-même. Le néologisme "laïcisme" est un terme polémique qui, au nom de la prétendue rigidité des positions laïques, invite  à accepter des compromis, comme si l'on pouvait transiger avec les principes sans les renier. Le vocable "laïcard", ouvertement péjoratif, a été forgé par les ennemis de la laïcité pour flétrir les prétendus excès du laïcisme, qu'ils opposent à une "laïcité ouverte". Or, la laïcité n'a nul besoin d'ouverture, elle est ouverte dans son principe même, ouverte sur les connaissances qui peuvent être dispensées librement, sans être assujetties au dogme religieux,  confrontées et discutées sans s'exposer à la censure des religions, comme l'est encore aujourd'hui aux Etats-Unis la théorie darwinienne de l'évolution. En réalité, note Henri Pena-Ruiz , "la notion de laïcité ouverte est maniée par ceux qui, en réalité contestent la vraie laïcité, mais qui n'osent pas s'opposer franchement aux valeurs qui la définissent" ( in "Histoire de la laïcité, genèse d'un idéal"). Mais sans doute la critique de ces notions de "laïcité positive, de "laïcité moderne" , de "laïcité apaisée" ou de "laïcité ouverte" comme autant de notions piégées est-elle le fait d'un laïcisme borné et de laïcards belliqueux ! 

Méritocratie :

L'essentiel a été dit dans les articles "Aristocratie" et Élitisme", auxquels on pourra se reporter.

J'ajouterai seulement que le "mérite", dès lors qu'il est reconnu, est sans doute digne d'éloges, peut-être de respect, mais le suffixe "cratie" renvoie à pouvoir, à gouvernement.  On ne voit pas en quoi le mérite individuel, pour autant qu'il puisse être évalué,  pourrait être une source légitime de pouvoir dans une démocratie.

Nous :

Toujours dire "nous" ou "la France" lorsqu'il s'agit de verser aux banquiers des fonds publics, et de diminuer pour cela les retraites, les salaires, ou les remboursements de Sécurité sociale.

Utiliser des images familières comme : nous avons vécu au dessus de nos moyens, on ne peut pas dépenser plus que ce que l'on gagne, etc. (En effet, si les ouvriers, les caissières de super-marché, les agriculteurs; et autres fauteurs de crise n'avaient pas passé leur temps à spéculer sur les subprimes américaines, à décider des guerres coûteuses financées par l'emprunt, à émettre des obligations d'État à haut rendement, M. Fillon ne serait pas obligé de les punir par des plans d'austérité tous les deux mois).

Michel Sérac, "Petit lexique du mensonge médiatique ordinaire", in Informations Ouvrières n° 176, p 16 (L'humeur de Michel Sérac

Passéiste :

"Accroché à des acquis sociaux qui auraient perdu leur raison d'être" (contribution d'Antoine B.)

Cette qualification laisse entendre, toutefois, que dans un "lointain" passé : 1905, 1936, 1945, 1968, les "trente glorieuses"..., ces acquis étaient légitimes et justifiés, qu'ils constituaient alors des progrès. Mais l'évolution du monde et son état présent les auraient frappés de péremption. Ce qui, en un temps, fut possible et bon, devient aujourd'hui mauvais et irréalisable. Une certaine idée du progrès assurait que ce qui ne pouvait être fait aujourd'hui pourrait l'être demain, que le champ des possibles restait ouvert. On voudrait nous faire accroire à présent que ce qui était possible hier a cessé de l'être, et le sera encore moins demain. Et pour cela, on s'emploie à rendre le peuple amnésique en le renvoyant à un passé mythique, pour mieux l'abuser sur les possibilités du temps. On essaie de lui faire oublier que ce que l'on dit aujourd'hui des retraites, des services de santé, on l'avait dit des allocations familiales, des congés payés, et peut-être s'apprête-t-on à le redire.

