Toucher le fond
(de l'eau !)
Raconté pour vous par Cécile, le 26 novembre 2021 - temps de lecture : 4 mn
Quand ? de l'Antiquité au XXe siècle -
Où ? Atlantique et Méditerranée, Seine (il n'y a pas de lac dans nos exemples, cette semaine)
Ça y est : nous avons atteint le fond (de l’eau) !
Et maintenant que fait-on, face à nos vestiges de bateaux ? On peut plonger pour regarder, pour le plaisir de l’exploration, évidemment, mais si on doit fouiller l’épave, comment fait-on ?
Et d’ailleurs, comment les trouve-t-on, ces épaves ?
1. Comment découvre-t-on des épaves ?
Tout dépend de l’endroit où elles se trouvent ! En pleine eau, elles sont découvertes à l’occasion de travaux d’aménagements portuaires, ou bien tout à fait par hasard, par des clubs de plongée ou des chasseurs sous-marins, par exemple. Certaines sont également raclées et partiellement remontées par des filets de pêche.
En pleine terre ou sur les plages, le hasard est encore souvent à l’œuvre.
Il est rare que la mémoire de l’emplacement d’une épave ou d'un port disparu et enfoui sous des mètres de sédimentation traverse les siècles.
C’est ce qui s’est passé dans le cas du site de Lyon Saint-Georges : la présence d’un bras mort de la Saône accueillant un port fluvial romain et médiéval était totalement inattendue, et a beaucoup perturbé le chantier de construction du parking souterrain (qui a tout de même été mené à bien).
Cependant, les navires peuvent aussi être les vestiges que l'on recherche.
En pleine eau, les techniques les plus modernes de prospection géophysique (sonar, résonance magnétique) permettent d’effectuer de véritables campagnes de détection des épaves à l'échelle d'une région définie (un espace maritime, un lac...), puis de les positionner exactement sur les cartes.
2. Les méthodes de fouille des épaves
Les méthodes de fouilles varient essentiellement en fonction de l’environnement dans lequel les épaves reposent, mais sur le principe, ce sont celles des fouilles terrestres.
On peut décomposer ce travail en 5 étapes : 1) on enlève les sédiments couche par couche ;
2) on consigne tout ce que l’on observe ;
3) on fait des relevés multiples (dessin au trait ou photographies verticales) pour chaque étape de découverte d’une couche supplémentaire
4) on localise précisément chaque artefact mis au jour avant de le prélever (souvent après découpe pour les bois de construction) ;
5) on n’oublie pas de procéder aussi à des relevés d’altitude de chaque couche archéologique et chaque élément remarquable, de manière à pouvoir restituer l’ensemble des vestiges dans les 3 dimensions.
C’est de cette façon que sont fouillées les épaves d’estran et celles des bassins portuaires à présent enterrés, comme on en a vu de beaux exemples la semaine dernière.
Les méthodes de l’archéologie terrestre ne peuvent toutefois être mises en place dans les mêmes conditions en milieu subaquatique : l’accès à l’épave peut être long et difficile, la mobilité des fouilleurs-plongeurs est réduite, l’eau peut être très trouble et gêner la visibilité des vestiges.
Enfin, il faut parfois composer avec de forts courants, qui balayent les vestiges, les déplacent ou les recouvrent, et empêchent les fouilleurs de se stabiliser.
Il faut en plus s'habituer à l'effet loupe de l'eau, qui déforme les distances et la géométrie des objets.
Ainsi, on continue à installer, en archéologie subaquatique, un quadrillage du terrain au moyen de cibles et ficelles, pour faciliter la localisation des vestiges.
C’est un travail qu’on ne fait souvent plus en archéologie terrestre pour les plans généraux, depuis l’utilisation des GPS haute précision.
La fouille implique aussi, si possible, l’usage d’une suceuse à eau, sorte d’aspirateur permettant d’ôter les couches sédimentaires sans éparpiller les sables et la terre dans l’eau et sans déplacer les objets.
L’archéologie subaquatique et sous-marine est la spécialité de l’archéologie de terrain qui coûte le plus cher, et de loin !
On pense immédiatement au prix des chantiers sous l’eau, avec tout l’attirail technique de pointe : matériel de plongée, suceuses, bateaux servant de bases en surface, voire même petits sous-marins et robots d’exploration télécommandés.
Toutefois, ce qui est le plus coûteux, ce n’est pas la fouille, c’est ce que l’on doit faire de l’épave une fois que celle-ci est découverte !
3. Le problème de la conservation des bois gorgés d'eau
En effet, on ne sort pas impunément à l’air libre des bois gorgés d’eau : ils sèchent, se craquèlent, se déforment et finalement se détériorent irrémédiablement, avant de tomber en poussière. C’est le triste sort de beaucoup de pirogues monoxyles et barques, sorties des marais et cours d’eau aux XIXe et XXe s., et à présent disparues.
Ainsi, un très long travail de nettoyage, de stabilisation et de restauration est nécessaire avant de pouvoir présenter en musée des bateaux archéologiques.
Le principe de la stabilisation est de remplacer l’eau (douce ou salée) qui gorge les cellules dilatées du bois par un produit de synthèse qui limitera la rétractation des fibres végétales et stabilisera la forme de chaque objet.
Le produit doit aussi permettre d’alléger la masse générale de l’épave, de manière à pouvoir la mettre en scène sans la faire flotter.
Deux techniques sont le plus couramment utilisées.
La première est la succession d’un procédé de lyophilisation, pour extraire l’eau, et d’injections de résines, qui renforcent la structure du bois séché.
La seconde technique, dite d’imprégnation, vise à immerger les bois dans un bain de résines solubles (ou les asperger en continu, si le bateau est trop grand), qui vont progressivement pénétrer dans le bois et remplacer l’eau.
Selon l’état du navire et son milieu de conservation au moment de sa découverte (enfoui dans la boue, reposant au fond d’un lac aux eaux très pures, ou exposés aux mouvements abrasifs du sable, en eau salée et rongés par des organismes parasites), le travail de stabilisation et restauration peut prendre de très longues années.
Le résultat est scientifiquement exact, mais toutes les épaves ne sont pas complètes et faciles à comprendre !
Les musées préfèrent ainsi parfois présenter des reproductions du bateau entier, plutôt que d’en exposer les portions conservées, peu explicites pour les visiteurs.
En touchant le fond de l’eau, nous voici au bout de notre série sur les épaves. Il reste encore beaucoup de choses à dire sur les bateaux anciens, les techniques de l’archéologie subaquatique et sous-marine, les trésors, les routes de navigation et la découverte de nouveaux mondes !
Nous espérons que ces articles vous auront donné des envies d’aventures, de découvertes… et peut-être d’en savoir plus sur ces spécialités ! Si c'est le cas, commencez par parcourir le très beau dossier "Archéologie sous-marine" élaboré par le Ministère de la Culture pour la collection de sites internet "Grands sites archéologiques"