CONTRIBUTIONS EXTERNES
A lire absolument pour commencer !
https://www.anpu.fr/sites/www.anpu.fr/IMG/pdf/anpu_10_recommandements_compil.pdf
- https://www.frugalite.org/fr/le-manifeste.html
- https://www.enlargeyourparis.fr/societe/pourquoi-mettre-des-fermes-dans-les-villes?fbclid=IwAR3oNkiDEH-Bk-3CtOh-JoT-9iJKIstG_6tZSTYDp-TLtKv51hKIcsqbra8
- https://www.lagazettedescommunes.com/679685/exclusif-le-manifeste-de-ladt-inet-pour-reussir-la-transition-territoriale/#utm_source=gm-actualite&utm_medium=Email&utm_campaign=2020-05-20-alerte-email-actualite&email=n.aguesse@bayonne.fr&xtor=EPR-15
- https://reveil.courrierinternational.com/#/edition/1971917/article/1971884
- https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-reconstruire-la-resilience-des-territoires-1196430
- https://www.strategie.gouv.fr/publications/covid-19-un-apres-soutenable-synthese-contributions
- https://bba12ae5-2d60-4d0f-bca4-d5a38b45504c.filesusr.com/ugd/d42773_6e2bfa2605ac4bab9c82e94881eb21fb.pdf
- https://www.lagazettedescommunes.com/578915/un-territoire-resilient-aura-la-capacite-danticiper-de-reagir-et-de-sadapter/
- https://www.comwatt.com/societe-comwatt/initiatives/agir-ensemble/livre-blanc-resilience/
- https://www.edfvilledurable.fr/atelierenergieetterritoires/les-matinales/resilience-ou-developpement-durable-quelle-difference
- https://www.cerema.fr/fr/actualites/resilience-outil-territoires
- https://www.espacestemps.net/articles/utopies-et-experimentations-urbaines/
- http://www.revue-urbanites.fr/wp-content/uploads/2015/10/Urbanit%C3%A9s-Banlieues-Taillandier-2015.pdf
- https://www.inventonslemondedapres.org/
- http://www.paysages-apres-petrole.org/category/qui-sommes-nous/
- https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/10/thomas-piketty-l-urgence-absolue-est-de-prendre-la-mesure-de-la-crise-en-cours-et-de-tout-faire-pour-eviter-le-pire_6036282_3232.html
- https://visle-en-terrasse.blogspot.com/2012/03/secrets-des-villes-les-utopies-urbaines.html
- https://dixit.net/nb/ville-nature
- https://urbanismecirculaire.fr/
- https://notrenouvellevie.fr/
- https://lejourdapres.parlement-ouvert.fr/uploads/presse/30propositions.pdf?utm_source=lejourdapres.parlement-ouvert.fr&utm_campaign=newsletter_9
Lettre de l’AUGO Numéro spécial Ville confinée
Éditorial
La crise sanitaire qui nous secoue touche profondément nos modes de vie; pour nous urbanistes, on devine qu’elle interroge aussi les villes et les territoires : dans leur fonctionnement et leur organisation. La ville résiliente – et surtout désirable - est à l’ordre du jour. Le moment est venu de nous interroger sur les enseignements que nous pouvons tirer de cette période. D’ores et déjà, le CA de l’AUGO a engagé un débat interne sur le sujet. Dans cette optique, nous avons réuni un certain nombre d’articles ou de témoignages autour de 3 thèmes : le rôle des pandémies dans la fabrication de la ville (le passé) ; la ville confinée (le présent) ; les enseignements (le futur) : celui-ci constitue le contenu de cette Lettre de l’AUGO. Nous nous proposons de poursuivre et d’élargir la réflexion autour du thème : « Et après ? Des villes et des territoires à réinventer ». Nous appelons à contributions de chacun visant à alimenter ce débat. Nous réunirons vos textes et articles et publierons une nouvelle brève sur ce thème. Nous organiserons aussi une prochaine rencontre-débat qui y sera consacrée, dès que possible (probablement à la rentrée). Nous nous proposons enfin, si vous le souhaitez, de contribuer à répondre avec l’AUGO à l’appel à idées du PUCA (« La crise sanitaire, la ville, et l’habitat : questions pour la recherche »).
http://www.urbanisme-puca.gouv.fr/appel-a-contributions-la-crise-sanitaire-la-villea1988.html
Nous vous invitons à nous faire vos envois par mail à : contact@augo.fr avant le 26 mai 2020. Merci de préciser le cadre de votre participation à savoir brève AUGO et/ou PUCA.
COMMENT LES ÉPIDÉMIES ONT FAÇONNÉ NOS VILLES
De tout temps, l’humanité a été confronté à des épidémies de peste, choléra, fièvre jaune, typhoïde, scarlatine, tuberculose… . Avec l’apparition des villes et la densification de populations, ainsi que le développement du commerce maritime, les grandes pandémies se sont multipliées dès l’Antiquité et ont ainsi été prises en compte pour concevoir les villes et notamment les villes portuaires, via des dispositifs de mise en quarantaine et d’éloignement des bateaux et de leurs cargaisons. D’ailleurs, les mesures de quarantaine ont été perfectionnées au XIVe siècle dans les villes du Nord de l’Italie. Les mobilités ont de tous temps été un facteur de risque et d’accélération. Les épidémies se sont propagées aisément via les voies de circulation premières, qu’elles soient commerciales, militaires ou religieuses, en privilégiant le secteur maritime au terrestre. Ainsi, la structuration des villes, dans la conception de l’architecture et de l’urbanisme a principalement tenu compte du traitement de la circulation de l’air, avant que les avancées de la médecine de la fin du XIXe siècle (notamment avec Louis Pasteur) ne parlent des bactéries, microorganismes et autres modes de contamination. Le mouvement hygiéniste apparu au XIXe siècle, aux Etats-Unis et en Europe, a vu la transformation de Paris par Haussmann basé sur le projet d’assainissement et de création de larges boulevards faisant suite à des épidémies de choléra. La prévention en matière de santé publique a permis ensuite de prendre en compte dans l’architecture et l’urbanisme la gestion de l’eau (adduction d’eau, réseau d’égouts), du bruit, de la lumière, de la verdure (espaces verts), qui, plus que jamais sont toujours des enjeux primordiaux de nos sociétés actuelles.
Comment les épidémies ont modelé nos villes – Le Monde 30 mars 2020 https://www.lemonde.fr/smart-cities/article/2020/03/30/comment-les-epidemies-ont-modele-nosvilles_6034868_4811534.html
Comment l'histoire de l'urbanisme est liée à la lutte contre les épidémies – France Inter 3/04 - https://www.franceinter.fr/emissions/le-virus-au-carre/le-virus-au-carre-03-avril-2020
Pour aller plus loin : Lévy, Albert, « Ville, urbanisme et santé - les trois révolutions », éditions Pascal, Mutualité française, 2012.
