Le passage 02 / 06 / 2011

Le soleil déclinait à présent rapidement et à mesure que l'obscurité se faisait, la peur de l'inconnu grandissait dans l'esprit des scientifiques. Déterminés à percer le mystère du message, Emile et Hector s'aventurèrent jusqu'à la bibliothèque dans l'espoir d'y trouver quelques réponses à leurs interrogations. Le naturaliste, dans ses réflexions avait attiré l'attention de ses comparses sur le fait que la formulation "Les eaux du Styx sont ainsi faites:" précédant la mention "SBIK" devait avoir un rapport avec leur composition et donc avec les sciences de la matière. Il invita donc Emile a orienter ses recherches sur les livres de chimie. A la lecture de ceux-ci ils découvrirent le sens de l'étrange acronyme. Les quatre lettres étaient des éléments issus de la classification périodique de Mendeleiev. S pour soufre, B pour bore, I pour iode et le K de potassium. Malheureusement, les maigres informations contenus dans les quelques ouvrages de chimie de la bibliothèque du DeGrasse ne leurs permettaient pas d'en apprendre plus. Et notamment comment se procurer ces produits à bord du navire. En fouillant les rayonnages, l'archéologue avait néanmoins remarqué qu'un livre manquait des plus volumineux. Les deux hommes s'enquérir donc dans le registre de la bibliothèque du nom de l'emprunteur et relevèrent le nom d'un certain Professeur Schoendoerffer. Disposant avec eux d'une copie de la liste des passagers, ils leurs fût aisé de trouver la cabine dans laquelle devait se trouver l'ouvrage convoité. Les allés et venus dans les couloirs déserts du paquebot n'étaient pas sans risque car les scientifiques savaient que l'équipage ne tolérerait aucune exception à l'ordre de confinement. Ils parvinrent cependant a échapper à la vigilance des quelques hommes de bords traversant les couloirs au pas de course et parvinrent à la cabine du professeur. Il frappèrent à la porte et firent connaissance avec Alice Schoendoerffer, une chimiste allemande qui tâchait d'oublier la périlleuse situation en se noyant dans le travaille. Le paquebot prenait effectivement de plus en plus de gîte et rares étaient les passagers qui parvenaient à faire autre chose que s'évertuer à garder leur repas dans l'estomac. Les Français surent s'y prendre avec la jeune femme. Ils savaient que les dames de sciences était bien souvent des féministes engagées et malgrés l'incongruité de la demande qu'ils avaient à lui formuler, ils l'abordèrent respectueusement sous un angles des plus rationnels, parvenant à éveiller la curiosité de la chercheuse. Elle accepta donc, non sans les réserves d'usages que tout esprit cartésien se doit de manifester en pareil occasion, de les aider de son mieux. Elle leur expliqua, comme le savait déjà Hector, que le potassium devrait être facile à trouver à la pharmacie de bord et qu'il devait s'agir du réactif, c'est à dire du dernier produit a mélanger pour provoquer la réaction. Elle se pencha ensuite sur le problème du soufre mais Emile lui coupa l'herbe sous le pieds en se souvenant avoir entendu l'équipage dire qu'ils en utilisaient pour activer les chaudières et qu'il devrait donc y en avoir à la salle des machines. Le cas du bore était plus épineux, elle pensa bien entendu à l'acide borique qui était utilisé pour blanchir le linge et qu'ils devraient pouvoir trouver à la laverie, mais il faudrait le faire réagir avec du magnésium pour en extraire l'élément simple. Hector se rappela qu'il y avait une salle de gymnastique à bord et proposa d'aller récupérer de la magnésie ce qui, Alice en convint, était d'une remarquable ingéniosité. Restait le cas le plus délicat, celui de l'iode. Cet élément était un des plus rare sur terre et en obtenir à bord allait relever de la gageure. Tous pensèrent au sel de cuisine qui était iodé, mais seul Alice savait comment en extraire le précieux atome. Elle leur expliqua la manipulation qui requérait de l'éthanol et du peroxyde d'hydrogène. Il fut convenu que l'éthanol serait obtenu dans les alcools de cuisine et que de l'eau oxygénée devrait être disponible à la pharmacie. Mais tout cela ne servait a rien tant qu'ils ne connaissaient pas les proportions et les Français durent fausser compagnie au professeur en promettant de revenir avec celles-ci. Ils