Ménageries foraines en Suisse. Le cas de la Ménagerie Franco-Suisse

Façade de la Ménagerie Franco-Suisse. Archives Joël Redhe

Ménageries foraines en Suisse: le cas de la Ménagerie Franco-Suisse

Version longue de l'article paru dans le magazine Passé Simple de mai 2020

A la fin du XIXe et au début du XXe siècle, les ménageries foraines sont à la mode en Europe. Les ménageries Bidel, Pianet, Nouma Hawa, Pezon ou encore Hagenbeck figurent parmi les plus célèbres. Elles se présentent sous la forme d’une tente allongée, à la façade décorée, sous laquelle sont disposés les animaux et les voitures-cages. L’attraction principale est constituée par des numéros de dressage d’animaux sauvages présentés à même les cages. Jusqu’au début du XXe s., ces numéros y sont plus fréquents que dans les cirques qui se limitent au dressage équestre.

Apparues avec les premières colonies et le développement du transport maritime facilitant le commerce d’animaux exotiques, les ménageries foraines offrent à leurs débuts l’occasion au public de découvrir pour la première fois certaines espèces d’animaux et d’admirer la capacité des humains à montrer leur supériorité sur la « sauvagerie animale », selon les termes de l’époque, lors d’exercices de dressage.

Cet intérêt pour les ménageries foraines touche également la Suisse et il n’est pas rare que certaines villes reçoivent au cours d’une année la visite de plusieurs de ces établissements. Ils apprécient particulièrement de s’y installer aux côtés d'autres attractions lors d’événements tels que fêtes foraines, foires du Nouvel An, fêtes de tir, pour profiter de la concentration du public. La majorité des ménageries qui effectuent des tournées en Suisse sont étrangères, françaises et allemandes essentiellement. Parmi celles qui ont séjourné le plus souvent en Suisse, on citera les ménageries françaises Pianet, Nouma Hawa, Salvator, Pezon et la ménagerie allemande Ehlbeck. Les propriétaires de ménageries étrangères semblent apprécier la Suisse, au point que deux d’entre eux, Emile Pianet et Nouma Hawa, ont choisi de s’établir à Genève à leur retraite. Les sources mentionnent toutefois quelques ménageries helvétiques : la Ménagerie Suisse, modeste établissement du dompteur bernois P.-A. Jost, l’éphémère Ménagerie Bolomey, du dompteur vaudois Silas Bolomey, et la Ménagerie Franco-Suisse de la famille Jeannet. Cette dernière est la plus importante et la plus documentée.

La Ménagerie Franco-Suisse a été fondée dans la deuxième moitié du XIXe s. par les frères Fritz et Auguste Jeannet. Nés respectivement en 1857 à Montagny et en 1868 à Lausanne, ce sont les fils du Neuchâtelois établi dans le canton de Vaud Ami Constant Jeannet (1835-1883) (1), marchand forain, et de l’horlogère locloise Hortense Camille von Büren (1838-1916).

La Ménagerie Franco-Suisse est mentionnée pour la première fois en 1888, pour un séjour à Lausanne. On la retrouve à Sion et Aigle l’année suivante. Son attraction est alors la dompteuse suisse Miss Miralda avec cinq fauves. Elle a, selon une annonce, "obtenu d'immenses succès au Palais de Cristal, à Marseille, au Palais de Cristal, à Londres, à l'Alcazar de Béziers" (2). On retrouve ensuite la ménagerie en 1914 à Neuchâtel et Lausanne et en 1916 et 1917 de nouveau à Lausanne. Elle voyageait également, et peut-être principalement, en France, d’où son nom de Ménagerie Franco-Suisse. Des sources la mentionnent dans l’est de la France (Alsace, Franche-Comté) et jusqu’à Lyon et Vienne en Isère (3). Elle se déplaçait probablement par train, à l’instar de la majorité des ménageries foraines.

A la fin du XIXe s., Auguste Jeannet se retrouve seul à la direction, son frère Fritz ayant décidé de mener une carrière de dompteur en indépendant. Il se produira dans divers établissements en Europe avec son numéro d’ours bruns, entre quelques engagements dans la ménagerie familiale, avant de s’installer à sa retraite vers 1910 près de Montbéliard. L’un de ses fils, Lucien Jeannet, restera dans le monde du spectacle et s’associera dès 1943 à la famille française Gruss pour créer le cirque Gruss-Jeannet.

La Ménagerie Franco-Suisse comptait 25 espèces d’animaux dont les annonces et les photos permettent de reconstituer en partie la liste : lions, hyènes, loups, ours, panthères, léopards, lamas, singes, serpents, kangourou, tortue géante, lémur. Cela fait de la Ménagerie Franco-Suisse un établissement relativement important. Elle n'égalait toutefois pas les plus grandes ménageries qui se distinguaient notamment par la présence d’un ou plusieurs éléphants (cet animal constituait le rêve et la fierté de toute ménagerie) voire d’hippopotame, et par un nombre plus élevé d’animaux. A titre de comparaison, la Ménagerie Hagenbeck comptait 300 animaux et la ménagerie Pianet 150, dont une trentaine de lions et une dizaine d’ours.