PENDANT : LA VILLE CONFINÉE
Temps 1 – la sidération face aux villes désertées On ne compte plus les articles et diaporamas qui nous donnent à voir des villes, habituellement surpeuplées et hyperactives, complètement désertes. Si cela alimente notre sentiment de sidération face aux effets de cette pandémie, cela peut également être un révélateur de cette nouvelle relation au monde induite par l’arrêt brutal des déplacements : l’expérience de l’ailleurs n’est plus que visuelle, perdant à la fois en sensorialité et en réalité, la webcam ou la photo deviennent les seuls moyens de voir au-delà de notre monde confiné.
De New York à Bangkok, le coronavirus transforme les métropoles du monde entier en villes fantômes – Le Monde 23/03/2020 https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/23/de-new-york-a-bangkok-le-coronavirustransforme-les-metropoles-du-monde-entier-en-villes-fantomes_6034159_3210.html
Coronavirus : les images des villes désertées à travers le monde – Courrier International https://www.courrierinternational.com/video/video-coronavirus-les-images-des-villes-desertestravers-le-monde
Temps 2 – L’observation et les mesures l’Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) propose un nouvel outil interactif permettant de visualiser quotidiennement l’impact des mesures de confinement sur la qualité de l’air. Le ralentissement de l’activité économique dû au confinement décrété en réponse à l’épidémie de Covid-19 a pour conséquence positive une forte diminution des émissions de polluants atmosphériques provenant du trafic routier et des industries . Mais "estimer et quantifier l’impact des mesures de confinement n’est pas aisé", notamment en raison de la variabilité météorologique. le confinement a eu pour effet de diviser par deux la pollution au dioxyde d’azote des 100 plus grandes villes françaises, par rapport aux niveaux attendus. De son côté, Bruitparif publie le 25 mars, une semaine après la mise en place du confinement, un un 1er bilan qui constate qu’un "silence inhabituel" a envahi l'Île-de-France et notamment sa zone urbaine dense. Le long des axes routiers, des voies ferrées, aux abords des aéroports mais aussi dans les quartiers habituellement animés de la capitale et près des chantiers, tout l'environnement sonore est chamboulé. Entre 5 et 10 décibels de moins le long des axes routiers, des nuisances sonores aéroportuaires en très nette baisse également, ainsi que le long des voies ferrées.
Une interface interactive pour mesurer les effets du confinement sur la qualité de l'air Publié le 9 avril 2020par Philie Marcangelo-Leos / MCM Presse pour Localtis https://www.banquedesterritoires.fr/une-interface-interactive-pour-mesurer-les-effets-duconfinement-sur-la-qualite-de-lair
Les effets du confinement sur le bruit dans la zone dense francilienne - Bilan une semaine après le début du confinement - Bruitparif 26mars 2020 https://www.bruitparif.fr/pages/Actualites/2020-0326%20Les%20effets%20du%20confinement%20sur%20le%20bruit%20en%20Ile-deFrance/Les%20effets%20du%20confinement%20sur%20le%20bruit%20en%20Ile-de-France.pdf
Coronavirus : la nature reprend ses droits ? Baisse spectaculaire des émissions de CO2 ; les animaux sont de retour, canards et cerfs (voire pumas) en pleine ville, dauphins dans les ports… Mais attention au rebond ! le climat n'a pas besoin d'une année blanche, mais d'une baisse des émissions de gaz à effet de serre soutenue», détaille François Gemenne, chercheur à l’université de Liège et membre du GIEC. Il craint également que beaucoup de gouvernements ne profitent de cette crise pour «remettre en cause les mesures de lutte contre le réchauffement climatique». De son côté, l’ornithologue Philippe Carruette estime qu’il n'est pas certain que le monde animal en tire profit sur le long terme car « en baissant leur niveau de vigilance, elles s'exposent à un risque accru d'accident lorsque l'activité reprendra et que les véhicules se remettront à circuler comme avant." La nature reprend ses droits ? Le Figaro, Yohann Blavignat, 25 mars 2020 https://www.lefigaro.fr/sciences/la-nature-est-elle-vraiment-la-grande-gagnante-de-la-pandemie-decovid-19-20200325
Coronavirus : la nature reprend-elle vraiment ses droits ? https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/somme/amiens/coronavirus-nature-reprendelle-vraiment-ses-droits-avis-ornithologue-picard-philippe-caruette-1807172.html
Temps 3 – L’analyse et la réflexion Se réfugier à la campagne est un réflexe traditionnel de protection Se réfugier à la campagne en tant de crise est-il synonyme d’inégalités sociales entre citadins et ruraux ? Selon le sociologue J. Viard, il s’agit d’abord d’un réflexe classique qui, après avoir été lancé par les élites et l’aristocratie à l’origine de la villégiature, peut toucher aujourd’hui toutes les classes sociales possédant un pied à terre à la campagne allant de la résidence secondaire à la caravane, l’inégalité sociale résidant avant tout dans le fait de pouvoir ou pas s’y réfugier. En tant de guerre et de crise, la campagne est toujours apparue comme un lieu de refuge contre les maladies et les émeutes et une terre nourricière. Quant à l’acceptation de cette migration citadine par les ruraux, en dehors des territoires touristiques, notamment insulaires, qui subissent déjà de très fortes pressions, le développement des résidences secondaires n’est pas systématiquement rejeté. Propositions pour aller plus loin : relation ville-campagne que concernent la nature dans la ville, l’agriculture péri-urbaine, l’aménagement du territoire et l’équilibre villes-campagnes (métropoles et villes moyennes…)…
Jean Viard « Se réfugier à la campagne est un réflexe traditionnel de protection » - La Croix 21/03/2020 https://www.la-croix.com/France/Coronavirus-refugiercampagne-reflexe-traditionnel-protection-2020-03-21-1201085278
La métropolisation du monde est une cause de la pandémie - Entretien avec Guillaume Faburel, professeur à l’Université Lumière Lyon 2 et enseignant à Sciences Po Lyon, chercheur à l’UMR Triangle. Il est l’auteur de l’ouvrage Les métropoles barbares (Passager clandestin, rééd. 2019). Reporterre - 28 mars 2020
La pandémie, révélateur et accélérateur des inégalités Les habitants de quartiers populaires sont assez régulièrement pointés du doigt pour leur supposée « incivilité » et non-respect du confinement. Bien entendu, la situation est plus complexe et de nombreux article rappellent que : - les plus pauvres sont ceux qui continuent à travailler – ils ne peuvent télétravailler car occupent des emplois subalternes bien qu’indispensables - et donc à être exposés au virus - ils habitent des logements exigus et surpeuplés - ces quartiers sont un « désert médical ».
