Homéopathie, maladies et inhibition de l'action

Homeopathy, diseases and action inhibition.

L'homéopathie fonctionne beaucoup trop "en circuit fermé". Ce qui la fait passer complètement à côté de son potentiel d’enrichissement de la connaissance médicale, biologique et scientifique. Et l’empêche, aussi, d’intéresser l’ensemble de la communauté médicale et scientifique et de s’adresser à celle-ci avec quelque chance d’être entendue et appréciée. A vrai dire, le seul "intérêt" d’un tel enfermement est de se dispenser de l'indispensable rigueur et du souci d’intelligibilité qu’impose la volonté d’échanger avec les autres. Chacun aura compris que ma démarche va à l’inverse de cet "enfermement", qu’elle vise, au contraire, à ouvrir le nécessaire dialogue avec la totalité des communautés médicales et scientifiques.

Or, il se trouve que l'homéopathie pourrait mettre en avant un phénomène biologique essentiel et majeur dans le déclenchement des maladies et enrichir, ainsi, très profondément, la conception actuelle des causes des maladies.

Au delà des causes locales et des agents pathogènes et au delà du terrain

Chacun connaît, bien sur, la conception biomédicale des maladies et de leurs causes, conception qui possède une forte dimension mécaniste avec mise en avant de tel agent causal (virus ou bactérie comme cause d’une infection, hypercholestérolémie comme cause d’infarctus du myocarde, facteur local pollen élevé au rang d’allergènes, etc.), tel neuromédiateur (sérotonine ou dopamine), tel phénomène physio-pathologique (maladies auto-immunes), etc. Et, bien sur, la réponse thérapeutique dans un tel contexte sera l’administration d’une molécule interférant ou agissant sur les causes locales identifiées, le détruisant (antibiotique), l’inhibant (enzyme ou réaction chimique) ou le bloquant (béta-bloquant, anti-histaminique) tel récepteur, etc.

L'homéopathie, elle, on le sait, considère les maladies de façon beaucoup plus globale et, dans ce contexte, plutôt que d’identifier, chez un patient, différentes pathologies « locales » et indépendantes (asthme, HTA et fibrome utérin par exemple), elle retient l’existence d’une seule pathologie globale. Et le recours à la notion traditionnelle mais fort vague de « terrain », a longtemps servi ou tenu lieu d’« explication » à un tel déséquilibre.

Pour autant, une telle notion est assez pauvre du point de vue scientifique et n’explique rien, ou presque, en réalité. Elle manque donc sérieusement de contenu et il nous faut, donc, aller bien au delà de cette vieille notion de terrain et nous poser la question suivante.

Pourquoi ces grands déséquilibres biologiques surviennent-ils ? Quelle est leur cause ?

Comme je l’ai souligné dans un autre texte de ce site, la plupart des pathologies relève, largement, de déséquilibres biologiques chroniques. Mais définir les maladies est une chose qui ne doit pas faire négliger la question de l’origine, de la cause de celles-ci. En effet, pourquoi ces déséquilibres s’installent ils ? Sont ils innés ? Acquis ? Pourquoi surviennent-ils ? Quels en sont les principaux facteurs et moteurs ? En un mot, quelle est leur cause ?

En effet, l’on ne tombe pas malade sans raison. Pas sans cause et sans agents, bien sur, mais pas, non plus sans qu’une vulnérabilité ne se soit mise en place. Il ne suffit pas de diagnostiquer une pneumopathie ou un asthme pour pouvoir se dispenser d’une telle réflexion. Bien sur, du point de vue biomédical, l’on pourra dire que la première a été provoquée par telle bactérie et que le second témoigne d’une hyperréactivité bronchique plus ou moins associée, par exemple, à une note allergique. Certes, tout ceci est vrai ou, plutôt, n’est pas faux. Mais, le patient atteint de pneumopathie avait été trempé jusqu’aux os par une pluie soudaine et il était, depuis plusieurs jours, fort contrarié. Cela n’a-t-il pas joué un rôle ? Quand au patient asthmatique, il présent aussi de la migraine, a une tendance hypocondriaque, a peur de manquer d’argent et son asthme s’accompagne d’eczéma. Toutes choses qui signent clairement un déséquilibre global.

Mais pourquoi ce déséquilibre s’est-il installé ? Qu’est-ce qui l’a provoqué ? Comment rendre compte, scientifiquement, biologiquement, de tout cela ? En nous tournant, de nouveau, vers la pratique homéopathique, c'est à dire en replaçant la survenue de la maladie dans le champ de la vie, dans le plan vital. Ce qui va nous amener à un phénomène vital et biologique fondamental.