Qu'en serait-il aujourd'hui si l'on avait brandi hier le critère de la faisabilité, non seulement pour ne rien faire, mais surtout pour défaire tout ce qui avait été fait, en clamant : "des contre-réformes, toujours plus de contre-réformes". On disait en 1968 : "Soyez réalistes, exigez l'impossible". On nous dit en 2008 : "Soyez raisonnables, plus rien n'est possible". Joli progrès !

Populisme :

Il est peu de mots qui aient connu ces derniers temps une telle fortune, ou une telle infortune comme on voudra : une telle fortune si l’on considère la multiplication de ses usages ; une telle infortune si l’on considère la connotation péjorative que l’on y a attachée, le plus souvent sans la justifier, comme si elle allait de soi. La définition qu’en donne le Petit Larousse illustré est de ce point de vue tout à fait remarquable : 

Populisme n.m. souvent péjoratif : attitude politique consistant à se réclamer du peuple, de ses aspirations profondes, de sa défense contre les divers torts qui lui sont faits.

Si cette  définition correspond bien à ce qu’il faut entendre par le terme de « populisme », on ne voit pas en quoi l’attitude qu’elle décrit aurait quelque chose de répréhensible ou de critiquable, qui permette de justifier la connotation péjorative,  à moins de considérer les aspirations profondes du peuple comme méprisables, indignes d’être défendues !

Le Petit Robert, qui définit le populisme comme le: « discours politique qui s’adresse aux classes populaires, fondé sur la critique du système et de ses représentants, des élites. » ne justifie pas davantage la connotation péjorative, à moins qu’il soit malséant de critiquer le « système et les élites ». 

Ce n’est que dans le Nouveau Larousse encyclopédique en deux volumes (1) que l’on pourra trouver un début d’éclairage sur la connotation restée jusqu’alors assez obscure : le populisme y est défini comme «une « attitude politique qui vise à satisfaire les revendications immédiates du peuple sans objectif à long terme » : ce ne sont encore que des réserves, mais l’on y trouve ensuite la mention d’un « type de populisme fondé sur un nationalisme xénophobe et raciste et affirmant défendre les intérêts du peuple contre les classes dirigeantes » qui se serait développé dans les années 1980 et 1990  dans divers pays européens. C’est tout autre chose : le mot populisme est devenu un « vilain mot », et l’on nous dit enfin pourquoi !.

En vérité ce qui est en cause, dans ces différentes acceptions, et dans ces glissements de sens successifs, c’est la référence aux « valeurs populaires ». Le Petit Larousse, dans la première définition citée, parle des aspirations profondes du peuple, sans rien dire de ces aspirations ni comment il faut apprécier le fait de s’en réclamer.

Mais le mépris du peuple, de ses « aspirations profondes » comme de ses revendications « immédiates », atteint son comble dans cette idée jamais revendiquée ni clairement assumée, mais instillée par tous les discours qui aujourd’hui usent et abusent du mot populisme : les aspirations du peuple le porteraient spontanément, par une sorte de mouvement naturel, à un « nationalisme xénophobe et raciste ». Autrement dit, elles le feraient pencher du côté de l’extrême droite. C’est ce qui expliquerait que les voix de la classe ouvrière, qui s’étaient d’abord égarées du côté du parti communiste, soient revenues au front national, après la chute du mur et la dissipation de l’illusion révolutionnaire. C’est dire que le populisme consisterait toujours dans l’exploitation des passions et des illusions populaires, et peu importe qu’il soit de droite ou de gauche. Mais renvoyer ainsi dos à dos un « populisme de gauche» et un « populisme de droite », c’est oublier, ou feindre d’ignorer  que lorsque le parti communiste se voulait le « parti de la classe ouvrière » et s’était fait reconnaître comme tel, même de ses adversaires, c’était au nom d’un idéal émancipateur, et nul ne se serait avisé de le qualifier de « populiste », avec le sens et la connotation qu’on lui donne aujourd’hui, car nul, même les plus réactionnaires, n’aurait alors voulu assumer le mépris du peuple véhiculé aujourd’hui par ce terme.

