Dans la gueule du loup

Il était huit heure ce lundi matin lorsque Lepoil commença a geindre. Réveil brutal pour les scientifiques qui, à l'abri dans leur songes, redoutaient d'avoir a affronter les conséquence de leur escapade nocturne. Henri ne s'inquiéta pas de l'absence injustifiée de ses deux intrépides compagnons pendant la moitié de la nuit (l'avait-il seulement remarqué?), mais il divaguait sur les dangers à venir. Comme il venait de terminer la lecture d'un roman de Fennimore Cooper, il tenait impérativement à leurs expliquer que dans le livre, un espion utilise la technique du petit poucet en semant des cailloux en forêt sur son chemin et qu'il sème toujours le premier caillou au pied du plus grand arbre parce que... Mais déjà plus personne n'écoutait Lepoil et ses pathétiques élucubrations, il fallait se lever et préparer les affaires. Les deux hommes n'en trouvant pas la force, le destin allait leur venir en aide. On frappa à la porte de leur chambre. Hector se décida le premier et ouvrit à l'inconnu qui patientait poliment. Il se présenta:

-"Bonjour, je m'appel Firmin Soizic, je suis ethnologue dépêché par le ministère de la culture pour vous retrouver ici-même et vous accompagner dans votre périple..."

Le naturaliste, assez mal réveillé et tourmenté par la menace qui pesait sur eux fit mine de ne pas comprendre et tenta d'envoyer balader l'impromptu visiteur... mais celui-ci insista:

-"Vous deviez rencontrer un guide n'est-ce pas? Jarvis Ellroy Napier, je crois. Il n'est jamais arrivé et je suis ici pour prendre sa place, soyez assuré du bien fondé de ma proposition. En tant que scientifiques, nous partageons les mêmes valeurs vous et moi. Je comprends votre scepticisme mais je pourrais véritablement vous aider. Je suis un spécialiste des cultures Haïdas, vous comprenez c'est la raison de ma présence ici..."

Hector commençait a se détendre et à trouver son interlocuteur intéressant. La conversation s'engagea et l'ambiance devint cordiale lorsque, remarquant l'accent de Firmin, Emile lui fit dire qu'il était Français. Que comme eux, il venait de Paris et qu'il avait même été élève de Félicien Piquette l'illustre confrère de l'archéologue. Finalement réjouis de trouver un allié dans un moment aussi délicat, ils s'avisèrent que, trêve de mondanité, ils finiraient de faire connaissance lors de la longue chevauchée qui les attendaient. Sur ces entrefaites Henri, qui avait cessé ses excentricités, fit remarquer qu'on pouvait entendre que des cavaliers faisaient halte à l'hôtel. D'un bref coup d'oeil à travers l'épais rideau de la fenêtre Emile vis le caporal descendre de sa monture. Il remarqua aussi qu'un des hommes d'Avranche était déjà en poste au milieu de la place. Le corporal Brown arriva donc dans le dos de Firmin et les quatre hommes se tenaient maintenant sur le palier de la chambre du "Shuswap Creek". Après une rapide présentation avec l'ethnolgue le policier les informa qu'il enquêtait sur les coups de feux entendus durant la nuit à proximité de la demeure de monsieur Avranche. Hector, très nerveux, se mis instantanément sur la défensive, s'offensant de sentir des soupçons peser sur eux. Brown tenta habilement de le rassurer en faisant valoir qu'il ne faisait que suivre une procédure classique pour ce genre d'incident. Mais rien ne semblait pouvoir calmer le naturaliste qui renchérit en stipulant qu'ils avaient dormis comme des pierres et qu'il n'avaient rien à déclarer. Emile ajouta qu'une dure journée les attendais et qu'ils manquaient de temps. L'officier abandonna finalement après avoir obtenu des deux hommes la promesse qu'ils viendraient faire une déposition à leur retour à Revelstoke.

Lorsqu'ils furent enfin seuls, ils préparèrent leurs affaires à la hâte et, constatant que l'homme de main d'Avranche montait toujours la garde devant l'hôtel, ils décidèrent de sortir, comme la veille, par la porte du bureau de Lowedge, à l'arrière du bâtiment. Empruntant avec plus ou moins de discrétion un chemin détourné pour rejoindre l'écurie du vieux Stevenson, ils purent enfin se mettre en selle. Il allaient se rendre directement à Illcillwaet sans passer par le sentier des "premiers pas" en quête d'un des quatre totems que cherchait Jarvis. C'était un changement de plan proposé par Firmin qui préférait trouver un guide avant de tenter toutes incursions dans ces contrées sauvages.

