1 ter. Entretien : de la découverte du mégalithisme celtique à l'Histoire des Celtes

- Vous avez publié en 2008 un premier livre. Il traite des temples sacrés de pierre taillée des lieux-dits Chalencon et Chalancon. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Il s’agit d’une approche innovante, car ce type de monuments préhistoriques demeure inconnu des nomenclatures. Et pourtant, ils se dressent au voisinage des villages et hameaux ainsi nommés. De plus, la notion de temples sacrés de pierre taillée est l’exacte traduction de la forme celtique Tchalencou, qui se trouvait perdue, du nom de Chalencon.

- Comment vous y prenez-vous, et quel enseignement en tirez-vous ?

Le celte se perpétue en patois ou occitan. Un grand nombre de noms d’origine celtique, de lieux, de montagnes, de rivières, voire de famille, subsistent au travers de la tradition orale, de la toponymie, de l’état civil. Leur signification a de longue date été perdue de vue. Par exemple, les Chalenconnais qui disent Tchalencou pour Chalencon, seraient bien en peine d’expliquer pourquoi. Le mode spécifique de prononciation de l’occitan, que les linguistes décrivent, demeure identique à celui qu’Isidore de Séville rapporte aux VIe-VIIe siècles à propos du celte. De forme nasale et gutturale, il laisse tomber les consonnes et module les syllabes : il paraît empli de voyelles ; le « caractère aboyant » du celte (Isidore de Séville) confère aux patoisants « l’impression de japper à la fin des mots »1.

- Où cela conduit-il ?

Il convient d’élargir le débat. Au plan archéologique : en région montagneuse, le terroir recèle nombre de monuments qui demeurent inconnus des inventaires ; il est vrai qu’ils s’élèvent souvent dans des endroits quasiment inaccessibles. De plus, la description de ceux qui sont au contraire connus, reste superficielle. Au plan linguistique : dénicher des onomatopées primordiales de la même veine que tcha de Tchalencou, qui évoque la taille de la pierre ; effectuer des rapprochements entre langues variées, qui puisent dans un même fonds commun ancestral (Exemple. L’arabe aïn, la source, permet de traduire le nom de Balaÿn, en commune de Saint-Félicien : la source du dieu Bel. Classée Monument Historique, il s’agit d’une tête sculptée du dieu Bel, entourée des rayons du soleil, et non d’un masque, comme cela se dit habituellement. Le soleil est source de vie). Au plan documentaire enfin, en relisant les textes anciens, sans idée préconçue.

- Où ces observations hétérogènes vous mènent-elles ?

Non pas hétérogènes, elles forment un tout. Préserver ce précieux patrimoine permet de ressusciter l’histoire locale et régionale, de l’Ardèche, de la Drôme, du sillon Saône-Rhône, ainsi que l’Histoire générale des Celtes occidentaux, et de leur origine lointaine.

- Ces perspectives semblent disproportionnées. Et tout d’abord, parlez-nous de votre action au sein de l’association Mémoire Vive en faveur de la sauvegarde de monuments préhistoriques, dont la presse s’est récemment fait l’écho.

Ni hétérogène, ni disproportionné, le tout forme un puzzle cohérent, mais aux pièces éparses, qu’il convient de rassembler. Créée à Vernoux-en-Vivarais en octobre 2007, l’association Mémoire Vive dont je suis Président, compte 80 adhérents. Elle vise à faire connaître le patrimoine rural des pays du Doux à l’Eyrieux, et singulièrement le patrimoine mégalithique. Elle n’existait pas encore lorsque l’affaire de la carrière de Lamastre a éclaté. Il était question d’éventrer le flanc de la colline qui soutient l’oppidum de Malpas-Quiery, jusqu’au mur d’enceinte intérieur. Un autre mur d’enceinte court dans la pente, à l’intérieur du périmètre de la carrière.

De même que toute place-forte de ce type, il est datable du néolithique. Or, les règlements en vigueur établissent une zone de protection d’un rayon de 300 mètres. Pourtant, reprenant sans doute le dernier point du dossier du site de Géry, sis près de Joyeuse, effectivement daté du néolithique, mais occupé au XIXe siècle par des bergers, seule la thèse des bergers s’est trouvée artificiellement transposée au site de Lamastre.

