Les communistes révolutionnaires allemands et français (R.K.D. et C.R.)

Le groupe connu pendant la guerre sous le nom de Revolutionären Kommunisten Deutschlands, fait à l’origine partie du mouvement trotskyste autrichien et est reconnu en 1938 comme la section autrichienne de la IV° Internationale (R.K.O.).

Contraint à l’exil par la répression, le R.K.O. entre rapidement en conflit avec le mouvement trotskyste et ses délégués votent contre la proclamation officielle de la IV° Internationale en septembre 1938. Bien que continuant à être d’accord avec l’analyse trotskyste de l’URSS comme un état ouvrier dégénéré, ils divergent de Trotsky sur l’attitude en cas de guerre dans les pays qui pourraient prêter leur aide à la Russie. Ils préconisent un défaitisme révolutionnaire dans tous ces pays et se rapprochent des positions de l’American Revolutionary Workers League (le « groupe Oehler ») qui, en septembre 1939, publie ses « Quatorze points » comme base préalable à un nouveau regroupement international.

En 1941, le R.K.O. devient le R.K.D. et se sépare du trotskisme. Le R.K.D. définit l’URSS comme un pays capitaliste et s’oppose catégoriquement à sa défense. Il attaque le trotskisme comme un courant congénitalement centriste qui rejette le bolchevisme « pur »‘ de l’époque de Lénine. Après l’effondrement de la France, le R.K.D. s’installe dans le Midi de la France et déploie une activité remarquable, publiant régulièrement le R.K. Bulletin (17 numéros jusqu’en 1943), puis Spartakus, dont le premier numéro (mai 1943) contient un appel aux travailleurs du monde à briser leurs chaînes et à fonder la république internationale des conseils d’ouvriers et de soldats: « Nous ne sommes ni social-démocrates, ni staliniens, ni trotskystes. Les questions de prestige ne nous intéressent pas. Nous sommes des communistes, des spartakistes révolutionnaires ».

En plus de cette production impressionnante, il faut ajouter Fraternisation prolétarienne, organe des communistes révolutionnaires de France (dont l’organisation n’existait pas encore) et un certain nombre d’autres opuscules et textes théoriques. Les bases de contacts avec des soldats allemands sont lancées et des liaisons sont établies avec la clandestinité.

Bien qu’aguerris aux activités clandestines, le R.K.D. n’est pas à l’abri de la répression. En 1942, trois femmes sont arrêtées et condamnées respectivement à des peines de quatorze mois, trois ans et quinze ans. L’une d’elles, déportée en Allemagne, survivra. Une autre reprend ses activités clandestines à l’expiration de sa peine. La troisième, Mélanie Berger, est libérée par le R.K.D., qui utilise à cette fin de faux papiers allemands. Deux autres membres du R.K.D., Ignaz Duhl et Arthur Streicher, sont arrêtés et assassinés par la Gestapo. Karl Fischer-Emile, arrêté en 1944, sort vivant de Buchenwald, mais est ensuite kidnappé en Autriche par la police russe, en 1947, et passe huit ans en Sibérie. Ces exemples ne sont pas exhaustifs.

Meurtri, mais non détruit, le R.K.D. déménage fréquemment: Montauban, Marseille, Grenoble, Lyon. Au printemps 1944, l’organisation transfère ses activités à Paris.