Longeant la voix de chemin de fer dans une atmosphère lourde et bercée par le clapoti de la rivière serpentant tout du long à proximité, les trois hommes découvraient une nature majestueuse, faites de pins immenses se détachant en dentelle des parois abruptes des montagnes aux sommets enneigés. Peu avant midi Emile, qui faisait un bien piètre cavalier, manqua de se briser le coup dans une chute improbable. A cette occasion toutefois, il remarqua en remontant sur son cheval que leur petit groupe était suivi à bonne distance. Sans longue vue impossible de dénombrer et encore moins d'identifier le ou les poursuivant, mais comme il allait falloir marquer une pause pour manger, tous se mirent d'accord pour monter une embuscade. Il se faufilèrent donc avec leur chevaux dans un bosquet d'arbre pour poser pied à terre et se sustenter.

Pendant le repas Hector aperçut des mouflons du Canada sur un escarpement, le troupeau offrait une petite distraction aux scientifiques pendant leur dîner. Mais quelque minutes à peine après avoir commencer a les observer, il furent témoin d'une scène peu ordinaire. Pris de panique pour une raison inconnue, les ovins s'agitèrent soudainement et l'un d'eux chuta de plusieurs mètres en contrebas. Comme l'embuscade ne semblait guère fructueuse, Firmin et Hector très intrigués laissèrent l'archéologue seul en poste un instant. Le temps d'aller trouver la carcasse de la bête qui devait se trouver à peine à un quart d'heure de marche. Il firent ainsi leur première expérience de ces forêts de fond de vallée aux arbres incroyablement haut. Le temps se faisant de plus en plus lourd, une brume commençait a recouvrir la canopée et bien que le parcours semblait simple, il leurs fallut deux fois plus de temps que prévus pour rejoindre le pied de la paroi au bon endroit. Il n'y avait pas de doute à avoir, le mouflon avait laissé une gerbe rouge à l'endroit de l'impact mais son cadavre n'était plus là. Rapidement Hector repèra l'empennage d'une flèche brisée et les deux hommes comprirent qu'ils n'étaient pas seuls. En y repensant d'ailleurs, le troupeau s'était probablement agité aprés que la pauvre victime ait été atteinte par la flèche d'un chasseur qui devait être très habile pour faire mouche à pareil distance. Passablement inquiet, les scientifiques rebroussèrent chemin pour retrouver leur ami qui faisait toujours le guet sans succés. Remettant le pieds à l'étrier avec déjà un peu plus d'aisance, il ne leur fallut que deux heures pour rallier Illcillwaet.

Le spectacle des deux cabanes a demi abandonnées qui les attendait les laissa perplexe. Ils commençaient à douter d'être arrivé à bon port losqu'ils aperçurent un homme au milieu d'un chemin à l'orée du bois.

Il s'approchèrent de ce qui ressemblait à un fermier tenant de grandes liasses de joncs. Le vieil homme semblait à moitié sénile, il ne répondait pas aux questions et ne s'intéressait qu'au fusil que portait Emile. La conversation étaient presque impossible mais il fini tout de même par guider les cavaliers à une autre cabane qui devait tenir lieu d'auberge. Elle était à une centaine de mètres des deux premières dissimulée par des taillis. A l'intérieur se trouvait une dizaine d'homme dont quelques Langahan. Hector proposa de payer un verre au vieil homme qui les avait guidé. Ils apprirent qu'il s'appelait Michel Tardon mais qu'on le surnommait "Michtar". L'homme qui servait à boire, prénommé Sylvain était plus jeune mais il ne semblait guère plus civilisé. Alors qu'Hector annonçait a tous qu'il cherchait un guide, il repéra l'indien qu'ils avaient croisé la veille au magasin général de Revelstoke. Dadjingits, vint à leur rencontre. Il leur présenta brièvement les principaux clients. Il y a avait notamment le trappeur Raoul Gewill, pour le compte duquel il travaillait. A la même table Hoya-Gundla son jeune frère.

