Julien Le Bas
L'homme qui a cru en ses rêves...
…et qui a tout fait pour les réaliser !
Julien Le Bas
L'homme qui a cru en ses rêves...
…et qui a tout fait pour les réaliser !
Le regard de Julien Le Bas en dit long sur sa détermination.
Press-book J. Le Bas
PALMARÈS ET DISTINCTIONS
1941 Champ. de la Manche 80 m cadets 1942 Champion de France 100 m juniors
1943 Champion de France 100 m juniors 1945 5ème du 100 m séniors au championnat de France
1946 Champion de France 100 m séniors 5è du 200 m - 2è du 4X100 m
1948 CHAMPION DE FRANCE DU 100 m et 200 m PARTICIPATION AUX J.O. DE LONDRES
(vainqueur de la 5è série du 200 m; éliminé en 1/4 de finale)
(3è relayeur de l'équipe 4x100 m; perte du témoin).
De 1946 À 1948 8 FOIS INTERNATIONAL (Suisse-Belgique,Grande-Bretagne-Finlande; France-Etats-Unis;
Championnats d'Europe; J.O.).
De 1942 à 1954 Nombreuses victoires et places d'honneur aux championnats de la Manche, de Normandie et épreuves
interrégionales.
De 1964 à1960
Dirigeant de la section athlétisme du Stade St-Lois.
Médaille d'or de la Jeunesse et des Sports.
Il fait étonnement doux en cet après-midi d'automne lorsque je sonne au domicile de Julien Le Bas (1).
Il avait été prévenu par son fils Alain du but de ma visite. Je suis à la fois curieux et intimidé de faire la connaissance de ce grand champion St-Lois multi-médaillé mais dont l'écho des exploits s'assourdira inexorablement si nous ne l'amplifions pas quand l'opportunité nous en est donnée. Le temps et l'oubli sont sacrilèges….
C'est sa fille Claire qui m'accueille et me dirige vers un petit salon coquet au décor délicieusement suranné où m'attend son père, un homme svelte et distingué, au visage émacié et dont le regard vif s'éclaire encore un peu plus à l'évocation du passé.
Né en 1924, il est le doyen de notre association. Il est surtout celui que la presse d'après-guerre qualifiait de " Phoenix sorti des cendres brûlantes " !
L’école Havin ?
Notre prise de contact est rapide. Julien Le Bas ayant une longue pratique des interviews, inutile de tergiverser. Je lance ma première question, banale, sur ses souvenirs de scolarité : "J'ai fait ma primaire à l'école Havin(2)" me répond-il. Voyant mon étonnement, il précise :" Oui, c'était pas loin de la fontaine en bronze(3)".
Aïe ! Ça commence mal. Julien(4) me plante un décor auquel je ne m'étais pas préparé, celui qui faisait de cette petite préfecture de province une des plus jolies bourgades de Normandie : celle des quartiers médiévaux, des concours-foires, des grandes heures du théâtre municipal(5), des tournois de water-polo(6) au Pont de Vire, des impressionnantes démonstrations gymniques de La Saint-Loise….
J'ai le pressentiment que quelques recherches seront nécessaires pour me transporter dans le temps de Julien. (Pour ceux que l'histoire de St-Lô intéresse, elles feront l'objet de notes en fin d'article).
Il poursuit : " Ce qui m'a le plus marqué à l'époque de ma scolarité, j'avais alors une douzaine d'années, c'est la grande fête organisée à l'occasion du centenaire de l'Ecole Normale(7). Nous étions plusieurs milliers d'élèves du canton à défiler au pas derrière la fanfare municipale, tous vêtus de blanc ! La fête se terminait en apothéose sur la place du Champ de Mars où les gymnastes de La Saint-Loise(8) faisaient le Grand Cercle(9)…c'était quelque chose ! Je crois que mon goût pour le sport vient en partie de là ".
Un joueur sur le toit
- Comment détectait-on les sportifs prometteurs à l'époque ?
