(420 portraits, 504 plateaux en carton pour 30 oeufs, 3m60x12m60)
Le concept du super-portrait: en marche vers un art intelligible...
Fresque: mon second portrait d’un Roi. C’est la seconde fois que je peins un portrait de Roi. J’ai conçu cette œuvre comme un exploit en hommage à SM Rama 10 qui m’accueille en son royaume de Thaïlande et que je révère. J’ai voulu peindre un portrait à notre époque dans l’état actuel de notre connaissance de l’univers. C’est un portrait indépendant qui ne fait pas l’objet d’une commande, une œuvre seulement inspirée par reconnaissance. Cela fait plus de 25 ans maintenant que je peins sur des plateaux à œufs pour 30 œufs 0,30 cm x 0,30 cm, des plateaux de récupération. J’ai peint plus de 2000 plateaux, soit environ 200 m2 de surface. Avec la physique quantique, nous vivons dans un univers qui est en crise, crise de la représentation, de la figuration dans l’infiniment petit. C’est une crise qui touche l’être humain plus proche (10 puissance-10 ) de cet infiniment petit que de l’infiniment grand qui est très éloigné et inaccessible 10 puissance 26. Deleuze accaparait le champ des concepts pour la philosophie, et attribuait aux autres domaines du savoir le champ des idées. Je pense que l’artiste peut lui aussi fabriquer des concepts. Ainsi, j’ai inventé un nouveau concept, celui du super-portrait, super n’étant pas pris au sens de formidable. Un super-portrait est composite, c’est un portrait dans l’espace-temps constitué de nombreux points de vue de la personne à représenter. Alors que le portrait classique est bidimensionnel, le super-portrait est tridimensionnel. Pour peindre dans l’espace, je n’ai trouvé que les plateaux à œufs qui sont d’un coût modique. Chaque portrait individuel concourt à la représentation globale, comme une cellule. Le super-portrait est fonction de chaque plateau à œufs, chacun d’eux étant une variable, une entité, comme les fourmis d’une colonie concourent à créer la super-fourmi, comme les cellules d’un organisme concourent au vivant en créant un super-organisme. Le super-portrait est un concept qui transcende les différents points de vue de la composition. En fait, il s’agit d’unir dans les esprits des centaines de portraits pour qu’ils ne fassent plus qu’un. Si j’avais peint un seul portrait de 50 m2, cela n’aurait pas eu le même effet. Le portrait est en général une représentation figée, statique, il fixe un instant, mais le concept de super-portrait est dynamique. Dans le passé, il y a eu d’autres tentatives pour représenter le volume ou le mouvement sur une surface plane : des artistes ont peint des portraits sur le même support, à partir de trois points de vue (triple portraits) comme le portrait d’un orfèvre par Lorenzo Lotto en 1529-1530, le portrait du Roi Charles Ier par Antoine van Dyck en 1635, et le portrait du Cardinal de Richelieu par Philippe de Champaigne en 1640... Plus récemment Andy Warhol après avoir fait le portrait d’une boîte de conserve en 1962, crée le triple portrait puis l’octuple portrait d’Elvis Presley en 1963, année où il est fasciné par le procédé de reproduction photographique de la sérigraphie. En même temps, il s’active au portrait de Marilyn Monroe qui vient de décéder en 1962. J’ai noté que pour ses recherches, Andy Warhol prend toujours pour modèles des personnages que tout le monde connait. Une unique photographie d’Elvis est utilisée de manière répétitive, donnant une impression de mouvement sur le plan du support. C’est une transcription du procédé cinématographique où les images se succèdent pour créer le mouvement. Dans cette série de portraits de Marilyn Monroe à point de vue unique, Andy Warhol, tout en utilisant le même portrait de manière répétitive, cherche à dynamiser par la couleur la représentation de son personnage. La variation des couleurs donne une impression de changement sinon d’animation. En photographie aussi, il y a des procédés qui permettent de créer le mouvement à partir d’une vue statique. Dans le portrait classique, la représentation est bien définie, figée, elle est unique, un seul point de vue. C’est une représentation sans temps, le temps n’existe pas, si ce n’est l’âge du modèle et l’époque où a été peint le portrait, mais cela, c’est subjectif ou conventionnel, mais ce n’est pas le temps. Avec le super-portrait, le temps commence à exister. En premier, j’ai fait 10 portraits de mon modèle à différents âges de sa vie, c’est le vécu du modèle, plus que de temps, en fait, il s’agit ici de temporalité. La temporalité est une conséquence du temps. Aujourd’hui, si nous pensons le temps, nous devons penser espace et vice versa, c’est l’espace-temps. L’espace-temps est relationnel. Le temps apparait dans le super-portrait dans la variation des points de vue. Chaque portrait sur un plateau à œufs a été peint dans un point de vue particulier. Les plateaux