La Ville exhausteur des inégalités – Le Temps, Marion Police, 23 mars 2020 https://www.letemps.ch/societe/coronavirus-exhausteur-dinegalites
Coronavirus, confinement et quartiers populaires : des vulnérabilités particulières à prendre en compte - Caroline Megglé pour Localtis 25 mars 2020 https://www.banquedesterritoires.fr/coronavirus-confinement-et-quartiers-populaires-desvulnerabilites-particulieres-prendre-en-compte
Le covid-19, la guerre et les quartiers populaires - par Pierre Gilbert, in Metroplitiques, le 16/04/2020 https://www.metropolitiques.eu/Le-covid-19-la-guerre-et-les-quartiers-populaires.html
Temps 4 – La ville résiliente Coronavirus : villes vulnérables mais résilientes Jusqu’à quel point nos villes sont-elles flexibles face aux usages en mutation ? La crise du Coronavirus montre que les espaces publics peuvent avoir une flexibilité plus ou moins importante pour répondre à de nouveaux usages: parking dédié au dépistage, ouverture d’atelier de production (couture…), télétravail…et que la ville en général, loin d’être « effrayante » sait faire preuve d’adaptation et d’innovation. En termes de résilience, si les lieux possèdent trop souvent une mono-fonction inamovible qui crée une « distanciation » aux services, le professeur Carlos Moreno a développé le concept de « ville quart d’heure » et propose ainsi d’interroger l’agencement des villes à l’échelle des quartiers en développent la pluri fonctionnalité des lieux. Néanmoins il convient de fixer un curseur à cette flexibilité en proposant un cadre capable de garantir l’ordre et l’égalité d’accès, sachant que les usages dépendent du niveau d’appropriation des lieux par les habitants et que les besoins sont eux-mêmes mouvants. Propositions pour aller plus loin : voir mixité fonctionnelle à l’échelle du quartier, notion de quartier (espace vécu, espace perçu), la ville circulaire, « réindustrialiser » les centres villes… Coronavirus : villes vulnérables mais résilientes - Lumières de la Ville (agence LDV Studio Urbain) - https://lumieresdelaville.net/coronavirus-villes-vulnerables-mais-resilientes/
Pandémie, résilience, villes : Deux ou trois choses que nous savons d’elles « Cet article tente de cerner ce que le COVID-19 nous dit de nos territoires et de nos actions collectives. Il ne s’agit pas d’un guide de recommandations et encore moins d’un exercice prophétique. L’objectif est de commencer à identifier les questions que la pandémie pose à l’urbanisme et à l’organisation de nos territoires, puisqu’on ne saurait reprendre les choses telles qu’on les a laissées avant le grand confinement. » Il évoque les liens étroits, à l’origine, entre urbanisme et santé, l’approche hygiéniste. Pour lui, ces liens se sont distendus et des réponses ne pourront être apportées que grâce à l’activation de systèmes territoriaux multi-échelles. La crise que nous traversons doit nous servir d’enseignement pour concevoir l’urbanisme. Il prend pour exemple l’intérêt d’un CHU multi-sites plutôt qu’une concentration au même endroit … L’article site plusieurs sources intéressantes (livres, articles, vidéo). Pandémie, résilience, villes : Deux ou trois choses que nous savons d’elles Jérôme BARATIER - Professeur affilié - Ecole urbaine chez Sciences Po - 29 mars 2020 https://www.linkedin.com/pulse/pand%C3%A9mie-r%C3%A9silience-villes-deux-ou-trois-chosesque-nous-baratier
Nouvelles Mobilités, Nouvelles opportunités Si le confinement a donné un coup d'arrêt aux vélos, trottinettes et scooters en free floating - généralement maintenus, mais en service minimum - la marche et le vélo sont désormais plébiscités par les municipalités comme modes de transports plus hygiéniques car individuels . Dès la mi-mars, la mairie de Bogotá (Colombie) a a créé en une nuit 22 kilomètres de pistes cyclables en fermant des voies réservées aux voitures. Mexico a créé ses premières pistes cyclables temporaires à l'aide de plots. Berlin a embrayé en donnant un coup de peinture au sol pour élargir des pistes cyclables existantes ou en créer de nouvelles. Le CEREMA propose des solutions pour réaliser des aménagements provisoires basiques, avec de la signalisation de chantie, pendant et après le confinement. Coronavirus : les nouvelles mobilités presque à l'arrêt - 20 mars 2020 par AFP – Banque des territoires - https://www.banquedesterritoires.fr/coronavirus-les-nouvelles-mobilites-presquelarret Pistes cyclables temporaires, bannissement des voitures : les grandes villes s'adaptent au coronavirus – Les échos 30 mars 2020 https://www.lesechos.fr/amp/1190262
Aménagements cyclables temporaires et confinement : quelles opportunités ? CEREMA - 14 avril 2020 https://www.cerema.fr/fr/actualites/amenagements-cyclables-temporaires-confinement-quelles
PENSER LE FUTUR
La métropolisation du monde est une cause de la pandémie « Le coronavirus s’est répandu extrêmement rapidement, de métropole en métropole, profitant des intenses flux mondiaux qui les relient. « L’une des causes principales de la pandémie est à trouver dans la métropolisation du monde », et dans la société coupée de la nature qu’elles ont construite, explique le géographe Guillaume Faburel. » Pour G. Faburel, la métropolisation est pour partie responsable de la crise sanitaire du coronavirus. Il s’en prend à la « densification extrême » et au « surpeuplement démesuré ». La métropolisation conduit à un « arrachement à la nature ». Il évoque par opposition le rôle ambivalent de la campagne… Le monde métropolitain serait aussi le règne des inégalités. Il faudrait « démondialiser la ville et désurbaniser la terre ». G. Faburel, lors de cet entretien, préconise un aménagement du territoire autour des petites villes et des campagnes, à l’opposé de la surconcentration dans les espaces métropolitains. Il dénonce les « mobilités permanentes et l’accélération sans fin des mouvements » parmi d’autres maux des comportements métropolitains. Son entretien se conclut par un appel à une « pensée de la modération et de la limitation ».
