Enquête à Revelstoke

L’air était doux ce dimanche après midi et les trois hommes décidèrent d’en profiter pour continuer à préparer leur expédition. Il leur apparut dans un premier temps regrettable de ne point disposer de carte des sentiers de la région. Ils se rendirent donc au poste de police pour en réclamer une au caporal Brown qui leur apparaissait alors comme le plus à même de leur en fournir une.

Au bureau, toutefois, le caporal eut du mal à dissimuler sa gêne. Il ne disposait pas de carte de la région et n’avait aucune explication pertinente à donner aux scientifiques. Il se contenta de préciser que sa juridiction se limitait à la ville et qu’il ne l’abandonnait que très rarement.

Ne sachant vers qui se tourner, les Français choisir de retourner à l’hôtel pour retrouver le prospecteur en exploitation forestière rencontré l’avant-veille dans le train, Mister Atkinson. Puisqu’il était venu pour visiter la région, il était plausible de penser qu’il avait pris soin, contrairement aux expéditionnaires en herbe, de se procurer un plan. L’hypothèse s’avéra juste et ils purent emprunter à l’employé de la société Kraft son unique carte de la région. Emile s’avança même à lui proposer de les accompagner dans leur périple mais l’Américain déclina l’invitation qu’il estimait inopportune, tant leurs objectifs respectifs divergeaient dans leur mise en œuvre. Hector prit sur lui de réaliser une copie dans la journée pour rendre le précieux document à son propriétaire avant le soir.

De retour dans leur chambre pour s’atteler à cette délicate tâche, le naturaliste et l’archéologue remarquèrent très vite que leurs sacs de voyage n’étaient plus disposés tel qu’ils les avaient laissés. Comprenant qu’ils avaient été cambriolés, ils firent l’inventaire de leurs biens et s’aperçurent que leur avait été dérobé tous leurs livres et documents. En effet, les trois ouvrages empruntés à la bibliothèque Saint-Jeffrey de Québec, l’atlas touristique de la Colombie Britannique qu’Hector avait acquis avant le départ de Paris, ainsi que toutes les lettres et documents de travail d’Henri s’étaient volatilisés. Assaillit par le désespoir Lepoil s’effondra dans son lit, inconsolable. Furieux qu’on ait pu ainsi se jouer d’eux les scientifiques descendirent à la réception s’expliquer avec Erwine Lowedge, le propriétaire de l’établissement. Celui-ci déclina toute responsabilité, précisant que les clients disposaient du seul exemplaire de leur clef… ce qui apparu peu probable aux deux hommes qui décidèrent de s’intéresser aux allés et venues dans les chambre durant la matinée. Après réflexion, le patron se résolu à émettre l’hypothèse que le seul instant susceptible d’avoir été propice à la perpétration du forfait semblait devoir être pendant l’office religieux de midi puisque tout le village s’y était rendu. Enfin pas tout à fait tout le monde car Erwine s’empressa d’ajouter que les locataires de la chambre attenante à la leur n’étaient pas venus écouter l’étrange sermon du pasteur Clark. Fort de cette nouvelle information, Hector tourna les talons et alla d’un pas décidé, frapper à la porte de la chambre adjacente à la leur.

Un jeune garçon d’une dizaine d’années ouvrit délicatement pour ne pas réveiller son père assoupit. Devant l’insistance courtoise des visiteurs, se résolu à aller l’extirper de son lit. L’homme, un quinquagénaire vendeur ambulant de remèdes en tous genres déclara n’avoir rien remarqué de suspect, mais avoua que ce n’était pas surprenant dans la mesure où il était en plein sommeil à ce moment là. Se rabattant sur le jeune garçon Hector obtint ce qu’il cherchait. L’enfant avait croisé dans le couloir un autre gamin de son âge, petit garçon brun mal vêtu, qui semblait sortir de la chambre des Français en trainant un gros sac avec lui. Il allait donc leur falloir retrouver un gosse dans les ruelles du village qui semblait en regorger. C’était mince comme piste, mais ils allaient devoir faire avec.

En quittant l’hôtel pour une après midi d’enquête, à l’affût du petit voleur, Emile et Hector statuèrent de commencer leur investigation par la guérite du CPCT, le Canadian Post and Telegraph Compagny, tenu par un homme chétif prénommé Edward. Principalement intéressé de savoir s’il avait reçu la visite de Jarvis, leur introuvable guide, il leur fut particulièrement délicat de convaincre le guichetier de leur livrer des informations couvertes par la déontologie du secret professionnel. Edward se refusa à les laisser accéder à ses archives mais il consentit néanmoins à leur faire part de ce dont il de souvenait :

L’homme, un élégant moustachu à l’accent Anglais, s’était présenté il y a environ une semaine pour recevoir un message émanant des autorités Québécoises, spécifiant les positions de quatre totems dans la région. Il avait répondu en accusant réception de l’information et en précisant qu’il était bien arrivé. Edward alla jusqu’à indiquer au Français, sur leur carte de la région, la position approximative qu’il avait retenu des objets.

