La gauche coupée des classes populaires

L'analyse des inégalités et de l'insécurité sociales dans lesquelles Bernard Tepper, secrétaire national de l'UFAl voit les causes de la rupture entre la "gauche gouvernementale" et les classes populaires mérite qu'on s'y arrête, que l'on partage ou non les solutions qu'il voit dans les "pistes alternatives" du mouvement social et associatif.

Bernard Berthelot.  

ANALYSER LA RÉPARTITION DES REVENUS POUR COMPRENDRE LE MALENTENDU ENTRE LA GAUCHE ET LES COUCHES POPULAIRES

Par Bernard Teper

Jeudi 11 juin 2009

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La gauche doit principalement s’appuyer sur les couches populaires. Or, les couches populaires n’ont pas confiance en la gauche. Pourquoi ?

Il suffit pour cela de se remémorer les politiques des gauches gouvernementales dans la période turbocapitaliste (environ les trente dernières années)

La droite fait pire. Soit ! Mais cet argument est-il suffisant ?

Les gauches gouvernementales ont fait leur le Consensus de Washington de 1979 qui engageait le démantèlement de l’Etat social sur toute la planète.

Pour la France, tournant libéral de 1983 ouvrant la période de diminution forte de la part des revenus du travail et des cotisations sociales dans la valeur ajoutée(9,3 points de PIB de moins en 25 ans entre 1982 et 2007, soit 170 milliards d’euros par an en euros 2007), démarrage des franchises avec le forfait hospitalier, généralisation du secteur privé dans l’hôpital public, accentuation des politiques néolibérales avec l’Acte unique européen, suppression des circulaires laïques de janvier 1937 de Jean Zay du Front populaire par l’article 10 de la loi du 10 juillet 1989, dite loi d’orientation scolaire, transformation du Code de la mutualité solidaire en code assurantiel en 2001, deuxième loi sur les 35 heures qui font baisser les salaires de millions de personnes des couches populaires (ouvriers et employés), CMU en lieu et place de l’accès aux soins partout et pour tous, gouvernement Jospin de la gauche plurielle, champion toutes catégories des privatisations, parti socialiste se parjurant en aidant la droite sarkoziste à refuser un référendum sur le traité de Lisbonne, parti socialiste français allié en Europe avec les partis socialistes gouvernant avec la droite dans leurs pays et soutenant monsieur Barroso à la présidence de la Commission européenne, les « socialistes » Pascal Lamy et Dominique Strauss-Kahn, respectivement président de l’Organisation mondiale du commerce(OMC) et du Fonds monétaire international(FMI), désignés par les droites néolibérales mondiales pour aller dans le sens des politiques anti-sociales et réactionnaires, etc.

Et puis la droite revenant au pouvoir en 2002 a bien sûr accentué cette politique néolibérale et anti-sociale.

Nous allons bientôt voir d’ailleurs comment le parti socialiste va réagir sur la proposition du MEDEF de diminuer, voire de supprimer, les cotisations patronales dans le financement de la politique familiale (plus de 30 milliards d’euros !) reprise par Nicolas Sarkozy alors que le parti socialiste est pour la fiscalisation des recettes de la protection sociale !

Lisez les programmes électoraux de la gauche. N’éprouvez-vous pas une gêne en lisant les programmes du PS, des Verts mais pas seulement? Vous voyez bien que ces programmes, à quelques exceptions près, ne parlent qu’aux couches moyennes. Même quand ils parlent des pauvres, c’est écrit pour donner bonne conscience aux couches moyennes avec la charité en lieu et place de la solidarité.

Et pourtant, l’INSEE estime que les couches populaires (ouvriers, employés) représentent la moitié des ménages. On est loin des discours sur la condition ouvrière qui aurait disparu ! On va le voir ci-dessous.

Et puis le débat sur les revenus est tabou y compris à gauche.

Si l’on interroge les 20 % des personnes qui disposent des plus hauts revenus, elles sont 79 % à se considérer comme membres des couches moyennes et 29 % à se considérer comme des couches moyennes inférieures ! On croît rêver !

