Date de publication : Jun 18, 2014 8:1:15 AM
Après le désistement de dernière minute d‘Emilien (il avait un mot d’excuse du médecin J) je me suis retrouvé seul pour le weekend avec Christian Ravier. Je vais donc vous faire partager ces 2 jours de grimpe, sous forme de témoignage à destination des nouveaux arrivants à la section et des générations futures.
Samedi 14 juin: Anso
Tout commence normalement, rendez vous 7 heures au pont d’Oly, et en route pour Anso. C’est juste de l’autre côté de la Pierre Saint Martin, mais il est beaucoup plus facile de passer par le Somport, puis Jaca (traditionnel arrêt pipi - café cortado dans le petit bar juste à la sortie), direction Pamplune puis on monte plein nord vers Hecho et Anso, que l‘on dépasse pour arriver dans les gorges au bord desquelles sont les parois. La voie proposée par Christian s‘appelle « biba Fidel ».
C’est là que j’ai fait une erreur à éviter quand vous êtes seul avec Christian et que vous pensez vous en tirer avec un truc cool en second: ne faites pas comme moi, il faut impérativement regarder le topo avec attention, ne pas se contenter d‘un petit coup d‘œil du style «oh ça n‘a pas l’air trop dur, là le 6b+ ça doit être un pas où on peut tirer au clou, pas de souci ». Erreur funeste, comme on va le voir.
Nous voilà donc partis pour une marche d’approche courte, un peu plus d’une demi-heure, d’abord un sentier balisé puis une sente étroite qui serpente entre les buis pour nous amener au pied de la voie. A propos de serpent, nous somme passés à côté de cette couleuvre en train de digérer. Ce qui a donné l’occasion à Christian de me raconter qu’un jour en ouvrant une voie de l’autre côté de la vallée, il s’est fait mordre par une vipère, et comme il a de l’humour et qu’il n’est pas rancunier, il a baptisé la voie «venin de jardin».
Au pied de la voie il y a une cordée de 3 qui attaque. Les 3 premières longueurs en 5 montent dans une fissure, le rocher est moyen, un calcaire très fracturé, mais rien de bien dur.
Au moment où Christian arrive presque au 1er relais, je vois son sac à dos en train de s’ouvrir, je crie « attention » une seconde trop tard et un objet noir tombe du sac, rebondit sur le rocher et vient s’échouer dans les buissons à mes pieds, évitant le grand saut de justesse. C’est son appareil photo, qui a assez bien résisté à la gamelle, juste l’écran HS, mais bon, ça ne le met pas de bonne humeur. L’escalade est plaisante, et la vue sur la vallée superbe.
Suivent 2 traversées vers la droite entrecoupées d’un petit passage en 6a.
Traversée avant Il y a des saxifrages en fleur
d’attaquer les choses sérieuses partout cette année
La longueur suivante me donne l’occasion de fournir aux nouveaux arrivants de la section et aux futures générations de grimpeurs un petit lexique de cotation de difficulté des voies. Nous sommes tous familiers avec la cotation française, 5 sup, 6a, etc. Certains connaissent peut-être l’échelle américaine, où 5.10 est l’équivalent d‘un bon 6a de chez nous, mais vous ne connaissez sans doute pas l’ «échelle de Ravier», une sorte d’échelle de Richter de l’escalade, dont les degrés possèdent leur définition caractéristique, et que je vous livre:
· C’est pas dur, mais bon, faut faire attention: 4
· Là il y a un pas!: 5/5 sup
· Là tu fais gaffe!: 6a bien engagé
· Tu veux un bout de corde?: un pas de 6a un peu dur à l’arrivée au relais
· Mets une sangle ! Tu mets ton pied dedans et tu pousses !: 6a+/6b
Et ce degré là que je ne connaissais pas encore:
«Putain mais il est vachement dur ce pas !»: un pas de 6b+ qu’il avait oublié.
Pas besoin de vous dire que j’ai tiré au clou.
Après c’est 5 sup, tranquille, juste un moment un peu chaud où j’ai la désagréable surprise de décoller de la paroi un bloc de la taille d’une valise en montant dessus. Il reste accroché, je décide de le pousser dans le vide (personne en dessous, on a fait une traversée vers la droite, et il tombe en bas dans un grand fracas). Je raconte ça à Christian au relais qui me dit en substance «oui, j’ai entendu, mais comme il n’y a pas eu de cri et que la corde ne s’est pas tendue, je me suis dit que c’était bon».
Arrive ensuite le « crux» de la voie, 2 longueurs, 6b puis 6b+, et c’est là que je regrette amèrement de ne pas avoir été plus curieux: ce ne sont pas 2 petit pas de tire-clou comme je le pensais, mais 2 vraies longueurs de vrai 6b, dans un dièdre renversé (sur la photo il est à peu près vertical, c’est après que ça se gâte).
