Enrico Caroli, M. Loyal

Article paru (en allemand) dans le magazine Circuszeitung de juillet 2016. Lire

Depuis 20 ans, dans son élégant costume rouge et blanc, Enrico Caroli est le M. Loyal du cirque Knie. Il est devenu l’une des figures du cirque national suisse et les spectateurs aiment le retrouver année après année. Ce descendant de deux grandes dynasties de cirque, les Caroli et les Bouglione, nous a accordé un entretien lors du séjour du cirque Knie à Genève en septembre 2015.

Enrico Caroli est le représentant de la 7ème génération de la famille italienne Caroli, célèbre pour ses numéros d’acrobatie équestre. C’est son grand-père, dont il porte d’ailleurs le prénom, qui a opté dans les années trente pour l’acrobatie équestre plutôt que pour l’acrobatie au sol que lui enseignait son père. Bientôt rejoint par ses frères Ernesto et Francesco, il a fondé la troupe Enrico Caroli. D’un trio au début, la troupe a pris de l’ampleur au fur et à mesure de l’agrandissement de la famille, intégrant les enfants, les épouses puis les cousins. La troupe a ainsi compté jusqu’à une dizaine de membres et s’est produite dans les plus grands cirques d’Europe, dont le cirque Knie.

Trio Francesco

Parallèlement, les trois frères Enrico, Ernesto et Francesco connurent le succès dès les années 40 et jusque dans les années 80 en tant que clowns sous le nom de « Trio Francesco ». Une aventure qui avait commencé par hasard : le directeur d’un cirque allemand, dans lequel la troupe était engagée et qui se retrouvait sans numéro de clowns, leur demanda de remplir ce rôle. Ils relevèrent le défi, quoique sans expérience, voyant également là un moyen de compléter leur salaire. Et la réaction positive du public les incita à poursuivre dans cette voie.

Double héritage

Enrico Caroli, le petit-fils d’Enrico, est donc l’héritier de ces deux disciplines, l’acrobatie équestre et l’art clownesque, qu’il a lui aussi pratiquées. Il est le fils de Domenico Caroli et de la trapéziste Sandrine Bouglione (1936-2012), fille de Joseph et Rosa Bouglione. Sa mère a été la doublure de l’actrice Gina Lollobrigida dans le film Trapèze (1956) tourné au Cirque d’Hiver à Paris. Enrico Caroli commence à apprendre l’acrobatie équestre à 7 ou 8 ans, d’abord le week-end et durant les vacances (le reste du temps, Enrico est en pension à Fontenay-sous-Bois, près de Paris), puis davantage dès l’âge de 11 ans quand il commence à rester avec ses parents et à suivre les cours par correspondance. Il participe également parfois aux entrées clownesques du Trio Francesco. Mais sa discipline principale reste l’acrobatie équestre qu’il exerce au sein de la troupe Caroli. Lorsque celle-ci se dissout en 1987, Enrico Caroli connaît quelques années plus difficiles, mais riches en expériences, pendant lesquelles il travaillera, parfois avec son frère Alberto, dans des galas, des night-clubs, des cirques de rue ou même comme cascadeur à cheval au festival médiéval de Carcassonne (Sud de la France).

Le cirque Knie: un rêve

C’est alors qu’il s’y attend le moins et qu’il s’éloigne de plus en plus du cirque que Frédy Knie s’approche d’Enrico car il désire mettre sur pied un numéro d’acrobatie équestre, une discipline que le cirque Knie n’a plus présenté depuis plusieurs années. Enrico effectue ainsi sa première tournée au cirque Knie en 1995. Enrico Caroli réalise ainsi un rêve auquel il ne croyait plus guère. Du cirque Knie, où il assistait enfant aux représentations avec ses parents (la famille Caroli avait une propriété en Suisse), il avait gardé un grand émerveillement et s’était dit « Si un jour, je pouvais travailler ici, ce serait quand même top ! Faire du cirque, autant le faire ici ! » L’année suivante, avec son frère Alberto, ils présentent un nouveau numéro d’acrobatie équestre chez Knie, puis en 1997 un trio avec Géraldine Knie. A la demande de Frédy Knie, ils mettent également sur pied une entrée clownesque (Alberto Caroli en clown blanc, Enrico en auguste). Enrico a toujours beaucoup aimé l’artclownesque et trouve intéressant le fait qu’avec cette discipline, l’apprentissage n’est jamais terminé. Enfant, Enrico aimait écouter son grand-père et ses oncles discuter après leur numéro de ce qui devait être amélioré et essayer de comprendre pourquoi ce qui avait fonctionné la veille avec le public n’avait pas marché aujourd’hui. Après le départ d’Alberto à la fin de la saison 1999 (il a été engagé comme clown blanc au Cirque d’Hiver à Paris), Enrico a continué pendant quelques années à monter des entrées clownesques chez Knie, avec d’autres partenaires comme Orlando Arias et Angelo Munoz. Avec eux, il a même remporté un Clown de bronze au Festival du cirque de Monte-Carlo en 2002. Aujourd’hui encore, dans son costume de M. Loyal, il donne la réplique aux clowns et aux comiques engagés au cirque Knie.