- Par hasard. En ce qui me concerne, mes instituteurs avaient déjà remarqué que j'aimais bien courir, que je courais plutôt vite et plus vite encore derrière un ballon…j'adorais le foot ! Mais c'est en 38 ou 39, à l'occasion de l'épreuve du 50 m du B.S.P.(10) que les choses se sont enclenchées. J'ai battu ce jour-là le meilleur cadet de la Manche. Le lendemain je signai ma première licence d'athlétisme au Stade St-Lois. En compétition cadets, je raflais tout. Puis ce furent les championnats de France junior que je gagnai en 1942 et 1943.
- Votre choix est fait : vous optez définitivement pour l'athlétisme et vous oubliez le foot ?
- Certainement pas !...du moins, pas pour le moment. Ma grande passion, c'était toujours le foot, poursuit-il. L'hiver, ça me permettait de conserver une condition physique correcte. J'avais signé une licence junior au Stade Saint-Lois, puis senior au poste de défenseur. En pleine guerre, nous sommes allés jouer la finale du championnat de Normandie à Evreux. Les déplacements étaient risqués. En route, il fallait souvent stopper le car pour que l'un d'entre nous monte sur le toit pour s'assurer qu'un Arado ou un Messerschmitt n'était pas en vue ! Finalement, nous avons perdu 4-3 après avoir été menés 4 à 0 ".
Stage en altitude
- " Vous aviez un statut amateur ?
- Oui, et à l'époque, c'était très contrôlé.
- Je suppose que chaque athlète concoctait son petit système personnel d'entraînement ?
- C'est vrai qu'il y avait une bonne dose d'empirisme, mais l'entraînement par intervalle mis au point par les Suédois était déjà vulgarisé et était intégré dans mon travail. Avec, bien sûr, les seuls moyens de contrôle de l'époque : le chronomètre d'abord, la prise de pouls et la fréquence respiratoire ensuite, et…les sensations !
Nous avons même eu droit à un stage préolympique en altitude : on savait déjà que ça stimulait la production de globules rouges.
J 'ai d'ailleurs failli ne pas y participer car mon patron refusait de me donner un congé. Il a fallu une intervention en haut lieu pour arranger la chose.
- Aviez-vous un entraîneur ?
- Au sens où on entend ce mot aujourd'hui, non. Par contre, je dois beaucoup à deux personnes qui me conseillaient et ont
définitivement orienté ma carrière : Jean Berthélem et surtout Jean Etienne. Ma femme suivait ma préparation olympique de
très près. C'est souvent elle qui tenait le chronomètre !
- A quoi ressemblait une journée ordinaire ?
- Après avoir passé mon brevet au collège(11), j'apprends mon métier d'aide-comptable chez Tessier. J'adaptais donc mon entraînement à mes horaires de bureau. Dès les beaux jours, à 6 h du matin j'étais au stade de la Falaise : 5 à 6 km de course lente pour le fond. J'y revenais le soir : interval training, ajustement de ma position dans les starting-blocks et travail très technique sur les départs. C'était mon point faible. Le midi, je courais près de mon lieu de travail dans un grand jardin que des amis avaient mis à ma disposition.
Un témoin…pas fiable.
- Tout Saint-Lô était derrière vous, j'imagine…
- Bien sûr ! L'annonce de ma sélection pour les J.O. a été faite un jour de réunion hippique et quasiment en direct par le speaker de l'hippodrome des Ronchettes(12). Il paraît qu'une clameur incroyable s'est élevée dans la foule?
- Les J.O. : un rêve devenu réalité ?
- C'est tout-à-fait ça. J'en rêvais depuis plusieurs années déjà. Deux ans avant les jeux, je pressentais que la qualification était possible malgré mes obligations familiales et professionnelles. Défiler devant le roi avec la délégation française, entouré des plus grands athlètes de la planète…j'avais du mal à réaliser.