Je ne sais pas si vous avez remarqué mais les dièdres ont une fâcheuse tendance à n’avoir des prises que d’un seul côté. Celui-ci ne déroge pas à la règle, et il n’y en a pas beaucoup, des prises. S’ensuit une longue bataille (en plus Christian a enchainé les 2 longueurs car elles sont assez courtes), durant laquelle j’ai tout le loisir de parfaire ma technique d’artif, (lire j’ai tiré sur toutes les dégaines)!
Arrivés en haut on peut admirer le paysage qui nous entoure. La descente nous amène à emprunter un canyon, descente rapide parfois un poil engagée, entrecoupée de ressauts que nous passons en posant de petits rappels sur les arbres.
Ensuite on fait les sangliers pour rejoindre le chemin de rando.
Bilan en temps: approche 45 minutes, escalade environ 4 heures, descente 2 heures, une belle journée. On monte au camping où on avait prévu de rester, mais le mauvais temps est annoncé, et nous activons le plan B habituel, direction Riglos.
Après diner au resto du camping de Murillo de Gallego (cf. compte-rendu précédent), Christian me propose d’aller passer la nuit à l’ «abri de la gare». Avertissement aux nouveaux arrivants de la section et aux nouvelles générations de grimpeurs: Christian adore cet endroit, et il fera tout pour vous y emmener bivouaquer ! C’est en fait la salle d’attente de la gare de Riglos, un abri sur le quai assez grand pour coucher à 5-6.
Dimache 15 juin: Riglos
Vu les émotions de la veille, j’aspire à quelque chose de plus facile aujourd’hui. Autant dire tout de suite que ce ne sera pas le cas ! Christian me propose la voie Rabada-Navarro sur l’éperon sud-est du Mallo Fire. «Une voie majeure», me dit-il ouverte en 3 jours (!) par les légendaires Alberto Rabada et Ernesto Navarro en 1961, sans poser un seul spit.
Photo et topo trouvés sur un blog espagnol : http://www.elplafon.es/w/articulos/rabada-navarro-al-fire-en-riglos/
Ayant dormi sur place, nous attaquons vers 8 heures, la voie est encore à l’ombre et on supporte le coupe vent, lequel est d’ailleurs fort et le restera toute la journée. Au pied de la première longueur, Christian me dit «c’est la plus dure de la voie». Effectivement il y un pas de bloc trop dur pour mes petits doigts, que je passe en mettant le pied dans une sangle.
Le cheminement est compliqué, la voie est «naturelle» et zigzague en recherchant les lignes de faiblesse de l’éperon. Comme on le voit sur le topo, il y a donc une succession de traversées et de passages verticaux ou en diagonale, c’est très paumatoire. D’ailleurs la petite note en haut à droite l’indique, ne pas commettre l’erreur d’y aller sans schéma.
Ce qui m’amène à un autre message à destination des nouveaux arrivants de la section et des nouvelles générations (et des anciennes aussi, pour le coup) : c’est là que prendre un guide comme Christian prend tout son sens, et ce pour 2 raisons:
· Il connait l’itinéraire (d’accord il n’avait pas le topo, mais on n’était pas sensés venir à Riglos, on devait rester 2 jours à Anso). Il m’a juste dit à un relais: « bon sur cette longueur là tu vas peut-être m’entendre gueuler, parce que je me perd tout le temps». Mais il ne s’est jamais perdu.
· Il gère le tirage de main de maître, et dans une voie comme celle là, c’est essentiel. J’ai eu droit à une démonstration magistrale, car pour gérer les changements de direction dus aux zigzags, il construisait un réseau de cordes que n’aurait pas renié une dentellière, une maille à droite, une maille à gauche un renvoi par ci, une grande sangle par là, du grand art.
Après il n’est pour rien dans le fait que les traversées sont peu voire pas protégées, et au bout d’un moment ça use (je hais les traversée…).
Les traversées, photos du blog
La dernière (photo de droite) avait un point à l’entrée et l’autre 20m plus loin, était gazeuse à souhait, et enchainait sur un (court) passage en 6b. Ça m’a achevé et je suis arrivé au relais un poil liquéfié…Jusqu’à ce moment de la voie je pensais que Rabada et Navarro en avaient une grosse paire (pardon pour les oreilles féminines) mais là j’en étais sûr, c’étaient des malades!!
Restaient 2 longueurs, 6a puis 5 (ou 6a+ puis 5 sup selon les topos), verticales, avec un caillou d’enfer, pas les patates arrondies de certains secteurs mais de petits blocs de calcaire bien sculpté, avec un super grip, qui m’ont réconcilié avec Riglos.
Bilan en temps : approche 10 minutes, à peu près 6 heures d’escalade, puisqu’avec la descente on était devant la cervoise à 15 heures au bar. Une autre belle journée, retour à Pau à 20 heures après un super weekend de grimpe.