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Faire un jeu plus inclusif

A la base, je voulais faire un article sur la diversité dans les jeux vidéo et donner quelques astuces pour éviter les clichés, mais j'en suis venu à rassembler des arguments en faveur de l'inclusion. Par ce terme, j'entends simplement ne pas considérer que l'homme hétérosexuel blanc est une sorte de base neutre pour la création de personnage, et que tout le reste est une variation ou porteur d'un message spécial. Par conséquent, j'entends encourager les développeurs indés à mettre de la diversité dans leur création de personnages, car, à notre époque, la neutralité n'existe plus.

Pourquoi devrais-je me sentir concerné ?

Je ne ferais pas de promotion idéologique. Je pense qu'ignorer ces principes aujourd'hui, c'est être délibérément antisocial, ce qui est une très mauvaise chose quand on espère que son jeu va se diffuser au travers des réseaux sociaux.

Je ne suis pas non plus un spécialiste des questions d'inclusion, je crois que bien des gens pourraient mieux en parler que moi, et j'ai moi-même consulté de nombreuses personnes pour écrire cet article. Mais je crois avoir une bonne expérience dans l'écriture de personnages et je fais toujours l'effort de sortir de ma zone de confort. Cet article a donc pour but d'aider a minima les devs qui ne veulent pas passer, au mieux pour des maladroits, au pire pour des bien-pensants des années 1980.


Raisons artistiques

L'argument de l'historicité, tel que « c'est le Moyen Âge, les personnages sont tous de grands et virils guerriers blonds » est une vision romantique héritée du XIXème siècle, lorsque la mode était aux cheveux longs et aux grandes brutes. Les gens du Moyen Âge occidental avaient des coupes au bol et étaient tout petits. Les femmes se battaient parfois, par exemple chez les Vikings. Donc, soyez certains de faire d'excellentes recherches pour justifier vos choix et/ou assumez de faire un jeu fantaisiste. Par excellentes, j'entends avant tout : en-dehors d'Internet ! Allez à la bibliothèque ; il n'y a pas, et n'y aura jamais tout ce dont vous avez besoin sur Internet.

Par ailleurs, méfiez-vous du racialisme ordinaire, comme en fantasy. En France, le concept de race n'a plus aucune reconnaissance depuis la Seconde Guerre Mondiale à part dans la propagande nationaliste. C'est un gros problème pour toute histoire qui parle de race. Figurez-vous que Tolkien n'a jamais intéressé les intellectuels français, la plupart étant gauchistes, car la matière de Bretagne et le folklore germanique avaient été recyclés par la propagande nationaliste. On ne peut donc pas appliquer directement le concept communautariste du melting pot à l'américaine en Europe sans le repenser, si on ne veut pas le confondre avec du racisme européen.

Je pense qu'en tant qu'auteurs européens, nous avons la responsabilité de tirer la fantasy de cette vieille confusion. Par exemple, dans Skyrim, qui parle beaucoup de racisme, le terme américain de « race » a été traduit en français pas « ethnie » dans le menu de création de personnage, spécifiant ainsi qu'il s'agit davantage d'une origine culturelle qu'une caractéristique génétique. C'est un choix très pertinent pour le public français, car une grande partie du lore concerne la confusion entre la race et l'ethnie ; de nombreux elfes noirs se sentent nordiques, mais ne sont pas reconnus comme tels par les Sombrages, les indépendantistes, parce qu'ils n'en ont par l'air.

La France ne reconnaît pas le concept de race, qui est un non-sens scientifique, au point que les statistiques ethniques sont illégales depuis la Seconde Guerre Mondiale. C'est un choix parfaitement défendable si l'on considère la puissance des nationalismes racistes en Europe, mais on réalise aujourd'hui combien il est difficile de mesurer les problèmes de sociétés structurellement liés au racisme.

Ainsi, j'ai vu des administrations françaises travailler en aveugle, ou essayer de bricoler des méthodes légales pour mesurer la proportion de descendants d'immigrés parmi les gens pauvres. Je ne me permettrais pas de juger le racialisme culturel des États-Unis quand on voit où on en est en France, mais au moins, on voit que les deux pensées ont peu de choses en commun.

D'un autre côté, les empires coloniaux ont rendu nos peuples très multiculturels. Bien qu'il y ait encore beaucoup de travail d'histoire et d'éducation à fournir pour légitimer cet état de fait, c'est un constat indéniable. Si vous le considérez sous le bon angle, il devient très facile d'écrire des lores et des personnages très différents, tout comme la création de visuels, etc. et c'est le terreau de très nombreuses histoires possibles.

Dans tous les cas, l'art a aussi pour objectif de décrire et d'expliquer, donc vous n'éviterez jamais les sujets de société, que vous le vouliez ou non, et votre jeu sera concerné s'il y a le moindre moyen de le tirer dans le débat. Vous pouvez en toute conscience écrire des univers racistes ou sexistes pour aborder le sujet frontalement, mais vous ne pourrez pas l'éviter. A part si vous faites des robots. Et encore.

