Et le pays sera peau de chagrin, saigné de dénatalité, tordu par la peur, éventré de guerre en guerre, quand nous l’accosterons. Son rivage ressemblera à une salle de dissection où volètent des lucioles. Nous serons cachés dans des entrailles de thons, comme tout clandestin, à essayer de nous habituer aux larmes sur les joues. Le vieux pêcheur aveugle nous aura expliqué que c'est le seul moyen d'échapper à la surveillance des drones psychopathes. Nous aurons accosté dans le noir et dans ce qui est ravagé et intact dans notre mémoire.
Et le visage du passeur ressemblera à un vieil anus au soleil. La chair rosée du poisson et Isa nue et encore pétrifiée à ses rêves. Le passeur aveugle reniflera, le cœur en érection, les coulures de sang sur ses cuisses. Je sortirai du thon les yeux pleins de graisse. Le vent crépitera à la manière d’un kimigayo. Puis le vieux passeur repartira sur sa barque en éclatant de rire et en lançant une malédiction en espéranto pourrissant. Un monde commence à nous échapper quand on constate que le sperme jaillit du nombril.
La laideur de la nature aura repris ses droits. La grande mégalopole poussiéreuse s’éloignera un peu. Cela nous fera parler d'une cité aux détails grotesques, un gong explosant dans la rue. Nous parlerons de vomit noise. Notre volonté de rencontrer les membres de Rêveurs Sinécures. Tokyo refoulée, je vendrai tout ce que je possède, sang ou memorabilia, pour avoir cette nouvelle ombre au crâne. Clubs de chamanisme SM. Films qui rendent fous. Quartiers disparaissant dans ses disparus. Trafics d'adultes modifiés en enfants.
Sur le bord de mer dévoré, nous verrons Lou. Il portera un masque de catch et nous demandera d’en mettre un aussi. Pour détourner l’attention des drones. Pour ne pas être le jouet du lynchage. Mon masque sentira mauvais. Je serai écœuré par tous ceux qui dedans auront avant moi transpiré leurs rêves et crié dans la boîte du réel.
Mais la fatigue nous saisira à la gorge et je me souviendrai des entrailles du poisson et des odeurs chaudes dans l’obscurité rougeâtre et le léger balancement de la barque pourrie et mon cœur comme à un premier rendez-vous. Et les effluves nous feront halluciner la lune, faible masque dans le ciel, où flottent les drones blasés.
On saura que la ville au loin change avec constance et qu'il sera impossible de retrouver celle qui ressemble aux autres villes de ce pays en berne. Nous rêverons de la terrible K Police, éclatant de rire dans le carnage, la police trop secrète qui dort toute la journée et rêve d'installer une grand-rue au milieu des boues fétides avec tout ce qu'il faut, bordels, bars, magasins de souvenirs, casino clandestin, salon de massage anal, spectacle gynécologique, peinture d'organe, salle de momification, catch chamanique, tout ce qui aurait fleuri sur les décombres de la grande ville insomniaque, de la mousse sur un visage impassible.
Une carte, ça pourra être n'importe quoi. L'ombre d'une plante qui s'agitera sur un muret. Une fourmi blanche écrasée. Je commencerai à avoir le hoquet. Isa pleurera doucement en direction de la plage et nous verrons ce distributeur automatique offert à tous les poissons impuissants. Nous aurons une attirance pour cette carcasse rouillée et, approchant, nous verrons à l'intérieur une cathédrale de magazines délavés, des coulures déchirantes et pâles, des fonds de cale de la folie. Isa passera son bras à l'intérieur et retira des lambeaux de papier et nous verrons des nuages d'enfants dénudés, le songe d'une époque révolue, les bikinis retranchés à la chair trop juvénile, les trouées révoltées du temps près d'un visage effacé. Isa ne voudra pas en voir plus. Mais quelque chose nous retiendra. Là, dans les petits corps déformés, dont la pose passée évoquera les angles d'un plan menant à l'autre ville, la ville qui nous attendra.
Lou sortira une graine de Polygama de sa poche et y fera une entaille avec l'ongle de son auriculaire. Un liquide blanchâtre coulera sur le flanc de la graine et Lou en prendra une goutte avec sa langue, tournera la graine et la présentera à Isa qui en prélèvera une goutte avec sa langue. Puis ce sera mon tour d'en prélever une goutte avec ma langue et tous les trois, nous chercherons, dans le rêve des autres, les linéaments de la grande ville aux lumières mortes.
Cette campagne sera une rencontre anonyme avec la peur de vivre. Les animaux suant l'innocence, nous continuerons dans la grimace absolue. Un hôtel éborgné par le vent, en rase campagne, éclairé par des animaux électriques. Cela braillera au ciel et dans la tête d'Isa. Elle ne saura plus pourquoi elle aura décidé de faire cette traversée.
