Le Top 10
des réutilisations insolites de sites archéologiques
Raconté pour vous par Cécile, le 15 septembre 2020 - temps de lecture : 4 mn 40
On pense le plus souvent aux sites archéologiques comme des antiquités figées dans le temps. Il n’en est rien ! Un grand nombre d’entre eux a été réutilisé au fil du temps, démonté, remonté, détourné de leur fonction initiale, mais encore utilisé, parfois des millénaires plus tard. Pour le meilleur ou pour le pire, l’Histoire avance !
Voici une sélection de 10 sites archéologiques dans ce cas.
1. La Maison Carrée, Nîmes
La très célèbre Maison Carrée est le temple romain le mieux conservé de France. Il est tout ce qui reste de la place du forum de la ville antique.
Comment un tel joyau architectural a-t-il pu traverser les siècles sans être démonté ? Tout simplement parce qu’il est toujours resté utilisé ! Le bâtiment est ainsi devenu au Moyen Âge la maison des consuls de la ville (le siège du conseil municipal) puis un hôtel particulier. Au XVIIe s., le temple a, en quelque sorte, retrouvé sa fonction première, puisqu’il a été converti en église. Passant de propriétaire en propriétaire, il a également servi d’écuries. Vendu comme Bien National à la Révolution, il a abrité la première préfecture du Gard, les archives départementales, et enfin un musée, en 1823.
2. L’amphithéâtre d’Arles, quartier médiéval
Si la ville romaine d’Arles est très bien connue, peu de gens savent en fait que son célèbre amphithéâtre, pourtant en élévation sur 20 m de haut, à longtemps été intégralement caché à la vue !
Après sa désaffection comme édifice de spectacle, il abrita dès la fin de l’Antiquité des habitations, qui réoccupaient les galeries du système de soutènement des gradins. Des maisons se sont aussi installées sur les gradins, offrant progressivement, au cours du Moyen Âge, le spectacle d’un quartier dense déployé en escalier depuis l’ancienne arène centrale jusqu’en haut des gradins. A la fin du Moyen Âge, l’amphithéâtre était ainsi devenu une petite ville fortifiée entièrement close, avec 4 tours de garde, comptant plus de 400 maisons et une église. Ce n’est qu’en 1735 que le conseil municipal décida d’interdire la restauration des maisons en ruine à l’intérieur du monument, qui fut finalement dégagé et restauré aux XIX e et XXe s.
3. Le Mas d’Azil et Bédeilhac : grottes ornées et site industriel
La grotte du Mas d’Azil est immense. C’est en fait une succession de galeries gigantesques… que l’on peut admirer en voiture, puisque la D119 en traverse une partie. Entre 17 000 et 9 000 ans avant notre ère, des hommes préhistoriques y ont peint et gravé et y ont abandonné de splendides objets sculptés. Sa voisine, Bédeilhac, est du même acabit, et abrite également peintures, gravures, et objets préhistoriques magnifiques.
Ces deux grottes, à la fois curiosités naturelles et sites archéologiques majeurs, cachent encore un autre pan d’histoire. Pendant la 2e Guerre Mondiale, elles connurent en effet un épisode qui faillit les défigurer entièrement : en 1940, l’avionneur Dewoitine avait choisi le Mas d’Azil et Bédeilhac pour y implanter des usines, cachées à l’abri des regards ennemis. La signature de l’armistice fit avorter le projet, mais celui-ci fut repris en 1943 par l’armée allemande. L’aménagement des grottes en usine de pièces d’avion resta toutefois inachevé, mais la grotte de Bédeilhac servit au stockage et à la réparation d’appareils. A la fin de la guerre, de nombreux morceaux d’avions s’y trouvaient encore.
4. Le trophée de la Turbie, forteresse explosive
Monument emblématique des Alpes Maritimes, il domine la Méditerranée de toute sa masse blanche. Il s’agit d’un trophée commémorant la victoire de l’empereur Auguste sur les peuples alpins. C’était une haute tour élevée sur un imposant podium rectangulaire de 35 m de côté. L’ensemble mesurait 50 m de haut.
Tombant progressivement en ruine au cours du haut Moyen Âge, le trophée des Alpes a été reconverti en forteresse au Moyen Âge. C’est ainsi que le village la Turbie s’est développé en cercle autour de la base du bâtiment. Situé à un emplacement stratégique, le château s’est trouvé au cœur d’incessants conflits militaires… car le comté de Nice faisait partie du duché de Savoie. Il appartenait au Saint-Empire Romain Germanique, contre qui la France a été en guerre jusqu’au XVIIIe s. Pauvre trophée ! A la suite de l’occupation, en 1703, du comté de Nice par les troupes française, Louis XIV décida de le faire dynamiter, le 04 mai 1704 !
Incroyablement solide, il en restait encore heureusement la plus grande partie en élévation lorsqu’il commença à être consolidé puis restauré, au XIXe s. et au début du XXe s.
5. Les thermes antiques de Khenchela (Algérie) : assurément du solide !
Au pied du massif des Aurès, l’antique ville de Mascula (Khenchela) possédait un établissement de bains très renommé : l’Aquae Flavianae. Ces thermes ont ceci d’original qu’ils ont été aménagés autour de résurgences d’eau chaudes. Les piscines étaient alimentées par l’eau d’une source à 70 °C, coupée à l’eau froide d’une 2nde source, pour atteindre les températures idéales.
Construit au IIe s., la particularité de ce balnéaire, réputé pour les propriétés thérapeutiques de ses eaux, est qu’ils a traversé toutes les vicissitudes de l’Histoire sans dériver de sa fonction initiale : de fait, aujourd’hui encore, il est utilisé comme hammam, toujours dans les bâtiments antiques !
