De Ponet à Die

Notre grand-père « papa Louis » était un homme silencieux, froid, bien qu’affectueux. Il nous impressionnait beaucoup. Il était le fils unique de Pierre Buffardel et de Lise Aguiton, et le petit-fils d’un autre Pierre Buffardel de St-Étienne-en-Quint. Ce dernier, après avoir épousé Marguerite Aubenne, de Ponet, était venu s’installer dans le village de sa femme. Grâce à celle-ci, Pierre avait découvert le « secret » de la fabrication de la Clairette. Ils avaient eu huit enfants dont quatre étaient morts en bas âge.

 Louis est né le 14 avril 1862 à Ponet. Il se marie à 24 ans avec Émilie Brachet aux Gallands (près de Menglon). Ce fut un grand mariage, raconte-t-on encore dans le pays.

Pourtant la maison Brachet - que l’on peut encore visiter - était bien modeste : deux pièces seulement, plus quelques remises et écuries.

 À Ponet, la maison dans laquelle ils vinrent s’installer était aussi très exiguë : une cuisine et deux petites chambres au-dessus. Mais Louis, dur à l’ouvrage, creusa au pic, dans le rocher jouxtant la maison, une pièce supplémentaire : la salle à manger, grand luxe pour l’époque.

 Émilie, notre Mémée Mélie, était petite, aux yeux très bleus, les cheveux tirés avec un petit chignon blanc et une croix huguenote qui pendait sur sa poitrine. Louis était aussi protestant et même conseiller presbytéral. Ils eurent trois enfants : Édouard, né en 1887 ; Louise, née en 1891 (morte en 1892) et Camille, né le 15 mai 1894.

 Louis tenait la recette buraliste de Ponet tout en étant paysan. Mais il s’intéressait de plus en plus à la fabrication de la Clairette et il eut en 1908 une médaille d’argent à un concours agricole départemental.

 Camille allait en classe à Ponet, tout en aidant aux travaux de la terre. Plus tard, il nous raconta qu’enfant, il enfermait parfois ses chèvres dans le cimetière pour jouer avec ses camarades. Il reconnaissait l’heure grâce à l’ombre portée du Pestel sur les falaises de Glandasse.

Après son certificat d’études, il alla deux ou trois ans à l’école supérieure de Die, les trajets Die-Ponet se faisant en vélo.

 Il fit son service militaire en 1914 à Gap dans les chasseurs Alpins. Là, il rencontre celui qui deviendra son grand ami : Marcel Clément. Les deux familles sont encore liées. Monsieur Clément tenait à Gap le « comptoir des Alpes », épicerie en gros où nous pouvions puiser dans des tonneaux de bonbons à volonté. À une époque, Riri Clément, son fils, aurait bien aimé « fréquenter » Édith ;, mais cette dernière le trouvait trop « rouge », prétendait le cousin Albert (Raymond) !

 Puis Camille est démobilisé. Blessé dans le dos au Chemin des dames (Aisne, 1917) il est hospitalisé et va en convalescence dans un établissement où il apprend à tisser les perles. Il finit la guerre comme caporal infirmier.

Il avait rapporté, comme souvenirs de guerre, des petites boîtes métalliques, des seringues, des pinces, des flacons... et quelques travaux de perles. Tout ce petit matériel était bien rangé au grenier dans une armoire vitrée.

Pour son frère Édouard, la guerre de 14 fut beaucoup plus dure car il dut passer 4 ans dans des tranchées en Lorraine et Alsace.

À la démobilisation de ses fils, Louis prend une décision courageuse : abandonner sa vie de paysan pour se consacrer exclusivement à la Clairette. Il convainc son fils aîné Édouard, qui exploitait à Barnave les terres de son beau-père, de venir travailler avec lui. Il vend tous ses « biens » de Ponet et achète à Die en 1920 une ancienne et grande usine de soie appartenant à monsieur Chabert. C’était l’époque où l’industrie de la soie était en plein déclin dans la région car concurrencée par les soies artificielles. On transforme les bâtiments d’habitation en les répartissant entre Camille et Édouard, Louis et Mélie se réservant les anciens bureaux : trois petites pièces. Le reste (magasins, magnanerie, caves) est réservé à la fabrication du vin. Grâce à ces nouvelles installations, il va pouvoir commercialiser la Clairette en bouteilles, selon la « méthode champenoise ». (Habituellement, on la vendait en tonneaux, mais elle ne se conservait que quelques mois. Parfois, on devait immerger ces derniers dans la Drôme pour retarder la fermentation). En 1942-43, on creusera une cave supplémentaire pour une meilleure conservation du vin.