Petit tri sélectif dans les poubelles de l’Histoire


Un livre anonyme intitulé Véridique rapport sur les dernières nécessités de préservation et d’extension de la domination américaine sur le monde est paru le 18 avril 2003. Son sous-titre en précise l’idée centrale : Du terrorisme et de l’Etat en leur contexte général ou comment Washington est à la Genèse opérationnelle des attentats du 11 septembre 2001 et de tous ceux qui ont suivi, dans le cadre d’une appropriation recherchée des ressources pétrolières mondiales et d’abord irakiennes. De même, son contenu ne manque pas de réinvestir, apparemment, les analyses de Guy Debord et Gianfranco Sanguinetti, les actualisant en quelque sorte à propos des attentats du 11 septembre 2001.

Serait-ce donc une entreprise louable destinée, à première vue, à éclairer le radical bon teint sur quelques aspects de la question qui lui auraient échappé ? Très vite on sent pourtant que quelque chose cloche, et ce n’est pas tant un certain manque de talent dans des concepts critiques mécaniquement assénés (ainsi un logiciel ad hoc, quasiment à chaque paragraphe, persuade le lecteur que le renversement du génitif est forcément le génitif du renversement) : toute vérité ne serait elle pas bonne à dire et à redire, même maladroitement ? Non, il s’agit plutôt de surprenantes et de plus en plus sinistrement évidentes affirmations, que je cite pêle-mêle :

« Israël et l’Amérique sont les deux bases stratégiques interactives (…) de l’organisation de la domination de la marchandise » (p. 21)

« le Koweït (…) faisait effectivement historique­ment partie intégrante du champ géo-stratégique irakien depuis des siècles » (p. 30)

« Bosniaques et Croates (…) tiraient régulièrement sur leur propre population pour pouvoir ensuite en accuser les Serbes (…) Les massacres réels et répétés de civils serbes furent méthodiquement occultés pendant qu’une épuration ethnique radicale vidait progressivement des régions entières de toute présence serbe alors même que cette dernière y avait existé depuis des siècles » (p. 32)

« La victoire de 1945 nous [c’est l’empire américain qui s’exprime] a donné le moyen de totalement maîtriser les processus historiques qui forment l’économie politique de la planète lorsque asservissant l’Allemagne et le Japon jusqu’au coeur même de leur âme culturelle, nous pûmes planétiser la politique de notre économie » (p. 36)

« Nous avons digéré progressivement l’ancien empire britannique et nous avons cassé celui de la France pour partout la remplacer » (p. 44)

« Si un ouvrier européen, conscient de ses intérêts de classe et d’appartenance culturelle, a encore la capacité de se rebeller pour dire « US Go Home » et refuser l’immigration massive que nous organisons délibérément vers l’Europe pour casser le coût de son travail et l’afro-américaniser, le spectateur que nous construisons par l’Europe américaine de Bruxelles acceptera d’emblée toutes les lobotomisations de notre spectacle tel que le Village mondial du grand métissage obligatoire les régentera narcotiquement dans la religion du mode de vie multi-culturel americain » (p. 48)

« vu son vieillissement continu, spectaculairement systématisé par l’industrie de la contraception et de l’avortement qui l’a méthodiquement établi, la population européenne devra pour maintenir ses équilibres entre actifs et retraités, accueillir d’ici à 2025, 159 millions de nouveaux immigrés » (p. 49)

« Il y a le mythe terroriste mais il y en a bien d’autres comme par exemple le mythe du « trou d’ozone » (…) « Il en est de même des campagnes contre le nucléaire Français qui correspondent à cette nécessité impérieuse pour l’empire américain de briser une technologie de pointe détenue par un adversaire commercial (…) Qui aurait dans le monde médiatique du diktat totalitaire la pertinence anti-médiatique et l’intérêt professionnel suicidaire d’aller chercher l’exacte nature profonde des liens existants entre les compagnies pétrolières américaines et les diverses mouvances écologistes existant de par le monde ? » (p. 93-94)

On l’a compris sans peine : ces « combattants conscients de la cause identitaire culturelle et sociale » (p. 103) ne sont que le dernier avatar faurissonien de l’opération révisionniste qui commença à la fin des années soixante dix autour de la revue La Guerre Sociale. Et il s’agit grosso modo des mêmes.

Le but de cette prose irrésistible, qui avance comme un panzer lourdaud, est notamment de discréditer toute critique vraie à propos des attentats du 11 septembre 2001 ; et au-delà de tenter de séduire quelques naïfs de la mouvance dite « radicale ». La méthode est toujours la même : tenter de faire passer les idées les plus réactionnaires en les mixant avec la critique sociale la plus extrême d’une époque.

La réussite de la manœuvre voudrait que les petits clowns du spectacle critique alternatif viennent bientôt dénoncer ce complotisme national-situationniste comme la suite logique des idées tordues de Guy Debord.

Mais qui prend tous ces gens au sérieux ?

Le 29 avril 2003

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