La guerre ne sera pas loin et sa mère, bouche grande ouverte sur le lit. Quand elle l'aura découverte en robe de chambre sur le lit. Isa aura essayé d'entrer dans la bouche ouverte de sa mère. Dans le liquide dissonant, elle aura vu un escalier. Je dirai, tu ne peux prouver que ta mère n'est pas enceinte d’autre chose que toi. L'escalier sera coupant comme une feuille de papier. Elle se coupera au-dessus de la taille ou en dessous de la taille. Elle se coupera au-dessus du cou. Au-dessus des chevilles. Son corps se remplira de ramures de campagne japonaise. Elle descendra dans l'intimité des fourmis blanches.
Les ruines grouilleront et pourriront. Les enfants morts courront sur le marécage. L'enfer baissera de volume. Les enfants affamés couleront sur la plage pâle. La rivière sculptera les pierres comme une artiste folle.
Après les guerres, après le traité de Takasaki, après la fermeture du pays, les horizons radioactifs, nous pourrons voir un nouveau ciel nocturne. Les drones ivres tueront les dernières mouettes contre des étoiles taiseuses. Nous écouterons les rires de la mer depuis notre caverne de chair. Nous rêverons que ce pays qui est plus vaste que les frontières tracées par la saignée et l'effondrement général. Nous avancerons en esprit dans ce qui restera du pays. Nous verrons des animaux placides recouverts de cendre. Les ruines mangées par la végétation brûlée émettront une lumière pâle. Rien ne nous guidera. Il y aura des signes et des villes mirages. Des rues baignées d'ombre et un monde abattu. Un pays de léthargie aux yeux fous. Nous remonterons des profondeurs pour être aveuglés de déception. La nature sera comme un linceul de notre espoir de voir ce pays rêvé et fouiller nos mémoires pour que Polygama s'empare de nous. Isa sera silencieuse, comme derrière une vitre froide et inhabitée. Isa parlera de Polygama.
Nous marcherons des jours à travers des rues non pavées. Les drones fous et la K Police nous suivront de loin, déjà certains que nous n'aboutirons à rien. Isa parlera des murs de béton qui entourent Polygama et des adorateurs de Polygama. Nous verrons comme un souvenir de lieu sombre où Sordide et Suintante nous attendront. Et nous arrêterons de rêver, car nos rêves de Sordide et Suintante nous attendront dans une autre nuit, et leurs yeux seront remplis de notre terreur.
La lumière sera quelque chose qu’on pourra fumer. Les derniers enfants stériles seront alignés dans les dortoirs surchauffés de nos rêves. On essaiera d’y brancher de la musique, mais ce sera comme les envelopper de bandelettes et les jeter dans une rivière absente, signes végétaux momifiés en forme d’enfant. Au fond de la rivière absente, il y aura une baleine pourrie, comme un miroir tremblant.
Hologrammes des saignées. Les derniers enfants déguisés pour une fête de village où se grefferont des mutilations à tour de bras. Les déchets humains au bord de la route se retrouveront à vouloir déchiffrer les pliures des grands fonds.
Dans certaines ombres de la ville, Isa verra des secrets, mais elle ne les reconnaitra pas. Dans certaines ombres de la ville, je verrai d'autres mondes et le jour de notre rencontre impossible.
Sur un mur, en coulures de folie, s'inscrira le nouveau baptême de la ville. NeW eDo. Tout ce que nous penserons trouver, la ville l'aura réinventé. Isa enfoncera son doigt dans la carcasse d'un rongeur. La pourriture sera créatrice. C'est elle qui nous aura appelés dans les rêves.
Nous nous rappellerons. Les souvenirs seront des rêves solidifiés, des ruines de délire. On ne saura même pas si ces deux animaux, Sordide et Suintante, existent vraiment. Il faudra les incarner. Ce sera une façon de les détruire. Nous nous embrasserons comme des animaux de races divergentes qui s'observent depuis des temporalités différentes.
Nous nous raconterons nos retrouvailles avec Sordide et Suintante. Il n'y aura que des cris. Des graffitis scatologiques. La bière déchirera les masques. Il y aura un bébé dans les fils électriques. La nuit percera les langues et coupera les seins. Sordide nous sourira. Suintante aura la bouche remplie de boue. Ce sera beau. Ce sera comme enfoncer son doigt au centre de ce pays.
Nous trouverons des cauchemars de survivants, des chansons karaoké dont les paroles se rencontrent en chair et en os dans des chaussures écrasant des visages qui en redemanderont jusqu’à ce que le karma coule par tous les orifices.
