Cabinets de Curiosités
A la manière des Cabinets de Curiosités, l’œuvre d’art totale... L’Antichambre des Merveilles (ou Chambres d’Art)
(ci-dessus, la caisse contenant mon cabinet de curiosités arrivant à Chiang Mai en 2009)
Dans ma vie, comme tout le monde, j’ai entendu parler des cabinets de curiosités, sans y apporter une attention particulière, je n’en ai jamais vu sinon en photographie. Depuis 2002, je travaille à l’œuvre d’art du Radeau de la Méduse, à l’origine une fiction, composée d’objets d’art de ma facture, mais non écrite (tout du moins en partie, car j’ai commencé à écrire un texte...). Je suis alors admis en thèse de philosophie pour continuer à travailler sur le mythe de la Méduse, le jury accepte mon sujet de recherche et puis se produisent d’autres évènements dans ma vie. J’abandonne ce projet. Le Radeau de la Méduse est une fiction particulière composée de nombreux travaux de ma facture, des objets d’art ou pas d’art. J’établis un catalogue des objets d’art qui la composent, sans le savoir, à la manière traditionnelle des cabinets de curiosités. Ensuite, j’expose cette œuvre, sous forme d’une installation un peu déconcertante à Bezons en France en 2007.
Puis, ayant beaucoup voyagé dans le monde, je décide en 2008 de quitter la France pour un pays me convenant mieux et de m’installer en Thaïlande, pays où je viens souvent avec ma famille en vacances. Après la vente en salle d’enchères en France de la quasi totalité de mon œuvre restante avant de m’expatrier, Le Radeau de la Méduse, non terminé, ne fait pas partie du lot. Alors, je commande une caisse, pas un cercueil et je l’envoie en Thaïlande. Arrivée à destination, c’est là que tout commence, je consacre une salle à cette œuvre, puis une autre salle, puis je fabrique des meubles pour supporter les objets d’art ou pas d’art. Et, depuis16 ans en Thaïlande, je développe cette œuvre commencée en 2002 en France, tout en continuant de peindre par ailleurs des centaines et des centaines de portraits, que dis-je, des milliers de portraits de Rois, d'une Reine et d’une Princesse sur des plateaux à œufs.
En fait, je crée un cabinet de curiosités à mon insu... Certains disent que le cabinet de curiosités est l’avant-coureur des musées, je ne pense pas... C’est plutôt la banque qui est l’avant-coureur de la conception actuelle des musées... Il est vrai que la banque et le musée sont des lieux d’intrigue et ont des fonctions ou occupations malsaines similaires... Le musée est une des nombreuses niches fiscales réservée aux grandes fortunes permettant de payer sans débourser un centime ou de ne ne pas payer du tout de droits de succession... Les musées , leurs caves et greniers, sont remplis de ces œuvres successorales... Le pire, en France, chacun peut se proclamer expert en art, pas besoin de diplôme, c’est une porte ouverte aux abus de toutes sortes... En tout cas, lorsqu’on se rend au musée, on a l’assurance et la garantie de voir de vraies œuvres d’art expertisées et authentifiées, toujours matières à controverses. Paroles d’experts... Les banques existent déjà dans la Rome antique, leurs lieux d’activité sont à l’intérieur des temples et elles y ont même des coffres-forts. D’ailleurs, on rapporte que Jésus renverse les tables des changeurs d'argent, les banquiers, dans le temple de Jérusalem. Off shore.
Les premières collections privées font leur apparition au XIVe siècle, ce sont des collections princières avec les Valois, les ducs de Bourgogne et les princes d’Italie, en Europe, les premiers musées publics surgissent courant XVIe siècle. Le terme de cabinet de curiosités surgit à la Renaissance à la même époque, au XVIe siècle en Europe. Mais depuis l’âge des cavernes, au temps où on peint encore des mammouths sur les murs des grottes, il y a de tout temps et en tout lieu des curieux et des collectionneurs, et dès la Rome antique, le concept du musée fait son apparition à Rome après la conquête de la Grèce par les légions. Pillages et butins de guerre obligent les Romains à créer des dépôts en plein air, ce que fait encore la FIAC de nos jours, et à accrocher des peintures sur les murs borgnes des forums.. Je n’aime pas les musées. Pourtant, dans mon enfance, ma sœur habitant en haut de la rue du Bac, je n’ai que la Seine à traverser pour me rendre au musée du Louvre. De plus, c’est gratuit, ce qui explique qu’il n’y a pas un chat... Le Louvre est un désert. Quand mon frère vient à Paris, nous jouons à cache-cache au Louvre, les gardiens dorment ou cuvent leur ennui... Mais je m’y rends tous les jours et j’acquiers ainsi une grande culture dans l’art. J’ai alors le rare privilège de voir La Joconde et je vais souvent dans la salle où git le Radeau de la Méduse, tellement immense, trainant presque jusqu’au sol, il me fascine déjà. Aussi, j’entre en relation avec la Directrice de l’École du Louvre. Je veux suivre les cours de cette école par passion pour l’Art et elle convient de m’embaucher comme gardien afin de me permettre de suivre ces études. A cette époque, être gardien au Louvre, c’est un emploi réservé. Je ne peux pas tout raconter. C’est trop cocasse... Je porte des uniformes militaires depuis 12 ans, remettre encore un uniforme... Non, ce n’est pas la raison, mais je ne poursuis pas des études à l’École du Louvre...