La métropolisation du monde est une cause de la pandémie. Entretien avec G. Faburel. https://reporterre.net/La-metropolisation-du-monde-est-une-cause-de-la-pandemie
Le coronavirus prépare-t-il la revanche des campagnes ? La crise du coronavirus serait-elle en passe de briser la logique de concentration urbaine ? Les nouveaux standards d’hygiène, la distanciation sociale impossible à mettre en œuvre dans les villes, la brusque accélération du télétravail vont-il rendre les avantages jusque là reconnus aux villes insuffisants pour y retenir les métropolitains – ou, en tous cas les plus fortunés d’entre eux ? Le coronavirus prépare-t-il la revanche des campagnes ? Olivier Babeau – Le Figaro / Institut Sapiens - le 24 mars 2020 https://www.institutsapiens.fr/le-coronavirus-prepare-t-il-la-revanche-des-campagnes/
Cette crise sanitaire est l'occasion de penser la ville du quart d'heure Dans cette tribune de Carlos Moreno, le contexte de confinement est envisagé comme une opportunité de repenser les villes notamment au regard des temporalités. En partant du constat initial d'un "mode de vie urbain désincarné", notamment marqué par des déplacements multiples et chronophages, C. Moreno perçoit, avec la mise en place du confinement, un bouleversement des modes de vie et une occasion de repenser la ville. Il propose ainsi le concept de "ville du quart d'heure", renforçant la proximité et modifiant les temporalités, en pensant un accès des urbains aux divers services en un quart d'heure à pieds (ou modes actifs) depuis leur domicile. De cette organisation émergerait plusieurs vertus dont le développement d'usages, du lien social et de la participation citoyenne. L'article mentionne deux exemples de projets autour de la proximité. Cette crise sanitaire est l'occasion de penser la ville du quart d'heure - Tribune de Carlo Moreno, directeur scientifique de la Chaire ETI (Entreprenariat, Territoire, Innovation) à l'IAE de Paris, université Panthéon-Sorbonne à Paris - Le Monde 20 mars 2020 https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/03/20/cette-crise-sanitaire-est-l-occasionde-penser-la-ville-du-quart-d-heure_6033777_3234.html
Que peut l’urbanisme contre les épidémies ? « D’un marché de Wuhan à une usine en Bavière, puis au monde entier… Encouragées par le monde moderne, ses villes et ses réseaux, les épidémies ne semblent plus avoir d’obstacles. L’urbanisme était pourtant né avec elles, pour freiner le choléra et la tuberculose. L’aménagement urbain est-il encore capable de nous maintenir en bonne santé ? » L’article cite notamment Anne Roué-Le-Gall, professeure à l’École des Hautes Études en Santé Publique (EHESP), spécialiste en santé, environnement et urbanisme. Pour elle, « les épidémies sont souvent le résultat d’un déséquilibre environnemental » (dégradation des écosystèmes naturels). En rupture avec l’aménagement hygiéniste, elle prône le décloisonnement des approches de santé publique et d’environnement :« L’interdisciplinarité et l’intersectorialité sont des principes clé et majeurs dans nos approches d’urbanisme favorable à la santé. » Que peut l’urbanisme contre les épidémies ? Usbek et Rica in Demain La Ville, blog de la fondation Bouygues Immobilier - 26 mars 2020
https://usbeketrica.com/article/a-quoi-ressemblera-travail-apres-confinement
Imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise Bruno Latour considère que « la crise sanitaire est enchâssée dans ce qui n’est pas une crise — toujours passagère —mais une mutation écologique durable et irréversible. » Il ne s’agit pas seulement de « reprendre ou d’infléchir un système de production, mais de sortir de la production comme principe unique de rapport au monde. » Il propose d’établir un contre-inventaire de ce que l’on ne veut plus et de ce que l’on désire, notamment en s’appuyant sur un exercice pratique, une « aide à l’auto-description ». Imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise - Article de Bruno Latour - A paraître dans AOC 29/03/2020
http://www.bruno-latour.fr/sites/default/files/downloads/P-202-AOC-03-20.pdf
APPELS A CONTRIBUTIONS "ET APRÈS ? DES VILLES ET DES TERRITOIRES À RÉINVENTER"
L'AUGO vous suggère d'aller plus loin en programmant une rencontre professionnelle sur ce thème, probablement à la rentrée. Vos contributions sont les bienvenues pour alimenter ce débat naissant au sein de l'association. L'association se propose également de se faire le relais en portant une synthèse auprès du PUCA à l'occasion de l'appel à contributions "La crise sanitaire, la ville et l’habitat : Questions pour la recherche". Vous pouvez envoyer vos contributions à www.augo.fr en mentionnant "contribution Demain" avant le 28 mai 2020.
Vous souhaitez rejoindre l'association AUGO ? Remplissez le formulaire (ci dessous via le site web) ou par courrier et envoyez votre règlement par chèque à l'ordre de AUGO à l'adresse suivante : Association des Urbanistes du Grand Ouest (AUGO) 6 place de la Manu 44 000 Nantes https://www.augo.fr/adhesion/ A réception , nous vous ouvrirons un compte Vous souhaitez régler par virement ? Contactez-nous >>
Opinions Tribunes : Pour une véritable politique d’Etat pour la logistique
Par François-Michel Lambert et Philippe Duong 19/05/2020
LE MONDE D'APRÈS. La pandémie de la Covid 19 nous révèle que dans cette situation d’urgence et de survie, deux activités essentielles ont permis à la société de tenir : le système de santé et le système logistique. Par François-Michel Lambert, député (Liberté & Territoires) des Bouches-du-Rhône et président de la commission nationale Logistique 2015-2019, et Philippe Duong, directeur de Samarcande et ancien professeur associé en logis que au CNAM.
Si l'importance de la santé est amplement valorisée dans le débat public, c'est moins le cas de la logistique, qui, même bénéficiant d'une reconnaissance inédite, n'en reste pas moins méconnue.
Pourtant la logistique a fait la démonstration qu'elle était une fonction vitale pour les activités de survie, grâce à une agilité de ses opérateurs : approvisionnement des lieux de soin et des magasins en produits de première nécessité, traitement des déchets, transport en général... Ce sont les « premiers de corvée », maillons anonymes de la chaine logistique (manutentionnaires, chauffeurs, caissier(e)es, éboueurs, logisticiens de terrain...), qui ont assuré, à côté du personnel soignant, le maintien à flot du pays.
Mais la tension extrême des chaines logistiques mondialisées et la minimisation des stocks, l'alpha et l'oméga des logisticiens depuis quelques décennies, ont atteint leurs limites. Elles peuvent être à l'origine de catastrophes comme la pénurie de masques et de médicaments, paralyser des filières entières très dépendantes de nombreux fournisseurs répartis sur l'ensemble de la planète.
2 Un défaut d'anticipation au niveau logistique
Plus encore, même si cette pandémie était imprévisible, de nombreux pays, comme la France, ont souffert d'un défaut d'anticipation, tant au niveau sanitaire qu'au niveau logistique. Pourtant, ce n'était pas inéluctable comme le montre la situation de nombreux pays comme le Japon, Singapour ou l'Allemagne, dont le bilan est moins dramatique. Ce sont des pays mieux positionnés dans la hiérarchie logistique mondiale, où l'anticipation est mieux intégrée par les gouvernements.
Face au quasi-arrêt des chaines de valeur depuis l'éclatement de l'épidémie, des voix de plus en plus nombreuses requestionnent un système productif mondialisé à l'excès devenu trop complexe et trop fragile. L'efficacité et l'agilité de la logistique lui permet certes de fonctionner en période « normale ». Mais cela la rend particulièrement vulnérable en période d'aléas. La question du raccourcissement des chaines et de la valorisation de la proximité est posée. En témoigne l'avance prise par l'Allemagne, qui maintient un tissu industriel bien plus dense que le nôtre. Faute de vision industrielle, la France s'est mise dans une situation de vulnérabilité pour un certain nombre de filières et d'activités stratégiques, nous rendant dépendants de fournisseurs étrangers pour lesquels nous ne sommes pas prioritaires.
Une activité trop marginalisée au niveau de l'appareil d'Etat et des décideurs publics
Tout un modèle de production et de consommation vacille, ce qu'annonçaient de nombreux signes avant la pandémie : remise en cause de la consommation irraisonnée, retour à la qualité et à la santé, pratiques respectueuses de l'environnement, valorisation de la proximité, respect des producteurs, réduction des inégalités, lutte contre les gaspillages, économie circulaire, etc... autant de valeurs qui deviennent dominantes. Cela impose de fait de revoir en profondeur le paradigme logistique.
L'importance économique et sociétale de la logistique et la conscience de ses lacunes en France, nécessitent une vision et une approche stratégique inédites et partagées par les acteurs publics et privés.
