Innover avec les TIC à La Réunion

Les TIC sont par nature un domaine transversal aux autres domaines thématiques tels que l'agro-alimentaire, le tourisme, l'énergie-environnement, l'éducation, etc. Ils constituent les secteurs d'activités clés du développement durable à La Réunion dans le cadre de son projet "Ile verte". L'école d'ingénieurs ESIROI avec son département sur les Services des Télécommunications, de l'Informatique et du Multimédia (STIM) développe des compétences technologiques qui permettront de valoriser les autres domaines par une convergence domaine+TIC au sein de la Stratégie Réunionnaise de l'Innovation.

Cette stratégie ne doit pas consister à diviser, découper, sectoriser les domaines géographiquement pour rationaliser uniquement la politique d'investissement de la recherche et de la formation. Sous prétexte d'économie de moyens et de contrôle des dépenses de l'Etat, cette visée est peut être nécessaire d'un point de vue comptable, mais il ne s'agit alors pas d'une vision inter-disciplinaire innovante avec les TIC comme support de développement d'un territoire ! Certes, par ubiquité, les TIC irriguent toute La Réunion. Mais les individus, qu'ils soient chercheurs, entrepreneurs, ou usagers, sont ancrés dans des zones particulières du territoire, TechSud à Saint-Pierre et TechNord à Saint-Denis, qui regroupent les compétences en recherche et technologies pour innover.

Le Schéma Directeur Immobilier d'Aménagement de l'université doit tenir compte de cette contingence géographique pour innover avec les TIC à La Réunion. Comment véritablement impulser l'esprit de créativité d'une école d'ingénieurs en TIC que l'on souhaite développer avec les jeunes si les professionnels de ces domaines d'activité à La Réunion ne sont pas regroupés à proximité ? Ainsi, le projet de SDIA de l'UR est remis en cause par l'association réunionnaise des TIC pour cette raison de rapprochement des acteurs professionnels avec l'ESIROI-STIM : Le Tampon n'est pas le lieu le mieux adapté pour une fertilisation croisée entre la recherche, la formation et les entreprises.

Néanmoins, la proximité ne suffit pas pour innover. Il faut avoir envie ! On ne peut pas innover sous la contrainte de la survie, ni dans l'indifférence du milieu. Entre Recherche et Innovation, il faut créer les conditions d'un terreau propice au désir d'entreprendre. Ceci pour faire émerger des projets de développement qui accompagnent le processus d'insémination d'idées à l'université, puis d'incubation de produits/services qui sont la suite logique de la mise en œuvre de ces idées sur le terrain de l'innovation avec des entreprises innovantes.

Mais il existe aussi une autre raison pour innover, plus fondamentale, celle de tenir compte des usagers qui innovent dans leur domaine d'activités et dans leur propre intérêt !

En effet, des études ont montré que ce sont les consommateurs qui innovent principalement avec leurs idées fondées sur les usages des technologies. Les consommateurs passent deux fois plus de temps que les entreprises à tester des idées qui leur sont propres. Les entreprises exploitent ensuite les développements des consommateurs, une fois que ceux-ci sont réifiés. A l'origine, ce sont donc bien les usagers-consommateurs qui sont les principaux déclencheurs de l'innovation. Pourquoi alors ne pas les accompagner dans ce processus créatif ? Pourquoi ces consommateurs pilotes n'existeraient pas à La Réunion notamment parmi les jeunes étudiants de l'université ?

Dans la société des connaissances, il faut veiller à cultiver les talents dont on dispose sur son territoire, à commencer par sa jeunesse que l'on nomme la génération Y, celle qui est née avec Internet ... Sans cette richesse, ce gisement de matière grise à valoriser, ces individus que l'on doit accompagner avec soin, l'entreprise ne dispose plus que de ses ordinateurs et de ses câbles, les idées et connaissances étant à la maison où chez le concurrent plus innovant, celui qui a compris la valeur immatérielle des connaissances. Et dans ce monde des usages immatériels, ce n'est pas le brevet qui fait la différence compétitive, mais c'est la rapidité de mise en œuvre des idées sur son marché.

Le rôle de l'université dans ce nouveau contexte est donc fondamental pour cultiver cette richesse humaine, la curiosité qu'elle porte sur les usages des TIC sont le moyen d'impulser une dynamique d'innovation avec les gens. C'est le principe fondateur des Living Labs.