Je répète que je n’aime pas les musées. D‘ailleurs, suite à un concours international de portraits en 1971, en pleine adolescence, l’Académie française expose pendant un mois un de mes portraits représentant mon père, au Musée Marmottan, le musée consacré à Monet car l’Académie des Beaux-Arts alors me sélectionne parmi les 50 meilleurs portraitistes du monde. Ma sœur beaucoup plus âgée que moi effectue toutes les démarches et me conseille de ne plus jamais faire de concours ni d’exposer dans un musée... C’est pourtant la second fois qu’on m’expose dans un musée, la première fois est celui de ma ville natale. Avec les musées l’art est malheureusement entré en monnaie sonnante et trébuchante comme on entre en religion... Et cela rapporte gros.J’ai déjà dit que je n’aime pas Monet en tant qu’homme, son ami est Clémenceau, le Président de la République à cette époque et Monet peut ainsi manipuler avec sa complicité les lois de la propriété intellectuelle à son avantage, créant un préjudice et un démérite éternels pour la plupart des artistes venant après lui...
A côté des grands seigneurs de Paris, des villes principales de France et de Navarre, des riches collectionneurs, adorateurs exclusifs du grand art, il existe aussi depuis la nuit des temps une procession d’hommes modestes et bons pères de famille qui moissonnent, petit à petit, des fragments de curiosités ou de merveilles dans les cités mais aussi dans les campagnes. Je fais partie de ces derniers, nous ne sommes pas des bâtisseurs de fortune, simplement des curieux et des collectionneurs. Depuis ma tendre enfance je collectionne des timbres, des billets de banque, des pièces de monnaies, des diplômes et des certificats, j’en ai plus de 30, la plupart sont des diplômes universitaires de haut niveau ou d’ingénieur. Collectionner est aussi une manière de satisfaire sa curiosité, d’apprendre, de savoir, de connaître, d’observer et de comprendre, bref de se cultiver... Le collectionneur est animé d’une curiosité et d’une passion pour des objets femmiliés... Avoir une passion, quelquefois, c’est presque un vice. Je suis aussi artoolique. (ce sont des artistes à part, mais à part entière) et je fais même partie des artooliques anonymes car je fais de l’art aussi pour oublier, surtout oublier qu’il faut résister pour survivre. Dans la nuit des temps, l’homme entre en résistance sans avoir jamais de cesse pour arriver là où nous en sommes. Vivre est un acte de résistance. Il existe des similitudes dont un vice commun au collectionneur et à l’artiste, au travers de démarches semblables qui sont de collecter et de rassembler, mettre ensemble ou assembler comme on compose de la danse, de la musique ou de la poésie avec des gestes, des notes ou des mots.
