Quand est-ce qu'on m'écoute ?
Quand est-ce qu'on m'écoute ?
Interview de Marie Agnès Claude, ancienne orthophoniste
Le triptyque de Dedici repose sur trois piliers : la personne vulnérable, en situation de handicap, sa famille et les professionnels à qui elle est confiée. Faire en sorte que ces trois entités puissent se rencontrer, dialoguer, communiquer, se comprendre dans la confiance et la vérité, c'est l'un des objectifs de la démarche Dedici. Pour ce faire, il leur faut trouver les lieux, les occasions, et surtout un moyen de communication qui permette de s’exprimer de manière compréhensible.
Mais comment faire quand l'un des trois ne peut absolument pas communiquer avec la parole, prononcer les mots qui traduisent sa pensée, ses peurs, ses joies, ses envies, ses refus... ?
Marie Agnès Claude, orthophoniste à la retraite, dotée d’une expérience de 42 années auprès d'enfants sourds ou atteints de paralysie cérébrale a longtemps pratiqué le français signé (langage des signes). Aujourd’hui, elle accompagne bénévolement plusieurs personnes privées de la capacité de parler en utilisant la CAA « la communication alternative et améliorée ». (La CAA )- entre autre l’application TD SNAP que l’on installe sur un IPAD, traduite récemment en français. Cette application s’appuie sur la multimodalité en recourant à des pictogrammes, des signes, des photos pour traduire à l’oral, à l’écrit des mots ou des idées.
Marie Agnès rencontre ainsi toutes les semaines Nicolas, un jeune homme de 23 ans, atteint d’une infirmité motrice cérébrale depuis la naissance. Non seulement il est dans l'incapacité de recourir à la parole, mais de surcroît, il ne peut pas bien commander la motricité de ses mains.
« Quand j'ai connu Nicolas dans le centre où je travaillais à l'époque, il avait 10 ans. Comment aurais-je pu imaginer à ce moment-là que Nicolas puisse en arriver là ! »
Grâce à Marie Agnès et à cet outil, Nicolas a écrit un roman (racontant son histoire), il a créé un jeu de l'oie qu'il fait découvrir à des élèves des écoles primaires mulhousiennes et il communique avec son entourage.
Si Marie Agnès ne prétend pas avoir de baguette magique, elle a en revanche une qualité capitale : la patience. Car, pour utiliser TD SNAP, il faut le personnaliser pour chaque utilisateur, il faut le construire avec lui en prenant en compte sa logique de pensée, ses stratégies visuelles et ses besoins.
« Je demande à Nicolas de m'aider à trouver les mots ou les expressions qui lui manquent. Je dois alors chercher des images ou des phrases dans des banques de données disponibles sur internet. Je choisis avec lui, en fonction de ses goûts, et ce qui correspond le mieux à ses besoins (des activités de Nicolas que je connais bien.)
Nicolas doit se concentrer quand il veut s’exprimer car il ne peut pas faire plusieurs tâches à la fois : composer son discours et écouter la discussion. Cela prend du temps et nécessite le respect et la patience de l’interlocuteur.
Nicolas doit sélectionner chaque pictogramme par un ou plusieurs appuis sur l’IPAD, puis s'afficheront automatiquement des mots qui deviendront ensuite une phrase. Grâce à cette application Nicolas peut parler comme tout le monde, sous la forme orale et écrite. C'est peu dire qu'il est formidablement valorisé !
Les orthophonistes en libéral, poursuit Marie Agnès, n’ont pas le temps nécessaire à la programmation. Moi je suis à la retraite, c'est plus facile de lui consacrer deux heures d’affilée toutes les semaines. »
Cela peut paraître une évidence, mais Marie Agnès ne saurait mieux le dire à la lumière de son expérience: trouver tous les moyens de faire s'exprimer d'une manière ou d'une autre, tous ceux que le handicap empêche de le faire, est une priorité absolue.
«C'est indispensable car on ne peut pas préjuger des capacités de la personne si on n'a pas expérimenté tous les outils existants» affirme avec conviction l'ancienne orthophoniste.
Pour Marie Agnès, pas l'ombre d'une hésitation: tous ceux ou celles qui sont des défenseurs ultimes d'une personne vulnérable en incapacité de parler, devraient bénéficier d’une formation leur permettant de trouver le moyen de communication le mieux adapté *.
« Je leur conseillerais, dit-elle, d'établir une liste des questions à poser à la personne vulnérable, un répertoire de réponses possibles pour proposer à la personne un choix. Il faudrait ensuite chercher les pictogrammes correspondant sans oublier un pictogramme qui dise : « aucune réponse proposée ne me convient » ou « ce n’est pas là ou rien de ça… en fonction du niveau de langage de la personne.
Il y a en effet des pictogrammes qui ne parlent pas à la personne donc il faut vérifier que le concept ou le sentiment traduit par le pictogramme soit bien compris. Pour certaines personnes, par exemple, il sera préférable de choisir des pictogrammes en noir et blanc, ou en couleur, ou une photo ou la représentation d’un signe.
Au regard de son expérience, Marie Agnès conclut : «le levier qui va permettre la motivation et l’utilisation de l’outil sera une relation de confiance car cela nécessite d’être proches pour imaginer précisément les mots que la personne voudrait utiliser.»
*https:// www.isaac-fr.org
Définition : la communication améliorée et alternative (CAA) est un terme générique qui englobe les méthodes de communication utilisées pour compléter ou remplacer la parole ou l'écriture pour les personnes ayant une déficience dans la production ou la compréhension du langage. La CAA est utilisée par des personnes présentant un large éventail de troubles de la parole et du langage, y compris des déficiences congénitales. La CAA peut être utilisée à titre permanent ou temporaire.
Recueilli par B.d'A.