4 Victor Hugo 1872 l'année terrible

Recueil de poèmes publié en 1872, Victor Hugo (°1802 +1885) y évoque les événements qui ont marqué la France, et particulièrement Paris, lors des années 1870-1871.

1) la guerre de 1870 avec la Prusse 2) la défaite de la France 3) le siège de Paris 4) la chute de l’Empire 5) l’avènement de la III° République 6) l’insurrection populaire de la Commune qui sera réprimée par l’armée gouvernementale dans le sang.

Exilé depuis 20 ans (11 déc 1851), il rentre à Paris le 5 sep 1870, pendant la guerre, toujours engagé dans le combat contre l’injustice et prêt à en découdre avec toutes les tyrannies.

tendent leur cou de bronze autour du mur immense.

Ils restent éveillés quand nous nous endormons,

Et font tousser la foudre en leurs rauques poumons.

Les collines parfois, brusquement étoilées,

Jettent dans la nuit sombre un éclair aux vallées ;

Le crépuscule lourd s’abat sur nous, masquant

Dans son silence un piège et dans sa paix un camp ;

Comme nous pouvons être à chaque instant surpris,

comme une horde est là, comme l’embûche vile

parfois rampe jusqu’à l’enceinte de la ville,

ils sont dix-neuf épars sur les monts, qui, le soir,

inquiets, menaçants, guettent l’espace noir,

et, s’entr’avertissant dès que la nuit commence,

Ils sont les chiens de garde énormes de Paris.

Mais en vain l’ennemi serpente et nous enlace ;

Ils tiennent en respect toute une populace

De canons monstrueux, rôdant à l’horizon.

Paris bivouac, Paris tombeau, Paris prison,

Debout dans l’univers devenu solitude,

Fait sentinelle, et, pris enfin de lassitude,

S’assoupit ; tout se tait, hommes, femmes, enfants,

Les sanglots, les éclats de rire triomphants,

Les pas, les chars, le quai, le carrefour, la grève,

Les mille toits d’où sort le murmure du rêve,

L’espoir qui dit je crois, la faim qui dit je meurs ;

Tout fait silence ; ô foule ! indistinctes rumeurs !

Sommeil de tout un monde ! ô songes insondables !

On dort, on oublie… - Eux, ils sont là, formidables.

Tout à coup on se dresse en sursaut ; haletant,

On prête l’oreille, on se penche… - on entend

Comme le hurlement profond d’une montagne.

Toute la ville écoute et toute la campagne

Se réveille ; et voilà qu’au premier grondement

répond un second cri, sourd, farouche, inclément,

Et dans l’obscurité d’autres fracas s’écroulent,

et, d’échos en échos, cent voix terribles roulent.

Ce sont eux. C’est qu’au fond des espaces confus,

Ils ont vu se grouper de sinistres affûts,

C’est qu’ils ont des canons surpris la silhouette ;

C’est que, dans quelque bois d’où s’enfuit la chouette,

Ils viennent d’entrevoir, là-bas, au bord d’un champ,

le fourmillement noir des bataillons marchant.

C’est que dans les halliers, des yeux traîtres flamboient.

Comme c’est beau ces forts qui, dans cette ombre, aboient!