Alors, que penser de cette « gauche » élitaire qui cautionne un tel usage, et qui prête au peuple des sentiments xénophobes et racistes, discréditant  toute « attitude politique se réclamant de lui, de ses aspirations profondes, de sa défense contre les divers torts qui lui sont faits ». Sous prétexte de dénoncer une démagogie fondée sur une rhétorique du peuple et exploitant les sentiments racistes et antidémocratiques, on range pêle-mêle sous le terme de populisme ou de « néo-populisme » aussi bien les partis antifiscaux qui ont fleuri en Scandinavie, que le « national-populisme » de Jean-Marie Le Pen ou celui de Jörg Haider, les régionalismes sécessionnistes de la Ligue du Nord en Italie ou le Vlaams Blok dans les Flandres, le « populisme médiatique » de Silvio Berlusconi, et j’en passe.

Autant il convient de dénoncer ces mouvements fascisants, que l’on pourra qualifier de démagogiques, corporatistes, réactionnaires ou poujadistes, autant il est indispensable de dénoncer leur prétention à incarner les aspirations du peuple et ses intérêts de classe, autant il est urgent de traquer et de dénoncer les usages du mot populisme qui voudraient faire accroire que le peuple a partie liée avec de tels mouvements , ce qui reviendrait à accréditer l’idée absurde que le peuple aurait troqué ses idéaux émancipateurs contre un misérable repli identitaire, intolérant et xénophobe.

Décidément les élites autoproclamées, de droite ou de gauche, qui ne supportent aucune mise en cause du système qui assure leur hégémonie, et qui traitent de populistes tous ceux qui critiquent le système et ses représentants, au nom du peuple, ne parviendront pas faire admettre que l’on puisse mépriser le peuple, au nom de la démocratie !

(1) Je me suis borné à la consultation des dictionnaires de référence les plus courants et les plus accessibles.

Michel Sérac, dans son Petit lexique du mensonge médiatique ordinaire, in Informations Ouvrières n°177, (du 1er au 7 décembre 2011), attaque le mot "'populisme" sous l'angle du non au référendum sur le projet de constitution européenne de 2005 : 

" Populisme : terme récent du jargon médiatique, répondant à un problème épineux apparu en 2005. La plupart des partis attachés au régime, Sarkozy et Hollande côte à côte, ayant appelé à voter oui à l'Union européenne, la majorité du peuple a osé voter non. Or, l'élite du régime, instruite des besoins des marchés financiers, ne peut avoir tort ; il s'ensuit que le peuple pense mal. On appelle donc populisme l'attachement des classes inférieures à des intérêts désuets : conventions collectives, Sécurité sociale de 1945, statuts, etc. Ce terme permet d'amalgamer habilement le mouvement ouvrier indépendant et l'extrême droite, fourrés dans le même sac puisqu'hostiles à l'Union européenne".

Racisme (et "racialisme") :