L’Express (journal de Neuchâtel), 28.02.1914

Miss Olga, dompteuse. Collection F. Beuret

Dès la première décennie du XXe s., la dompteuse Miss Olga constitue l’attraction principale de la Ménagerie Franco-Suisse. Elle est la fille d’Auguste Jeannet et de son épouse française Marie Philomène Claude. Les annonces promotionnelles la présentent comme « la plus jeune dompteuse de l’époque », sans que ne soit jamais précisé son âge. Olga Jeannet était sans doute aussi la seule dompteuse suisse de cette période. Il arrivait fréquemment dans les ménageries foraines que les numéros de dressage d’animaux sauvages soient présentés par la fille ou la femme du directeur. Le fait que le dressage des fauves soit exécuté par une femme renforçait son attractivité en jouant sur le contraste entre douceur et férocité. Miss Olga était suffisamment célèbre pour qu’une série de cartes postales la représentant soit éditée, sur lesquelles on la voit tantôt en compagnie d’un léopard, d’un lion, d’un serpent ou encore d’un kangourou pour un combat de boxe. Sur la majorité des photos, Olga Jeannet porte un collier de griffes de fauves.

Les accidents dans les ménageries étaient relativement fréquents. Le travail à même les voitures-cages accentuait le danger à cause de la promiscuité et du peu de distance de recul. Miss Olga en fut notamment victime en janvier 1914. Lors d'une représentation à Lausanne, elle fut mordue au dos et à l'épaule par un ours qu'elle était en train de nourrir au biberon. Les suites données à cet accident sont révélatrices d’une sensibilité et d’un rapport aux animaux différents de ceux de notre époque: retournant la situation à son profit, la Ménagerie Franco-Suisse organise quelques jours plus tard une exécution publique, payante, de l'ours à l'origine de l'accident. Si les liens des propriétaires envers leurs animaux étaient différents de ceux d'aujourd'hui, l'opinion publique l'était également puisqu'il existait alors un public prêt à se déplacer et à payer pour ce genre de spectacle.

Un certain nombre d’animaux perdaient également la vie à cause de mauvaises conditions (épidémies, climat). Leurs dépouilles étaient généralement offertes ou vendues au musée d’histoire naturelle de la localité où séjournait la ménagerie. Ainsi, en 1917, la Ménagerie Franco-Suisse a fait don au musée de zoologie de Lausanne d’un lémur catta, et en 1914, la Ménagerie Hagenbeck a offert au musée d’histoire naturelle de La Chaux-de-Fonds la dépouille d’un éléphant mort des conséquences du froid. Cette ménagerie allemande y était restée bloquée durant trois mois en raison du déclenchement de la Première guerre mondiale.

Dès les années 20, les ménageries foraines se raréfient en Suisse. Elles sont concurrencées par les cirques qui incluent désormais des ménageries, et par les zoos. C'est peut-être à cette période que la Ménagerie Franco-Suisse a cessé ses activités. Quant à Olga Jeannet, elle a ensuite présenté un numéro de dressage de lions marins, peut-être dans les foires. Elle est décédée en 1956 si l’on en croit une note inscrite au dos d’une carte postale conservée à la Bibliothèque nationale de France.

François Beuret, 2020


Notes:

  1. Ami Constant Jeannet disparait tragiquement en 1883, écrasé par le chargement de caisses de son char qui se renverse dans un talus à Mont-la-Ville, alors qu’il se rend de Pully à la foire du Sentier.
  2. Feuille d'avis du district d'Aigle, 18.05.1888
  3. Le Moniteur viennois, 21.01.1913



Sources principales:













Feuille d'avis de Lausanne, 10.01.1914

La famille Jeannet

La famille Jeannet est originaire du Val-de-Travers, une vallée du canton de Neuchâtel (Suisse). Le père d’Auguste Jeannet, Ami Constant Jeannet (1835-1883) a épousé en 1857 à La Chaux-de-Fonds Hortense Camille von Büren (1838-1916). De cette union naquirent 9 enfants, parmi lesquels Philippe César Auguste (1868) et Fritz Jeannet (1857). Après avoir co-dirigé la Ménagerie franco-suisse avec son frère Auguste, Fritz présenta en solo un numéro de dressage d’ours avant de s’établir à Bavois (France), près de Montbéliard. C’est là que Lucien Jeannet vit le jour en 1922. [Source: site Geneanet Val-de-Travers (état 2020)]


Autres représentations de Miss Olga connues à ce jour:

Musée des Civilisations d'Europe et de la Méditerranée, Sou.4.128.2
Site web World Circus Lausanne 1987
Site web World Circus Lausanne 1987


Site web World Circus Lausanne 1987


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Collection F. Beuret