Dans les années 1970, le cabinet de curiosités entre de nouveau en scène mais dans les galeries d’art et salles d’exposition. Au cours des siècles passés, il redevient intime, un retour aux sources ? Mais pendant tout ce temps passé, le concept de cabinet de curiosités évolue, il change de paradigme et se présente aujourd’hui sous des formes diverses. C’est une réplique à un réel soupir de ré-enchantement du monde, et pour cela a vocation de ressusciter un imaginaire perdu imbibé de mythologie, de symbolique et même de magie. Les mythes ressurgissent toujours dans les grandes périodes de questionnement de l’humanité, la notre en est une, ce sont comme des bouées de sauvetage. Pour l’artiste, le cabinet de curiosités est aussi le fondement d’un questionnement identitaire, essayer de trouver un enracinement, une place pour son être dans le monde et donner un sens à son existence, parfois une quête du Graal... et surtout ne pas finir sa vie comme un peinturlureur du dimanche car le cabinet de curiosités me semble être la réalisation de l’œuvre d’art totale. Les installations ont des points communs avec les cabinets de curiosités. Les cabinets de curiosités paraissent être les précurseurs des installations... S’agit-il déjà d’un retour aux sources avec les installations ? L’artiste est un être qui entre en religion avec le cabinet de curiosités qui est comme un temple, un lieu de culte, il est très différent de l’atelier qui est l’espace où on exécute l’œuvre d’art. Mon cabinet de curiosités n’est pas un lieu confidentiel et mystérieux, c’est de fait une arrière-chambre de l’antichambre, un endroit certainement plus ou moins tapi qui contient une série d’objets soi-disant d’art gardés à vue, banni soit qui mal y pense. Ceux-là, je les insulte avec des noms d’oiseaux ou de fruits et légumes... C’est plus poli... Il est garni de meubles de ma facture, composés simplement de châssis de fenêtres et de planches, pour construire des étagères. Le tout, sans riche ornement, sans vitrine. La scénographie est d’accumulation puisque c’est une collection d’objets d’art, collection étant la notion centrale du cabinet de curiosités. Mais accumulation n’est pas désordre, la disposition de toutes les œuvres d’art est précise. Il y a une multitude de boites, des contenants de toutes sortes, de toutes matières, servant d’écrins, parfois feutrés ou de socles, des espèces de récipients à mémoire avec des emboîtements. Je parle des boites dans un article précèdent.
« Cette œuvre a été comme une quête du Graal. Aujourd’hui, on dit de quelqu’un qu’il est en quête du Graal lorsqu’il cherche à réaliser un objectif difficile à atteindre,voire irréalisable, dépassant les limites habituelles, extraordinaire. Il y a plus d’une centaine d’interprétations du mythe du Graal avec une multitude de figurations en passant par la corne d’abondance, le ciboire et le calice... Ce mythe est déjà présent dans de multiples civilisations celtiques et indo-européennes, très antérieures à Jésus-Christ... Mon interprétation personnelle est que le Graal est un contenant, une boîte. Une boîte, c’est un objet. Les boîtes sont très présentes dans mon œuvre, elles sont pour moi magiques. Le Graal serait en fait le corps humain qui contient le sang et l’esprit entre autres... Un corps objet comme la lumière, l’espace-temps et l’univers, des boîtes quoi...
Trouver le Graal, ce serait la fin de la recherche, après beaucoup d’errance, de quête et d’élections, critères de la figure suprême du chevalier, la perception parabolique d’un idéal... Enfin trouver la connaissance de soi-même, une manière de se situer et de se décrire, mais aussi puisque les plateaux à œufs sont des contenants pour les Eux, les Uns et Les Autres, une manière aussi de situer et décrire les Eux, les Uns et Les Autres par rapport à soi-même... Enfin aboutir à une meilleure compréhension de l’univers. La quête du Graal obéit au désir de se surpasser, à repousser ses limites pour se réaliser, s’accomplir, et acquérir la plénitude intérieure comme un dénouement avant la partance vers son propre achèvement, vécue comme une délivrance. Des véritables ardoises et des cahiers d’écoliers remplis par leur dernier usage, des bouteilles à la mer dans lesquelles on calligraphie des textes d’auteurs que j’aime et qui ne sont plus. Ainsi, je suggère l’existence de certains hommes qui éclairent ma vie tout autant que leur disparition. Il existe un rapport étroit, singulier entre le cabinet de curiosités et la mémoire. Une imposante collection de centaines de galets uniques, des rescapés du naufrage du temps, de l’érosion y sont assemblés par mes soins en œuvres d’art, moissonnés au fil d’un long cheminement nomade s’étalant sur plusieurs années et des centaines de kilomètres de marche à pied, au bord de l’eau, de l’eau des océans. L’eau est très présente dans mon cabinet de curiosités. Le cabinet de curiosités est un lieu qui sert à mettre en scène des objets d’art, à les sublimer par une série de stratagèmes, souligner leur caractère exceptionnel et unique conférant ainsi une certaine originalité au cabinet de curiosités.
