Le Potlach

"Prenez deux hommes, allez le chercher et amenez-le dans ma maison. Mais ne comptez pas sur Yagun pour s'occuper de lui. Il a déjà bien assez à faire avec nos propre blessé sans devoir en plus s'occuper de soigner un soldat canadien." Kaïganis accédait ainsi à la demande d'Emile qui avait su trouver les arguments pour le convaincre. Le blessé fut donc installé comme convenu et laissé sous la surveillance d'une femme du village. En lui faisant les poches avant de partir, Emile récupéra une chainette en or qu’il conserva pour la soumettre au soldat lorsqu’il aurait émergé de son inconscience.

Le soir venu, la tribu organisa un Pow-Wow pour célébrer la victoire. Dad et l'archéologue eurent l'agréable surprise de voir Firmin se joindre à eux. En effet la jeune femme qui prenait soin de lui avait, avec l'aide de deux amies, eu la bonne idée d'utiliser la couche de l'ethnologue comme un brancard et lui avait permis de rejoindre les festivités. Dansant, chantant, partageant un repas de circonstance avec les Kungahaïs, les scientifiques réalisaient à quel point ils étaient parvenu à accomplir l'exploit qu'aucun de leur prédécesseurs n'avaient su concrétiser avant eux. Il leurs semblait faire partie de la tribu. Les guerriers leurs racontaient comme aux autres avec force de grands gestes comment ils avaient tué l'ennemi le matin même. Les plus jeunes jouaient à se faire peur en les approchant et les femmes veillaient sur eux comme sur les autres.

Kaïganis, assis à leurs côté leur offrit de fumer dans une magnifique pipe en argilite qui avait déjà presque fait le tour des guerriers. Mais c'est un peu plus tard dans la soirée qu'ils comprirent a quel point ils venaient d'acquérir la confiance des indigènes. Le chef se leva, tout le monde se tut et il prit la parole:

"C'est une grande victoire mes frères que nous célébrons ce soir.

Une victoire sur les soldats de l'oppresseur.

Mais avant tout une victoire pour l'avenir de notre tribu.

Aujourd'hui pour la première fois, nous avons combattu aux côté des blancs.

Ceux là qui sont venus nous avertir du danger.

Cela signifie que nous avons des alliés parmi eux.

Ce ne sont pas des gens avec qui l'on peut commercer comme nous le faisons avec le chef de la mine.

Ce sont des frères eux aussi maintenant.

Des frères qui ont risqués leurs vies pour sauver celle des Kungahais.

Nous allons donc procéder au potlach:"

Répondant au regard interrogateur d'Emile, Firmin et Dad lui expliquèrent qu'il s'agissait d'une cérémonie d'offrande.

Le chef se tourna vers l'archéologue en lui tendant un masque:

"Au blanc qui raconte les histoires des ancêtres j'ai décidé de donner le masque que j'avais fais préparé pour le chef de la mine."

Il s'approcha ensuite de Firmin avec un second masque:

"Au blanc qui fabrique des couteaux et qui est blessé à la jambe Kumshewa a voulu donné le masque de son frère Akiawo mort au combat."

Il s'adressa alors à l'assemblée en bradissant un troisième masque

"Au blanc qui lutte contre la mort Huados a souhaité donner le masque de son ami KwaKin mort aussi dans la bataille."

"Et au pisteur Wekneeg qui les accompagne Yagun donne l'ancien masque du sage Tsungis, mort pour avoir voulu fraterniser avec d'autre tribu Haïdas."

Une fois les cadeaux remis, le chef conclu le Potlach d'une mystérieuse façon en expliquant qu'il allait maintenant révéler le secret du Yogné aux nouveaux membres.

La fête repris et Howkan, le sage, s'approcha des étrangers avec une sacoche d'où il tira une touffe de lichen gris.