-Le meilleur souvenir sportif de ces jeux?
-D'abord y avoir participé et bien sûr d'avoir gagné la 5ème série du 200 m!
-Le plus mauvais?
-Celui d'avoir laissé passer notre chance au relai 4x100m. A l'entraînement, nos passages de témoin étaient réglés au quart de poil...et pourtant je n'ai jamais pu passer ce fichu bâton à René Valmy parti trop tôt devant moi.
- Le dopage ?
- La rumeur circulait déjà. Mais franchement, j'y croyais pas.
- Vous avez couru dans les mêmes réunions qu' Alain Mimoun. Quels étaient vos rapports ?
- Ni bons ni mauvais mais il prenait les sprinters pour des rigolos ! Je préférais Jules Ladoumègue dont j'avais fait la connaissance à l'occasion des championnats de France à Bordeaux en 1942.
La vraie vie
- Après les jeux, un grand vide probablement ?
- Pas vraiment. Les contingences matérielles m'ont vite ramené à la vraie vie. J'ai continué à glaner quelques victoires mais je devais maintenant me consacrer à mon avenir professionnel. J'ai préparé mon brevet de comptable. Ma femme m'aidait à réviser mes cours. Puis je me suis inscrit à l'école de commerce de Rouen en vue de créer ma propre entreprise(13).
- Si vous aviez un conseil à donner à des jeunes, que leur diriez-vous ?
- De croire en eux, d'abord. Ensuite travailler. Quoi qu'ils entreprennent.
- Je suppose que vous attendez avec impatience les JO de 2020 ?
La réponse fuse, inattendue :
- Les J.O.…non. La coupe du monde de foot en 2022, ça oui !"
Je remercie vivement M. Le Bas d’avoir accepté de me recevoir, ainsi que ses enfants, Alain(14) et
Claire, d'avoir facilité mes rencontres avec leur père.
Propos recueillis par Claude Bourdier
les 8 novembre et 12 décembre 2018
Photo : C. Bourdier
Press-book J. Le Bas
Notes et références
Photo : C. Bourdier
Press-book J. Le Bas
Notes et références
(1) La carrière sportive de Julien Le bas Cf.
WIKIMANCHE, article Julien Le Bas
J-L GAZIGNAIRE, La Manche au cœur des Jeux (C.D.O.S., 2005, pp 13-23)
(2) L'école Havin était située près de l'ancien théâtre et non loin de la fontaine éponyme dont le bronze fut fondu par les allemands. Cette école dite "mutuelle" fut créée en 1828. Les jeunes "s'apprenaient" les uns les autres les rudiments du français et du calcul.
Sources http://interparoissial.fr & https://e-monumen.net/patrimoine-monumental/monument-a-havin-ou-la-presse-guide-lenfance-a-la-verite-saint-lo/
(3) La fontaine Havin créée par Arthur Le Duc en 1887 était située près du musée de Saint-Lô ; elle fut fondue par les Allemands.
(4) Pour alléger mes phrases et avec l'accord de l'intéressé, je me permets dans cet article de désigner M. Le Bas par son prénom.
(5) Il s'agit du premier théâtre municipal édifié en 1896 sur l'emplacement de l'ancienne église Saint-Thomas du XVIIe désaffectée à la Révolution et transformée en halle au blé. Il a été détruit lors des bombardements du 6 juin 1944. Le "nouveau" théâtre (théâtre Roger Ferdinand) fut inauguré en 1963.