Une réutilisation de site archéologique économique, en somme. Ce bel exemple n’est pas isolé dans le monde romain : c’est aussi, par exemple, le cas des thermes de Bath, en Angleterre.
6. Le cairn de Petit Mont, opération militaire sur une tombe
Le Petit Mont est un tumulus gigantesque qui s’élève encore sur 6 m de haut, sur un promontoire surplombant la baie de Quiberon. Édifié il y a 6500 ans, il est connu pour ses mystérieuses gravures de lignes ondulées, évoquant des empreintes digitales. On sait toutefois moins que le tumulus a connu 2 phases de réutilisation tout à fait étonnantes.
A l’époque romaine, d’abord, les statuettes et monnaies mises au jour à l’intérieur suggèrent que le monument a servi à accueillir des actes de dévotion, pour une divinité dont nous ignorons tout. La fonction initiale du tumulus était oubliée, mais la démesure de la structure devait frapper les esprits et évoquer une puissance surnaturelle.
En 1943, ensuite, les forces allemandes profitèrent de l’emplacement stratégique du monument et de l’énormité de sa masse pour installer à l’intérieur… un blockhaus d’observation. Impossible à détruire sans endommager davantage les vestiges néolithiques, le bunker fait désormais partie intégrante du cairn de Petit Mont.
7. Le théâtre romain de Bosra (Syrie)
Tout au sud de la Syrie, la ville millénaire de Bosra a connu de multiples transformations. Au IIe s. ap. J.-C., les Romains en firent la capitale de la province d’Arabie, et dotèrent la ville de somptueux monuments, dont un théâtre, qui reste parmi les mieux conservés de l’Antiquité.
Comment recycler un tel édifice, une fois la culture antique tombée en désuétude ? Homme de ressource, le sultan Nour Ed Din reconvertit le théâtre, à la fin du XIIe s., en une impressionnante forteresse : les deux tours encadrant la scène (abritant initialement les coulisses et la machinerie) furent utilisées comme donjons, tandis que le mur extérieur circulaire des gradins, faisant office d'enceinte, était pourvu de tours quadrangulaires complémentaires. Ses successeurs ayyoubides achevèrent son œuvre, transformant l’édifice de spectacle en véritable citadelle !
8. L’église Saint-Etienne, à Ars-en-Ré : un clocher visible de loin !
L’église médiévale Saint-Etienne, toujours en fonction, possède un étonnant clocher, intégralement peint en noir et blanc. Quel est le sens de cette étrange décoration ? Comme toutes les constructions hautes du littoral, le clocher, de 40 m de haut, sert d’amer (de repère topographique) aux marins depuis l’achèvement de sa construction, au XVe s. Ce n’est pourtant qu’en 1821 qu’il a été peint, la moitié inférieure en blanc, la supérieure en noire. Il est ainsi visible depuis 20 km au large.
Les sculpteurs du Moyen Âge qui avait pris la peine d’agrémenter la pierre de délicats ornements en seraient pour leurs frais, mais les marins disent merci à cette initiative originale… toutefois pas isolée : à quelques kilomètres d’Ars, un grand mur de l’ancienne abbaye des Châtelliers, à la Flotte-en-Ré, a également été peint en noir. « Quelle manie ?! » me direz-vous. C’est que l’État soutenait ces actions de balisage du littoral et de sécurité maritime en offrant des subventions. Il ne s’agissait donc pas uniquement de prendre soin de la vie des marins …
9. Nuestra Señora de los Remedios, Cholula (Mexique, état de Puebla)
Nuestra Señora de los Remedios est une église espagnole construite au sommet d’une très grosse colline, dominant la ville mexicaine de Cholula (l’actuelle banlieue de Puebla). Édifiée au XVIe s. à la suite de la prise de cette puissante cité par l’armée d’Hernán Cortés, elle fut reconstruite au XIXe s. dans le style néoclassique à la mode.
Rien de bien excitant à vrai dire… jusqu’en 1910, lorsque des murs monumentaux réapparurent en plein jour à la base d'un versant. C’est alors que l’on se rendit compte que la colline était en fait une gigantesque pyramide, et la plus grande du monde ! Elle mesure en effet 450 m de côté et 66 m de haut. Ce temple extraordinaire vraisemblablement dédié au dieu Quetzalcoalt, a été en usage entre 200 et 800 de notre ère. A l’arrivée des Espagnols, elle était déjà abandonnée et recouverte de terre et de végétation, mais sa position dominante et sa plate-forme sommitale en faisait un lieu symbolique fort pour y ancrer la nouvelle religion.
10. Les cénotes du Yucátan (Mexique)
Site archéologique ou pas ? Les cénotes sont en effet avant tout des curiosités géologiques : ce sont de très vastes et très profondes cavités, remplies d’eau d’une pureté incroyable, issues de l’effondrement du plafond de grottes circulaires. Uniques points d’eau de toute la péninsule du Yucátan, qui est dépourvue de rivière, c’étaient pour les Mayas, des lieux d’une importance capitale pour leur survie. Les cénotes ont ainsi pris une très forte dimension sacrée.
Ces gouffres aux parois verticales étaient considérés comme des portes d’entrée entre la terre des Hommes et le royaume souterrain des Dieux. Sur ces espaces de frontière, de nombreux sacrifices humains étaient effectués.
De nos jours pourtant, la dimension sacrée des cénotes a bel et bien disparu, et leur fonction a de fait beaucoup évolué. S’ils étaient autrefois les centres de grands complexes religieux, ils sont maintenant au cœur de grands complexes touristiques … et servent de piscines aux dizaines de milliers de touristes qui visitent la région !
Une culture chasse l’autre…