5 inondations catastrophiques
2 - Vagues meurtrières et catastrophes humaines
Raconté pour vous par Cécile, le 10 octobre 2023 - temps de lecture : 9 mn
Quand ? Il y a entre 1 800 ans et 1 460 ans.
Où ? Italie, Suisse
On enchaîne directement avec la suite de notre article sur les inondations catastrophiques commencé la semaine dernière ! Archéologie, géomorphologie, histoire des textes, modélisation informatique, restitutions dessinées, toutes les sources et toutes les méthodes sont mises à contribution pour comprendre comment les sociétés du passé ont géré les grandes inondations de leur époque.
4. La fureur de l'Arno : la dévastation du port antique de Pise
En Toscane, de part et d’autre du fleuve Arno, Pise est surtout connue pour sa tour penchée et ses beaux bâtiments du Moyen Âge et de la Renaissance. On sait moins qu’il s’agissait, dans l’Antiquité, d’une ville déjà importante, d’abord étrusque, puis romaine.
Stratégiquement située au croisement de voies commerciales fluviales, maritimes et terrestres, elle devait alors sa richesse à son port, installé le long de l’Arno. C’était un fleuve puissant, sujet à des crues violentes et très soudaines. Les habitants riverains acceptaient ces contraintes, estimées supportables au regard des immenses bénéfices apportés par l’usage qui pouvait être fait du cours d’eau, quand il était navigable.
Les témoignages dramatiques de plusieurs inondations ont ainsi été mises au jour à la fin des années 1990 en périphérie de la ville, lors d’importants travaux dans la gare « Pisa/San Rossore ». Les archéologues ont eu l’occasion de fouiller un grand bassin portuaire totalement inattendu, situé sur un bras de l’Arno à présent disparu. Dans la partie dégagée du port, une douzaine d'épaves ont été découvertes, datées entre le IIe siècle avant notre ère et le Ve siècle de notre ère. Navires marchands venant de la mer, grande barque fluviale, longues barques adaptées à la navigation lagunaire, tous les bateaux témoignent du dynamisme des échanges par voie d’eau, à l’échelle locale comme internationale.
Plusieurs d’entre eux ont coulé avec leur chargement à la suite de crues exceptionnelles. A ces occasions, le flot déchaîné de l’Arno, charriant avec lui tous les débris arrachés aux rives sur son parcours amont, s’engouffrait dans le bassin en retournant purement et simplement tous les navires mal amarrés, que les capitaines pensaient à l’abri derrière les môles de pierres ou de bois.
C’est le sort malheureux qu’a connu le grand navire « B ». Long de 30 m, c’était un oneraria, un cargo romain. Son chargement montre qu’il avait navigué dans toute la Méditerranée occidentale (Côte africaine, péninsule ibérique et Gaule), au IIe siècle de notre ère. Arrivé à Pise après avoir remonté l’embouchure de l’Arno, il avait accosté au port et faisait relâche, avec encore un marin et son petit chien à bord.
On ne sait pas s’ils ont été surpris par une vague exceptionnelle qui a pénétré dans le bassin et retourné le bateau d’un seul coup, ou si le marin est resté à bord malgré la montée des eaux et la puissance croissante des vagues. Le reste de l’équipage avait eu le temps de trouver refuge à terre. Peut-être a-t-il voulu aller chercher son chien ?
Quoiqu’il en soit, ni l’homme ni l’animal n’ont pu sortir du navire au moment où celui-ci a été submergé et emporté par le fond, dans les terribles courants du fleuve en furie.
L’histoire du port et les vestiges des différents navires et de leur cargaison sont exposés au musée « Le navi antiche di Pisa », dans les magnifiques arsenaux Médicis.
5. Genève sous 8 m d'eau : un tsunami sur le Léman, en l'an 563
Les tsunamis n’arrivent pas qu’en mer ! La preuve avec cet événement aussi rare que catastrophique qui a dévasté les rives du lac Léman en 563 de notre ère.
L’épisode est connu avant tout par deux textes, l’un de Marius d’Avenches, l’autre de Grégoire de Tours. Ces mentions étonnantes, qui font partie des chroniques de l’année 563 écrites par chacun des deux auteurs, racontent qu’une montagne s’est écroulée dans le lac et a provoqué une vague gigantesque qui a tout ravagé sur son passage. Longtemps, les historiens et les archéologues ont cherché d’autres preuves de cet événement, sans en trouver aucune trace archéologique, et aucun stigmate dans le paysage ne subsiste plus non plus de cet événement.
En 2010 cependant, deux géologues de l’université de Lausanne ont retrouvé les vestiges naturels de l’épisode : en faisant des relevés au radar dans le fond du lac, les chercheuses ont identifié une masse sédimentaire inhabituelle évoquant les conséquences d’un monstrueux éboulement, à l’extrémité nord du lac. Dans les années qui ont suivi, les analyses effectuées et les datations réalisées sur la matière organique retrouvée dans différentes couches ont confirmé qu’il s’agissait bien des preuves de la survenue d’un terrible écroulement d’un pan de montagne, à une époque correspondant correctement à l’épisode décrit de Grégoire de Tours et Marius d’Avenches.
