Interview de Sabine Mugnier
"Thibaut
m'a fait grandir"
Interview de Sabine Mugnier
"Thibaut
m'a fait grandir"
Entretien avec Sabine Mugnier, mère de Thibaut, 41 ans
Être parent d'un enfant de 41 ans, pluri-handicapé, infirme moteur cérébral, mal voyant, entièrement dépendant, l'épreuve est à la mesure du handicap: immense, empreinte d'une grande tristesse. Sabine Mugnier, 62 ans est pourtant aussi souriante que les tableaux qu'elle peint. Lui reviennent souvent les mots :
«J'ai beaucoup de chance»
La chance d'avoir eu une famille aidante, aimante, des amis d'une grande fidélité et compréhensifs, des éducateurs formidables, un instituteur qui a emmené Thibaut aussi loin que possible sans le heurter ou le mettre en porte-à-faux, un médecin qui lui parle comme une personne à part entière, un thérapeute qui accueille le trop plein de Sabine.
Thibaut est né quand Sabine était toute jeune, 20 ans. « Au début on m'a expliqué que ses retards étaient dus à sa prématurité ». Et puis à 18 mois, le médecin lui annonce d'un jet, sans précaution aucune, que son fils serait handicapé toute sa vie. « Quelle violence !
Thibaut petit, ses parents l'emmènent partout en balade, à la campagne, en montagne, à vélo, en cariole, sur le dos. Puis Thibaut grandissant, Sabine découvre au fil du temps ce qu'est le handicap, ce que son enfant saura faire et ce qu'il ne pourra jamais faire.
« A chaque étape, il y a des deuils. Quand il était petit, il arrivait à avancer sur ses jambes en se soutenant avec les bras sur deux barres parallèles, ou en tenant mes mains. Mais avec la croissance, il n'a plus pu le faire, ses muscles se rétractant. Je croyais qu'il pourrait suivre une scolarité presque normale avec un peu d’aide, qu'il pourrait vivre en autonomie accompagnée dans un appartement. Mais tout cela lui a été inaccessible. Il a fait une scolarité adaptée, mais c’était compliqué pour lui de trouver des enseignants spécialisés qui l’emmènent au mieux de ses capacités, et il vit maintenant en MAS»
Si le handicap de la vision est particulièrement lourd, Thibaut a heureusement la parole. Il sait parler ce qui lui permet d'entrer en relation avec beaucoup de personnes. Surtout depuis qu'il possède un téléphone vocal lui permettant de téléphoner seul à qui il veut. C'est comme cela qu'il téléphonait tous les matins à son grand-père et priait avec lui. Il aime entretenir des relations ainsi en parlant de sa vie, de ses tristesses de ses joies, avec des personnes bienveillantes qui acceptent de prendre du temps avec lui.
Le rôle de défenseur ultime, Sabine l'a pris à bras-le-corps après le décès du père de Thibaut dont elle était séparée depuis longtemps, et qui n'avait jamais failli à son rôle de père. « J'ai compris que tout reposait désormais sur moi: les soins, les vacances, les finances, l'administratif, les appareillages... Cela a été très très dur».
Cependant, la force de Sabine, c'est de faire confiance à l'humain. Elle accueille le regard des autres sur son fils «la compréhension de Thibaut s'est renforcée grâce aux autres de mon entourage.». Elle était convaincue par exemple que Thibaut devait conserver son fauteuil manuel pour entretenir ses forces physiques. Les soignants lui ont conseillé d'opter pour le fauteuil électrique pour lui donner plus d'autonomie. « Ils avaient raison. » Cela ne l'empêche pas de se sentir libre face aux professionnels et dire ce qu'elle a à dire.
Pour expliquer la défense ultime, Sabine réfléchit longuement. Pas facile d'en parler. « C'est la personne qui a la même acuité à Thibaut, une acuité pour sa vie présente et à venir, c'est celle qui a une attention de tous les instants, quand il est là veiller par exemple à ce qu’il soit bien installé à table, qu’il ait son assiette et ses couverts particuliers…. En passant par l’achat de ses habits, des protections pour les soins, des appareillages, et aussi trouver des aménagements pour que sa vie soit plus douce, plus intéressante aussi : comme organiser les vacances, des loisirs, s’occuper de sa comptabilité, des dossiers MDPH… La liste est longue, très longue tant elle va se mettre dans plein de détails à penser. Et si on oublie cela peut vraiment mettre Thibaut dans une situation où il dépérit ».
Bien sûr, elle pense au jour où elle ne sera plus là. « L'inquiétude de ce que sera la vie de Thibaut après ma mort, j'y travaille ! Comment ? Je fais en sorte que Thibaut ait des liens en dehors de moi, qu'il fasse des choses sans moi, et qui puisse être le plus possible pérenne dans le temps. Quand il est chez moi à la maison, il lui arrive de souhaiter rentrer plus tôt à l'institution St André où il vit, car là-bas c'est chez lui, et c'est bien ainsi. » Le chemin de Sabine va dans ce sens. Thibaut doit vivre au maximum sans dépendre à 100% d'elle.
Et puis il y a eu cette idée géniale lancée par des amis de Sabine, à l'occasion des 40 ans de Thibaut : chaque ami volontaire propose de sortir Thibaut une fois dans l'année. « C'est de ça dont a besoin Thibaut, de la présence, du temps offert, de relations amicales. » Une dizaine de familles amies ont répondu à l'appel !
Un conseil pour d'autres parents ? Sabine reste prudente: « C’est difficile de donner des conseils, chaque famille, chaque personne handicapée a ses spécificités, ses particularités, ses possibles et ses impossibles aussi… Ce qui est bien pour l’un n’est pas forcément bien pour l’autre.»
« Mais dans la mesure du possible, s'entourer de personnes aidantes et bienveillantes, être accompagné par tous les volontaires (personnel médical, institutions, famille, amis...). Demander au personnel éducatif ce qui peut augmenter le bien être de son enfant, mais sans forcing. Accepter de ne pas tout porter. Et dans la mesure de la possibilité de l’enfant : lui redonner son propre pouvoir de mener sa vie, d’exprimer ses besoins, ses envies, ses souhaits. ».
Année après année, Sabine apprend à mieux connaître son fils et à mieux communiquer avec lui : «quand on touche le fond, cela ramène à l'essentiel. Oui, Thibaut m'a fait grandir en profondeur et en humanité, c’est aussi une relation avec beaucoup d’amour.»
Recueilli par B.d'A.