Source : WIKIPEDIA, article Roger-Ferdinand
(6) De 1911 à 1955, les Fêtes Nautiques, organisées à l’Ecole de Natation, mais aussi dans les communes voisines comme Sainte-Suzanne sur Vire, Saint-Fromond, La Meauffe etc…, remportèrent un plein succès. La traversée de Saint-Lô, très prisée, permettait aux nageurs de fond de montrer leur entraînement. Le parcours s’effectuait de l’Ecole de Natation (au Pont de Vire ou à la vanne de l’Ecluse), suivi d’un retour pouvant aller jusqu’au pont du Recreuil. Des diplômes attestant leurs performances étaient remis aux lauréats. Les nombreux matchs de water-polo comptant pour le Championnat de Basse-Normandie opposaient régulièrement le Club Nautique Saint-Lois aux nageurs des Cheminots Caennais, de l’AS Cherbourg, de Vire ou encore d’Argentan…
Source : https://cnpsaintlo.com/les-organisations/
(7) Le 16 mai 1936, l'école fête son centenaire. Un dépôt de gerbes a lieu au monument aux morts de l'école […] une plaque marquant ce jour historique est inaugurée, des discours sont prononcés et un banquet réunit plus de 600 convives au manège du vieux haras, avant que tout le monde ne se retrouve pour assister à une représentation théâtrale et à un bal à l'hôtel de ville. Une fête gymnique est donnée le lendemain, qui fait défiler 4 000 élèves dans les rues de Saint-Lô.
Source : WIKIMANCHE, article Ecole normale d'instituteurs
(8) Charles, le père de Julien, était lui-même un des membres fondateurs de La Saint-Loise [N.D.L.R].
« […]La première chose que nous apprenions était à marcher au pas pour les défilés. Dans la salle, barres parallèles, cheval d’arçon, anneaux, trapèzes, poids et altères, avec lesquels garçons et filles s’entraînaient, mais toujours sous l’œil vigilant de Monsieur Guilbert ».
Renée MASSENET, article Société de gymnastique "La Saint-Loise", http://beaucoudray.free.fr/perso/journal_2.pdf
(9) « Pour les garçons, il y avait aussi un grand cercle d’au moins trois mètres de large, qu’un costaud tenait debout sur ses genoux pendant qu’un autre costaud faisait de la gymnastique sur le haut du cercle. A un moment bien précis, le cercle se retournait afin que les deux garçons échangent leurs positions et refassent à peu près les mêmes gestes. C’était toujours le final des représentations masculines. Les filles faisaient en plus de la gymnastique, des ballets rythmiques. Il y avait le ballet des fleurs, des oiseaux, des papillons, des Pierrots et c’était Madame Plantagenest qui faisait les costumes. Garçons et filles faisaient des mouvements d’ensemble pour les représentations, tout le monde habillé tout en blanc ».
Renée MASSENET, article Société de gymnastique "La Saint-Loise", http://beaucoudray.free.fr/perso/journal_2.pdf
(10) Le B.S.P., Brevet Sportif Populaire fut institué en 1937 par Léo Lagrange (Front Populaire) pour inciter la population à l'activité sportive : «Nous estimons indispensable d'amener la masse des Françaises et des Français à prendre souci de leur santé et de leur développement physique en préparant puis en subissant des épreuves suffisantes pour témoigner d'un bon état physique. C'est pourquoi, pour encourager chez les jeunes gens et adultes des deux sexes la pratique de l'éducation physique et des sports, pour développer dans la jeunesse française le goût de l'athlétisme complet, nous proposons que soit créé un Brevet Sportif Populaire". Son obtention était préalable à toute signature d'une licence sportive. Le BSP perdurera jusqu'à la fin des années 60.
Source : http://www.sports.gouv.fr/IMG/pdf/brevet_sportif_populaire_-_textes_remis_en_seance_-_30_novembre_2004.pdf
(11) Le collège sera endommagé en 1944. C'est sur son emplacement que sera construit le Lycée Le Verrier.
Source : WIKIMANCHE, article Institut de St-Lô.
(12) L'hippodrome des Ronchettes était situé à la sortie de St-Lô, route de Torigni. Il fut fermé en 1989.
(13) En 1955, il crée son cabinet qui, en 1974, comptera 12 employés.
(14) "Le petit du tigre est encore un tigre", dit un proverbe haïtien : Alain sera champion de France cadets et international junior.