L’événement s’est déroulé de la manière suivante : un versant de montagne s’est effondré au débouché de la vallée du haut Rhône, juste avant son débouché dans le Léman. Le choc a enfoncé le cours d’eau et a soulevé une énorme vague de boues épaisses, formées par l’eau et les sédiments du Rhône mélangés aux sédiments de son delta et aux masses rocheuses de la montagne désintégrée. L’ensemble s’est précipité avec une force et une vitesse effroyables vers le Léman.
Conséquence directe : l’entrée de cette masse de matière dans le lac a levé une masse d’eau gigantesque qui s’est déplacée en une série d’ondes monstrueuses, se propageant jusqu’aux rives. Du côté de Genève, au sud, le fond du lac remonte en pente douce. Les vagues de tsunami se sont levées en suivant la pente jusqu’à atteindre 13 m de haut à Lausanne et 8 m à l’autre extrémité du lac, à Genève.
Nulle part, ni même à Genève où à Lausanne, il ne reste de vestiges archéologiques de ce terrible événement (ou alors ils n’ont pas encore été découverts). Soit l’ensemble des décombres ont été nettoyées et les dégâts réparés, soit les couches archéologiques correspondant à cette époque ont disparu, au fil des phases de constructions et reconstructions successives des villes médiévales.
Ce phénomène très rare s’était déjà produit au moins 4 fois auparavant dans le lac Léman, comme l’ont montré les analyses des sédiments lacustres profonds. Le plus ancien événement reconnu a eu lieu vers 3 700 av. notre ère. Peut-être n’a-t-il pas provoqué de catastrophe humaine ; peut-être, au contraire, a-t-il ravagé des villages palafittes et de grands sanctuaires mégalithiques. Personne ne le saura jamais. Il s’est aussi reproduit plusieurs fois ailleurs dans les Alpes au cours des siècles qui ont suivi. Le dernier tsunami enregistré date de 1806, sur le lac de Lauerz (dans le canton de Schwytz, Suisse), mais un nouvel éboulement pourrait se produire n’importe quand, dans n’importe quel lac.
Décidément, c’est dangereux, la montagne…
Pour conclure : de l'aléa naturel à la catastrophe humaine
Les inondations, quelques soient leurs causes, sont avant tout des processus parfaitement naturels. Les inondations fluviales, où les débordements des cours d'eau sont associés aux remontées de nappes phréatiques, sont saisonnières et le danger est connu. Les ondes de tempêtes sont également des phénomènes cycliques, même si elles sont moins prévisibles. A l'inverse, les tsunamis sont des événements très difficiles à prévoir, même de nos jours. Qu'ils soient le fait d'une éruption volcanique, d'un effondrement sous-marin ou de l'effondrement d'un pan de montagne, la vague de submersion qu'ils provoquent est toujours inattendue et extrêmement rapide.
Il ne s'agit cependant pas ici de définir si un type d'aléa est plus dangereux qu'un autre. Tous ces processus naturels deviennent des drames humains à la même intensité dès lors qu'ils affectent des espaces investis par les sociétés. La plus spectaculaire des vagues de submersion ne sera jamais considérée comme une catastrophe si elle n'a touché aucun lieu habité ou exploité.
En matière d’inondation, comme pour tous les autres risques naturels, le danger vient en effet surtout de la manière dont les sociétés s’exposent à l’aléa naturel. Mais quelles raisons poussent les communautés humaines à choisir sciemment (très rarement sans connaissance de ce qui peut arriver) de s’exposer à de tels risques ? Le calcul est simple : on s’installe dans un espace dangereux quand on pense que le bénéfice à tirer de l’occupation de cet endroit est plus avantageux que le risque de subir une catastrophe potentielle. Connaissances des phénomènes naturels, perception du danger, foi dans les moyens de protection, tout ceci entre en compte dans l’estimation, juste ou fausse, de la probabilité de voir le risque se transformer en drame. Sachez que ces éléments de réflexion, très actuels, peuvent aussi être évalués pour les périodes anciennes, notamment sur la base de traces archéologiques … Mais ceci est une autre histoire.
Le bonus post-scriptum : il reste 2 autres formes de l'inondation dont nous n'avons pas parlées, tout simplement parce que ces événements n'ont pas (encore) été mis en évidence sur des sites archéologiques.
La première est l'inondation sur sols imperméabilisés, comme on le voit très fréquemment de nos jours dans les grandes métropoles. Le problème n'est pas une crue, mais des pluies longues et/ou fortes, tombant sur des sols qui ne peuvent pas absorber l'eau. Les flux sont alors dirigés vers des réseaux d'égouts vite saturés. Le problème est encore pire sur les sites en pente. Ce phénomène touche essentiellement les villes actuelles, mais devaient aussi affecter les villes romaines, aux larges espaces pavés.
La seconde est l'inondation par rupture de barrage, heureusement très rare. C'est ce qui s'est passé à Fréjus en 1959, lors de la terrible catastrophe de Malpasset.