Or, la logistique reste une activité trop marginalisée au niveau de l'appareil d'Etat et des décideurs publics: elle ne donne lieu ni à une vision globale, ni à une démarche stratégique, et n'est connectée à aucune stratégie industrielle ou d'aménagement du territoire. Le rejet de la planification logistique publique est un non-sens, alors même que les entreprises en font un fondement de leurs stratégies.
3 Une politique d'Etat à articuler avec les régions et les professionnels
Une telle situation n'est aujourd'hui plus admissible. C'est pour cela que nous demandons une véritable politique d'État, articulée avec les régions et les acteurs professionnels, intégrant les autres objectifs stratégiques (transition écologique, industrie, aménagement du territoire...).
Cette démarche s'appuie sur les orientations suivantes :
Initier une démarche d'organisation durable et de planification logistique du territoire, articulée avec la nouvelle politique industrielle. Ceci impose une stratégie renouvelée d'aménagement du territoire, du transport et des infrastructures, réorientée sur les échanges nationaux, européens et méditerranéens.
Accompagner logistiquement la relocalisation d'un certain nombre d'activités industrielles, en encourageant l'économie de proximité et la clusterisation industrielle et en renforçant des supply chains plus courtes, plus réactives et plus résilientes. Une nouvelle coopération industrielle et logistique, plus équilibrée avec nos voisins du Maghreb et d'Afrique subsaharienne.
Entamer un processus visant à détendre flux, moins sensibles aux aléas, en acceptant des niveaux de stocks plus élevés et une plus forte massification qui favoriserait la multimodalité, tout en préservant l'agilité des chaines. Pour cela il faut développer une fiscalité incitative remontant aux donneurs d'ordre, pour que les flux physiques soient en adéquation avec les objectifs de la Nation en matière de climat, d'impacts environnementaux et sociétaux.
Mettre en place une réglementation cohérente et un soutien continu pour la transformation du transport et améliorer très nettement les systèmes d'informations, les deux piliers d'une logistique durable.
Revaloriser financièrement et professionnellement les métiers de la logistique pour renforcer les compétences tout au long de la chaîne, depuis le producteur jusqu'au distributeur.
Pour que la France et l'Europe retrouvent une souveraineté, la logistique doit être prise en compte au plus haut niveau de l'Etat, avec une gouvernance et des moyens adéquats. Nous devons mettre en oeuvre aussi une nouvelle organisation, de nouvelles procédures, des compétences renforcées, des règles clarifiées entre les différentes parties prenantes et un investissement majeur dans la performance de l'information du producteur jusqu'au consommateur, pour développer une logistique plus efficace et plus durable.
Tous urbanistes ou tous urbains ? De la définition commune de la ville.
Contribution d'Anaël SAULNIER
Une question m'interroge personnellement, moi qui ne suis pas urbaniste mais qui aime, peut être, par goût de l'exploration et de la promenade, regarder des cartes et traverser la ville et la campagne ou à pied. Sommes-nous tous urbanistes ? L'urbaniste est-il un métier impliqué dans une organisation complexe d'acteurs nécessaire à la fabrication et à l'organisation de la ville ? L'habitant peut-il être urbaniste ou l'habitant peut-il être urbaniste en intégrant un des métiers dont la ville a besoin ? L'urbaniste n'est-il pas en réalité un ensemble constitué de tous ceux qui fabriquent la ville?
Commençons par des définitions
Urbaniste: " L'urbaniste conçoit et dirige l'aménagement des villes. Il prévoit la répartition des habitants et l'organisation des équipements collectifs pour répondre aux besoins du présent et du futur.
Si l'architecte bâti des maisons, l'urbaniste bâti des villes : il classe, groupe, ordonne les constructions selon leur fonction d'habitation de travail ou de loisir, les répartit en zones, en quartiers, prévoit le réseau des voies d'accès et de circulation et celui des canalisations (égout, eau, gaz, électricité, chauffage, collectif, téléphone), les gares, les aérodromes, les ports. L'urbaniste assure aux hommes sécurité et hygiène, dans un cadre agréable. Il maintient cet environnement humain qui ne défigure ni le paysage naturel, ni les témoignages de l'histoire. Si, hier on a amputé la ville pour l'ouvrir à la lumière et à l'automobile, on doit la garder disponible pour de nouvelles conditions de vie qu'on imagine mal encore, mais sur lesquels se penchent les urbanistes" Que ferai-je plus tard ? édition Hachette, 1973.
Urbanisme: "ensemble des mesures techniques, administrative, économiques et sociales qui doivent permettre un développement harmonieux, rationnel et humain des agglomérations" Dictionnaire Larousse
Dans un entretien donné au journal "Le Monde" en date du 10 avril 2020, le philosophe allemand Jurgen Habernas invite la société à devenir plus complète et les individus à connaitre mieux certaines matières. La crise du covid 19 a révélé les insuffisances des connaissances de la population se trouvant ainsi dépendantes des scientifiques et des médecins et, en même temps, les limites d'un monde interdépendant et sectorisé : "Dans cette crise il nous faut agir dans le savoir explicite de notre non savoir", explique le philosophe.
Chaque métier est confronté à sa propre insuffisance. L'urbaniste, dont la mission est d'organiser la vie urbaine, ne peut le faire sans impliquer différents métiers. L'économiste pour concilier aménagement et la question de l'approvisionnement et de l'économie. Le juriste pour créer les conditions de la faisabilité juridique des aménagements. Le paysagiste, le naturaliste pour que la place donnée à la nature en ville soit rendu possible. Dit autrement, le marché placé à tels endroits est il rentable ? La création d'un marché respecte les règles ou implique-t-elle de modifier le plan d'aménagement ? La création d'un verger à tel endroit est pertinente par rapport à l'ensoleillement, aux précipitations et à la croissance des arbres fruitiers ? L'urbaniste seul ne peut répondre à toutes ces questions à moins de devenir un expert en sciences économiques, en droit et en botanique. Il agit dans son "non-savoir" en allant chercher les réponses auprès des spécialistes juridiques, économiques ou paysagistes dans le cabinet ou la collectivité territoriale où il travaille.
De même, le médecin infectiologue, en défendant le principe du confinement comme la seule mesure propre à casser une épidémie, agit dans le cadre de son savoir médical et scientifique ; mais son "non savoir" s'arrête à la dimension économique, sociale et culturelle de la mesure. De la même manière, l'entreprise qui doit arrêter son activité pour des raisons sanitaires, connait à son niveau les effets du confinement sur son activité sans pouvoir estimer quand elle pourra repartir. Il est limité par son "non savoir scientifique". D'ailleurs, sur les vitrines des commerces, des bars, restaurants ou théâtre est écrit "fermé jusqu'à nouvel ordre". L'ignorance implique une dépendance vis à vis de l'autorité politique, dépendante elle-même du pouvoir scientifique et médical. Dans cette situation, le risque d'une réouverture de l'activité économique fait basculer l'autorité d'un autre côté, tout en restant dans une ignorance consciente pour les autres. Cet exemple révèle le travail isolé de différents secteurs d'activités et le besoin d'un arbitre qui se trouve être : le pouvoir politique. Or une issue pourrait être un travail en commun plus important entre les différents spécialistes.