Ne voulant pas abuser de la bienveillance du petit technicien, Hector et Emile le remercièrent et continuèrent leur chemin pour rendre visite au maire de Revelstoke, le docteur Thomasson qui habitait juste à côté. Andrew de son prénom, ouvrit rapidement sa porte et salua bien cordialement ses nouveaux hôtes. Il leur expliqua ne pas avoir personnellement rencontré Jarvis lors de son passage en ville et pesta d’apprendre que l’homme s’était aventuré seul dans les forêts avoisinantes. Ne semblant pas avoir grand-chose à apprendre à ses visiteurs, ils échangèrent quelques banalités avant d’en venir au cas d’Avranche. Le docteur ne portait pas cet homme dans son cœur et ne se priva pas de faire part de ses sentiments aux deux Français. Pour lui, l’exploitant de la mine de Fond-de-Coppe n’était ni plus ni moins qu’un gangster aux mœurs dissolus, arrogant et violent. Il insista sur le réseau de relations qui permettait à Noël d’œuvrer en toute impunité dans sa ville et sur la puissance économique de l’homme qui disposait sans aucun doute de la plus grande fortune de la région. Il étaya ses propos au sujet du fort peu flatteur portrait qu’il dressait du personnage, en évoquant la présence de deux filles de joie récemment arrivées au foyer des travailleurs, probablement pour une soirée lubrique dont il semblait coutumier. A ce sujet d’ailleurs, il se souvint que c’est à ce même foyer que Jarvis avait passé son unique nuit en ville. Intrigués par cette nouvelle piste, les scientifiques laissèrent le maire vaquer à ses occupations, et s’excusèrent avant de prendre la direction dudit Foyer. En chemin Emile se fit de nouveau la réflexion qu’il aimerait sérieusement infiltrer la demeure du sinistre gangster… Hector était, pour sa part, toujours aussi réticent à cette idée qu’il jugeait trop risquée.

Sur place, ils rencontrèrent le gérant, Mr Juncker. Il apprirent que Jarvis avait bien passé une nuit sur place, qu’il était parti au petit matin en direction du sentier dit des « Premiers pas » juste à la sortie de la ville vers le nord. Il était repassé en ville le lendemain pour se rendre au port et embarquer à bord du bac en direction de Fond-de-Coppe. Lors de l’échange, les Français aperçurent dans le dortoir les deux prostitués en train de discuter et de rire bruyamment. Ne perdant pas le fil de leur enquête, ils allèrent au port où ils apprirent de la bouche du capitaine Adigton que leur guide avait bien embarqué avec son cheval avec les mineurs en transit pour l’exploitation minière. C’est d’ailleurs de la bouche d’un de ces mineurs qu’il avait entendu plus tard que l’homme ne s’était pas rendu jusqu’à Fond-de-Coppe mais qu’il avait bifurqué du chemin y menant peu avant d’y arriver.

Sans prendre le temps de se reposer pour réfléchir à toutes ces nouvelles informations, Hector eut l’idée de proposer à son ami de profiter de la présence des catins au foyer pour essayer d’échafauder un plan en vue de la visite nocturne chez Avranche qui semblait tant tenir à cœur à l’archéologue. Puisque les demoiselles allaient être conviées pour une partie fine chez le riche propriétaire, peut-être allaient elles pouvoir accepter de les aider à infiltrer la demeure. Ils retournèrent donc sur leurs pas, pour voir ce qu’ils pouvaient obtenir des deux entraineuses.