se demandaient bien comment faire. Ils pensèrent bien a essayer de remettre la main sur l'original du message mais si quatre jours n'avaient pas suffit a retrouver le pickpocket, le temps qu'ils leurs restaient risquait probablement d'être insuffisant. Emile eut l'idée de se servir de sa boussole pour visualiser la rotation du navire et repérer les temps entre chaque tours qu'il opérait pris dans le tourbillon. Il pensait ainsi pouvoir conjecturer bientôt la durée qu'ils leurs resteraient avant d'atteindre le centre du vortex. Incapables en revanche de trouver une solution au problème des teneurs, ils décidèrent de retourner voir Phillip Drebin, l'opérateur du télégraphe qui avait reçu le message. En chemin, ils croisèrent un homme de bord qui les intercepta mais qu'Emile parvint a abuser. Il le convint qu'il était souffrant et qu'il se rendait à l'infirmerie. Très à cheval sur le respect des consignes, le matelot accompagna les deux hommes et les remis lui-même entre les mains du docteur. L'archéologue dû faire amende honorable et avouer son petit mensonge au médecin en expliquant son impérieuse nécessité de revoir le patient fou. Malheureusement; et conformément à leurs directives du midi, celui-ci avait été drogué et dormait d'un sommeil profond. Désespérés, les Français tentèrent tout de même leur chance. Et ils eurent raison car ils n'eurent même pas a essayer de réveiller le pauvre homme. Ils trouvèrent les dessins que celui-ci avait fait peu après leur départ avec les crayons que Firmin avait demandé qu'on lui laissa. Ce n'était que des gribouillages d'enfant mais l'un d'entre eux retint leur attention. Il y trouvèrent quelque notes écrite et les proportions qu'ils cherchaient. Il ne leur fallait plus, avant de retourner voir Alice, que déterminer quel allait être le contenant des eaux du Styx. Comprenant du message qu'il leur faudrait s'immerger dans cette improbable soupe chimique, il cherchèrent un endroit susceptible de les accueillir tout les quatre, voir même tous les cinq car il leur était inconcevable d'abandonner la jeune femme à son funeste sort alors que celle-ci les aidait précisément à en réchapper. L'idée leur vint a tous les deux d'utiliser à cette fin la piscine du paquebot. Il décidèrent donc d'y faire un tour pour en relever les côtes. Ils croisèrent à nouveau en chemin du personnel de la C.G.M. mais surent faire preuve de plus de discrétion qu'au voyage précédent. Première constatation sur place, pour quelques raisons inconnus le bassin était vide. Une inspection rapide des équipements de mise en eau leur permis de constater que cela jouait en leur faveur car ils allaient pouvoir la remplir à leur guise d'une eau non chlorée. Il remarquèrent en outre du matériel de maintenance et de la tuyauterie de cuivre qui allait pouvoir les aider a concevoir la cage de Faraday. Une fois les mesures prises, ils retournèrent voir Alice. En chemin Emile remarque que sa boussole avait fait un tour complet. Un rapide calcul de tête lui permis d'estimer l'heure du passage au coeur du tourbillon aux alentours de minuit! Cela ne leur laissait pas tout à fait trois heures pour mener à bien leur mission. Alice compris, en les voyant, que le temps était compté et elle réalisa un véritable exploit en leur donnant en à peine dix minutes les quantités exact nécessaires pour le volume d'eau qu'ils avaient décidé d'utiliser. Les investigateurs montèrent alors un véritable plan d'action en se répartissant les tâches. Dad, le plus furtif, se rendit à la salle des machines récupérer le soufre. Il effectua son trajet promptement comme prévu mais perdit un temps précieux à trouver le sac de poudre rouge. Firmin se rendit à la pharmacie pour en ramener les bonbonnes de potassium et d'eau oxygénée. Malheureusement, l'ethnologue se fit découvrir avec le fruit de son larcin dans les bras au retour. Il profita de la confusion ambiante pour baratiner l'homme d'équipage et se contenter de regagner sa cabine devant lui en promettant de ne plus en sortir. Cette rencontre, et le temps qu'il dû patienter avant de pouvoir rejoindre ses compagnons aux cuisines lui coûtèrent à lui aussi de précieuses minutes. Hector se précipita au gymnase, manquant à plusieurs reprise de se faire découvrir. Il eu de