Génération perdue

Selon Enrico Caroli, la disparition des bons clowns « traditionnels » est due à la mode qui a consisté dans les années 80-90 à engager des comiques travaillant seuls et venant des arts de la rue (ex : David Shiner). Le fait qu’ils travaillaient seuls constituait aussi une économie pour les directeurs de cirque. Les autres clowns ont alors souvent été contraints d’arrêter ou de se recycler, ne trouvant plus d’engagements. Et les clowns classiques qui recommencent aujourd’hui n’ont souvent pas assez d’expérience à cause de cette « génération perdue », et on les trouve moins bons. Parmi les bons clowns actuels, Enrico Caroli cite Fumagalli et les Rossyann’s.

Monsieur Loyal

Durant la première saison d’Enrico Caroli au cirque Knie en 1995, Frédy Knie lui a également proposé d’assurer les annonces durant le spectacle, grâce à ses connaissances linguistiques (français, italien, allemand, les langues des régions traversées par le cirque Knie), et parce que ses expériences dans l’art clownesque l’avaient déjà habitué à s’exprimer en public. C’est ainsi qu’Enrico Caroli est devenu le M. Loyal du cirque Knie. Il faut savoir qu’en Suisse, la fonction de M. Loyal est un peu différente que dans d’autres pays car il n’y a plus de textes de présentation entre les numéros, contrairement à la France par exemple. Pour Enrico Caroli, les qualités d’un bon M. Loyal sont avant tout une bonne diction et une bonne maîtrise de la langue (et pour la Suisse, de plusieurs langues). Mais l’expérience joue aussi un grand rôle, lorsqu’il s’agit d’improviser en cas d’incident (panne technique, artiste qui n’arrive pas ou qui s’est blessé au dernier moment, accident), pour garder son sang-froid, trouver les mots justes et rassurer le public. Aux yeux d’Enrico Caroli, le meilleur M. Loyal est le Français Sergio (ancien M. Loyal du Cirque d’Hiver et du Festival de Monte-Carlo), en raison de son charisme, de sa manière de s’exprimer et de son humour.

Autres fonctions

En coulisses, M. Loyal tient aussi le rôle d’assistant du chef de piste, Patrick Rossel. Avec lui, il veille au bon déroulement du spectacle et au maintien de son rythme. Le fait qu’Enrico Caroli ait été lui-même artiste est un atout qui lui permet de savoir ce dont un artiste a besoin, voire de l’anticiper. Avec Patrick Rossel, Enrico Caroli est également chef de salle : c’est à eux de veiller à ce que l’entrée du public sous le chapiteau se déroule bien et à résoudre les éventuels problèmes (par exemple de spectateurs qui se trompent de soir et se retrouvent devant une place déjà occupée !). Enrico fait aussi partie de l’équipe de pompiers du cirque, préparés à intervenir en cas d’incendie dans l’attente de l’arrivée des pompiers professionnels.

D'Amsterdam à Monaco

En hiver, Enrico Caroli est encore régisseur et chef de piste au Cirque-Théâtre Carré d’Amsterdam, au Festival du cirque de Monte-Carlo et au Festival New Generation, et cela depuis une quinzaine d’années. Un emploi du temps bien chargé donc ! Lorsque son travail lui en laisse le temps, Enrico Caroli s’adonne à ses deux principaux loisirs : la collection de montres (en Suisse, Enrico Caroli est bien tombé !) et à la réalisation de tableaux mêlant peinture et collages.

Lors d’une prochaine visite au cirque Knie, nous regarderons désormais d’un autre œil M. Loyal, conscients désormais des diverses fonctions que cela représente et du parcours d’Enrico Caroli.

François Beuret, septembre 2015


Les Caroli chez Knie

Plusieurs autres membres de la famille Caroli ont été de fidèles collaborateurs du cirque Knie, à l'instar de Tino (concepteur des éclairages jusqu'en 2014) et de son frère Stefano (ingénieur du son jusqu'en 2014), ou encore de Micheline Berthier-Caroli, fille du clown blanc Francesco Caroli et épouse d'Alain Berthier, ancien chef du chapiteau.

La Troupe Enrico Caroli dans les années 70. Source: Le Grand livre du cirque

Enrico Caroli en 2010. Photo amicidelcirco.net