Il expliqua à Emile, Dad et Firmin que cette plante, qu'ils appelaient Yogné, devait être placée dans les masques dans un emplacement prévu à cet effet à hauteur du nez. Ce faisant, continua-t'il, les Kungahaïs se protégeaient du Wendigo. Comprenant que le végétal faisait, à l'instar du masque à gaz, office de filtre, les trois hommes en firent chacun provision d'une poignée. Tout en le leur distribuant, Howkan s'empressa d'ajouter que l'efficacité du Yogné s'estompait à l'usage et qu'il fallait le remplacer toutes les heures environs. L'ethnologue s'inquiéta alors de savoir où les indiens se fournissaient. Kaïganis leur fit la description de l'endroit qui leur sembla devoir être aux abords du sentier du chou puant.

Alors que les festivités allaient bon train, les scientifiques et Dadjingits conversaient avec Howkan et le chef.

Ils en apprirent un peu plus sur la tribu. Le sage leur raconta qu'ils occupaient la région depuis des temps immémoriaux, partageant leur espace vitale avec le Wendigo. La chose qui hantait ces lieux semblait se nourrir de la mémoire et des connaissances des hommes. De ce fait, l'esprit malin était lentement parvenu a rendre impossible la transmission orale traditionnelle des légendes et des coutumes que pratiquaient les Amérindiens. C'est donc pour préserver leur histoire que les Kungahaïs se résolurent à la graver dans la pierre. Mais au fil des siècles, le Wendigo était parvenus a reprendre le dessus si bien qu'aujourd'hui, sur la centaine de totems de pierres érigés un peu partout sur le territoire, seul cinq avaient échappés à l'érosion surnaturelle qu'engendrait la magie du mangeur d'âme. La tribu ne savait plus lire sa propre écriture et elle avait perdu jusqu'au secret de confection des étranges totems. Howkan fit part aux Français de sa crainte de voir disparaitre son peuple. Même Yagun avait finit par oublier le secret de la préparation de ses breuvages magiques. Leur quotidien n'était plus voué qu'à la lutte désespérée contre un ennemi invisible et toujours plus prégnant. La situation se dessinant progressivement, Emile se remémora les scènes dont il avait été témoin dans la maison d'Avranche. Il pensait à voix haute pour soumettre cette expérience aux Kaïganis qui confirmèrent l'hypothèse de l'archéologue, à savoir que le patron de la mine jouait a l'apprenti sorcier avec le grand esprit. Cette information acheva de convaincre le chef de la nécessité de dépêcher un émissaire à la mine pour arranger un rendez-vous entre les signataires du traité de paix. De leur côté, les occidentaux prenants conscience de ce à quoi ils étaient confrontés, eurent la désagréable surprise de découvrir que leurs papiers d'identité ainsi que billets de transports pour le retour n'avaient pas survécu aux assauts du Wendigo. Ils se retrouvaient, à l'instar de leurs nouveaux amis, un peu perdu dans ce bout du monde si isolé où le principal combat après la survie concernait la mémoire. Dans cette perspective d'ailleurs, le Chamane perpétuait un des derniers rituels encore vivace en purifiant et en enterrant les esprits du lac sacré. A ce sujet Howkan leur appris que les momies revenaient dans les eaux du lac tous les ans aux beaux jours et qu'entre autres particularités physiques elles avaient une dentition très particulière formée de crocs, comme ceux que l’on trouverait dans la gueule d'un carnivore.

Pendant ce temps, Hector, toujours aux prises avec ses rêves, parvenait enfin a s'extraire du fond du puits dans lequel il croupissait. En fait, il eu la surprise d'entendre l'ours le désigner comme "Homo Sapiens" en écho à son "Ursus Arctos". Le naturaliste se fit alors la réflexion que l'ours était en quelque sorte lui-même et il se servi de son alter-ego pour retenir la corde dont il usa pour sortir des abîmes de son subconscient. A la surface, il se trouva perdu au milieu d'un no man's land de la grande guerre.

Un paysage de désolation qu'il connaissait pour y avoir combattu mais duquel il ne reconnaissait pas l'atmosphère. Alors que de ses souvenirs en lambeaux émergeait le fracas des obus, le cris des hommes et le crépitement des fusils, ici régnait un calme absolue. Face a lui se tenait l'ours qu'il découvrait maintenant en bien mauvais état. Le pauvre animal semblait malade, effrayé... quasi mourant. Hector aperçut une chouette posée sur un barbelé. Il prononça son nom binominal et en réponse a cette incantation, comme par magie, il fut saisi d'une vision.