Une commission départementale ad-hoc aurait ainsi autorisé l’ouverture de la carrière. Or, le fonctionnement des commissions officielles, constituées de hauts fonctionnaires qui se tiennent la barbichette pour des raisons de convenance de caste, est de notoriété publique : si l’un d’entre eux donne son aval à un projet, ou au contraire le récuse, ses collègues tendent d’un seul bloc à donner un avis identique au sien...

La vigilance doit donc être de règle en la matière : en août 2011, selon une rumeur insistante, les autorités se proposaient de faire sauter la pierre qui vire d’Arlebosc à la dynamite, en vue de sécuriser la voie du Mastrou ! La rumeur était fondée, et la population de la vallée du Doux en émoi. Notre association a alors saisi de l’affaire Monsieur Jean-Paul Agier, maire d’Arlebosc, qui a alerté Monsieur Jean-Paul Chauvin, Conseiller Général de Satillieu. Une délibération spéciale du Conseil Général de l’Ardèche a permis de trouver une solution moins radicale : le cintrage par câbles d’acier de la partie sommitale du monument. Il s’agit d’un moindre mal ; mais, par Toutatis, ils sont devenus fous : l’un des câbles passe sur l’œil d’une reine celte, sculptée !

Il a fallu solidement argumenter et révéler, photographie à l’appui, qu’une sculpture d’une tête d’homo sapiens et d’un homme de Néandertal, qui s’opposent par la nuque, forment la partie principale de la pierre qui vire. Un spécialiste d’une science pointue la date de -40000 ans ; le monument est donc nettement plus ancien que la grotte Chauvet, dont il est fait grand cas. Puis, après la dernière glaciation, les Celtes se seraient réappropriés le site : des têtes sculptées de rois et de reines, datées de -2150, en témoignent.

Donc, la pierre qui vire qui trône depuis 42000 ans, serait subitement tombée sous l’effet des vibrations provoquées par le train, qui a pourtant circulé pendant 100 ans, sans provoquer de dégâts. Par ailleurs, la notion de pierre qui vire ne doit pas faire illusion : elle est solidement amarrée au socle rocheux. En réalité, de même qu’en d’autres lieux, une ronde ou danse sacrée se déroulait périodiquement à proximité de cette pierre sacrée.

- Des figurations humaines, sculptées au temps de la préhistoire, est-ce connu ?

Les « professionnels » ne font pas état de telles sculptures, car ils en ignorent l’existence ; dans le cas contraire, ils n’auraient pas manqué d’en souligner l’ancienneté, d’une part par comparaison à la grotte Chauvet, d’autre part, en ce qui concerne les Celtes, parce que l’opinion courante prétend qu’ils n’apparaissent qu’à l’âge du fer. De plus, des rationalistes purs et durs, qui se comportent tels des extra-terrestres ahuris aux décrets irrationnels d’une raison raisonnante en délire, affirment que seules les intempéries les ont créées, ou que notre imagination nous trompe. Un quidam déclare même que ceux qui en voient lors de visites archéologiques participatives, sont victimes d’un phénomène d’autosuggestion collective. Je les ai sans doute hypnotisés... En réalité, avant d’être portée dans les manuels, la connaissance se trouve d’abord dans le regard.

- La résolution de l’affaire de la pierre qui vire montre qu’une action collective des habitants, attachés à leur patrimoine, peut être efficace. Ce succès est à porter à l’actif de la dynamique association Mémoire Vive. Mais, comment se fait-il que la science paraisse si mal en point sur ces questions ?

Prétendue supériorité de l’homme dit moderne, idées préconçues et « naïveté archéologique »2, constat qui s’étend aussi au domaine historique et linguistique où, bien souvent, « la science tombe en décadence et excite la risée des érudits sérieux »3, formules assassines de type « primitif ; barbare ; arriéré ; inculte », qui se multiplient à l’envi, tout ce faux-semblant tend à établir une sorte de pensée unique. Celle-ci se fonde sur des croyances érigées en dogmes, et élève une science dévoyée en scientisme, au rang d’une religion fondamentaliste. Elle débouche sur le terrorisme culturel : un archéologue parle d’« ayatollahs »4 ; de plus, une secte fanatique de talibans se proposerait-elle de faire table rase de notre patrimoine ancestral ?

- Comment dépasser une prise de conscience aussi navrante ?