Ils me demanderont d’entrer dans une cage en bambou. Je ne pourrai ni m'asseoir ni me lever ni m'allonger. Ils me laisseront là pendant deux jours. Leurs visages seront sans charme quand ils me sortiront de la cage pour me faire des prises de ju-jitsu jusqu’à évanouissement. Je me sentirai comme un animal empaillé, heureux, en gros plan.
Je me rendrai dans le quartier des évaporés. Quartier de brume gouverné par les déchets et les corbeaux qui parlent tchèque. L’angle des rues sera trafiqué, si bien que l’on se rapprochera toujours du centre de la ville et de la densité humaine et historique se contractant au point de devenir un thon géant, dans lequel Isa dormira encore, attendant d’aborder sur la plage des rêves.
Un volcan restera au fond de tout. Le bonze de nos rêves se fera le signe du yen sur le front. Puis il dira, votre graisse morte ne suffira pas à rassasier le moucheron. Nous déciderons de ne faire l'amour qu'après avoir rencontré Sordide et Suintante. Mais les deux stars underground seront introuvables. Car elles seront partout.
Dans un pays sans enfant, les mères passeront leurs nuits à pleurer de la lumière. Les bêtes amoureuses accourront sur les roulettes des sens. La ville chapardera les vêtements crasseux d'Isa. Je regarderai, assis sous l'eau. La nudité d'Isa sera une ceinture de dynamites. Creux laiteux turquoise de son genou. Le cœur restera scolopendrophile. La tête plongée dans le secret. Le déraillement de la flûte, en sept étapes. L'érosion de l'éros, entre des corps de mousse. Nous serons écorchés et illuminés.
Isa aura disparu, je serai au centre du pachinko de la vie et de la mort. Il n’y aura plus de place sur la carte pour savoir où je me trouve. La police s’endormira à mes côtés.
Au fond du club, il y aura une table avec un organe sans corps. Un organe respirant à des rêves. Le fantôme de Lou s'approchera de la table. Il fera tourner la bague à son doigt. Cela déclenchera un film dans mon esprit. Je reverrai la plage câblée et les prisonniers à l'intérieur des distributeurs automatiques. Les bateaux pourrissants à l’horizon.
Je remettrai mon masque de catch pour ne pas réveiller Isa. Je me dirigerai vers elle et elle fera semblant de se souvenir en dormant. Au milieu de la neige, passera un âne bodybuildé. Quelqu’un dira, donne-moi un marteau, j'ai la gorge gelée.
Dans le club en ruine, Isa sera là. Au début, elle dansera avec un kimono parfaitement blanc, à la limite de la transparence, au bord de l’innocence, mais à mesure que le temps passera, le kimono prendra une teinte rouge, et enfin il sera entièrement rouge et elle semblera s’endormir sur scène. Quand elle tombera, cela fera une tache rouge sur la carte que je consulte en rêve. Faute de savoir, la ville se couvrira de viande en feu. Rouge foncé, assombri comme l’intérieur de la bouche qui crie. Celle qui possède une peau de poulpe finira par dire, ce qu’il reste, c'est un génocide du désir.
Notre dernier ami fera un bruit de mouches. On sera seuls pour faire une longue séance de table tremblante. La table sera noire, comme recouverte de goudron. Son corps aussi sera noir. Le reste sera gris, recouvert de cendre, le flou de la cendre qui reste, on lira les mots d’adieux sur chaque porte, on criera de la cendre et tous les objets seront noirs, comme recouverts de goudron. Quand on croisera quelqu’un, ce sera un cadavre dans une cage.
Le drone fatigué regardera la vieille baudruche mangée par le soir. Au loin, la guerre bandera son organe sans corps. La ville sera un pachinko de vie et de mort, derrière la vitre d'une végétation impassible. Sous la mosaïque lumineuse d'un soleil affaibli, des corps, vieux clous dépassant de l'asphalte. La route sera devenue le poignet charcuté du souvenir. Leurs yeux se rempliront de cendre et imiteront les fenêtres éteintes. L'incendie se tapira et parlera un espéranto tordu. L'asphalte, cendre humide sous un ciel incendié, fera une montagne de boue.
Une musique se perdra dans les étages d'un bâtiment en ruine. Des machines de karaoké continueront de fonctionner sans électricité. Elles communiqueront, inventeront un langage. Et l'ordre de leur délire déclenchera des tremblements de plâtre, des pluies d'amiante, des rouilles grandioses.
Des plaques de devantures rongées, dégradées et ayant perdu toute velléité de jouer avec l'aura des mots étrangers ou la tournure ludique d'un chevauchement phonétique, épitaphe d’un sextoy orphelin.
