ACS Atelier de Catalyse Sociale 1985 - 1994

ACS Lettres et documents divers

Préhistoire de l'ACS

Pour le narrateur tout commence dans un collège poubelle comme on en construisait à la chaîne pour caser les nombreux jeunes de la fin du Baby-Boom, une loi avait rendu obligatoire la scolarité jusqu'à 16 ans. Il s'agissait de faire vite et au moindre coût...

J'avais déjà remarqué (à 6 ans) que nous étions "en trop" à l'école primaire ou se succédaient les remplaçantes incompétentes et les arrêts maladies des plus aptes qui se disaient débordés par le nombre (plus de 40 élèves par classe). Ma première institutrice, petite femme nerveuse et débordée avait donné le LA de ma scolarité par un "j'y arriverais jamais" qui m'est resté comme seul souvenir de cet enfer pour enfants. Passons sur le reste du primaires ou école Bled oblige la méthode d'enseignement de la grammaire était top niveau mais c'était la seule force de ce Titanic éducatif. Un allongement des récréations avait signalé positivement le mois de MAI68, un printemps dont je me souviendrai au milieu de cet hiver permanent. Habitués à des remplaçantes dépassées par leurs élèves, ma classe forma une petite bande (ma première bande). Elle se réunissait dans une salle de classe vide pendant les cours séchés. Nos allez et venue étaient louches et nous avons été vite découverts mais la bande était formée et nous étions devenus intouchables même par les "Grands" du collège interne d'Adanville. Mes potes étaient des ados ayant retriplé et plus balaises que les collégiens.

Le passage au collège était brutal. Passant d'une discipline désuète menée par un Directeur alcoolique et spécialiste des claques "chauffantes" Mr Audricout peut-être, dont la femme était ma dernière institutrice. Elle m’obligeât à passer l'examen d'entrée en 6e que je réussit pour échapper au redoublement. Pour avoir contesté mon "Orientation" j'étais cramé pour le reste de ma scolarité. Heureux hasard,le Val-de-Marne était un "Département Pilote" qui permettait pour quelques années de contester son orientation et j'ai bénéficié deux fois de ce dispositif qui finalement ne fut pas retenue, dommage pour les élèves atypiques qui pouvaient ainsi se passer de l'amour de leurs profs et de la fabuleuse qualité de leurs cours. Apprenant presque seul je réussit l'entrée en 6e et l'entrée au lycée que l'on me refusaient au motif que je troublait l'ordre, déjà...

Au collège poubelle nous attendaient comme encadrement les rapatriés des colonies de l'Empire Français. Ce personnel aigri et revanchards regrettaient amèrement le bon temps colonial ou la trique était l'élément déterminant de l'éducation des indigènes. Cependant les lois ne leurs permettaient plus d'en user et de plus MAI68 était passé par là laminant leurs restes d’autorité usurpée et surtout il s'agissait du territoire de la Pie, quartier de durs qui ne pliaient pas devant la force.

Ma place était d'office en 6e cycle court du fait même de ma réussite scandaleuse à l'examen par juste mesure de rétorsion. J'étais avec le gros des troupes de l'école élémentaire de la Pie mais j'y retrouvait nombre de copains de mon ancien quartier (Adanville) et allait vite m'en faire des nouveaux et des nouvelles car le collège était mixte contrairement à l'école élémentaire.

Cinq années de ma vie passés dans ces préfabriqués ont finalement été formateurs et c'est sur une vieille table d'écolier que je vis pour la première fois un A cerclé d'un rond et surtout ce slogan gravé au couteau dans le bois et ineffaçable qui me plut immédiatement: Ni Dieu Ni Maître ! (attribué à Blanqui ).