Même le spécialiste en économie ou en droit ne peut être sûr de sa connaissance. Le chef d'entreprise qui lance un nouveau produit de consommation malgré des études de marché n'est pas certain que son produit fonctionnera. Tout comme le médecin qui n'est pas à l'abri d'une erreur ou d'une mauvaise réaction du corps humain. Néanmoins ce doute peut être partagé par une compréhension mutuelle de chacun des métiers. Cette compréhension peut intégrer une plus grande complexité et intelligence dans l'exercice d'une profession, car il mobilise une connaissance inhabituelle, celle de l'autre.
Ainsi au lieu de faire le pari du risque et de l'ignorance, chaque profession intégrerait dans son travail la dimension des autres métiers. Sans devenir un urbaniste expert économiste ou expert botaniste, l'urbaniste peut compléter ses connaissances pour comprendre la raison d'être des règles juridiques, des lois économiques et scientifiques. Intégrer une dimension pluridisciplinaire et moins spécialisée impliquera un développement plus lent de nos sociétés mais peut-être plus harmonieux et respectueux des Hommes, de leur santé et de l'environnement.
En conclusion, à titre personnel, je ne crois pas à l'idée que nous soyons "tous urbanistes", mais davantage à une élaboration commune de la ville par ses différents métiers. Ce travail en commun se réaliserait à travers un apprentissage pluridisciplinaire et constant. L'urbaniste viendrait ainsi synthétiser, assisté par d'autres métiers, l'aménagement de la ville. En somme, construire la ville de demain, en prenant en compte toutes ses difficultés actuelles et à venir, se fera par l'appropriation par chacun d'un métier correspondant aux besoins de la ville, selon le goût de ses habitants (attirance pour la loi, la biologie, le bâti..) et pas uniquement selon les besoins des entreprises publiques ou privés. Ainsi, demain, nous ne serons pas probablement pas "tous urbaniste" mais peut-être "tous urbains", unis, et essaierons d’imaginer un projet de vie en commun.
À la une de l’hebdo : Après la pandémie, changer les villes
3 MIN COURRIER INTERNATIONAL (PARIS)
Chaque semaine, Courrier international explique ses choix éditoriaux et les débats qu’ils suscitent parfois dans la rédaction. La une de ce numéro est consacrée aux mégalopoles. Comment rendre les villes à nouveau vivables après la pandémie de Covid-19 ? Comment concilier densité et distanciation sociale ?
Transports, habitat, urbanisme… Partout dans le monde, urbanistes, architectes et scientifiques commencent à y réfléchir. Wuhan, Milan, Paris, Madrid, New York… les grandes métropoles ont été particulièrement touchées par la pandémie de Covid-19. Seront-elles durablement transformées ? Comment vont-elles s’adapter pour vivre avec la menace du virus ? Dans l’histoire, les épidémies ont souvent laissé leur empreinte sur les villes. Le choléra a ainsi bouleversé le paysage urbain à Londres, tout comme la peste à Athènes, en 430 av. J.-C., “a profondément changé les lois et l’identité même de la ville”, écrit le Guardian. Qu’en sera-t-il avec le Covid-19 ? C’est la question que nous posons cette semaine en une de Courrier international.
Dans les grandes villes, la densité, la circulation, les flux de population, l’interconnexion facilitent la propagation du virus. En France, la région parisienne a été classée en zone rouge, et on voit bien que le déconfinement y sera beaucoup plus progressif qu’ailleurs. Comment, dans des zones aussi denses, peut-on concilier vie quotidienne (travail, transports, loisirs, sociabilité…) et impératifs de distanciation sur le long terme ? Les urbanistes et tous ceux qui travaillent sur les problématiques de la ville y réfléchissent déjà. Ces dernières semaines, la presse étrangère s’est largement fait l’écho de projets d’aménagements urbains, en cours ou à l’étude, liés au coronavirus. Nous avons réuni dans ce dossier une série d’articles qui donnent une idée de la façon dont les villes pourraient (bientôt ?) redevenir vivables. Ce ne sont que des prémices, mais il y a des pistes à creuser.
Un peu partout, des premières mesures pratiques ont été annoncées : place aux vélos à Milan, à New York, à Paris; aménagements en projet à Vienne (un parc de la distanciation sociale est à l’étude); fermes sur les toits des parkings à Singapour, mobilier urbain sans contact… À plus long terme, les urbanistes envisagent d’élargir les trottoirs, de rendre les villes plus horizontales, avec davantage de maisons individuelles. Les architectes, eux, devront repenser l’intérieur même de nos lieux d’habitation pour les rendre compatibles avec les nouvelles normes sanitaires. Le confinement l’a montré : dans les villes plus qu’ailleurs rester des jours coincé dans des logements exigus, parfois à plusieurs, devient vite intenable. “On découvre le revers de vivre dans un espace limité, écrit la Süddeutsche Zeitung. Car la ville n’est vivable – sans trop de stress – que si les espaces de liberté sont en nombre suffisant.”
Pour les urbanistes, ce n’est pas le moment de se demander ce qui va se passer, mais plutôt ce que nous souhaiterions voir se passer.” Le problème, avertissent certains urbanistes, c’est que cette crise a modifié nos habitudes de façon si profonde que c’est toute la vie citadine qu’il faut repenser. Le développement du télétravail pourrait encore accroître les inégalités entre les quartiers les plus riches, “où les employés en télétravail peuvent profiter d’une offre abondante de restaurants, salles de gym…, et les quartiers moins bien lotis, où vivent les catégories de travailleurs qui ne peuvent pas rester chez eux”, explique The National.
La méfiance envers les transports en commun pourrait aussi avoir de lourdes conséquences. Le risque, comme le prédit un journaliste polonais dans nos pages, c’est d’assister au retour en force de la voiture individuelle et du chacun pour soi, au détriment des services publics. Et la voiture, c’est la garantie de retrouver des niveaux de pollution que le confinement nous avait quelque peu fait oublier. Or une étude de Harvard (encore non validée par un comité de lecture) sur les États-Unis a conclu qu’une légère augmentation de l’exposition prolongée aux particules fines entraîne une forte augmentation du taux de mortalité lié au coronavirus. En d’autres termes, la pollution est un facteur aggravant de la maladie. De cela aussi, il faudra tenir compte. Comme il faudra réfléchir aux systèmes de gouvernance de ces mégalopoles. En Chine, l’utilisation des datas dans le contrôle et la surveillance des citoyens s’est encore accentuée avec l’épidémie. Le problème se pose aujourd’hui en Europe, et l’on peut s‘inquiéter des menaces qui pourraient peser à terme sur les libertés individuelles. En 2050, l’ONU prévoit que 6,7 milliards de personnes vivront dans les grands centres urbains (soit 2,5 milliards de plus qu’aujourd’hui, qui viendraient s’ajouter principalement dans les mégalopoles d’Asie et d’Afrique). L’équation à résoudre pour améliorer la qualité de vie dans les mégalopoles s’annonce des plus complexes. Claire Carrard
Urbanisme Comment le Covid-19 va-t-il changer nos villes ?