Lorsqu’on perd le sens d’un mot, il arrive qu’on en invente un nouveau, plus précis ou plus technique en apparence, mais plus pédant en réalité, sans avoir conscience que le premier exprimait déjà, et mieux, tout ce que le second est supposé apporter. Ainsi du néologisme « racialisme », censé compléter le mot racisme, mais qui n’en est en fait que le doublet, aussi inélégant qu’inutile. Le « racialisme », nous explique-t-on, est la doctrine qui tient pour légitime l’usage du concept de race et qui lui reconnaît une valeur explicative. Ce serait un racisme « théorique », distinct du racisme ordinaire, qui désignerait seulement les attitudes de mépris ou d’exclusion à l’égard des personnes d’autres races. Or, le seul fait de le dire rend l’absurdité du dédoublement manifeste, car parler d’autres races, et de la manière de les traiter, c’est présupposer la légitimité du concept, et sa pertinence. Le « racialisme » est donc compris dans le racisme. Le raciste le plus trivial justifiera ses attitudes par la conviction qu’il y a différentes races, auxquelles correspondent des comportements spécifiques. C’est cela, le racisme, et  le raciste, c’est d’abord "celui qui croit aux races". C’est donc cette croyance qu’il convient d’éradiquer en en montrant l’insanité théorique. Au lieu de cela, on invente un nouveau mot qui occulte la relation entre la cause et l’effet et pire, qui laisse entendre qu’il y aurait différentes variétés de racisme, dont certaines seraient peut être plus tolérables puisqu’elles n’engagent que la théorie. Le « racialisme » pourrait alors être une manière, pour le racisme, de s’exonérer des pratiques les plus honteuses pour se réfugier dans les hautes sphères de la pensée, où comme on sait, tout se discute. Il pourrait alors, pourquoi pas, réensemencer le terreau du racisme. Il ne faut donc jamais oublier que le racisme a une double face, théorique et pratique, et qu’il faut jeter les deux ensemble si l’on veut s’en débarrasser vraiment. Voilà pourquoi le terme « racialisme » n’est pas seulement ridicule et inutile ; il est dangereux. C'est un mot piégé..

Réforme :

Le mot "réforme" est un bon exemple de "déplacement contextuel"

Ce terme est depuis toujours utilisé par les partis ouvriers pour désigner les changements conformes à leurs intérêts de classe, par suite les conquêtes arrachées à la classe bourgeoise dominante. Or ce même terme est aujourd'hui utilisé par ladite classe dominante pour justifier des changements réalisés à son seul profit et au préjudice de la classe ouvrière. Il est à remarquer que les changements que les capitalistes cherchent en premier lieu à imposer sont ceux qui annulent les conquêtes antérieures de la classe ouvrières. Dans ce cas, on les appellera des contre-réformes. Le problème de cette expression est qu'elle contient encore le mot réforme, donc conserve quelque chose de sa connotation positive. J'avais proposé le néologisme "rétroréforme" pour suggérer ce que ces réformes pouvaient avoir de rétrograde. Je proposerais plutôt à présent le néologisme "régréforme", qui associerait au mot réforme l'idée de régression (regrettable).

On vient de me proposer un terme qui n'a pas l'inconvénient du néologisme, ou qui ne l'est que par l'usage : le mot "déforme" (le verbe déformer substantivé). Pourquoi pas ?

J'ai parlé de "changement contextuel" parce que le mot réforme ne change pas de sens: il désigne toujours des changements favorables, bénéfiques. Sa connotation reste donc positive. Mais ce qui change tout, c'est que dans un cas, les changements sont favorables à la classe ouvrière, dans le second ils sont favorables à la classe dominante. Voilà toute la différence, et elle est essentielle.

Le danger consiste à ne retenir que la définition générale du mot et sa connotation, en négligeant le contexte de son utilisation.

L'actualité a donné une importance particulière à ce terme de réforme, auquel un article entier avait été déjà consacré. On trouvera par ailleurs une critique pertinente de l'usage du mot réforme sur le blog de Thierry Philip : "Ne nous laissons pas piéger par les mots".

Union européenne :

S'il est une expression piégée, c'est bien celle-là, et avant toute discussion sur les vices ou les vertus de l'U.E, sur l'intérêt qu'il y aurait à l'élargir, à s'y maintenir, ou à la quitter, il est indispensable de dénoncer la tromperie car, en vérité, l'union européenne n'est pas une union, et elle n'est pas européenne !

1) Ce n'est pas une union, parce qu'union suppose consentement et volonté commune. Or, aux peuples qu'on prétend unir sous la bannière de l'Europe, on n'a pas demandé leur avis, et lorqu'on le leur a demandé, ils ont dit non. La prétendue "communauté européenne" était déjà une communauté forcée ; a fortiori "L'union européenne, imposée par la ruse et la contrainte. Elle est donc vaine et illégitime. On parle des États-Unis d'Europe comme l'équivalant des États-Unis d'Amérique, mais on feint alors d'ignorer que les États-Unis d'Amérique ne sont pas une union d'Etats, mais un État nation.

