Mon « Certificat d’Etudes Primaires » en poche , que vais-je faire ?
Je n’ai guère le goût de travailler à la ferme , non par aversion , mais j’ai le désir profond de poursuivre mes études et d’élargir mon horizon .
Mon instituteur , Mr LEPENNEC , plaide ma cause auprès de mes parents qui se laissent convaincre , ce dont je les remercierai toute ma vie . Cependant , un problème se pose vu mon âge : à quatorze ans , je ne peux être admis en sixième au lycée . Mon maître intervient alors auprès de l’administration académique pour que je sois admis en cinquième à charge pour moi de rattraper les programmes de sixième et notamment en anglais .
A la rentrée scolaire 1954 , je suis à la fois heureux et impressionné de franchir le portail du lycée Le Verrier à Saint-Lô . Dans cet établissement flambant neuf , je découvre un monde nouveau pour moi .
Dans ma classe , je suis le seul élève issu de la campagne au milieu de fils et filles de fonctionnaires , de commerçants et de professions libérales …J’avoue en avoir éprouvé un certain complexe social mais j’ai toujours voulu prouver que j’étais à ma place et que je pouvais faire aussi bien que les autres . Ma première année de cinquième a été difficile et passionnante . Il m’a fallu travailler dur , mettre les bouchées doubles pour combler mon retard mais j’y ai trouvé beaucoup de satisfactions personnelles : la découverte de connaissances nouvelles ( l’algèbre , la géologie , l’anglais ) et aussi l’estime de mes professeurs . En fin d’année , j’ai obtenu des distinctions à la distribution des prix présidée par le Maire et le Préfet. Le 1er juillet 1955 , j’ai eu l’honneur de chanter la Marseillaise à l’inauguration du lycée , en présence du ministre de l’Education Nationale , Mr Berthoin .
A la direction du lycée , le proviseur LECHANTEUR , homme de lettres , exerçait une autorité bienveillante .Il nous recevait dans son bureau pour les encouragements et les félicitations . A ses côtés , Madame SOUYRI , Surveillante Générale , faisait régner l’ordre et la discipline dans le « bahut » : quand elle apparaissait dans les couloirs , le calme et le silence s’imposaient à tous …
Certains professeurs m’ont beaucoup marqué par leur charisme et d’autres par leur comportement particulier .
Mademoiselle LEMAI , professeur d’anglais , très dynamique , entrait dans la classe en nous saluant : « Good morning , boys and girls ! » Elle m’a beaucoup aidé à assimiler les bases de cette langue .
Mr CHASLES , professeur de mathématiques , était aussi rigoureux que sa discipline !. Nous redoutions de passer au tableau !
Mr LE CORRE , professeur de sciences naturelles , m’a fait découvrir la géologie et la paléontologie qui restent ma passion scientifique . Il organisait des sorties sur les sites géologiques de la région où nous trouvions des fossiles . Ce professeur ne manquait pas non plus de fantaisie : il nous apprit « L’homme de Cro-Magnon » que nous chantâmes à la distribution des prix .
Mr LANTIER , professeur d’histoire – géographie , nous réservait de bons sujets d’interrogation , du genre , « Les vicissitudes d’un cours d’eau », ce qui nous plongeait dans un abîme de perplexité .
Un couple de professeurs , Mr et Mme ROUDOT , m’a laissé un souvenir particulièrement sympathique : en dehors de leurs qualités pédagogiques , en allemand et en français , ces enseignants avaient une relation très chaleureuse avec leurs élèves .
Dans cette galerie de portraits , je n’oublie pas notre professeur de dessin , Mr ROUILLET , qui était également surveillant . Ce malheureux homme , dénué d’ autorité , était le souffre- douleur des élèves , sans recevoir le soutien de ses collègues . J’ai le souvenir de scènes très pénibles dans sa classe : un élève s’emparait du béret du maître pour essuyer le tableau , ce qui provoquait notre hilarité générale . J’en ai encore mauvaise conscience !
Au cours de ces années lycéennes , je me suis lié d’amitié avec un bon camarade , André Levesque , dont le père était palefrenier au Haras de Saint-lô . Pendant les vacances d’été , nous sommes partis à vélo , chargés comme des mulets , faire le tour du Cotentin . La pluie nous a parfois obligés à replier la tente pour trouver refuge dans une grange !
Pour me faire un peu d’argent de poche , j’ai travaillé à la laiterie coopérative Elle et Vire .Je devais accompagner un chauffeur laitier qui faisait sa tournée de ferme en ferme . Il avait attrapé un « tour de rein » en levant les bidons de lait sur son camion . Ma frêle constitution n’a pas résisté longtemps à cette tâche de force . Je me suis ensuite retrouvé dans un atelier d’emballage à mettre des bouteilles de lait stérilisé dans des cartons destinés à l’Afrique Noire . Dans notre équipe , un jeune employé s’arrêtait souvent de travailler pour raconter des histoires . Subitement , un homme en costume surgit derrière les cartons : c’était le directeur qui s’adressa au jeunot écarlate : « Jeune homme , vous n’êtes pas ici pour vous reposer . Vous passerez ce soir à la caisse !! »
Avec mon premier salaire bien modeste , j’ai eu le bonheur de m’acheter un poste de radio portable , le fameux transistor !.