6 MIN THE GUARDIAN (LONDRES)
L’histoire le démontre. De tout temps, les épidémies ont laissé leur empreinte sur les villes. La pandémie de Covid-19 ne devrait pas déroger à la règle. Surveillance, distanciation sociale, nouvelles solidarités : le changement a déjà commencé. Dans l’esprit de beaucoup de gens, le quai Victoria, qui longe la Tamise sur deux kilomètres, incarne l’essence même de Londres. Sur certaines des toutes premières cartes postales envoyées en Grande-Bretagne, on peut voir ses larges promenades et ses jardins resplendissants. Le Metropolitan Board of Works, qui a supervisé sa construction [1865-1870], le présentait fièrement comme “un ouvrage d’urbanisme intelligent et intelligemment raffiné, comme il sied à une ville marchande prospère”. Les héritages de la peste et du choléra
Or, ce quai, devenu indissociable de l’image que nous avons de la ville, n’est ni plus ni moins que le produit d’une pandémie. Sans une série d’épidémies de choléra meurtrières dans le monde au XIXe siècle – dont une à Londres au début des années 1850, qui a fait plus de 10ௗ000 morts –, la nécessité d’un réseau d’assainissement moderne n’aurait en effet jamais été mise en évidence. Et le remarquable ouvrage d’art [de l’ingénieur britannique] Joseph Bazalgette, conçu pour évacuer les eaux usées de la ville en aval, loin des réserves d’eau potable, n’aurait jamais vu le jour.
À l’heure où le monde continue de se battre contre la propagation galopante du coronavirus, confinant des millions de gens chez eux et bouleversant notre manière de parcourir nos villes, de les penser et d’y travailler, certains se demandent lesquels de ces accommodements perdureront après la fin de la pandémie, et à quoi pourrait ressembler la vie d’après. Santé publique contre écologie Une des questions les plus pressantes auxquelles les urbanistes vont se trouver confrontés est la contradiction apparente entre la densification – la tendance à la concentration, jugée indispensable pour réduire l’empreinte écologique des villes – et la “désagrégation spatiale”, c’est-à-dire la séparation des habitants, qui est un des principaux outils utilisés à l’heure actuelle pour lutter contre la transmission de la maladie. “À l’heure actuelle, on réduit la densité chaque fois qu’on le peut, et ce pour une bonne raison”, observe Richard Sennett, professeur d’urbanisme au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et conseiller de référence du programme des Nations unies sur les villes et le changement climatique. “Même si, dans l’ensemble, la densité est une bonne chose : les villes denses consomment moins d’énergie. Je pense qu’à terme nous allons voir apparaître une contradiction entre les exigences de santé publique et de préservation du climat.” Pour Richard Sennett, nous reviendrons à l’avenir aux habitations individuelles et à l’étalement urbain, qui permettent aux gens de se rencontrer sans se marcher dessus dans les restaurants, les bars et les clubs – même si, au regard du prix astronomique du foncier dans des grandes villes comme New York ou Hong Kong, le succès d’un tel programme reposera sans doute, aussi, sur la mise en œuvre de réformes économiques d’envergure.
Le télétravail, agent du changement Ces dernières années, même si les villes continuent de se développer dans les pays du Sud sous l’effet de l’exode rural, les villes du Nord prennent la direction opposée, leurs habitants les plus aisés profitant des outils de travail à distance pour s’installer dans des villes de province ou à la campagne, où le foncier est plus abordable et la qualité de vie meilleure.
La “baisse du coût de la distance”, comme l’appelle Karen Harris, la directrice du service Macro Trends du cabinet de conseil Bain, devrait s’accentuer sous l’effet du coronavirus. De plus en plus d’entreprises mettent en place des solutions qui permettent à leurs employés de travailler de chez eux, et les salariés commencent à s’y faire. “Ce sont des habitudes qui ont de bonnes chances de s’installer”, assure Karen Harris. Les répercussions sur les grandes villes sont potentiellement colossales. Si la proximité du lieu de travail n’est plus un facteur déterminant dans le choix du lieu de vie, par exemple, l’attrait de la banlieue diminue. Peut-être sommes-nous en train de nous diriger vers un monde où les centres-villes et les “nouveaux villages” reculés prendraient de l’importance, pendant que les banlieues traditionnelles péricliteraient.
La tentation du traçage numérique Un autre effet possible du coronavirus est une multiplication des infrastructures numériques dans nos villes. La Corée du Sud, un des pays les plus touchés par la maladie, est également l’un de ceux qui affichent le plus faible taux de mortalité, un exploit que l’on peut attribuer, en partie, à une série d’innovations technologiques – et notamment au traçage public (controversé) des personnes infectées. En Chine, les pouvoirs publics ont fait appel à des entreprises technologiques comme Alibaba et Tencent pour suivre la propagation du Covid-19 et se servent du big data pour anticiper l’émergence de foyers de transmission. Si le gouvernement en conclut que les “villes intelligentes” comme Shenzhen sont plus sûres d’un point de vue sanitaire, on peut logiquement s’attendre à une banalisation du traçage et de l’enregistrement de nos faits et gestes en zone urbaine – et à des débats houleux sur le pouvoir que ce type de surveillance confère aux entreprises et aux États.
Le spectre de l’autoritarisme. De fait, le risque d’un autoritarisme larvé – par le biais de la normalisation, voire de la pérennisation, des mesures d’urgence – devrait être au cœur de nos préoccupations, prévient Richard Sennett : Si vous revenez en arrière et que vous regardez les dispositions qui ont été prises pour gérer les villes en période de crise, de la Révolution française aux attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, vous vous apercevrez que bon nombre d’entre elles ont mis des années, voire des siècles, à disparaître.” Dans un contexte d’ethno-nationalisme exacerbé sur la scène mondiale, qui a vu la droite populiste arriver au pouvoir dans quantité de pays, du Brésil aux États-Unis, en passant par l’Inde et la Hongrie, une des conséquences du coronavirus pourrait être l’enracinement des discours politiques exclusionnistes, appelant à la création de nouvelles frontières autour des zones urbaines – supervisées par des dirigeants qui ont la capacité juridique et technologique (et la volonté politique) de les ériger. Par le passé, après des crises sanitaires de grande ampleur, les communautés juives et d’autres groupes mis au ban de la société, comme les victimes de la lèpre, ont été pris pour cible par la population majoritaire. Les références de Donald Trump au “virus chinois” laissent entrevoir que cette pandémie pourrait à son tour entraîner ce genre de stigmatisation sinistre. Les nouvelles solidarités
Sur le terrain, les réactions au coronavirus ont toutefois été très différentes d’une ville à l’autre dans le monde. Après des décennies d’éparpillement, en particulier des jeunes urbains poussés au nomadisme et précarisés par le coût exorbitant des logements, la prolifération soudaine de groupes d’entraide – visant à organiser l’aide locale au profit des plus vulnérables pendant le confinement – a rapproché les voisins par-delà les tranches d’âges et les fractures démographiques. Paradoxalement, la distanciation sociale a rapproché certains d’entre nous plus que jamais. Reste à savoir si ces groupes d’entraide survivront à la fin du coronavirus au point d’avoir une incidence significative sur la ville du futur. Cela dépendra, en partie, des enseignements politiques que nous saurons tirer de cette crise.