Quand la dynamique vitale se heure aux contraintes de l’existence

Ce que montre l'homéopathie, ce dont témoigne son observation minutieuse et attentive des patients, depuis plus de deux siècles, et notamment avec les développements de l'homéopathie contemporaine, c’est que ce qui semble le plus particulièrement déstabiliser les organismes et provoquer des maladies est le fait, pour un sujet donné, de se trouver dans telle ou telle situation difficile, d’être confronté à tel ou tel obstacle.

On retrouve, ainsi, des médicaments homéopathiques réputés utiles quand le déclenchement d’une pathologie semble être survenu dans les « suites de … » peur, choc, chagrin, traumatisme crânien, exposition à l’humidité, abus de café ou de thé, etc.

L'homéopathie contemporaine a mis l’accent sur d’autres difficultés, d’autres obstacles, plus existentiels. Le patient « tombe » alors malade quand il se heurte à une situation couramment rencontrée par plus ou moins tous els humains dans laquelle il se trouve, en quelque sorte, enfermé et empêché d’agir, que ce soit pour des raison « internes » (il présente une vulnérabilité face à cette situation, ce qui la lui rend beaucoup plus difficile à surmonter) ou bien pour des raisons « externes » (la contrainte, l’obstacle est réellement plus important que la moyenne), voire la conjonction des deux types de raisons.

Pour ne prendre que l’exemple des métaux de la quatrième ligne du tableau périodique de Mendeleev, l’on sait, désormais, grâce aux travaux de Jan Scholten, notamment, que les patients relevant de ceux-ci se déstabiliseront volontiers à l’occasion de circonstances professionnelles. Par exemple, Ferrum metallicum tombera malade de ne plus pouvoir faire face à une demande de travail tellement croissante qu’il s’y épuisera, Nicollum d’être empêché d’exercer ses pleines capacités professionnelles, pourtant bien acquises, et Cuprum d’être poussé plus loin et plus "haut" alors qu’il a déjà du mal à maintenir, de façon crispée, son statut.

Dans une telle conception, on comprend que la guérison, dès lors, ne se signe plus seulement par la disparition de telle ou telle lésion ou dysfonction mais, plus fondamentalement, par la résolution de la difficulté de vie rencontrée, sa "dissolution" pourrait-on presque dire. Le patient ne gaspille plus son énergie et ses pensées à lutter et se débattre contre ce qui faisait obstacle et posait problème qui, désormais, peut être vécu sans difficulté.

Ceci a une conséquence sur ce que l’on peut considérer comme une guérison véritable. La disparition des lésions ne suffit plus. Car, même si celle-ci survient, si l’obstacle ou la situation de vie reste difficile et « anormalement » problématique, cela doit inciter à la prudence … et la méfiance. En effet, la difficulté à agir, à "franchir" l’obstacle persistant, il ne serait guère étonnant que surviennent, soit une récidive, soit un "déplacement" vers d’autres conséquences dommageables et pathogènes.

Ainsi, grâce à sa prise en compte des situations de vie qui déstabilisent et déséquilibrent les organismes biologiques, l'homéopathie s’appuie, sans l’avoir clairement compris jusqu’ici, sur un phénomène particulièrement important dans le déclenchement des maladies. Qui, d’une part, a le mérite de rendre l'homéopathie plus compréhensible. Et, d’autre part, celui de montrer que l’observation et la pratique homéopathiques sont à même de nourrir la connaissance médicale, biologique et scientifique.

Rôle de l’inhibition de l’action d’Henri Laborit

Le déclenchement de nombre de maladies semble, en effet, relever des conséquences biologiques du phénomène de l’inhibition de l’action décrit par le neurobiologiste Henri Laborit dans le prolongement et l’affinement des travaux de Selye sur le stress.

Le stress et le syndrome général d’adaptation selon Selye

Le concept de stress et de syndrome général d’adaptation a été décrit par Hans Selye en 1925. Il le définit comme l’ensemble des moyens physiologiques et psychologiques mis en œuvre pour s’adapter à un changement plus ou moins brutal survenant dans le cours habituel de la vie d’un sujet, jusque-là bien équilibrée, changements susceptibles de déclencher un bouleversement dans sa structure psychique et somatique.

L’on sait que l’organisme dispose de réponses spécifiques face à certaines situations, qu’il réagit, par exemple, au froid en produisant de la chaleur, à l’effort physique en sécrétant une hormone qui stimulera l’organisme, etc.

Le stress, lui , est défini comme une réponse non spécifique du corps aux sollicitations adaptatives qui lui sont faites. Cette réponse d’adaptation comporte des changements biochimiques visant le maintien de ce que les biologistes appellent un état d’équilibre ou homéostasie, c’est-à-dire la constance ou la stabilité des paramètres de l’organisme tels que la température corporelle, le taux de glucoses, etc. Il représente donc «l’ensemble des modifications qui permettent à un organisme de supporter les conséquences d’un traumatisme naturel ou opératoire».