à œufs sont fixes, immobiles. Si un observateur se déplace par rapport à un tel plateau à œuf, l’espace du plateau va se contracter ou se dilater, entraînant la déformation du portrait qui y est peint. Il faut donc qu’il y ait mouvement... Pour effectuer un déplacement, il faut un certain temps... L’espace et le temps sont en relation, tout mouvement ou tout changement est un changement de relation entre des points matériels dans l’espace-temps. Mais qu’est-ce qu’un point matériel ? C’est un peu ce que l’on constate dans l’univers, les galaxies sont fixes, dans un espace-temps en expansion qui s’accélère, c’est l’espace autour d’elles qui est en mouvement du fait de la présence de leur masse. Mes plateaux à œufs sont immobiles, c’est la déformation de l’espace provoquée par le déplacement du spectateur, sa présence qui va les mettre en mouvement... Dans le super-portrait, le portrait résultant peut se trouver dans la fresque à plusieurs endroits à la fois et en même temps car il y a 10 portraits de base, chacun d’eux est exprimé sous 42 points de vue différents, soit 42 représentations à la fois. C’est le principe de superposition. Et superposer les points de vue, c’est additionner les points de vue pour n’en faire qu’un : le super-portrait. Ce concept de super-portrait est novateur, c’est un nouveau paradigme dans l’art du portrait. L’intérêt de peindre sur des plateaux alvéolaires à œufs, c’est aussi d’activer le spectateur qui doit chercher le point de vue original d’où a été peint le portrait, d’où l’interactivité. Cela a un fort pouvoir euristique, c’est le spectateur qui doit découvrir ce qu’on veut lui montrer. Il doit mettre en pratique son art personnel de trouver, de découvrir... A chacun, le soin de découvrir le passage, la frontière, le surgissement où le portrait apparait distinctement, entre sa composition et sa décomposition.... Capter les turbulences et les mutations de cette agitation moléculaire qui constitue toutes choses et qui les fait tout à coup apparaître et disparaître, qui donne un aspect ou un visage particulier et différent des autres, à chaque instant différent, pourtant toujours le même et qui le demeure au travers des déplacements ou des déplacements de ceux qui les regardent. Trouver la clé de cette permanence plus que de l’identité, la mémoire de ces choses et de ces visages, leur épure ou leur principe de « ré-partition » qui organise le mouvement des particules dans l'espace afin que ces choses et ces êtres soient ainsi et le demeurent. En tant que « serial painter », et non « serial killer », peintre de série, et portraitiste, j’ai voulu composer une fresque de grandes dimensions conférant ainsi un caractère grandiose à cette œuvre. Parfois, je me demande pourquoi je suis devenu un portraitiste de l’extrême, paroxysmique... J’ai choisi des dimensions pharaoniques, pyramidales. Création imposante aussi par l’abondance des moyens mis en « œuvre », 504 plateaux à œufs pouvant conditionner chacun 30 œufs, soit plus de 15000 œufs, 7500 repas, H 3m60 x L 12m60, près de 50 m2 de surface peinte, plus de 100 kg de peinture, une centaine de pinceaux en raison d’un lot de plateaux à œufs de seconde main rugueux comme l’écorce ou comme la vie... J’ai utilisé une peinture bon marché, industrielle, vinylique en phase aqueuse, d’aspect mat, art pauvre s’impose. De plus, c’est une peinture très écologique qui respecte au mieux l’artiste et l’environnement. A l’usage, elle est semblable à la peinture à l'huile. Sa souplesse et son adhérence lui permettent d'être excellente pour les fonds poreux s’ils sont secs à cœur, ce qui est le cas des plateaux à œufs que j’utilise. Ses caractéristiques optiques permettent de retrouver les effets des anciennes peintures à la tempera : mates, veloutées et opaques. L’artiste doit être un exemple, innover dans le choix des médium afin de préserver l’environnement. L’artiste doit aussi pratiquer l‘économie contrairement aux politiques qui ne font que de l’intendance par ignorance de l’économie... C’est une œuvre qui m’a occupé pendant plus d’un an depuis la conception, les travaux préparatoires et la recherche des médium. La peinture des 420 portraits à elle seule m’a pris 225 jours, un peu plus de 7 mois, étant un peintre solitaire. Dans cette œuvre, j’ai mis en scène des centaines de portraits différents d’un même personnage, c’est une suite de tableaux consacrée à un même « sujet ». Mais il ne s’agit que d’un seul portrait d’un être dans toute la complexité de sa représentation. Pour cela, j’avais dessiné 30 portraits préparatoires, je n’en ai retenu que 10, ce sont les portraits élémentaires. Les fonds colorés sont constitués de 6 passes de couleurs dont 3 variantes de jaune pour créer des vibrations en un bouquet final de feu d’artifice (le jaune est la couleur de la saveur de l’œuf et tout est dans l’œuf). Ces