Latrines et vieux cacas - 2
Pourquoi fouille-t-on dans les cabinets ?
Raconté pour vous par Cécile, le 22 octobre 2021 - temps de lecture : 6 mn
Quand ? De la Préhistoire à la fin du Moyen Âge - Où ? France, États-Unis, Écosse
Les programmes de recherche portant sur les latrines à différentes époques, sont très intéressants. On ne travaille pas simplement à inventorier la présence ou l’absence de lieux d’aisance et à en décrire l’architecture, mais aussi à en comprendre… le contenu !
Pour cela, évidemment, il faut que les latrines aient été disposées au-dessus d’une fosse septique, et que les déjections et ordures diverses jetées dedans aient pu se conserver. Cela implique des milieux chimiques particuliers, pauvres en oxygène (humides), riches en phosphates ou calcaire, ou encore ultra secs. Ainsi, toutes les latrines que l'on fouille ne se prêtent pas à des analyses très poussées. Mais quand c'est le cas, les résultats sont toujours étonnants !
1. Déjections fossiles et autres restes évocateurs
Alors que reste-t-il, finalement, après plusieurs siècles ou millénaires ?
Dans les plus exceptionnels des cas, et bien il reste vraiment des morceaux bien moulés…
Sinon, il reste une masse terreuse ressemblant à de l’humus, dans laquelle on retrouve tout ce qui a échappé à la digestion des officiants.
Et c’est là que ça devient vraiment intéressant pour les archéologues.
En effet, ces pollens, graines, pépins ou autre esquilles d’os, arrêtes ou écailles de poisson, tous petits morceaux de feuilles, cosses de céréales, peaux de fruits et légumes, donnent des indications très précieuses sur les régimes alimentaires réels de nos ancêtres.
Les sédiments très organiques qui constituent les remplissages des fosses septiques renferment aussi les restes des différents parasites qui tourmentaient leur système digestif.
En somme, c’est tout un tableau de l’état sanitaire des populations qui ressort des latrines !
2. Les dessous du château de Blandy-les-Tours
La fouille des fosses réceptacles des toilettes de la salle de l'Auditoire, au château de Blandy-les-Tours (Seine-et-Marne), utilisées entre le XIVe et le XVIe siècle, est un bon exemple de ce qui peut être fait.
Premier constat : comme souvent, les fosses contenaient un grand nombre d’objets brisés de toutes sortes (céramique, verrerie, objets métalliques …), des résidus de préparation des aliments en cuisine (déchets de boucherie notamment), des cendres et charbons, et même des déchets de construction.
Ces toilettes étaient donc aussi des dépotoirs standards, où étaient rejetés les restes des étapes de la préparation des repas, les résidus du nettoyage de la cuisine et des autres salles adjacentes, ainsi que les produits du curage des cheminées !
L’analyse des graines et autres restes végétaux, des pollens, des micro-parasites, mais aussi des ossements animaux montrent plusieurs choses.
D’abord, la grande quantité de pollens de graminées et de diverses plantes odoriférantes et herbes de prairie montre que les sols de certaines pièces étaient jonchés de brassées de végétaux, ce qui facilitait leur nettoyage.
Les habitants, sans trop de surprises, mangeaient beaucoup de blé et de seigle, des légumes et fruits de saisons (beaucoup de prunes et de raisins), mais aussi des plantes sauvages de la famille des composées et des ombellifères (orties, chicorées, cerfeuil, fenouil, cèleri, salsifis, artichauts, topinambour).
Ils faisaient aussi grande consommation de pourpier, une plante grasse qu’on ne mange plus de nos jours.
Les viandes et poissons consommés étaient également très variés, bon reflet de l’aisance des seigneurs du château.
Détail insolite, de nombreux brins de paille ont été découverts dans les comblements des latrines. Les touffes de paille servaient-elles de papier toilette ? Ouille ! Peu probable de l’avis de ceux qui en ont fait l’expérience…
Ces éléments semblent plutôt faire partie du système d’entretien des cabinets : la paille devait se trouver au sol, pour éponger les projections malencontreuses et faciliter le nettoyage, et était peut-être utilisée aussi pour recouvrir le produit de chaque session menée à bien, un peu comme la sciure dans les toilettes sèches.
Voilà encore de quoi réviser le cliché de manque d’hygiène associé au Moyen Âge !