Un peu plus loin, un coureur des bois taciturne qui se faisait appeler "Finger" et envers qui Dad semblait nourrir une défiance inexpliquée. Au comptoir, Kaïdjudal un Langahan alcoolique notoire qui accompagnait Michtar. Et c'était là à peu prés toute la population d'Illcillwaet. Le naturaliste demanda à Dad s'il accepterait de leur servir de guide mais il déclina l'offre en expliquant qu'il devait lever le camps le lendemain matin pour quitter la région. Avec Raoul et Hoya ils chassaient le cougar pour la fourrure très en vogue à Vancouver. Pendant la discussion un homme était entré dans l'auberge. Les Français avaient reconnus un des malfaiteurs qui travaillait pour Avranche et supposaient qu'il les avaient pris en filature depuis Revelstoke. Il s'était installé à côté de Finger et discutait à voie basse. Alors que les scientifiques laissaient Dad retourner auprès de son frère, un Langahan de la tablée aux chuchotis maniganceurs vint à son tour à leur rencontre.

Il se présenta comme étant Gatgainans, un indien Haïda de la tribu Maïame et il leur offrit ses services de guide. Circonspect, on l'eut été à moins, les Français lui demandèrent si il connaissait la crapule qui venait d'entrer. L'indien répondit que non, mais il mentait de toute évidence. La discussion continua âprement, alternant entre l'interrogatoire et le marchandage... les scientifiques tergiversaient sans pouvoir se décider. Finalement il se résolurent à accepter de suivre Gat. Il faut avouer que l'homme faisait des promesses alléchantes en offrant d'aller, le soir même, directement à la rencontre des Kungahaïs dans leur village. Devant le peu de temps qu'il leur restait avant le coucher du soleil, l'indien pressa le pas et invita tout le monde a se mettre en selle promptement. les quatre chevaux, à la queue leu leu, progressaient au pas dans la forêt. Il n'y avait pas a proprement parlé de chemin. La végétation luxuriante l'eut de toute façon recouvert en peu de temps. Le sol lui-même avait disparu sous une incroyable épaisseur de tourbe, de bois mort et de mousse. La forêt tout entière semblait ainsi flotter sur les résidus spongieux de ses vie antérieures. Aprés deux heures de routes, maintenant que la pénombre envahissait les sous-bois et que le temps tournait à l'orage, Gat arrêta le petit convois d'un signe de la main. On pouvait distinguer à une bonne centaine de mètres ce qui pouvait ressembler à des tentes et un campement. L'indien expliqua aux Français qu'il lui fallait aller seul à la rencontre des Kungahaï pour leur expliquer la situation et revenir avec eux. Hector, qui avait un mauvais pressentiment lui demanda de leur laisser sa jument, ce à quoi il consentit volontier avant de partir en éclaireur. Mal à l'aise dans cette étouffante verdure où les formes entremêlées abusent la vue et les bruissements de la nature parasitent l'ouïe, les scientifiques posèrent pieds à terre pour se sentir moins exposé. Harassés par une journée de cheval, irrités par la moiteur ambiante, ils commençaient à se laisser envahir par la fatigue et la peur. Ils convinrent de se poster à l'affût et d'envoyer Emile sur les talons de Gat. L'attente parue interminable mais l'archéologue réapparut finalement cinq minute plus tard, tenu en respect par un homme en uniforme armé d'un revolver. Une vingtaine de soldats, armés de fusils surgirent alors de nul part, encerclant les deux Français. Un officier, accompagné de l'indien scélérat, s'approcha d'eux leur sommant de déposer les armes:

-"Je suis le Capitaine William Shaler et au nom de la Confédération Canadienne je vous fais prisonniers de guerre!". Le piège se refermait sur eux à présent et ils n'eurent d'autre choix que de se rendre. Se laissant ligoter, ils observaient les soldats et réalisaient à qui ils avaient à faire. Les visage émaciés camouflés par de longues barbes. Les uniformes souillés, délavés et rafistolées de toutes parts. Ce campement et les hommes qui y vivaient était là depuis suffisamment longtemps pour que la mousse recouvre les tentes. Les trois prisonniers en traversant le camp dénombrèrent une cinquantaine de soldat. Hector se souvint alors d'une coupure de journaux qu'il avait lu à la bibliothèque Saint-Jeffrey à Québec. Il y était question d'un escadron de chasseurs à cheval qui avait disparu dans les montagnes de la région en 1923. S'il s'agissait bien des mêmes hommes, il était surpris de ne pas voir leur montures. On les isola sans ménagement dans une petite tente au sol tapissé de paille. La nuit était maintenant tombée, l'orage commençait à gronder.

Joué avec Arnaud et Louis le jeudi 22/04/2010.

La suite >