couleurs, en Thaïlande, ont toutes une signification en rapport avec SM Rama 10, jour de naissance, étendard royal, drapeau... Cette œuvre comprend actuellement 28 panneaux constitués chacun de 18 plateaux mais peut être présentée en 7 tours de 4 panneaux. Cette œuvre fait aussi partie de ma réflexion sur la conception contemporaine de l’espace et du temps, l’espace-temps en tant qu’objet et aussi sur la mécanique quantique. Il faut vivre son époque. Pour composer cette fresque, les plateaux terminés en peinture, il y avait des milliards de milliards de possibilités d’agencement puisqu’il s’agit en fait d’au moins 420 ! combinaisons possibles des portraits (et à coup sûr plus...). Il y a une énorme potentialité d’assemblages possibles, c’est un peu comme avec les particules, les plateaux à œufs sont intriqués. Il n’y a pas de désordre apparent, j’ai fixé des principes sinon des lois pour agencer ces plateaux et je me suis aidé d’un tableur. Tout est répétitif, mais dans un certain ordre. C’est une organisation législative. C’est peut-être ainsi que s’est constitué l’univers. En premier un univers uniquement quantique jusqu’au mur de Planck, ensuite apparaissent les constantes fondamentales (des constantes qui sont peut-être créées pour masquer une ignorance) et l’organisation législative de l’univers tel que nous le connaissons. Les savants tentent toujours d’unifier ces deux théories, mécanique quantique et relativité générale, sans succès jusqu’à maintenant. Ces deux théories fonctionnent actuellement à la satisfaction de tous, indépendamment l’une de l’autre. Peut-être, n’ont-elles uniquement qu’un rapport de filiation leur permettant de coexister, sans aucune autre contrepartie... L’une ayant dicté ses constantes et ses lois à l’autre... Dans le portrait classique, il n’y a qu’un point de vue, nous sommes dans une logique binaire. Avec le super-portrait, je mets à la disposition du spectateur un espace constitué de centaines de points de vue, il peut évoluer dans cet espace qui lui permet de changer de point de vue. Le super-portrait conduit au déploiement d’univers qui sont le siège de logiques autres que la logique binaire. Avec le super-portrait, je suis au cœur des questionnements sur l’espace topologique et du concept de topos de Grothendieck (théorie des topoï) qui animent une intensive recherche en mathématiques de nos jours. Je travaille sur le point que les ordinateurs représentent par le pixel, c’est un carré mais ce n’est pas le point, de même qu’une croix n’est pas un point. Aujourd’hui, avec le point, on est dans la même situation qu’avec les particules, on ne peut pas le concevoir, le représenter. Mais un point c’est tout... Le point qui m’intéresse, c’est le point dont la structure est de « vue », c’est le point de vue... Cette œuvre a été comme une quête du Graal. Aujourd’hui, on dit de quelqu’un qu’il est en quête du Graal lorsqu’il cherche à réaliser un objectif difficile à atteindre, voire irréalisable, dépassant les limites habituelles, extraordinaire. Il y a plus d’une centaine d’interprétations du mythe du Graal avec une multitude de figurations en passant par la corne d’abondance, le ciboire et le calice... Ce mythe est déjà présent dans de multiples civilisations celtiques et indo-européennes, très antérieures à Jésus-Christ... Mon interprétation personnelle est que le Graal est un contenant, une boîte. Une boîte, c’est un objet. Les boîtes sont très présentes dans mon œuvre, elles sont pour moi magiques. Le Graal serait en fait le corps humain qui contient le sang et l’esprit entre autres... Un corps objet comme la lumière, l’espace-temps et l’univers, des boîtes quoi... Trouver le Graal, ce serait la fin de la recherche, après beaucoup d’errance, de quête et d’élections, critères de la figure suprême du chevalier, la perception parabolique d’un idéal... Enfin trouver la connaissance de soi-même, une manière de se situer et de se décrire, mais aussi puisque les plateaux à œufs sont des contenants pour les Eux, les Uns et Les Autres, une manière aussi de situer et décrire les Eux, les Uns et Les Autres par rapport à soi-même... Enfin aboutir à une meilleure compréhension de l’univers. La quête du Graal obéit au désir de se surpasser, à repousser ses limites pour se réaliser, s’accomplir, et acquérir la plénitude intérieure comme un dénouement avant la partance vers son propre achèvement, vécue comme une délivrance. Il faut savoir rendre les pinceaux...
Portrait d’un orfèvre par Lorenzo Lotto en 1529-1530
Portrait du Roi Charles Ier par Antoine van Dyck en 1635
Portrait du Cardinal de Richelieu par Philippe de Champaigne en 1640
Triple portrait d'Elvis Presley en 1963 par Andy Warhol
Diptyque Marilyn. Ensemble de 10 sérigraphies illustrant le portrait de Marilyn Monroe en 1062
par Andy Warhol
Octuple portrait d’Elvis Presley en 1963
par Andy Warhol