La conversation ne fut pas des plus aisée avec Leslie et Mapita. Elles ne semblaient rien prendre au sérieux et faisait mines de ne pas comprendre les explications des deux hommes. Les choses devinrent toutefois plus simples lorsqu’Emile leur demanda leur prix pour faire en sorte d’ouvrir une porte ou une fenêtre de la maison « par inadvertance» dans le courant de la soirée. Dure en affaire, Leslie annonça de but en blanc « 50 dollards pour moi, 50 dollards pour ma copine ! ». Voulant probablement s’assurer la complète discrétion des jeunes femmes au sujet de leur petit arrangement, les Français acceptèrent sans même négocier et cédèrent l’équivalent d’un demi de leur salaire de scientifiques aux deux inconnues. Puis ils ne s’attardèrent pas plus pour ne pas prendre le risque d’éveiller des soupçons en croisant un homme de Noël venu chercher les filles.Satisfait de cet après-midi de recherche, mais passablement émoustillés par l‘instant partagé en compagnies des deux filles de peu de vertue, les scientifiques redescendirent un instant se poser à l’hôtel. Ils commandèrent un bon verre de Bourbon qui fut offert par la maison en même temps qu’un rabais sur le tarif des chambres pour le début du séjour. En effet Mr Lowedge, semblait avoir pris du recul au sujet de l’histoire du cambriolage et souhaitait faire un effort pour convaincre ses clients de ne pas ébruiter une affaire qui aurait pu porter atteinte à la réputation de son établissement. De leur côté, Emile et Hector acceptèrent bien cordialement la proposition d’Erwine avant de reprendre le fil de leur enquête. A ce sujet, il leur apparu que s’ils avaient progressés dans bien des domaines, ils n’avaient toujours pas retrouvé le jeune cambrioleur. Ils recensèrent donc tous les endroits où ils se souvenaient avoir vu des gamins et repartir en quête de leurs livres. Après plusieurs essais infructueux, ils arrivèrent à la ferme des Lovegod tout au sud de la ville.

Là, Hector trouva le petit Marty et son frère qui allait pouvoir lui servir d’interprète. Effectivement, Marty était muet, brun, mal vêtu et il avait manqué l’office religieux… cela faisait trop de coïncidences pour n’être qu’un hasard. De fait, Marty accepta d’avouer son forfait lorsqu’Hector lui proposa en échange, de réparer son bilboquet cassé. Il ne dit pas, puisque cela lui était interdit, qui lui avait demandé de faire cela, mais il signifia qu’il avait amené le sac au cabinet du docteur Thomasson. Pour le remercier, le naturaliste, qui tenta sans succès de remettre en état de marche le jouet de l’enfant, lui donna deux dollards pour s’en racheter un neuf. Faisant part du fruit de ses investigations à son coéquipier, Hector constata qu’Emile n’était pas surpris, et qu’il avait pressenti l’implication du maire dans leurs mésaventures. Les deux hommes se dirigèrent donc vers son cabinet mais, alors qu’Emile cherchait son nécessaire à crochetage, il remarqua qu’ils étaient toujours suivis par le constable Hammon. Le policier, en bon garde du corps, ne les avait pas lâché d’une semelle mais était toujours resté suffisamment en retrait pour se faire oublier. Hector tenta bien de l’éloigner mais c’était sans compter sur la pugnacité du fonctionnaire opérant sur ordre de son supérieur. Déçus mais pas abattus, les Français retournèrent au Shuswap Creek pour essayer de fausser compagnie au constable. Puisque celui-ci se contentait de se poster devant l’hôtel lorsqu’ils s’y rendaient, ils leurs suffiraient de sortir par la porte de derrière. Saisissant l’occasion, Erwine les interpela en leur demandant de bien vouloir s’occuper de leur compagnon de chambrée. Apparemment Lepoil ne cessait de geindre et le bruit incommodait les autres clients. Au chevet du secrétaire, ils apprirent en effet que celui-ci souffrait à nouveau de son estomac. Il disait être victime d’un ulcère que l’épisode du cambriolage avait ravivé. La décision fut donc prise de laisser Emile partir seul au cabinet du docteur pour pouvoir s’y introduire en toute discrétion alors qu’Hector requerrait son aide pour examiner le pauvre Henri. L’opération ne se passa pas exactement comme prévue…

D’une part, Emile dut attendre, en se dissimulant, que le docteur ait quitté son cabinet dans lequel il était retourné chercher sa sacoche avant d’accompagner Hector à l’hôtel. Ensuite il eut énormément de mal à crocheter la serrure et finalement perdit un temps considérable avant de trouver l’endroit où devait être dissimulés leurs livres, un simple casier du bureau du docteur… lui aussi fermé à clef. L’archéologue joua de malchance en butant à nouveau sur cette serrure avant que ne revienne Andrew accompagné du naturaliste.

Entre temps ce dernier avait usé de tous les stratagèmes possibles et imaginables pour faire gagner du temps à son complice mais, se faisant, il avait aussi éveillé l'attention du maire, qui loin d'être idiot commençait à s'inquiéter pour sa couverture. La ruse d'Hector pour s'approcher du bureau, prétextant ne pas avoir le bon compte pour régler au médecin sa pommade contre les cors aux pieds qu'il venait de s'inventer, acheva de le convaincre qu'il avait été découvert.

Le soleil déclinant, les deux hommes rentrèrent penauds se restaurer avant de se remettre en selle pour la très délicate infiltration de la demeure du truand, ou il leur faudrait à l'évidence être mieux inspirés et plus en veine.

Joué avec David et Arnaud le jeudi 18/03/2010.

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