plus, bien que se ne fut dans ses habitudes, le plus grand mal a trouver la magnésie qui était rangée dans un placard particulièrement discret. Les investigateurs jouant décidément de malchance, Emile se fit lui aussi raccompagner à sa cabine à peine en était-il sortie. Le deuxième essai fut le bon et il trouva assez facilement le baril d'acide borique en poudre à la laverie. Se retrouvant tous tant bien que mal aux cuisines, ils commencèrent a opérer les manipulations préconisées par le professeur de chimie. Mettant en pratique tout leur sang-froid et leur savoir-faire scientifique sous les directive du plus expérimenté d'entre eux à savoir Hector, ils réussirent en moins de quatre-vingt-dix minutes a réunir les quatre éléments décrient dans le message. Pendant la cuisson, Firmin et Dad étaient partis à la piscine préparer les matériaux pour la cage de Faraday qu'il allait falloir y plonger. En les rejoignant avec les produits Hector et Emile prirent courageusement le temps de s'arrêter à nouveau à la cabine du Professeur Schoendoerffer. Il eurent bien du mal à la convaincre mais c'est finalement, une fois n'étant pas coutume, en attisant sa curiosité qu'ils parvinrent à leur fin. Alice les suivis donc jusqu'à la piscine et les aida à finaliser la construction de la cage. Pour parachever l'ouvrage, il ne leur restait plus qu'a trouver un moyen de précipiter le potassium dans le mélange en même temps qu'ils fermeraient le circuit électrique sur la structure de cuivre. C'est le naturaliste qui eu l'idée d'utiliser un des récipients métallique ramené des cuisines en le reliant au circuit et le posant au bord de la piscine. La marmite contenait le réactif et ils leurs suffiraient de le tirer dans l'eau à l'aide d'une ficelle pour provoquer la réaction. Les quatre hommes et leur nouvelle amie se tenaient dans l'eau, prés à s'immerger. Le paquebot craquait de toutes parts. On entendait sa carcasse d'acier grincer, les vagues claquant contre la coque. L'atmosphère sinistre aurait eu raison de leur sang-froid si l'instant du passage n'avait pas été si proche. Il ne leur fallu patienter qu'un petit quart d'heure avant que tous reconnaissent le signal. Une étrange chape de silence, comme si le temps se figeait soudainement, s'abattit sur l'étrange théâtre de leur refuge liquide. Tous les cinq prirent leur respirations, s'immergèrent et Emile précipita la marmite.

Il y eu comme un flash puis l'instant suivant plus rien. Un silence et une obscurité absolue. Il remarquèrent que la température du liquide avait brutalement chuté. Il était maintenant glacial. Incapable de retenir leur souffle plus longtemps, ils tentèrent de se redresser. Ils se heurtèrent a une étrange membrane qui enveloppait tout le liquide suivant les arêtes de cuivre de la cage de Faraday. Ils n'eurent heureusement aucun mal a déchirer cette peau fragile et translucide. Ils étaient toujours bien dans la pièce où se trouvait la piscine mais elle n'était plus éclairée. Tous hagards, ils leur fallu quelques minutes avant de sentir l'odeur putride qui régnait autour d'eux. Une odeur de mort, de rouille et de moisi qui prenait à la gorge. Ils décidèrent de sortir à l'air le plus vite possible et quittèrent la piscine pour se diriger vers la coursive la plus proche. En chemin ils constatèrent avec effrois l'insoutenable état de délabrement dans lequel se trouvait le flamboyant paquebot. Les moquettes étaient moisies, les peintures écaillées, les vitres couvertes d'un voile de sel blanc. En atteignant le bastingage, ils n'eurent de mots pour exprimer leur stupéfaction. Il faisait jour, le navire glissait sur une mer d'huile à travers une brume épaisse. Mais, au delà de cet improbable décor, là où d'habitude ils observaient les flots à une bonne dizaine de mètres en dessous d'eux, il n'en restait qu'à peine trois. Le DeGrasse avait dû embarquer beaucoup d'eau lors du passage et il s'était lourdement enfoncé dans la mer. Toujours incapable de décrocher un mots, ils se dirigèrent tous, mût par le même besoin de repères, vers leurs cabines. En chemin l'effroi les saisit à plusieurs reprises alors qu'ils croisaient des carcasses humaines gisant çà et là. Il ne restait qu'un squelette couvert de guenilles qui ressemblaient aux tenus de l'équipage..