La moitié de la population vit avec moins de 1 510 euros après impôts. 54 % des contribuables paient l’impôt sur le revenu. En 8 ans , les ménages vivant avec des revenus entre 1 100 euros et 2600 euros avant impôts ont vu leurs émoluments augmenter de 14 % alors que les hauts revenus ont augmenté de 27 %.

Les dépenses contraintes (logement, eau, chauffage, etc.) ont terriblement augmenté : 21 % en 1979, 38 % aujourd’hui.

Regardons ce tableau réalisé par le CREDOC en 2006 sur les données INSEE (cela a plutôt empiré depuis !) :

Avec ces renseignements, veuillez m’expliquer pourquoi que le peu dont bénéficient les couches populaires provient de la gauche du Conseil national de la Résistance et non de la gauche gouvernementale actuelle ? Pourquoi la gauche gouvernementale a-t-elle laissé progresser autant les dépenses contraintes ? Pourquoi est-ce avec des gouvernements de gauche qu’a démarré la chute de la part des revenus du travail et des cotisations sociales dans la valeur ajoutée ? Pourquoi la gauche gouvernementale n’a fait que la CMU et qu’aujourd’hui 19 % de la population au-dessus du plafond de la CMU font de la renonciation de soins pour cause financière ? (Il est à noter que ce chiffre est supérieur au nombre de personnes qui n’ont pas de complémentaire santé : c’est dire que certaines complémentaires santé sont notoirement insuffisantes pour le moins).

Rajouter à cela le processus de marchandisation et de privatisation des services publics où il faut prendre le microscope électronique pour voir la différence entre la droite gouvernementale et la gauche gouvernementale en exercice.

Rajouter à cela le communautarisme social qui ghettoïse de plus en plus en fonction des revenus par une ségrégation spatiale inédite ce qui fait que les couches moyennes ne voient pas la misère et la pauvreté se développer. Sans oublier la sous-traitance au communautarisme ethnique et religieux de la question sociale !

Ecoutez certains militants dire que 30 % des personnes seules gagnent moins de 1 163 euros après impôts et prestation sociales mais avant logement : ne sentez-vous pas une gêne ? Bien sûr pour les couches moyennes, l’accueil des jeunes enfants est un problème mais pas au niveau de ce que rencontrent les couches populaires.

Alors, n’êtes-vous pas conquis par la nécessité de participer à la grande campagne d’éducation populaire tournée vers l’action menée dans le mouvement social (syndicats de salariés, associations, mutuelles résistantes) d’abord pour critiquer cela et de « crier » à l’intolérable ?

Ne pensez-vous pas qu’il est nécessaire dans le cadre de cette même campagne d’éducation populaire tourné vers l’action de débattre sur les pistes alternatives à ce système terriblement injuste ?

Nous vous proposons de le faire dans le cadre de principes internationalistes et non arqués sur un nationalisme étroit (nous sommes républicains et non souverainistes).

Nous vous proposons de le faire dans une démarche émancipatrice ce qui demande d’avancer avec des principes universels partout et pour tous et non avec des nouveaux droits par catégories (nous sommes pour la solidarité, la fraternité et l’égalité et non pour la charité, l’équité, la sélection par le risque maladie et l’apartheid social existant aujourd’hui).

Nous vous proposons de le faire dans le cadre qui allie l’autonomie individuelle et les démarches collectives altruistes (nous sommes pour le couple laïcité-liberté et le vivre ensemble dans la mixité sociale et non pour le communautarisme, le relativisme culturel, la discrimination positive et la ségrégation spatiale de l’habitat) ;

Nous vous proposons de le faire dans un cadre qui refuse les reculs démocratiques que nous vivons actuellement, qui n’accepte pas la montée des insécurités sociales mais qui propose la souveraineté populaire comme moyen unique pour avancer.

Si tout cela vous fait peur, passez votre chemin !

Si vous êtes intéressés, n’hésitez pas à vous arrêter sur notre case.

par Bernard Teper

Secrétaire national de l'UFAL

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