CORRESPONDANCE AVEC UN ÉDITEUR



Christian Hermansen à Jean-François Martos (message envoyé le 5 novembre 2001)

Monsieur,

Je suis éditeur responsable du droit, des religions et de la pensée politique à l'Encyclopaedia Universalis. Pour notre cédérom, nous projetons de développer la partie "Bibliothèque" pour l'instant uniquement consacrée à des oeuvres de littérature, au domaine des sciences humaines et politiques.

Parmi les ouvrages du XXe siècle, j'ai retenu La Société du spectacle de Debord. Je suis à la recherche d'un auteur pour présenter ce livre, en 5400 signes et blancs environ (soit trois feuillets, à environ 300 francs, 45 euros pièce).

Accepteriez-vous d' être l'auteur de cette notice?

Dans l'attente de votre réponse, cordialement,

Christian Hermansen

éditeur

tel: 01 45 72 72 59

fax: 0145 72 03 43



Jean-François Martos à Christian Hermansen

Paris, le 08/11/01

Monsieur,

Après ces entreprises louables qui commencent avec Diderot pour s’achever avec le Larousse encyclopédique de 1927, date justement de l’apparition de la société spectaculaire, je considère qu’il n’y a plus d’encyclopédie digne de ce nom.

L’Encyclopaedia Universalis, dites-vous ? Les petites têtes molles de l’époque qui s’agitent dans ce réceptacle du néant intellectualisé ont étalé là leur savoir invertébré, sans aucune cohérence globale, où tout usage conséquent de la pensée s’est perdu.

Si ces connaissances en miettes et sans mode d’emploi se bornaient à être le musée d’une pensée morte, on en rirait, tout simplement. Mais il y a plus grave : lorsque la pseudo encyclopédie dont vous êtes l’éditeur irresponsable découvre aujourd’hui Guy Debord, c’est pour affirmer que ce dernier « a construit sa vie en n’en livrant que le mythe fragmentaire, du lieu même qui était le sien, c’est-à-dire (…) la mystification ».

Et c’est à moi que vous venez demander « 5400 signes et blancs environ » pour présenter La Société du Spectacle ? Demandez les donc à Philippe Sollers et Alice Debord, ou encore à Vaneigem, ils sont là pour ça.

Bien sincèrement,

Jean-François Martos



Christian Hermansen à Jean-François Martos (message envoyé le 12 novembre 2001)

Monsieur,

Votre réponse m'a rassuré sur un point : j'avais tendance à faire remonter l'illusion - ou la mystification - encyclopédique beaucoup plus haut dans le temps, à Diderot soi-même pour tout vous dire. 1927, pour la naissance de la société spectaculaire et la fin de l'encyclopédisme, je vous trouve assez optimiste, peut-être même un chouia naïf, finalement. Cela fera plaisir à ce vieux lexicographe raciste de Pierre Larousse, qui n'était pas une tête molle, lui.

Pour ce qui concerne le motif "plus grave" à vos yeux, la citation, blasphématoire pour vous et seulement criticable pour moi, vous avez bien fait de vous enquérir de ce qu'une encyclopédie aussi dégénérée que la nôtre avait osé laisser écrire sur votre ami, si l'idée saugrenue vous a une seconde effleuré de prendre au sérieux ma proposition. Contribuer à un ouvrage collectif expose à des confrontations et/ou des rapprochements qu'un auteur est parfaitement en droit de refuser par principe.

Je vous souhaite un bon et heureux usage conséquent de la pensée, et regrette d'avoir à ce point ulcéré quelqu'un qui aurait pu écrire sur Debord sans "être là pour ça" précisément. Mais si cela peut contribuer à priver de droits d'auteur ses ayants droit...

Salutations,

Christian Hermansen

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