Sensation par Rajan Sankaran

Premières considérations sur la «Méthode de la sensation»

Je ne crois pas une seconde à la possibilité d’une pure pratique. D’une pratique dépourvue d’une théorie, que celle-ci soit implicite ou explicite. Et puisqu’une dimension théorique est toujours présente, je la préfère explicite et clairement exprimée.

Je propose, ici, de montrer en quoi ma conceptualisation théorique de l'homéopathie permet d’éclairer et rendre beaucoup plus intelligible l’approche clinique du docteur Rajan Sankaran, approche dite méthode de la «sensation vitale».

Le présent travail permettra de :

    • • Rendre la méthode de la sensation beaucoup plus compréhensible, médicalement, biologiquement et scientifiquement.
    • • La reformuler, en termes modernes et recevables par tous, qu’il s’agisse des divers courants de l'homéopathie ou des médecins allopathes, biologistes et autres scientifiques.
    • • Corriger certaines erreurs, inévitables, qu’a faites Rajan Sankaran en « conceptualisant » malgré tout, (recours à la notion de « miasmes », « sensation vitale, « other song ») sa méthode.

Il serait absurde de reprocher à Rajan Sankaran de n’avoir pas su faire correctement ce travail de théorisation. Sa motivation première était de faire progresser la pratique de l'homéopathie, de la «codifier» et de la systématiser. Ce qu’il a magistralement accompli.

Ne disposant d’aucun cadre logique, rationnel et/ou scientifique auquel «rattacher» ses avancées dans la prise du cas et le choix des remèdes, notre confrère a, de façon bien compréhensible, formulé celles-ci comme il a pu. D’une manière, tout à fait «efficace» au plan pratique, c'est à dire si l’on est médecin homéopathe et que l’on «rentre» dans sa logique mais qui n’est, malheureusement, ni adaptée, ni «efficace» pour s’adresser à l’ensemble de la communauté médicale et scientifique.

Or, les avancées du docteur Rajan Sankaran élargissent considérablement le champ de nos possibilités thérapeutiques et il est très regrettable qu’elles ne soient pas présentées d’une façon plus rigoureuse et plus capable de faire comprendre, à l’ensemble de la communauté médicale et scientifique, l’intérêt de l'homéopathie.

Je me propose, donc, d’offrir, ici, à la communauté homéopathique les concepts permettant de rendre notre pratique claire et partageable avec tous nos confrères médecins, y compris allopathes.

Je souhaite, ainsi, que le lecteur prenne conscience du fait que toute avancée véritable dans le domaine homéopathique repose toujours , en dernière analyse, bien que dans une méconnaissance totale, sur une prise en compte de sa dimension phénoménologique et sur l’étude du patient en tant qu’individu vivant.


Matière médicale situationnelle, illusion centrale et perception vitale singulière par le patient

La première «découverte» et avancée de Rajan Sankaran fut sa matière médicale situationnelle et son concept d’illusion centrale qui se sont avérés particulièrement opératoire.

Les termes mêmes de situation et d’illusion indiquent qu’il s’agit d’accéder à un vécu intime et singulier du patient, de «comprendre», ou plutôt de repérer, ce qu’il «vit» inconsciemment.

Rajan Sankaran a, ainsi, mis au jour le fait, essentiel, et négligé jusqu’alors, que, placé dans une situation, quelle qu’elle soit, aucun d’entre nous n’en a une perception objective. Chacun, au contraire, la perçoit «à sa façon», chacun en fait, d’une certaine manière, sa propre «lecture», en un mot, la perçoit de façon singulière.

Il me semble que la formulation d’illusion centrale n’est pas très adéquate car, parler d’illusion revient, de fait, à laisser penser que la perception du patient est «erronée» par son éloignement vis à vis d’une perception qui, elle, pourrait être objective et conforme à la réalité.

Je pense donc qu’il serait plus adéquat de, tout simplement, parler de la «perception vitale singulière» du patient. L’adjectif «vitale» ne faisant, ici, aucune référence, à la notion d’énergie ou de force vitale mais désignant, simplement, mais précisément, que l’on se situe dans le «champ vital», c'est à dire dans le champ de la vie, du vécu du patient.

La perception vitale singulière du patient, c’est comment il voit, lui, les choses, comment il perçoit, lui, les situations dans lesquelles il est.

En proposant de prendre en compte, pour prescrire, la perception vitale singulière du patient, Rajan Sankaran a, sans aucun doute, offert à la communauté homéopathique, un moyen supplémentaire d’individualiser ses prescriptions.

