La rencontre

A 16 ans j'avais envie de monter en gamme par rapport aux cyclos 50 cm3 qui, même gonflés, ne satisfaisaient plus ma quête de puissance et de vitesse.

Je finis par convaincre mon père d'aller visiter le père d'un copain de collège qui avait pour passe-temps la restauration d'anciennes motos. Sur place, nous découvrîmes trois motos.

Une 350 Automoto en restauration, une 100 cm3 Starlet Monet-Goyon et une 125 cm3 GIMA à moteur Ydral qui eut de suite ma préférence.

Sachant bien que je n'avais pas le permis, que nous n'avions pas de gros moyens, mon père tenta de nous orienter vers la Starlet Monet-Goyon qui, vu la forme de son cadre, sa taille et sa couleur bleue, pouvait de loin laisser penser à la fameuse Mobylette bleue. Mon père se disait qu'ainsi nous aurions moins à craindre des gendarmes qui auraient pu de loin n'y voir que du feu, en l'occurrence que du bleu ! Mais je n'avais d'yeux que pour cette GIMA noire, à la fois élégante et imposante. Mon père avouera plus tard qu'elle ressemblait plus à une 250 cm3 qu'à une 125 cm. C'est aussi ce qui m'attirait en elle. Mon père finit par accepter mon choix sans trop dire ce qu'il pensait. Il devait se dire : « je n'aurais pas du céder ... mais ce n'est pas si souvent que je peux leurs faire plaisir ». Leurs, car en effet mon frère aîné était de la partie, bien qu'il fût moins mordu que moi par ce démon. De mon côté je me disais « mon père est vraiment extraordinaire, il travaille sans compter sa peine, il ne s'autorise que très rarement un plaisir, mais il sait faire plaisir ». Ce fût pour moi l'un de ses nombreux enseignements par l'exemple.

A peine rentré à la ferme familiale, je revenais à bride abattue au volant de notre 35 Massey-Ferguson auquel était attelé un tombereau monté sur roues automobiles. Ce tracteur, lui aussi débridé par mes soins, prenaient 3.000 tours/minutes pour un régime maximal de 2,150 tours/minute en réglage sortie d'usine. Ceci permettait de dépasser allègrement les 30 km/h ce qui en faisait le tracteur le plus rapide des fermes alentours …

La GIMA fut prestement chargée et ramenée à la ferme où mes frères et sœurs découvrirent cette merveille avec envie. A peine un quart d'heure plus tard, un litre d'essence avait été soutiré de la 404 break du paternel, un poil d'huile LABO TOU qui servait à tout comme son nom le promettait, suffisait pour aboutir au mélange 2 temps. Une poussette vigoureuse et la GIMA s'ébroua dans un panache bleu attestant au moins d'un graissage suffisant.

Ce fût alors des allers-retours incessants sur la route desservant les fermes alentours et dont nous avions depuis longtemps fait notre piste d'essais. Chacun et chacune eut droit au baptême en GIMA. Mon père aussi bien sûr. Il avait lors de son service militaire en Allemagne commencé à troquer du café contre une 125 DKW. Mais sa démobilisation brutale lui fit fit perdre tout son investissement en café. Adieu son rêve de 2 roues. Ainsi était-il épargné d'explications sans doute délicates à son vieux père ... Par ailleurs, l'allemand avec qui il avait convenu ce troc aura vécu une période d'après défaite un peu moins dure, en buvant du café sans devoir finalement se séparer de sa moto.

Cette GIMA égailla mon adolescence et celle de mes frères. Malgré nos imprudences, nous ne déplorâmes qu'une arrestation spectaculaire de mon frère par les CRS qui écumaient la RN7 à cette époque sur leurs fameuses BMW noire R50/2. Ils le ramenèrent 8 km durant en escorte à la ferme où ma mère ne parvint pas à les convaincre que mon frère n'était pas en promenade mais au travail. Ce qui était vrai car mon père était cloué au lit par une sciatique paralysante. L'affaire se termina par une relaxe que cette fois ma mère obtint à l'issue d'une plaidoirie convaincante au tribunal de police. Le juge fit preuve d'une intelligence de situation que nous ne serions pas certain de retrouver aujourd'hui.

Le temps passa et la GIMA que j'avais maintes fois démontée, et même entièrement restaurée, fini par être fatiguée. Elle fut remisée avec une 125 Magnat-Debon dans un des greniers de la ferme. Puis un jour, des rôdeurs les emportèrent, ne sachant pas qu'ils me volaient au passage des objets auxquels je tenais encore beaucoup, sentimentalement parlant. Quelqu'un de célèbre ... a dit : « Pardonnez leur mon Dieu, car ils ne savent pas ce qu'ils font ». C'est ainsi que j'ai géré cette perte, appliquant cette fois l'un des enseignements de ma mère.

La vie a passé et mais on n'oublie jamais ses premières amours. Depuis environ 15 ans, je lis la presse des amateurs de motos anciennes et je suis attentif aux petites annonces. J'ai vu quelques annonces de vente de GIMA mais ne correspondant jamais exactement au modèle de la mienne. La chance m'a souri en août 2011. L'affaire fût conclue dès le premier appel téléphonique. Je l'ai achetée sans aucune hésitation. Qui hésiterait à racheter un morceau de sa jeunesse ?

Sa résurrection fera l'objet de compléments à ce site, le moment venu.