Dernière remarque concernant l’utilisation de ces latrines de la salle de l’Auditoire : rien n’avait été prévu pour l’évacuation des trop-pleins et la vidange ! Il est par conséquent probable qu’elles aient été abandonnées parce que les fosses septiques étaient trop remplies. Le comblement final avec des une grande quantité de déchets de construction avait peut-être pour objectif d’isoler et sceller définitivement ces espaces insalubres.
C’est à se demander si c’était vraiment hygiénique, en fait, des toilettes fixes ...
Remettons-nous dans les contextes de l’époque : en terme de possibilités d’attraper des staphylocoques en tout genre, une lunette non nettoyée au-dessus d’une fosse septique pleine, c’est le festival international de toutes les infections.
Vu comme ça, il fallait peut-être mieux assurer l’évacuation efficace et le recyclage des matières fécales et des urines plutôt que de les laisser stagner dans des fosses septiques mal isolées.
Hélas, en ville, le ramassage des ordures était beaucoup moins fréquent que ne le nécessitaient les besoins de la population...
3. "Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme"
Cette célèbre devise du chimiste Antoine de Lavoisier est justement aussi applicable au traitement des déjections humaines et animales. Car ces produits corporels n’allaient évidemment pas que dans les égouts ou les fosses septiques : ils étaient récupérés et recyclés, depuis la plus haute Antiquité (vraisemblablement depuis l’invention de l’agriculture et de l’élevage !) : les urines servaient au tannage des peaux et au dégraissage de la laine, tandis que les selles fournissaient la base d’un engrais azoté précieux.
En ville, cette activité prenait une importance particulière, du fait de la densité d’occupation et de la promiscuité des habitants : elle s’imposait partout où le tout-à-l’égout n’existait pas et relevait de mesures sanitaires de base, même si la lutte contre les pollutions et miasmes issus de la stagnation des ordures est toujours restée (et reste encore) un grand problème urbain.
L’affaire de recyclage avait une certaine valeur commerciale, puisque l’empereur romain Vespasien fit taxer l’urine collectée dans des amphores servant de vespasiennes (eh oui, le nom vient de là) au coin des rues, pour augmenter les revenus de l’État. C’est cette initiative qui a donné l’expression « l’argent n’a pas d’odeur »…
Connus par les textes, des ramasseurs professionnels de boues en tout genre, appelés « vidangeurs », s’occupaient aussi au Moyen Âge de désengorger les rues des immondices et autres contenus de pots-de chambre déversés sur les voies publiques.
Ce sont eux également qu’on appelait pour curer les fosses septiques.
4. Les latrines, des poubelles comme les autres ?
S’il y a un aspect de l’archéologie des petits coins qui me semble particulièrement intéressant à relever, c’est la fonction large des latrines privées : de l’âge du Fer oriental (Jérusalem, notre exemple de la semaine dernière) à la fin du Moyen Âge (Blandy), elles servent aussi bien aux habitants pour assouvir leurs besoins naturels que de vide-ordure général, du moment que ce que l’on veut jeter passe par le trou de la cuvette.
Certes, toutes sont conçues pour qu’un postérieur de taille standard puisse d’y asseoir, ou que l’on puisse s’accroupir au-dessus.
Mais la fouille des fosses réceptacle montre toujours qu’on y évacuait aussi toute sorte de déchets domestiques.
Les déchets organiques étaient ainsi régulièrement recouverts par les déchets non organiques (cendres, poussières, céramiques…), ce qui pouvait contribuer à faciliter leur décomposition dans des conditions d’odeur plus supportables.
Même à la période romaine, le rôle des latrines privées, dans les maisons, n’est pas tout à fait bien défini. Ainsi à Pompéi, dans la maison du Poète tragique, l’unique cuvette de toilettes, nullement isolée des regards, se trouve dans la cuisine, à côté du fourneau. Sympa la préparation du repas !
En fait, un peu comme dans le palais de Jérusalem décrit plus haut et à Blandy-les-Tours, la pierre percée fait aussi (et avant tout ?) office de poubelle, reliée à un canal souterrain d’évacuation des eaux usées.
Dans ce sens, on pourrait plutôt considérer que les habitants faisaient leurs besoins directement dans les égouts, ce qui semble finalement assez logique du point de vue hygiénique… moyennant le fait de bien nettoyer la lunette, et ne pas être incommodé par les odeurs pendant que l’on cuisine, évidemment.