Raisons commerciales

« C'est MON jeu, MA culture et Ma personnalité. » Déjà, votre culture est plus que probablement multiculturelle. De plus, votre jeu représentera votre personnalité, que vous le vouliez ou non, donc songez que vous serez jugé sur votre œuvre. Enfin, vous avez l'espoir, au moins, de vous rembourser de votre travail en vendant le jeu, non ? Donc ayez espoir que ce ne sera pas uniquement votre jeu.

« Si GTA avait une héroïne au lieu d'un héros, j'y jouerais ! » dixit ma femme. Avant mon article sur GTA, elle n'avait jamais eu l'idée d'essayer, parce que, clairement, les GTA ne visent pas un public féminin. Mais sérieusement, les femmes sont des gens comme les autres, elles n'ont pas besoin de jeux sur les poneys ou des princesses en robes rose, elles ont juste besoin d'avoir la sensation qu'on s'adresse à elle, deux-trois prises simples pour s'identifier au personnage, comme nous-autres.

Hollywood l'avait compris déjà au début du XXème siècle, et avaient commencé à faire des films avec des noirs pour viser un public noir. Comment se fait-il qu'on doive encore avoir ce genre de prise de conscience aujourd'hui ? Ce sont des marchés gigantesques qui restent encore à conquérir. Il n'y a rien de surprenant à ce que la plus grande part du public pour les jeux vidéos soit constituée de joueurs blancs si les héros sont tous blancs. C'est comme traduire un jeu : un impératif commercial.

Bon d'accord mais comment faire alors ?

D'abord parlons du sexisme, ensuite on parlera du racisme.

Sexualiser ou ne pas sexualiser ?

En toute honnêteté, je suis l'un des joueurs les plus lubriques que vous pourrez rencontrer. Je suis capable d'allumer un jeu juste pour déshabiller les personnages féminins. Les jeux sont faits pour s'amuser et les PNJs sont des objets de fait. Mais on ne peut pas ignorer que tout jeu présente un modèle de société, soit à dénoncer (Oni, ce jeu de baston grave cool de Bungie inspiré de Ghost in the shell), comme un exemple (Stardew Valley), ou un fantasme qui n'aurait rien de bon IRL (Window Girl ?). Ce dernier point est le plus glissant, mais aussi souvent le plus intéressant en jeu vidéo, alors comment marier nos fantasmes et notre conscience ? Il suffit simplement de penser en-dehors de notre propre cerveau et de se mettre à la place des autres. Les homos et les femmes ont les mêmes besoins que les autres, je suggère donc de sexualiser aussi les personnages masculins. C'est un des points sur lesquels Skyrim a bien fait le taff. Les gros barbares sont carrément sexy.


Ne pas oublier la caution asexuelle !

Bon, tout le monde n'est pas comme vous et moi à jouer aux jeux pornos japonais les plus immoraux d'Internet dès que tout le monde est couché. Donc, pour justifier les personnages sexualisés, faites autant de personnages non sexualisés, de tous les genres, sans les rendre spécialement antipathiques ou quoi. Ce faisant, personne ne pourra vous suspecter de sexisme, et les R34 futurs seront légion.


Ne pas oublier de faire différentes corpulences !

Essayez différents types de corps pour vos personnages, car tout est potentiellement esthétique. C'est là que je trouve Skyrim limité, puisque toutes les femmes sont minces, et les hommes musclés. Où est le gras ? Comment survivre à ce froid sans un isolant naturel du bide ? Et comment celle-ci peut-elle manier cette claymore géante avec ses bras de mannequin ? Et là, je ne parle même pas de grossesse ! Les moddeurs ont du corriger ça, comme d'habitude.

Les chainmail bikinis sont pour les femmes comme pour les hommes, de même que les armures de plates, le gras, les muscles, les tout petits seins, les cicatrices, les poils.

Blizzard se plantera-t-il un jour dans ses choix artistiques ? Je pense sincèrement que le design des personnages de Overwatch est pas mal. Et je n'ai jamais vu autant de R34 de ma vie. Tape-moi Zarya !

Oh et puis ne faite pas comme Hollywood et ses producteurs féministes mais quand même pas trop pour rester consensuels, et qui font des films sur des super-héroïnes-mannequins minces et épilées, et même qu'à la fin le vrai héros c'est quand même un homme faut pas déconner. Je crois, en tout cas j'espère, que les gens ne se contentent pas de si peu. Soyez audacieux dans vos choix, en vous référant aux jeux à succès qui présentent des modèles de société alternatifs tels que Stardew Valley ou Undertale. Vous serez récompensés par vos choix subversifs.

Idem avec l'orientation sexuelle. Ne faites pas comme dans Mass Effect, où toutes les femmes sont bisexuelles, alors qu'il y a très peu de personnages masculins gays. De toute évidence, la diversité était une caution pour nourrir les fantasmes masculins. Bien sûr que ça peut être une caution, mais ça ne doit pas sauter aux yeux.