2) L'Union européenne n'est pas européenne, parce que l'espace qu'elle définit n'est pas politique, mais économique et financier. Le drapeau européen est au territoire de l'Europe ce que le pavillon panaméen est au territoire du Panama, un drapeau de complaisance pour la circulation des capitaux. Il serait aussi stupide de prétendre que les capitaux qui circulent en Europe, ou les entreprises qui y sont établies sont européens, que de croire que les navires qui circulent sous pavillon panaméen appartiennent au Panama. Il serait tout aussi aussi naïf de croire que l'espace Schengen peut définir une citoyenneté européenne car il y a une différence essentielle entre l'Europe véritable, forgée par l'Histoire et la culture, et l'Union européenne. La première est une Europe des peuples, la seconde est un espace désincarné, non pas un espace d'intégration, mais un espace de désintégration des peuples et des nations. Comment imaginer qu'un principe comme le "principe de concurrence libre et non faussée", ou une directive comme la directive Bolkenstein (quelle que soit la version) puisse fonder une quelconque cohésion ou une quelconque citoyenneté européenne ?

Lorsque nous demandons une rupture avec l'Union européenne, ce n'est donc pas en vertu d'un nationalisme invétéré, c'est au nom de l'Europe : et ce n'est pas une autre Europe que nous demandons (Cf. article autre dans le présent glossaire), c'est la seule Europe qui soit, c'est-à dire l'union libre des peuples libres d'Europe.

Utopie : 

On qualifie d'utopique ce qu'on tient pour chimérique, illusoire, irréalisable : par exemple des services publics efficaces, un État économe des deniers publics, un impôt juste… Je ne parlerai pas de « commerce équitable », ni de « développement durable », encore moins « d’Europe sociale », aspirations qui comme chacun peut le voir et l’entendre, n’ont rien d’utopique, puisqu’aussi bien ce sont des réalités naissantes! A présent que l’heure de la « rationalité économique » et du « pragmatisme » a heureusement sonné, en même temps que « la mort des idéologies » on  est enfin débarrassé des ces utopies qui ont rempli les charniers du XXème siècle  (je ne  vous ferai pas l'injure de les énumérer). Nicolas Sarkozy n’a-t-il pas clamé, d’entrée de jeu, qu’il fallait « en finir avec mai 1968 », grand réservoir d’utopies. Bref, on voit à quel point le mot « utopie », (comme d’ailleurs le mot "idéologie", et la plupart des mots piégés) est à géométrie variable et prompt à changer de camp.

Il n’est pourtant pas aussi assuré que l’on puisse ainsi congédier l'étymologie du mot et son histoire, ignorer par exemple que  "utopie" signifie étymologiquement « d'aucun lieu », et que le mot a été créé, au XVIème siècle par Thomas More, pour brosser le tableau d'une société idéale. Dire que ce qui, aujourd'hui est utopique, ne trouvera jamais un commencement de réalisation, relève de l'interprétation et d'une conclusion hâtive. On ne saurait faire l’économie d’une réflexion sur le possible et l'impossible, sur les conditions et la légitimité de leur détermination a priori, ce qui certes oblige à remettre en cause la définition consacrée par l'usage actuel, mais ouvre en revanche sur une réflexion riche et féconde. Qui peut assurer que l’utopie d’aujourd’hui ne nourrira pas la réalité de demain, et qu’il ne faut pas « vouloir l’impossible pour réaliser tout le possible »? Impossible une société sans classes ; impossible un travail non aliéné ; impossible un monde débarrassé de l’exploitation capitaliste ? Pourquoi voudrait-on nous faire admettre que ces questions ne restent pas ouvertes ?

Enregistrer un commentaire

Retour au site