Même les personnes qui ont participé aux activités du R.K.D. ne peuvent être considérées comme des sources autorisées pour juger de l’importance de leur recrutement qu’on évalue, sans garantie aucune, à une douzaine de militants (parmi lesquels quelques Français) à la libération de Paris. L’organisation est dirigée par un Autrichien, Scheuer (Armand) qui, sans aucun doute, connaît à fond le travail clandestin. Un cloisonnement strict est maintenu par le groupe. Les membres ne sont pas toujours bien informés de l’influence exacte d’une organisation qui ne crache pas sur la propagande. Le R.K.D. est expert dans l’art d’établir et d’exploiter liaisons et contacts, maniant tour à tour flatterie ou dénonciation virulente. En octobre 1942, appelant à la formation d’une nouvelle Internationale authentique, il adresse une lettre au groupe trotskyste de La Seule Voie, déclarant que la répression anti-trotskyste a écarté l’un des obstacles qui empêchaient d’avancer dans la voie de cette réalisation. Cette ouverture plutôt malheureuse provoque une réponse indignée de La Seule Voie: « Vous vous êtes trompés d’adresse, camarades! » Des contacts individuels se révèlent plus fructueux et le R.K.D. exerce une certaine influence sur de jeunes trotskystes de Toulouse, Lyon et Paris.

En avril 1944, trois organisations trotskystes françaises, le P.O.I., le C.C.I. et le groupe Octobre, fusionnent et forment le Parti communiste internationaliste. La petite Union communiste de Korner-Barta, éditeur de Lutte de Classe, refuse de s’y rallier. Le R.K.D. dénonce violemment la proclamation commune des trois groupes: « Cet appel, au lieu de dénoncer les déviations pro-fascistes anglophiles et pro-staliniennes qui abondent dans les articles et bulletins des P.O.I. et C.C.I. (La seule Voie), trompe sciemment la classe ouvrière en prétendant que les dits groupes n’ont jamais cessé de dénoncer cette guerre comme impérialiste ». Néanmoins, une organisation plus large signifie des possibilités de travail politique plus importantes et les nouvelles recrues françaises du R.K.D. se constituent en fraction à lk’intérieur du nouveau parti.

En aaût 1944, pendant la libération de Paris, le R.K.D. et les C.R. français, pour la première et la dernière fois, jouent un rôle dans un véritable mouvement ouvrier: des militants C.R. prennent la tête du comité de grève à la grande usine Renault. L’euphorie règne: à la cafétéria, les C.R., des trotskystes orthodoxes – qui entrent en scène avec quelque retard – et deux typographes du G.R.P.-U.C.I. (qui doivent composer l’affiche du comité) fraternisent, tandis qu’un stalinien, perché sur une table, fait allusion à des « éléments irresponsables ». La réaction des staliniens ne se fait pas attendre. Un militant C.R. est malmené. Renault retombe franchement sous la coupe des staliniens, mais les gauchistes y restent présents et vont jouer un rôle dans la grève de 1947, déclenchée au mépris des directives de la C.G.T. stalinienne.

En octobre 1944, la tendance C.R. fait une déclaration au congrès du P.C.I. et quitte ce parti. Le groupe français, Organisation communiste révolutionnaire, compte alors peut-être 40 membres et publie une abondante littérature, seul ou conjointement au R.K.D.: Rassemblement communiste révolutionnaire, également Pouvoir ouvrier, pour les C.R., Vierte Kommunistische Internationale pour le R.K.D. et l’Internationale, organe de la Commission internationale créée par le C.R et le R.K.D. Mais tandis que se dissipe pour chacun l’illusion qu’une vague révolutionnaire va submerger l’Europe, le besoin de tracer des perspectives à long terme se fait sentir; il fait discuter des bases théoriques. On s’interroge sur Cronstadt, la Nep, Brest-Litovsk et, en fin de compte, le léninisme lui-même. Le rôle de guide de l’ancienne direction du R.K.D. est contesté. la tension grandit et les défections se multiplient. Quelques militants rejoignent la Gauche communiste internationale (bordiguiste) tandis que d’autres créent une nouvelle organisation qui ne dure pas, C.R.-Contre le courant (Pouvoir ouvrier) et bientôt rejoignent également les bordiguistes. Le leader du R.K.D. se rapproche des anarchistes. Le reste de l’organisation se disperse en 1946.

Indépendamment de tout jugement politique, le travail étonnant accompli dans des circonstances difficiles et dangereuses par cette poignée de militants autrichiens et allemands R.K.D. inspire le respect.