Je serai le dernier personnage jaillit de la boue. Là-haut, le vieux drone blasé ne regardera plus les détails. Au loin, un liquide s’agitera sur un trampoline. L’horizon (encore lui), machine à chatouiller munie de petits gants ridicules.
Sur la plage, il ne restera qu’un magazine aux couleurs délavées que le vent feuillète.
Les yeux seront fermés doucement par la végétation. La ville se souviendra de la chambre en feu. Ce sera au centre de tous nos souvenirs. Et au cœur de tout, une larme. Intacte, entière.
Heureusement, la guerre colorera les nuages. Le soleil sera hanté pour toujours. On ira vers l'horizon (encore lui), ce grand élan de télépathie incontrôlée. Le calme sera enfin totalitaire.
Le drone fatigué observera. Là-bas, le vent feuillettera un magazine aux couleurs délavées. Le trampoline et son liquide. Les karaoké fonctionneront sans électricité et communiqueront dans un langage imaginaire. Ce sera là que le drone trouvera le repos. Une boule de neige tombera et se transformera en une femme nue. Ce sera la feuille de route du vieux drone. Loin des détails.
Une musique se perdra dans les bas de la femme. Le drone foncera sur la femme nue en train de courir sur la plage et étouffera ses cris de douleur. Une des boules de neige tombera du balcon et se transformera en une femme nue. Le drone la verra avec stupeur, et en même temps envie de revivre son existence. Le vieux drone fatigué se retranchera derrière la dernière image d'un passé qui ne reviendra pas. Le vieux drone continuera sa fuite en avant à la poursuite d'un but inatteignable, retrouver ses jeunes années perdues. Il rêvera à un monde meilleur, à une liberté inespérée, à une paix intérieure qui ne viendra jamais. Le drone se réfugiera dans sa maison, dans le secret le plus profond de son âme. Là où les silhouettes se mouvant à jamais dansent dans le vent. Et il se perdra dans une mélodie identifiable, fleur fanée.
Le drone fatigué feuillètera la femme sur la plage. Ce sera un drone femelle. La femme sera comme une fleur fanée, pensera la drone. Tokyo au loin sera un spectre flou. Il ne restera qu’un magazine aux couleurs délavées que le vent feuillètera. Tokyo ne sera plus. Tokyo recyclant les couchers de soleil inutiles. Ce sera bien ainsi. Cette course sans fin. Cette course qui nous réunira et nous soufflera nos fins étranges. Notre futur continuellement à venir, pour rien. Isa entrera dans le distributeur automatique, mais étouffera son cri de douleur. L'homme nu sautera sur elle et étouffera ses cris de douleur. Elle sera l'ombre de la liberté que le drone fatigué recherchera. Elle sera aussi une fleur fanée frappée par le drone fatigué et Tokyo au loin sera un spectre flou. L'homme introduira son bras dans le distributeur automatique et touchera du doigt les rêves qui résumeront Polygama.
De mémoire, des kanji obscènes brilleront dans les ruelles. Du pays, il ne restera rien d’humain, tout sera organique, sinon une tache indéterminée. Dans un coin, une vieille toile d’araignée avec en son centre une araignée morte. Puis le cri se rendra compte que personne ne crie plus. Sur la plage, le distributeur automatique se remplira de sable.
Le vieux drone se perdra dans les ruelles. Il repèrera les chaussures à talons. Il trébuchera dans les câbles électriques. Tous les toits de la ville se ressembleront. Le drone s’écrasera sur l’oeil retourné de la Lune.
Peut-être que la vie sera plantée dans le métro, entre un masque de rouille et une boutique d’électronique qui n’en finit pas de jouer la même musique rouillée tombant dans les cheveux des passagères oubliées. Un peu plus loin, deux petites vieilles ressembleront à des boules de viande sales, roulées dans la poussière, discutant dans un pinyin fait de glaires, de rots et de flatulences. Un nuage nauséabond de latrines de fin du monde entourera tout.
La végétation émettra de temps en temps d’ancestraux jingles publicitaires. Béton pourri des mirages souterrains. Plus on se rapprochera du centre, plus on sera hantés.
La voix du drone, de plus en plus faible, la voix d’une femme apeurée, sortez de ce pays. Laissez mourir ce pays en paix. Le drone s’écrasera au sol, étouffant dans le liquide graisseux et corrosif de sa mémoire, suintant, sordide.
Les nécromanies antiques formeront une enceinte à la manière des dancing girls. Les habitants de la planète s'allumeront comme des grands singes lumineux, respectivement dans la cendre et la glace. La guerre colorera encore les nuages. Le soleil sera hanté. L'horizon (encore lui), élan de télépathie incontrôlée. Le calme enfin sera totalitaire. Les lucioles d’une femme dorée. Le soleil sera hanté.