Une jeune fille assise en terrasse de café accueuille un homme qui lui dit: "T'as besoin de vacances Leslie, je t'envoie à la montagne avec ta copine."

De retour sur son champs de bataille désert avec son ours le naturaliste chercha un autre hibou et lorsqu'il en aperçut un sur l'unique arbre encore debout, il répéta sa formule magique. Cette fois-ci la vision mettait en scène un homme en train de déposer un document à un guichet de banque.

Le guichetier disait "Signez ici Mr Scott... voilà vos documents restent à votre disposition dans notre coffre". Une fois le flash évaporé, Hector s'approcha de l'ours, il tendit la main et lorsqu'il le toucha, il lui sembla s'évanouir à nouveau. Il souffrait, il respirait, mais ne voyait rien, tout était sombre autour de lui. Mais il respirait, il était donc réveillé. Il scruta le brouillard qui l'enveloppait et aperçut la silhouette d'une femme sortir précipitamment de la pièce où il gisait.

Le chef Kaïganis écoutait attentivement les explications des scientifiques concernant la médecine des blancs et les précautions dont il fallait entourer l'usage de la morphine lorsqu'une femme interrompit la conversation. Elle venait les prévenir du réveil de leur ami. Soulagés par cette bonne nouvelle, les trois hommes se rendirent à son chevet pour lui tenir compagnie et le rassurer. La blessure était mauvaise et bien que la balle ne fût plus là, il faudrait probablement plusieurs semaines au naturaliste pour pouvoir retrouver l'usage de son bras gauche.

Mais ce n'était pas dans la nature d'Hector de profiter de la situation pour s'épargner. Il s'efforça tant qu'il le pu d’écouter ce que ses compagnons avaient à lui raconter. C'est ainsi qu'en inspectant l'étrange clef découverte le matin même dans les affaires du capitaine, le naturaliste put faire preuve de sa sagacité en reconnaissant les trois lettres "CNR" pour les avoir vu sur son billet de train. Elles signifiaient "Canadian National Railways", c’était donc une clef de la compagnie de chemin de fer Canadienne. Tout à la satisfaction d’avoir résolu ce mystère, les quatre hommes furent à nouveau interrompus par une femme du village venu les avertir cette fois du réveil de leur prisonnier.

Lorsqu’ils furent tous autour de lui, ils découvrirent un homme hébété, souffrant et terrifié par la présence des indiens. Dans son état, le plus difficile n’était pas de le convaincre de répondre aux questions mais bien de le maintenir conscient. Ce fut délicat mais ils obtinrent tout de même l’histoire du bijou et par là même, celle des soldats du Vème escadron des chasseurs à cheval du capitaine William Shaler. La chainette appartenait à une jeune femme voyageant à bord du « Canadian Pacific ». Le soldat l’avait récupéré lors d’une des opérations de braquage d’un train exécutée sous les ordres de Finger grimé en Colonel Jack Morton. Le détachement militaire était ainsi utilisé par le bandit en guise de milice privée. Il en tirait manifestement grand profit et faisait tout son possible pour les maintenir reclus… Jusqu’à ce que les Français ne croisent leur route et ne leur abandonne malencontreusement une carte de la région.

Il se faisait tard maintenant. Les blessés avaient besoin de prendre du repos et Kaïganis s’enquit des projets de ses hôtes avant de mettre un terme aux festivités. Hector et Firmin se proposèrent, compte tenu leur état, de commencer l’étude scientifique voulu par Félicien Piquette. Ils allaient donc mettre sur pied, avec l’aide de l’érudit Howkan, une expédition ayant pour objectif les totems de pierre. De leur côté Emile et Dad allaient parer au plus urgent en partant à la rescousse du petit comptable prisonnier de l’infâme clique d’Avranche.

Joué avec David, Arnaud, Louis et Gabriel le jeudi 10/06/2010.

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