Au mieux, ce constat montre que la connaissance préhistorique se trouve largement en friche. Il s’ensuit que, si le monde perdu des Celtes souffre d’un énorme déficit d’identification, c’est que les approches habituelles demeurent largement déficientes. D’ailleurs, « interprétations », faits « imaginés » ou « supposés » se passent de démonstration. En voici un exemple typique. À la question : « Que pensez-vous des fausses invasions de la vallée du Rhône ? », un archéologue déclare forfait : « Oui, il y a polémique. ». C’est tout. Car l’apparition de types successifs de poteries ne marque pas l’arrivée tardive des Helviens et des Allobroges, et enfin des Ségalauniens ; par contre, elle illustre le principe du monopole commercial des Princes Royaux, qui suscitent régulièrement une demande renouvelée. Des documents incompris l’enseignent.

- Votre connaissance fine de la langue celtique, du terrain mégalithique et des légendes qui s’y attachent, ou encore des textes antiques, vous permet-elle de pousser vos recherches plus loin ?

Face à cette situation bloquée, la mise en œuvre de méthodes opératoires analogues à celles des enquêtes policières, et de modes inédits d’investigation (sciences de l’ingénieur, innovation industrielle et commerciale) se montre fructueuse. Afin de ne pas se condamner à ne guère comprendre la Préhistoire, une triple démarche de type exploratoire s’avère nécessaire pour l’intégrer à l’Histoire : une archéologie de terrain dynamique, une archéologie documentaire renouvelée en profondeur, une archéologie linguistique qui remonte jusqu’aux primordiales onomatopées.

- Cette triple clé de lecture s’applique-t-elle à votre nouveau livre ? Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Fruit de 17 ans de travaux, je viens de publier une Nouvelle Histoire des Celtes. T 1 : De l’Altaï à l’Occident ; des millénaires d’Histoire. La thèse courante les voit naître dans les plaines transrhénanes, vers -600. En réalité, ces Cavaliers (traduction grecque du terme indigène Arimaspes) s’individualisent au fin fond de l’Asie, vers -8600 ; le hiatus est énorme. Leurs ancêtres sont connus, ainsi que les migrations qui les conduisent jusqu’au couchant. Dès l’Antiquité, tout cela passait déjà pour invraisemblable, de telle sorte qu’une dynastie royale s’est trouvée déifiée et recouverte, comme le reste, d’une épaisse gangue mythologique. Ces données essentielles se trouvent ainsi préservées de la destruction. Dès l’origine, mélanges et recompositions ethniques défient l’entendement ; selon une formule lapidaire, « la culture l’emporte sur la race ». Des photographies de mégalithes ardéchois et drômois, illustrent le propos (il en sera de même par la suite).

- Il s’agit donc du premier volume d’une série ?

Il s’agit du premier volet d’une trilogie. Le tome 2 traitera de la Renaissance celtique, qui s’épanouit dans le bassin supérieur du Rhône vers -2700, nouvelle dynastie royale à l’appui. Les peuples turbulents qui en résultent, Aquitains, Cavares du Vaucluse et autres, demeurent longtemps nomades ou semi-nomades, de telle sorte que la science archéologique fixe l’éclosion d’une civilisation du Haut-Rhône seulement vers -2000.

Le tome 3 abordera les fastes étincelants des Princes Royaux qui siègent dans le sillon Saône-Rhône dès cette dernière période, puis de la dynastie des Arvernes, probablement issue d’une nouvelle migration vers -1250, celle des Alaunes ; elle couvre toute l’Europe occidentale. Il s’attachera aussi à résoudre l’énigme de l’origine et de l’identité des peuples mal cernés qui couvrent l’Ardèche, l’Isère et la Drôme, à savoir les Helviens, Ségalauniens, Allobroges et autres Drômois.

1. Revue du Vivarais, T 38, 1931. Jean de la Laurencie : « Survivances celtiques et préceltique », 193 et s. 2. Patrice BRUN et Pascal RUBY : L’âge du fer en France. Premières villes, premiers États celtiques, Éd. La découverte, Paris, 2008. 3. Amédée BÉRETTA : Dictionnaire étymologique des anciens peuples du Dauphiné..., [s. n.], Valence, 1911. 4. Lawrence H. KEELEY : Les guerres préhistoriques, Éd. Perrin, Paris, 2009.

juillet 2012