Yann Rossi (Rossyann's)

Version française de l'article original publié dans le magazine suisse alémanique Manege 6/2009

Article en allemand

Musique et humour: entretien avec Yann Rossi

Depuis plusieurs années, les clowns musicaux Rossyann se produisent dans les plus prestigieux cirques d'Europe. Derrière ce nom se cachent les deux frères Hector (l'auguste) et Yann Rossi (le clown blanc). Celui-ci nous a accordé une interview lors du passage du cirque Knie à Genève en 2009.

Les Rossyann's: Yann et Hector Rossi. Photo: Rossyann.com

FB: Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l'histoire de la dynastie de cirque Rossi?

Yann Rossi: la famille Rossi est d'origine italienne. Nous sommes originaires de San Damiano d'Asti, dans le Piémont. Mon père a pu remonter jusqu'en 1732. En 1732, l'un de nos aïeux était bouffon à la cour du roi de France, Louis XV. Plus près de nous, mon arrière grand-père avait un cirque en Italie du Nord. Il était maître écuyer. Mon grand-père était aussi écuyer, acrobate à cheval et acrobate au sol. Et puis, dans les années 20, il a commencé à produire des numéros de clown avec ses frères, parce qu'à 35-40 ans, un acrobate doit se reconvertir. Donc, depuis le début du siècle, nous sommes clowns. Notre papa a eu la chance de suivre les cours du conservatoire de musique à Nice; donc, il nous a appris la musique, à mon frère et à moi, et c'est pour cela que nous nous sommes spécialisés dans les entrées musicales.

FB: Est-ce que c'était imaginable pour vous, quand on vient d'une grande dynastie de cirque, de faire autre chose que du cirque?

YR: Nos parents nous ont demandé à mon frère et à moi si nous voulions travailler dans le cirque ou éventuellement continuer les études et choisir un métier différent. Dans mon cas, la décision a vite été prise: j'ai continué l'école jusqu'à 17 ans mais après, ça m'ennuyait. J'ai donc continué le cirque: acrobatie, jonglage, équilibrisme (ma mère est une Caroli: nous sommes donc aussi une famille d'acrobates). Et bien sûr clown.

FB: Avez-vous tout de suite choisi le rôle de clown blanc?

YR: Oh non. J'ai commencé à 71/2 ans en tant qu'auguste, un peu pour m'amuser au départ, parce que j'aimais bien faire ce que faisaient mes parents. Mais à l'age de 13-14 ans, je n'aimais pas ce rôle, parce que je n'étais pas assez comique. Plus tard, vers 17 ans, mes parents ont décidé d'essayer de m'initier à être clown blanc. Et ça m'a plu, mais pas tout de suite parce que c'est un rôle très difficile, qui demande beaucoup d'expérience. Mais dès les premières années, j'ai senti que c'était plus pour moi que d'être auguste. Mais ce qui est paradoxal, c'est que maintenant, à 42 ans, j'aimerais bien faire l'auguste.

FB: Quelles sont les qualités principales nécessaires pour être un bon clown blanc?

YR: C'est une question difficile. Je dirais que d'abord, c'est la discipline. Personne n'est parfait mais un clown blanc doit donner l'image de la perfection. Etre bien maquillé, avoir de beaux costumes, avoir une gestuelle soignée. Ensuite, il faut avoir de l'expérience pour épauler son partenaire. On peut s'improviser auguste, mais clown, c'est vraiment spécifique. Un mauvais auguste avec un très bon clown, ça va passer; par contre, le contraire ne passe pas. Ca, ça vient avec l'expérience. Et enfin, si on fait de la musique en tant que clown, il faut être un bon musicien.

FB: A la base, il faut avoir un certain charisme…

YR: Tout à fait. Il faut un charisme, une personnalité. Il faut aussi avoir un visage qui se prête bien au maquillage de clown blanc, et une certaine carrure physique. Si on regarde Alexis Gruss, c'est quelqu'un qui a beaucoup de charisme, une grande personnalité. Quand il entre en piste en clown blanc, la piste est pleine. C'était la même chose pour Pipo Sosman. Mon père me disait que quand il entrait dans la piste de Médrano ou du Cirque d'Hiver, il n'y avait plus de place pour les autres. Voilà. C'est ce qu'il faut pour être un bon clown, et c'est pour ça qu'il y en a très peu de bons.

FB: Vous êtes-vous inspirés d'autres clowns blancs, de modèles?

YR: Oui. On s'inspire tous de quelques autres clowns, puis, à partir de cela, on travaille son propre personnage, sa propre voix. Bruno Chicky, des Chicky's, s'est inspiré de René Rivel. Pipo junior, de son père. Mon maquillage est celui de mon grand-père que je n'ai pas connu mais dont j'ai vu des photos. Ensuite, Francesco Caroli m'a beaucoup appris grâce à son expérience. J'ai eu l'honneur de travailler avec lui chez Roncalli en 2000 et 2001. On a une relation étroite, aussi parce que c'est un cousin de ma mère.

FB: Avez-vous appris la musique au conservatoire comme votre père?