Tant que l’ampleur de l’événement stressant ne dépasse pas les capacités de réponse normale de l’organisme, celui-ci n’en subira pas les conséquences. À l’inverse, si les ressources de cet organisme sont insuffisantes, s’il ne peut pas faire front à la quantité de stress qu’il doit gérer, des problèmes de tout ordre sont susceptibles de survenir. L’organisme entre alors dans un cercle vicieux, le système d’adaptation du corps s’épuise et les conséquences du stress deviennent de plus en plus néfastes.

Selye a, ainsi, décrit :

Les trois phases de la réaction de stress

Lemécanisme du syndrome d’adaptation, comporte trois phases consécutives :

  • la "phase d’alarme",
  • la "phase de réaction",
  • la "phase d’épuisement".

Hans Selye montre finalement que le phénomène de stress est un dispositif de vigilance salvatrice et que la sur-vigilance est dommageable lorsque la quantité de demandes dépasse la capacité de réponse du sujet.

L’on sait, dans le monde homéopathique, que, ces dernières années, Rajan Sankaran a, à plusieurs reprises, fait référence au rôle du stress dans le déclenchement des maladies, ceci dans la droite ligne de Selye.

Mais se référer à la seule idée de stress ne permet pas de comprendre les subtilités et le caractère très concret et repérables des situations déséquilibrantes que l’homéopathie contemporaine a de plus en plus souligné depuis une vingtaine d’années. Car Sely en édit rien de ce qui va, concrètement, faire que les capacités d’adaptation de l’organisme sont, parfois, dépassées.

L’inhibition de l’action d’Henri Laborit

Cette notion permet de franchir un pas en avant et de beaucoup mieux décrire ce qui se joue, et qu’observe, avec beaucoup de subtilité l'homéopathie, dans nombre de situations aboutissant au déclenchement des maladies.

Car ce qui rend malade les patients, ce n’est pas seulement de subir un stress, terme trop vague, mais de se retrouver dans une situation d’inhibition de l’action. Dans une situation où l’action nécessaire pour faire face à l’obstacle qui survient, à l’inattendu qui surgit, est impossible et/ou inaccessible pour le sujet. Ceci, que cette impossibilité vienne du caractère extraordinaire de l’obstacle, d’une vulnérabilité du sujet précisément face à celui-ci (alors qu’un autre obstacle ne lui poserait pas forcément problème ou que le même obstacle ne poserait aucun problème à un autre sujet) ou parce que l’action est impossible car interdite ou inenvisageable pour des raisons psychiques, sociales, culturelles, religieuses, etc.

Or, les travaux d’Henri Laborit l’ont bien montré, face à une situation stressante, il n’existe que trois réponses biologiques disponibles :

Fuir (flight) pour échapper à la situation stressante.

Combattre (fight) et "échapper" au stress en déchargeant son agressivité et agir, que le combat soit victorieux ou non. À défaut de se battre contre son « vrai » problème, il peut arriver que le sujet déplace sa lutte sur d’autres plans. Il ne combat pas contre ce qui lui pose problème mais se bat à propos d’autre chose, ce qui lui permet quand même de se battre, donc d’agir et lui évitera de tomber malade.

On notera que ces deux options sont les plus saines, celles qui permettent à l’organisme de ne pas tomber malade.

Peur, Frayeur (fright). Faute de pouvoir fuir ou combattre, le sujet se trouve condamné à rester dans une situation d’« inhibition de l’action ». Il est saisi par la peur, la frayeur et, surtout, par l’impuissance à se défendre, à fuir ou combattre, c'est à dire, encore, impuissant à agir. C’est la situation la plus nuisible pour l’organisme et qui débouche sur l’installation d’états pathologiques.

Or, l'homéopathie, de tout temps, et l'homéopathie contemporaine encore plus, a mis au jour le caractère délétère de certaines situations qui, quand on y réfléchit de plus près, sont des situations d’inhibition de l’action. Le sujet ne pouvant ni fuir la difficulté, ni la combattre et la surmonter se trouve contraint de rester, sans possibilité d’action, dans la situation stressante et problématique, ce qui, peu à peu, ou plus rapidement selon les cas, entraine l’apparition d’un déséquilibre de sa dynamique vitale, c'est à dire un déséquilibre biologique global en son sein.

On voit donc la grande valeur heuristique et la formidable fécondité, théorique et pratique, d’une homéopathie bien conceptualisée et ancrée dans les données biologiques et scientifiques modernes. Et l’on voit que celle-ci pourrait grandement élargir la connaissance des causes des maladies. Notamment, en articulant ses observations cliniques à la théorie biologique de l’inhibition de l’action. Ce qui permettrait d’associer au facteur local impliqué (bactérie, neuro-médiateur, etc.) ou au traumatisme psychique incriminé dans telle pathologie le rôle causal d’une dynamique vitale entravée, empêchée et inhibée.

Février 2020