J'avais 13 ans et allait participer à ma première manifestation Contre la loi Debré (1973). Des lycéens gauchistes étaient venu nous faire débrayer au collège, la classe se vida dès l'ouverture de la porte et une manif improvisée nous conduisit dans un square de la ville pour une AG ennuyeuse à mourir. Notre Directrice répétait a qui voulait l'entendre que nous n'étions en rien concernés par les sursis lycéens, la racaille allait encore rarement au lycée à cette époque et cela en dit long sur le mépris et la haine que cette ancienne colon rapatriée nous portait. Elle avait tort car malgré une scolarité chaotique et la nullité de cinq ans d'enseignement poubelle au collège "Giraud" (qui fut rebaptisé "Ronsard" et reconstruit en dur façon verrière pour mieux tromper son monde) j'atterris finalement dans un lycée d'élite: Marcelln-Berthelot après une "expérience pilote" à Champigny Langevin-wallon. Toujours ces fameux examens d'entré qui me réussissaient (ici en seconde et le BEPC dans la foulée) et permettaient d'escamoter mon dossier scolaire lamentable.

Une bande d'adolescent c'était formé dans l'adversité du collège, centrée sur la Pie elle s'élargit aux différents lycées dans lesquels nous étions élèves. Ce qui nous différenciaient des autres c'était le goût du débat et de la lecture, la Bibliothèque de Saint-Maur était la ressource principale (mais des non-lecteurs étaient aussi du nombre) et des pratiques délinquantes quasi rituelles en opposition au paisible couvre-feu du "20 heure" des classes moyennes. Les anciennes gloires d'un quartier renommé pour sa truande étaient tenaces. J'avais en effet ma place attitré à la table du "Bois L'ab", de loin la meilleur des cantines de Champigny et le privilège de passer devant la masse des lycéens qui regardaient leurs chaussures et se collaient au mur pour nous laisser passer sans essayer une seconde de nous contester cet évident privilège d'entrer en premier dans la salle et de braquer entrées et dessert au double du service ordinaire. Deux lascars à têtes de méchants nous ouvraient la marche, tous du Bois L'abbé à par mézigue.

1986 époque des Radios Libres.

Suite au ménage entrepris sur la bande FM un regroupement se forma qui se réunissait au 33 rue des Vignoles avec les Italiens de Radio Rosta (nom déplaisant choisis par des léninistes en référence au premier journal de Lénine) auquel nous avons participé par une diatribe contre SOS Racisme et le manipulateur Harlem Désir. Le réseau Liberté regroupe les exclus de la bande FM en juillet 1986.

D'après: Au cœur des radios libres Jean Bénetière,Jacques Soncin

Une première affiche est apposée dans Paris (Cirque de Moscou)

Premières rencontres avec les "extradables" italiens de Paris. Réfugiés du Mai rampant italien et de l'AUTONOMIE qui se réunissaient autour de la Radio, nos affiches tapissent leur local juste en face du 33 dans un squat. Parmi ces réfugiés un seul était vraiment digne de confiance, le camarade Toto, communiste libertaire torturé par la police italienne il sera tabassé jusqu’à explosion de la rate, du bon travail de salopards. Retrouvé plus tard dans les squats de Lyon en 1992/1993 mais nous ne reprendrons contact que deux an plus tard à Paris dans une manif au grand étonnement de ceux qui croyaient que l'on ne se connaissaient pas. Nous avions seulement "juré le silence".

Un type bien qui confirma nos doutes sur la fiabilité des anciens brigadistes et autres lénino-autonomes, les polices aiment utiliser la position de faiblesse des réfugiés politiques pour avoir des informateurs. Par cette affiche nous affirmions notre refus de l'impasse "Lutte Armée" qui avait conduit les italiens à la prison de masse et à l’échec complet de leur mouvement. Assimilés à la bande de terroristes professionnels de la Brigade Rouge ils furent traités comme des chiens et l'opinion publique retournée. L'ordre revint vite en Italie.

L'ACS commençait bien son parcours. Devenue en 1986 une association loi de 1901 déclarée, indispensable pour disposer d'une Boite postale à Paris, l'ACS était L’Atelier de Catalyse Sociale. Il ne s’agissait que de la forme légale d'un groupe informel qui fonctionnait déjà sur les bases de la démocratie directe et sur l'amitié qui soudait ses membres. Née de leurs rencontres dans leur quartier d'origine: La Pie

Régine Labbey que nous connaissions déjà les avait remarquées au quartier Latin sans savoir que nous en étions les auteurs, elle avait justement été voir le "Cirque de Moscou"...