Enfin, soyez vigilant à propos de ce qui relève de ce que l'on appelle la culture du viol, qui signifie la représentation du viol comme faisant partie intégrante du processus de séduction, parce que ça ne marche pas comme ça en vrai, tout simplement. Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas représenter le viol ni même qu'il est interdit de fantasmer dessus, ça veut simplement dire qu'il ne faut pas le représenter comme une relation normale et comme de bien entendu dans un rapport de séduction, ce qui malgré tout très fréquent. Rappelez-vous de la scène de viol dans les Liaisons Dangereuses. Ce qui rend cette scène terrifiante est que Valmont fait croire à sa victime que c'est ainsi que font les adultes et que tout est normal, et elle finit par le croire. Laclos, dans cette scène, dénonce la culture du viol.


La caution diversité : it’s a trap!

Depuis les années 1980, les directeurs d'école, les commissaires de police et les prophètes sont tous noirs. Les auteurs procédant ainsi sont tous très bien intentionnés, mais le plus souvent, le héros est toujours blanc.

Ça ne suffit pas ! De toute évidence, ils ne considèrent toujours pas les noirs comme des alter egos, puisqu'ils ne peuvent pas se résoudre à s'identifier à un personnage noir. En tirant sur le fil, on peut même leur reprocher de participer à la théorie du grand remplacement et toutes ces conneries de droite en mettant en place une hiérarchie fictive où le héros blanc est soumis à des chef noirs. Mais la réalité, ce n'est pas ça ! Les noirs sont hiérarchiquement presque toujours inférieurs aux blancs encore aujourd'hui.

La caution diversité, c'est lorsque l'ami du héros est noir, ou femme, et il va le servir, se sacrifier, le sucer, etc. parce que, dans une fiction, l'ami du héros prouve sa valeur par sa dévotion. Bon, on n'est plus dans les années 1980, on ne peut plus faire ça. Vous serez marqué comme raciste ou sexiste en vous inscrivant dans cette longue tradition de la caution. Il vaut encore mieux laisser tomber tout ça et ne faire que des héros blancs au crâne rasé, sinon vous allez tomber dans le coin le plus glauque du débat social : le placard des bien-pensants.

L'Elu, sa meuf, son pote.

Doit-on forcément aborder les sujets sociaux ?

Les « racisés » sont des gens comme les autres, tout comme les femmes (donc les « sexués », puisqu'il paraît que le genre masculin est neutre ?). N'ignorez pas les sujets sociaux, mais ne vous sentez pas obligés de les inclure dans vos histoires, toutes les histoires sur les noirs ou les femmes ne devraient pas être à propos de racisme ou de sexisme. Ne soyez pas démonstratifs, si les personnages féminins n'ont pas à parler d'hommes ou de maquillage quand ils discutent, ça ne veut pas dire qu'ils doivent fomenter des plans pour renverser le patriarcat non plus, car c'est tout aussi cliché.

Mais si vous voulez aborder ces sujets, n'attendez pas l'autorisation. Soyez seulement conscients de la position depuis laquelle vous écrivez. Par exemple, dans le livre que je suis en train d'écrire, le sexisme est un sujet essentiel. J'ai délibérément écrit une histoire qui se déroule presque exclusivement entre hommes (une histoire ordinaire quoi LOL), parce qu'il serait malhonnête de parler à la place d'une personne qui vit vraiment l'oppression. Ce serait parler à sa place.

Vous pouvez aller jusqu'à imaginer un gameplay qui se base sur les caractéristiques de certaines minorités. Dans Far Cry 2, le personnage principal devait avaler des pilules régulièrement en plein combat. Pourquoi pas un personnage diabétique, ou asthmatique, par exemple ? Ou juste un personnage très vieux ? L'héroïsme, ce n'est pas être plus fort que les autres, c'est être plus fort que soi-même. C'est la raison pour laquelle Batman est tellement cool et Superman est tellement ennuyeux. Vous ais-je déjà parlé de la fois où un Batman tout vieux bottait le cul de Superman ? C'était le bon temps.

Frank Miller, Dark Knight Returns, 1986. Ça fait du bien par là où ça passe.

Imaginons des fonctionnalités inclusives

  • SI le joueur peut construire son personnage, pourquoi devrions-nous choisir le sexe du personnage ? Il suffit de mettre des caractéristiques des deux sexes, et le joueur choisira lui-même. Le dev sera d'autant plus facile et tout le monde sera contant. Fable est devenu plus inclusif du I au II puis au III, en diversifiant les personnages, et pourtant, nous n'avons pas encore de personnage genderfluid ou non blanc. Vous pouvez faire mieux que Lionhead, qui est pourtant déjà avant-gardiste pour une superproduction.
  • A l'inverse, vous pouvez faire des personnages qui ne soient ni blanc, ni hétéro, ni homme, et le joueur ne peut rien y changer. C'est surprenant à quel point l'audience ne change pas : elle ne fait que s'élargir. Pensez à GTA San Andreas. Ça reste le meilleur GTA pour l'instant.
  • Une histoire où les "minorités" sont en fait en majorité. Plus de femmes que d'hommes, plus d'asiatiques, noirs ou chaispasquoi que de blancs. Ça reste à inventer, et, bizarrement, ça a l'air difficile, pas vrai ?


D'autres idées pour rendre un jeu plus inclusif ?