YR: Non. Mon frère et moi, on n'a pas eu cette chance. Si mon père a pu suivre le conservatoire, c'est parce que mon grand-père allait en tournée en Europe, avec son numéro d'acrobate et de clown, et que lui restait à la maison avec sa mère. A l'époque, ils habitaient à Cagnes-sur-Mer, à côté de Nice, ou il fréquentait l'école "normale" et le conservatoire (pour violon et trompette). C'est notre père qui nous a appris la musique. Ensuite, je me suis perfectionné avec des professeurs occasionnels en Belgique, en France, en Allemagne. Ils sont devenus des amis. D'ailleurs, il y en a un à Genève: Jean-Claude Geiser. Pendant 30 ans, il a été trompettiste soliste à l'Orchestre de la Suisse romande. On s'est connu quand on travaillait au cirque Nock il y a 15 ans. Il a proposé de me donner des cours de trompette parce que j'avais quelques problèmes.

FB: Avec votre frère, de combien d'instruments pouvez-vous jouer?

YR: Il y a 10 ans, nous jouions de plus de 20 instruments et nos entrées duraient 20 minutes. Aujourd'hui, elles durent de 9 à 10 minutes. En effet, les goûts du public ont changé et on a du s'adapter: après 10 minutes, il commence à s'ennuyer, comme nous devant la télévision. Donc on joue aussi de moins d'instruments dans nos entrées.

FB: Vos entrées sont-elles des créations ou des reprises de numéros classiques?

YR: En ce qui concerne les entrées musicales, il y a une part de création. Pour les entrées parodiques, ce sont des entrées classiques. Mais chacun les remet à la page. Par exemple, parallèlement aux entrées musicales (sauf cette année), on joue l'entrée des assiettes que faisait notamment le clown suisse Pio Nock. Mais on les reprend à notre manière, on les adapte.

FB: Vous avez travaillé dans de nombreux pays, et en de nombreuses langues …

YR: Tout à fait. On a travaillé dans toute l'Europe déjà, sauf le Portugal. Nous nous sommes aussi produits en Israël et en Russie. L'année passée, nous étions en Roumanie. Nous avons travaillé dans tous les pays scandinaves: Suède, Danemark, Finlande. Chaque fois, il faut s'adapter. La base du numéro reste la même mais les dialogues sont traduits. Il faut donc travailler avec des traducteurs et adapter les textes parce que l'humour n'est pas le même et souvent ne peut pas se traduire mot à mot. Il faut un mois ou deux pour pouvoir tout dire par cœur.

FB: Avez-vous déjà travaillé aux Etats-Unis?

YR: Pas encore, mais c'est un projet et un petit rêve. On a déjà eu plusieurs fois des contacts avec le cirque Barnum, mon père dans les années 80, nous-mêmes il y a 3 ans. Mais cela n'a pas abouti. Produire un numéro de clown traditionnel aux Etats-Unis, ce serait très intéressant parce que là-bas, le clown blanc comme on le connaît ici n'existe pas. Les clowns que l'on voit chez Barnum, ce sont des clowns de parade, qui agissent par groupe de 10 ou 15, dans des pantomimes. Mais ce serait un grand challenge, pour Barnum et pour nous, financièrement et au niveau de notre carrière. Mais ça engendre des problèmes d'organisation: il faut déplacer toute la famille, se loger, trouver une solution pour la scolarisation de nos enfants. Mais l'intérêt est là.

FB: Vous vous êtes produits dans des endroits prestigieux, parfois avec des gens célèbres. Pouvez-vous évoquer pour nous quelques moments forts?

YR: Nous avons eu la chance de travailler 3 ans au Cirque d'Hiver Bouglione. C'est le joyau des cirques. Le plus beau cirque du monde, grâce au lieu et à son histoire. La première fois que je suis entré dans la piste du Cirque d'Hiver, j'ai eu des frissons, parce qu'on a la sensation que ce lieu est habité par des grandes personnalités du spectacle et du cirque. Travailler chez Knie, c'est évidemment phénoménal, parce que c'est l'aboutissement d'une carrière. Knie et Roncalli, ce sont les deux plus prestigieux cirques itinérants d'Europe.

Concernant les personnalités, ce fut un honneur de travailler avec Francesco Caroli chez Roncalli. J'ai aussi bien connu Alexis Gruss senior, parce que je jouais dans sa caravane quand j'étais petit... On a aussi eu la chance de jouer au Cirque d'Hiver avec le comédien Michel Serrault et de jouer notre spectacle au château de la famille Rothschild dans les années nonante.

FB: Vous avez mentionné le cirque Knie; y a-t-il un élément chez Knie qu'on ne trouve pas ailleurs?

YR: Le grand professionnalisme. Tout est impeccable, minuté, étudié; il faut dire qu'on est en Suisse! Ma femme est Suisse, donc je sais de quoi je parle [Yann Rossi a rencontré sa femme, qui vient de l'Oberland zurichois, lors de l'une des tournées des Rossyann au cirque Nock]. Des cirques aussi parfaits, il n'y en a pas beaucoup. On va dire, il y en a trois en Europe: Knie, Roncalli et Bouglione à Paris, mais qui n'est pas un cirque itinérant. Il est plus difficile d'avoir cette propreté, cette précision dans un cirque itinérant.

FB: Une question plus personnelle pour terminer cette interview: quels sont vos domaines d'intérêt hors du cirque?

YR: J'adore la pêche. J'aime aussi passer du temps avec mes enfants. Et puis, j'aime écouter de la musique. Toutes sortes de musique, du classique au rock en passant par la variété et le jazz.

François Beuret, septembre 2009