L'historique quartier de la Pie, ancienne place forte des déportés de la Commune en banlieue Est. Au bord de la Marne en 1871 dans un endroit non-peuplé de la commune bourgeoise et réactionnaire de Saint-Maur-des-Fossés, 10 familles de Communards originaires du quartier de Belleville sont placés de force dans ce secteur, ce sont les Proscrits de la Commune. Gloire à nos ancêtres et VIVE la Commune !

Foutre ! "les rouges sont a nos portes", les rupins de La Varennes s’inquiètent de cette présence criminogène dans leur agréable villégiature. C'est ainsi que naîtra la Réputation de ce quartier qui fut un haut-lieu de la Truande mais aussi de la Critique Sociale dès cette date. Nous sommes le héritiers direct de ce cocktail détonnant des Classes Dangereuse et Classes Laborieuses.

Cette Colonie Communiste est en fait une création libertaire répertoriée par le Mouvement Anarchiste français. Les gosses de Belleville venaient respirer l'air pur des bords de Marne chez leurs camarades de la Pie. Ces informations et l'iconographie sont tirées d'un livre réactionnaire. L'auteur se réjouie de la "Perte de mémoire" des habitants du quartier, il a tord, cette mémoire nous fut transmise et notre réputation rayonnait encore de Belleville à Saint-Denis jusqu’à la fin des années 1970.

A la fin des années 1970 s'achevait le processus de reconfiguration de l'espace social, l’enfermement architectural dans des "Cités" closes (accéléré a partir de 1954, merci l'abbé Pierre...), la liquidation de la vie nocturne avec la généralisation de la télé et donc la couvre-feu induit de 20 heures contrôlé par les rondes de flics. Ceux qui défiaient cet ordre se voyaient harcelés par la police qui se concentrait sur les derniers îlots de résistance. La Pie en était un. Mai68 avait profondément bouleversé les anciennes conventions sociales y compris chez les voyous, surtout les jeunes. Les drogues allaient se déverser par tonnes en premier lieu chez les rebelles et les marginaux mais La Pie garda son originalité en ceci que les drogues étaient consommées mais gratuitement...

Le braquage de dealers et de pharmacies se développa opposant ceux de la Pie aux autres bandes qui commençaient les business de la came. Un épisode tragique eu pour victime Petit Jean, un mec de la Pie qui squattait avec les Autonomes de Belleville. Il voulu les calmer et séparer les deux groupes qu'il connaissait bien mais une balle ne le rata pas. Simple fait divers mais lourd de sens car il rendait difficile la fréquentation des squats de paname pour ceux de notre quartier. Nous étions tricards sans même avoir ni connu ces personnes ni été présent dans ces lieux nous étions encore trop jeune pour cela mais brûlés du seul fait d’être de ce quartier. Les mecs des cités connaissent ce genre de problèmes par cœur... Bien des années plus tard il fallu s'expliquer sur ces faits avec les mecs de Belleville mais nous nous connaissions assez pour pouvoir en parler sans péter les plombs...

C'est donc dans cette fin d'agonie d'un quartier autrefois glorieux que se forma notre groupe informel. Notre bande tranchait avec toutes les autres. Les RDV avaient lieux à la bibliothèque de Saint-Maur (mieux équipée qu'une bibliothèque d'arrondissement parisien, on y volait l'I.S et le reste) comme autour du "Banc de la Pie". Le groupe était mixte et comprenait des PD et pas mal de fils et filles de "réfugiés politiques" donc un mélange de races et nationalités presque improbable. Du Bombage à la critique du Mobilier Urbain, des vols de voitures aux trafics divers nous étions trop voyants et trop bruitant. Insupportés par les lénifiantes classes moyennes qui s'installaient dans le secteur, balancés et re-balancés, il fallut allez voir ailleurs et c'est sur Paris que la suite s'organisa à partir de 1985. Mais cette fois débarrassés des histoires de came qui nous pourrissaient la vie et seuls ceux et celles qui en étaient capables furent admis au nouveau cercle. En quelques années seulement la came assassinat ceux et celles qui étaient restés sur place, origine de notre engagement dans la Lutte contre le SIDA , la Pie fut abandonnée aux "Porteurs de murs".