Mais il y a plus. En reformulant son idée d’illusion centrale », nous pouvons, par l’idée de perception (vitale) singulière, ouvrir le dialogue et la discussion avec nos confrères allopathes, biologistes et l’ensemble de la communauté scientifique car qui pourrait contester qu’aucune perception objective du réel n’est possible et que, toujours, chacun de nous perçoit (et «interprète») ce qu’il vit de façon tout à fait singulière.

Novembre 2019

Que penser de la sensation vitale de Rajan Sankaran ?

L’idée de "sensation vitale" est le concept sans doute le plus important apporté par Rajan Sankaran qui lui a consacré un livre de plus de 700 pages "The sensation in homeopathy" (après l’avoir déjà présenté dans les 1000 pages des deux premiers tomes de "An insight into plants"). C’est aussi l’idée à la base de sa méthode originale d’interrogatoire et de "prise" de ces cas cliniques. Bref, la base d’une nouvelle façon de prescrire en homéopathie.

La question fondamentale à élucider, ici, est de savoir si cette prise en compte des sensations pour fonder la prescription homéopathique est susceptible d’être présentée de façon compréhensible par tous, c'est à dire aussi bien en dehors du monde homéopathique. Et répondre à cette question suppose de la décliner en plusieurs autres. Comme, par exemple :

Qu’entendre par l’idée de sensation selon Rajan Sankaran (RS)?

En prenant en compte cette sensation vitale, RS s’égare-t-il dans un domaine intuitif et sans rigueur ou propose-t-il à la médecine de s’ouvrir à une dimension médicale essentielle, jusqu’à ce jour méconnue ?

Enfin, quels soubassements biologiques et scientifiques lui donner ?

Mais commençons par le début.

Qu’est-ce qu’une sensation en général ?

On peut définir une sensation de deux façons :

• D’un côté, il s’agit, pour le dictionnaire Larousse, d’un phénomène qui traduit, de façon interne chez un individu, une stimulation d'un de ses organes récepteurs. Par exemple, les sensations visuelles.

• Et d’un autre côté, il s’agit d’un état psychologique découlant des impressions reçues à prédominance affective ou physiologique. Par exemple, une sensation de bien-être.

En quoi la sensation (vitale) de Rajan Sankaran s’en distingue-t-elle ?

Il faut bien comprendre que la sensation vitale selon RS n’est pas une sensation comme une autre. Ce n’est pas une "pure" perception sensorielle, comme celle d’un son, d’une perception tactile, ou d’une perception "interne", comme celle d’un vide à l’estomac ou d’une accélération du rythme cardiaque.

De ce point de vue, elle est beaucoup plus proche du second sens que du premier et désigne un état, non pas seulement psychologique, mais bien vital, au sens phénoménologique du terme, c'est à dire qui concerne la façon dont le sujet perçoit sa capacité à vivre.

La sensation vitale n’est pas purement corporelle, ni purement sensorielle. Elle se trouve profondément tissée avec toute la dynamique de vie du patient et exprime ou "incarne" la totalité du vécu du patient.

La sensation vitale de R.S. est, en réalité, le vécu fondamental sous-jacent du patient.

Le concept de Rajan Sankaran renvoie au vécu qui s’incarne dans le patient, aux sensations qui colorent l’ensemble de sa vie, ce à travers quoi s’exprime toute la cohérence de son vécu, toutes ses émotions, pensées et sensations.

Ce vécu est très largement inconscient, singulier et sous jacent à la totalité de la vie du patient. Ce vécu très singulier, parce que le patient n’en est même pas, le plus souvent, conscient, ne pourra, le plus souvent aussi, être évoqué qu’avec l’aide subtile du praticien.

Ce vécu fondamental exprime comment la vie, c'est à dire le fait de vivre concrètement, au quotidien, nous fait nous sentir, en nous mêmes, ou face au monde. Par exemple, « coincé, bloqué, enfermé, perdu, attaqué, menacé, etc. ».

Il représente, donc, ce que ressent le plus profondément le patient à chaque fois qu’il se heurte à une difficulté de vie.

Comment y accéder ?

La recherche de cette sensation vitale qui semblera incontestablement étrange, voire farfelue, aux médecins allopathes, est une réalité clinique et constitue un précieux fil d’Ariane dans la prise de nombreux cas en homéopathie.

Pour y accéder, il ne s’agit pas de demander au patient de dire ce qu’il pense de son vécu (ce qui serait une simple interprétation du patient vis à vis de ce qu’il ressent) mais de lui faire exprimer, le plus précisément possible, concernant le trouble dont il souffre, ce qu’il ressent au plan mental, émotionnel, mais surtout, quand c’est possible, dans son corps, dans sa capacité à vivre, dans sa « dynamique » vitale.