Le cabinet de curiosités est agencé dans un espace pensé, configuré et l’ensemble des supports contribuent à transformer le regard porté sur l’objet d’art et à sa mise en valeur de façon à faire ressortir ses caractères résolument atypique, étonnant, étrange, exceptionnel, extraordinaire, inédit, mystérieux, rare ou singulier, au premier regard. Qualificatifs par toujours attribués pour l’objet lui-même mais pour sa dimension symbolique, par exemple la dimension mythique liée à la pierre. Le cabinet de curiosités marque la volonté de singulariser l’objet, d’en faire un fragment d’exception renfermant un imaginaire puissant. La vue de ces objets d’art permet de restituer beaucoup d’images qui sommeillent au fond des mémoires, ainsi, chaque objet d’art apporte une charge émotionnelle qui génère une atmosphère dans le cabinet de curiosités. Les objets d’art sont porteurs de signification et servent de transgression pour une entrée en relation avec un autre monde qui se révèle lorsqu’on sait pénétrer son mystère. Ce n’est pas seulement l’objet d’art en tant qu’objet d’art qui est important, c’est son histoire, la nourriture imaginaire qu’il dispense et qui coïncide avec mon histoire exotique que je raconte au travers de ces objets d’art. Les objets d’art rescapés sont des jalons, des repères, des marques, des traces, des empreintes dans ma vie, chaque objet d’art est altéré par des évènements, des rencontres que je vis avec ces objets un temps désœuvrés qui sont maintenant des œuvres d’art.
J’ai recours aux légendes, aux mythes car c’est une manière d’affronter la raison résonnante. Avec le Radeau de la Méduse, il y a l’idée d’un naufrage, de la fin d'un monde, mais il suscite aussi à l’esprit l’image de l’arche de Noé, là, c’est l’idée d’un déluge, l’image de la fin du monde, plutôt de la Terre, d’une planète entière produite par un cataclysme de l’ordre de celui que rapporte la Genèse (cf. Genèse 7, 11 à 8, 14). Il faut se consoler, la fin d’une planète n’est pas la fin du monde. Le cabinet de curiosités est un endroit où la substance du monde est rassemblée, tels des objets de première nécessité, indispensables à la survie dans les au-delàs d’ici-bas. Le cabinet de curiosités est un lieu magique et alchimique où on peut se livrer à des expériences d’hybridation entre l’art plastique et l’art décoratif. Le cabinet de curiosités est un lieu d’émancipation pour l’artiste, très éloigné de l’accrochage traditionnel sur des murs borgnes. Mon cabinet déconne à coté des riches cabinets d’antan par sa pauvreté... Mais je fais de l’art pauvre et j’expose simplement à la poussière des objets d’art... Le cabinet de curiosités est un lieu littéralement retiré du monde, clos autant qu’un espace servant d’ouverture aux Uns, aux Eux et aux Autres, c’est pour cela que je le construis avec des châssis de fenêtres, sans vitres. Souvent l’homme en général, particulièrement l’artiste dans ce propos, a besoin de prendre du recul, de se mettre à l’écart, de s’évader, de s’éloigner et de se soustraire de la mouvance générale de la vie ordinaire pour se recueillir et satisfaire ses besoins, de méditer dans un lieu retiré, un cabinet, difficilement accessible sinon inaccessible, une sorte de refuge. Le cabinet de curiosités est un endroit propice car il s’y trouve beaucoup de reliques pieuses, de choses divines qui invitent au recueillement, divin n’étant pas uniquement l’idée de Dieu. Le cabinet de curiosités est un endroit ou l’artiste se consacre aussi au surnaturel. Cet endroit est sacré, de même que les objets d’art contenus sont sacrés, et il se passe aussi des choses qui sont sacrées. Je décide ainsi car pourtant rien n’est sacré à priori dans l’univers. Les objets d’art, souvent anodins au premier abord, sont des objets intronisés et investis de pouvoir, dont celui de temporel. Il s’agit d’une autre vision du monde où il faut être initié, avoir un passeur ou bien des ouvre-boites ou des ouvre-bouteilles. Les objets permettent d’entrer en relation avec un arrière-monde, parfois avec des esprits. C’est réservé à certains mais pas à d’autres, en tout cas pas aux passants... Les objets d’art sont aussi des objets tabous, ils ne peuvent être touchés et doivent être l'objet d'une considération, d'un respect, par crainte et aussi par pudeur. Le cabinet de curiosités est un lieu de ré-enchantement du monde, d’émerveillement, de poésie, il contient bien sûr des curiosités, parfois des pièces uniques qui témoignent d’un certain merveilleux tangible du monde. Merveilleux en ce sens qu’il contient des objets étranges ou singuliers (et donc sous-tend des évènements liés à ces objets ayant la même qualité) créant un vif saisissement. Mais le cabinet de curiosités est aussi un lieu de ré-ensemencement des Eux, des Uns et des Autres. Un cabinet de curiosités, c’est de l’art, toutefois ce n’est pas que de l’art, mais le tout, c’est de l’art quand même. Dans mon cabinet de curiosités, on trouve des objets d’art hétéroclites, parfois infantiles, parfois des ready made, des objets sans réelle valeur pécuniaire y sont exposés, parfois avec beaucoup d’ironie, le tout appartenant aux trois divisions traditionnelles du monde sensible illustrées pat les cabinets de curiosités:
- les naturalia : des objets d'histoire naturelle des trois règnes, minéraux (galets précieux ou étranges, à l’aspect spectral, fossiles récoltés), végétaux, végétal (florilèges) et des animaux, des araignées, des fourmis, des abeilles, des éléphants, des animaux séchés ou conservés dans du liquide, des coquillages, des fragments d’os, un morceau de mâchoire, carapaces, dents,défenses...),
- les scientifica : des instruments scientifiques destinés à mesurer le temps ou à se situer dans l’espace,
- Les artificialia : des objets d’art de ma facture, tels les peintures, les assemblages, mais aussi des photos, des vidéos, des textes d’auteurs qui me sont chers, des objets dépaysants, beaucoup de contenants, boîtes, boîtes à cigares, bouteilles, des grappins des objets créés par d’autres hommes.