Pour innover avec les TIC, on doit donc placer les usagers dans de bonnes conditions de développement avec des lieux de rencontre adaptés pour qu'ils expriment leur créativité. Si l'université de La Réunion souhaite construire un avenir avec eux en leur permettant de s'exprimer, et non pas seulement pour eux en leur disant ce qu'il faut faire, elle doit leur offrir un plateau de créativité pour faire germer leurs idées. Le plateau de créativité mise sur les 3 piliers stratégiques que sont la gestion de la matière, de l'énergie ET de l'information. On a trop tendance à oublier ce dernier pilier qui est pourtant fondamental pour décloisonner les consciences individuelles et libérer les énergies.

A l'heure d'Internet, la circulation et le partage de l'information est le premier vecteur permettant l'implication et la motivation des personnes pour trouver des solutions à leurs problèmes. Ces dernières ont souvent aussi une répercussion plus globale sous la forme d'un concept, puis un produit exportable. D'où l'impératif d'avoir des lieux de convergence physique et virtuel pour faire se rencontrer les énergies, celles des chercheurs, entrepreneurs et usagers autour de projets de RDI (Recherche, Développement, Innovation) à développer ensemble. Ces lieux de rencontre s'appellent des Living Labs en Europe et ils se multiplient partout dans le monde car ils permettent de faire descendre la recherche dans la rue, c'est-à-dire d'innover en Partenariat Public-Privé avec les gens-People (4P).

Les Living Labs permettent donc d'ouvrir le processus d'innovation avec les individus qui ont des idées. Ils amènent une dimension supplémentaire aux clusters qui focalisent la synergie entre les milieux de l'entreprise, de la recherche et de la formation, tout en oubliant les usagers et ceux qui les observent (les sociologues). Nous sommes ainsi passés d'une vision industrielle sur la gestion techno-centrée de la matière et de l'énergie à une vision post-industrielle sur la gestion des signes centrée sur les usages de l'information, de la matière et de l'énergie.

Au XXI siècle, l'information est devenue aussi, sinon plus importante que la matière et l'énergie comme source pour innover avec les gens, c'est-à-dire démocratiser l'innovation avec les TIC. Ainsi depuis l'avènement du Web 2.0, les citoyens sont en immersion dans les réseaux sociaux, les jeux vidéos, la réalité augmentée. Personne ne peut le nier aujourd'hui ... Et cela va tellement vite que les brevets n'ont plus leur place dans ce contexte d'obsolescence rapide des innovations !

Car avec le Web immersif et ubiquitaire de demain (Web en 3D), l'objectif ne sera pas seulement de proposer à nos étudiants de rêver de manière virtuelle sans que leur imaginaire puisse se projeter dans le réel pour faire émerger des e-services qui comptent pour eux dans la vraie vie. Il faut partir de ces jeunes gens qui ont des idées et nous autres chercheurs, les accompagner dans leur entreprise d'idéation, conception, réalisation et validation d'outils utiles pour eux et donc pour la communauté, voire la société. Ce processus d'innovation ascendante, ouverte, centré utilisateurs, itératif est un défi pour La Réunion et pour son université.

La SRI doit donc en premier lieu miser sur la communication entre ces trois piliers. La gestion de l'information permet d'instaurer la confiance entre les individus pour construire des produits / services qui répondent à des besoins réunionnais, à ceux des jeunes créatifs en particulier. Par la rencontre avec ces gens, étudiants, utilisateurs pilotes, on insémine des idées qui deviennent de manière itérative des concepts, puis des maquettes, puis des prototypes.

Mais sans lieu de rencontre, pas d'échange possible, pas d'insémination, donc pas d'innovation au final, qu'elle soit de rupture (nouveau concept) ou d'adaptation (nouvelle application d'un concept).

En conclusion, les usagers étudiants ne doivent pas être oubliés dans la politique menée par notre établissement, alors qu'ils constituent avec leur diversité culturelle une force réelle concentrée sur un petit territoire. Il faut redonner la main à ces jeunes qui sont porteurs de l'avenir dans un monde en crise, et les accompagner, car ils ne sont pas uniquement appelés à devenir des consommateurs de ce qui se fait ailleurs.

Les TIC ont besoin d'une stratégie locale qui puisse s'exporter globalement sur les réseaux. Cette stratégie de Recherche et Innovation doit être au service d'un Développement Durable de notre île afin que celle-ci puisse donner un exemple de résolution de défis à l'échelle planétaire que nous pourrions préfigurer en intégrant les trois types d'innovation : économique, sociale et environnementale.