Le but n’est pas, non plus, de s’attarder sur n’importe quelle sensation mais de repérer celle qui revient le plus constamment, quelle que soit ce qui affecte le patient. Qu’il parle de ses migraines, mais aussi de ses soucis professionnels ou de ses soucis conjugaux. Bref, il s’agit de repérer le vécu fondamental qui est, là, sous jacent à tout le vécu du patient.

Comme l’a souligné et mis au jour RS, un excellent indice permettant d’affirmer que le vécu du patient renvoie bien à son vécu "vital", ou fondamental, est qu’exprimant celle-ci, il s’anime, bouge, fait des gestes, notamment des mains, et vit, manifestement, dans son corps, "quelque chose".

Enfin, pour pouvoir parler de vécu fondamental sous jacent, il convient donc, nous l’avons vu, que celui-ci "revienne" et s’exprime, de façon récurrente, à chaque fois.

Le meilleur signe que l’on ait bien réussi à repérer ce vécu fondamental est que tout se connecte, tout converge vers lui, (ce qui est logique vu les phénomènes d’intégration biologique qui régissent l’être humain).

La sensation vitale est elle véritablement "insensée et non humaine" ?

Je pose ces deux questions car Rajan Sankaran, ne cesse de qualifier ainsi celle-ci. Il insiste, ainsi, sur la dimension de "non sense", de "non human specific" de cette sensation vitale. Et l’on peut comprendre une telle dénomination quand un patient se sent "tombé en miettes", a "l’impression d’être enfermé dans une bulle", "sent ses membres s’éparpiller autour de lui" ou bien "veut sauter sur son collègue pour le griffer mortellement".

Mais, redisons-le, il s’agit moins d’une sensation que d’un vécu qui semble, c’est vrai, échapper à toute logique, à toute rationalité. Mais est-il, pour autant, si absurde, si insensé ? Ne peut on lui trouver un soubassement biologique et scientifique ?

Qu’en penser du point de vue biologique et scientifique ?

C’est très difficile à dire car c’est un vaste champ de recherche et de réflexion qui s’ouvre là. Il semble cependant que ce vécu fondamental très singulier puisse, sinon s’expliquer, du moins, trouver une part d’éclairage grâce à deux notions :

• Celle de l’intégration biologique qui rend compte du fait que l’ensemble du fonctionnement biologique, émotivité et psychisme inclus, est profondément tissé et "unifié". Aussi n’est-il pas illogique de voir cette intégration s’exprimer en un vécu unique, toujours présent et singulier comme est toujours singulier le fonctionnement biologique.

• Celle de la génétique de l’évolution (et je renvoie, là, à quelques notions développées dans le texte de la section "Médecine et biologie" intitulé "Humain, animal, végétal et minéral" qui suggère que l’être humain puisse, à certains moments, fonctionner sur un mode archaïque, emprunté à l’évolution. Le sujet perçoit alors le monde et se perçoit dans le monde selon des schémas issus de l’évolution.

On peut donc affirmer que ce vécu singulier est plus archaïque que "non human specific". Mais l’important n’est pas l’usage de telle ou telle expression. L’important est de comprendre que l’organisme semble disposer de tout un répertoire de "configurations de fonctionnement" issus de l’évolution qui font que le sujet, plus souvent qu’on ne croit, perçoit le monde, et se perçoit dans celui-ci, selon des logiques largement archaïques.

L'homéopathie permet, ainsi, grâce à l’apport de RS, de prendre en compte un niveau de fonctionnement particulièrement profond, inconscient et archaïque, dans lequel "vit", presque toujours à son insu, chacun d’entre nous.

Mais, une fois encore, si ce vécu peut être dite vital, c’est seulement au sens où il marque la totalité du vécu du patient et pour nulle autre raison. Parce qu’il resitue le patient dans sa vie, dans ce qu’il éprouve et ressent.

Que penser, enfin, de l’idée d’"autre chant" avancée par RS

Cette idée renvoie, elle aussi, mais de façon métaphorique, à l’idée que la vie humaine s’enracine dans des structures et fonctionnements biologiques archaïques. Elle vient, ainsi, rappeler que l’intelligence "corticale" qui nous conduit à chercher compréhensions et solutions logiques rationnelles à nos difficultés de vie, "cohabite" avec une logique inconsciente et archaïque de fonctionnement.

Bien que pensant vivre dans une sphère purement rationnelle et logique (au sens du logos grec), l’être humain apparaît largement conduit et animé par une perception inconsciente archaïque du monde et de lui même. Ce qui ne va pas, bien évidemment, sans de nombreuses contradictions et antagonismes, ni sans conflits.

En ce sens, il est évident que l'homéopathie donne accès à une nouvelle dimension de la notion d’inconscient.

Mars 2020