Dans mon cabinet de curiosités, la science est présente uniquement pour donner une légitimé, une crédibilité à mon œuvre... Si autrefois, la science procurait de l’enchantement tout comme les arts, c’est périmé. La science me fait savoir que la vie en général et la vie humaine sont la conséquence d’une « explosion nucléaire » , d’un big-bang, qui a eu lieu il y a un peu moins de 15 milliards d’années en application de lois immanentes. C’est pire qu’un univers sans Dieu, c’est un univers législatif sans mythes, sans légendes, sans symboles, c’est un univers désenchanté et même menaçant. Un temps où le passé serait la naissance d’un individu, le futur sa mort et le présent sa vie. C'est pour cela que j’écris ce texte au présent, faisant abstinence du temps de l’imparfait. De même la science ne nous dit rien de l’esprit des formes, de cet esprit qui préside aux formes, elle n’a aucune idée du comment elles se constituent. Pourtant je sais que l’univers se joue en permanence de la métamorphose et de la métaphore. Mon cabinet de curiosités questionne la connaissance actuelle du temps, de l’espace-temps, ma perception du temps n’a rien à voir avec la variable t de la physique. La vie va de plus en plus vite tout comme l’expansion de l’univers qui s’accélère. Pour l’homme, il est nécessaire de créer des espaces comme les cabinets de curiosités où il peut décélérer, prendre son temps et pouvoir flâner. Le cabinet de curiosités est un endroit qui n’est pas hors du temps, mais c’est un lieu de dérèglement du temps, ou d’une autre logique du temps, le temps en marche est remplacé par d’autres temps, des temps fixes, immobiles, figés. C’est aussi totalement différent du temps des musées qui est chronologique. Dans un cabinet de curiosités, le temps est devenu un objet composé d’un matériau malléable à l’infini, comme un médium, un objet qui se mastique, se manipule et se décompose à outrance. Avec les objets d’art, l’artiste partage un instant, celui d’une rencontre, du temps propice. Le temps est aussi devenu un attribut spécifique des objets d’art, tout comme la couleur ou la forme, il est qualitatif d’un objet. Si je déplace un objet, je déplace un interstice, un espace de temps. Ici, je suis le maître du temps et je défie le cours du temps lui imposant souvent des retours, un temps à «rebrousse-poil ». L’objet d’art n’est plus un objet dans l’espace, il est un objet dans l’espace-temps. Les objets d’art sont comme les galaxies, immobiles, c’est l’espace conjonctif, autour, les interstices, qui se déforme et se dilate. En tant qu’objets, ils appartiennent au monde présent, mais aussi ils représentent et restituent des images de récits d’un autre monde qui n’est plus visible mais qui existe et que je partage toujours avec eux. Le temps physique est présent dans mon cabinet, c’est un réveil mais qui ne fonctionne plus. Oubliés le jour, la nuit, la seconde, la minute, l’heure. C’est le temps officiel, celui des connivences, mais ce n’est pas le temps non plus.
En conclusion, l’artiste a une énorme tâche à assumer, celle d’émerveiller à nouveau, de ré-enchanter le monde et de ré-ensemencer les Eux, les Uns et les Autres.