La vulnérabilité de beaucoup de citadins – pas seulement en raison de la crise sanitaire, mais aussi de leur expérience de la ville au quotidien – apparaît au grand jour, comme les personnes âgées dans le besoin ou les travailleurs précaires ou indépendants qui n’ont pas de matelas financier sur lequel se reposer, et qui exercent pourtant un travail dont nous dépendons tous. Le fait de voir la société comme un collectif plutôt que comme un agglomérat d’individus cloisonnés pourrait conduire l’opinion à réclamer davantage de mesures interventionnistes visant à protéger les citoyens – une tendance à laquelle les gouvernements pourraient avoir du mal à résister, puisque la crise du coronavirus les a déjà poussés à renoncer à la primauté du marché.
Des raisons d’être optimistes. Les hôpitaux privés subissent d’ores et déjà des pressions pour ouvrir leurs lits aux personnes dans le besoin, sans frais supplémentaires. À Los Angeles, des sans-abri ont investi des logements vacants, avec le soutien de certains parlementaires. Cette tendance marquera-t-elle le pas une fois la crise passée, ou bien l’intérêt de la collectivité continuera-t-il de primer sur celui des entreprises – par exemple via un encadrement plus strict des loyers ? Nous n’avons pas la réponse à ce jour, mais les nouvelles interconnexions inattendues qui fleurissent dans nos villes sous l’effet de la pandémie offrent peut-être une raison d’être optimistes. “On ne peut pas faire abstraction du facteur humain, observe Karen Harris, et, en règle générale, c’est tant mieux.” Pour Richard Sennett, il n’est pas impossible que nous soyons en train d’assister à un bouleversement des rapports sociaux urbains : Les citadins se découvrent certaines aspirations dont ils n’avaient pas conscience jusque-là : des aspirations à plus de contacts humains, à tisser des liens avec des gens différents d’eux.”
Reste à savoir si cette évolution de la vie citadine sera aussi durable que le réseau d’assainissement de Joseph Bazalgette sous le quai Victoria.
Jack Shenker
Les temps de la vie et les temps de la ville, une réconciliation nécessaire : Les leçons du COVID 19
Il semble que Le COVID 19 nous donne une dernière chance pour que nous amorcions une mutation radicale dans notre rapport aux temps et à la ville. La pandémie mondiale de COVID 19 nous a contraint à ralentir nos modes de vie et nos contacts physiques afin de limiter une contagion exponentielle. Une parenthèse inédite qui doit questionner notre vision du "vivre ensemble" dans un monde de l'urbain dense et de "Nature" oubliée. Un nouveau tournant se dessine pour l'humanité: Comment concevoir le jour d'après ? Le jour d'après nos excès, le jour d'après notre insouciance, le jour d'après nos égoïsmes. Il semble que notre époque vive une mutation radicale dans son rapport au temps et aux écosystèmes. L'apparition d'un nouveau coronavirus, plus virulent que les autres, nous oblige à nous remettre en question en nous offrant une parenthèse de réflexion.
Nos modes de vie sont-ils pérennes ? Le temps long serait-il un remède face aux accélérations imposées par la mondialisation comme une fuite en avant ? Les temps des différents territoires d'un pays sont t-ils les mêmes que ceux des capitales et des grandes villes.
Les politiques doivent se mettre en ordre de bataille pour soutenir les nouvelles mutations, comme ils l'ont fait face au virus. Mais ils ne le feront que si les impulsions viennent de la société civile.
1/ Comment prendre en compte le temps des uns et le temps des autres ?
Nous avons différents rapports au temps. Certains le consomment, ceux sont les adeptes de la société marchande, certains le dégustent, ce sont les épicuriens de la vie, certains le redoutent, ceux sont les angoissés du système, certains le remplissent, ceux sont les boulimiques de l'action. Nous changeons de catégorie dans les différentes étapes de la vie. Mais en 2020, le temps des femmes est toujours plus contraints que le temps des hommes et les temps des différentes générations s'éloignent pour ne plus se rejoindre.
Le temps de replis du COVID n'a pas été perçu de la même manières par toutes ces populations. Mais tous, sans exceptions, ont découvert que le temps partagé était le pilier nécessaire d'une vie plus solidaire , moins individualiste et donc mieux remplie. Nous avons découvert ou redécouvert des liens de solidarité envers les plus âgés, les plus pauvres, les plus indispensables à une vie en société. Ainsi ont été mis en avant les travailleurs fonctionnels et les personnels de santé. Ces 20 dernières années, les épicuriens de la vie se sont éloignés des grandes villes. Ils ne veulent plus s'adapter, ils veulent résister. Ils ont lancé des courants alternatifs comme les slow cities. Les adhérents à ces mouvements, de plus en plus nombreux, questionnent notre façon de faire société. Les dirigeants politiques et les décideurs publics ou privés n'en ont pas encore mesuré et anticipé les effets.
Quelles réponses mettre en œuvre pour aménager le territoire et que chacun puisse se retrouver dans une ville ou un village apaisé ?
2/ Comment recomposer les villes et les territoires périurbains et ruraux pour apaiser nos rapports aux temps ?
Le rapport au temps actuel, exacerbé par le capitalisme financier mondialisé, menace l'intérêt général et l'équilibre des individus. Réchauffement climatique, atteinte à la biodiversité, pénurie énergétique, risque d’asphyxie urbaine, épidémie d’obésité : autant de sujets majeurs qui souffrent de n’être traités que dans l’urgence – quand ils sont traités…
Nos modes de vie sont remis en question. Nous avons besoin désormais de plus de réflexion et de moins de conditionnement. La prise de risque et l’expérimentation sont la marque des nouvelles politiques qui se dessinent en ce sens, pour commencer à rompre les dépendances automobiles et pétrolières.
Nous vivons encore dans des zonages hérités du passé, zones résidentielles, zones commerciales, zones artisanales, zones d'aménagement concertées, zones portuaires etc... La charte d'Athènes n'est encore pas remise en cause. La prise en compte des rythmes temporels interroge l’égalité sociale, la démocratie, l’efficacité des modes d’organisation urbaine, notre conception de la vie et de la ville. Bref, toutes les dimensions du développement durable. Il est devenu nécessaire de concilier aménagement de l’espace ET organisation temporelle. L'action du temps doit donc être une composante de l'action urbanistique.
Les collectivités locales qui se sont engagées dans des politiques « temporelles » avaient la conviction que le temps, dans toute sa diversité, était un élément clé de la qualité de vie des citoyens, de la réduction des inégalités et de la cohésion sociale, mais également d’un développement territorial soutenable. Cela concernait les durées et horaires de travail des entreprises et des administrations, les temps de trajets, les temps d’accès aux services, mais également les temps familiaux, de loisir, de la citoyenneté, etc. Ces politiques ont "Le temps juste", ce n’est ni la dictature du présent dans laquelle nous vivons, avec nos précipitations et nos gesticulations, ni le temps abandonné de nos procédures administratives et judiciaires.
La crise sanitaire a mis en évidence une résilience plus rapide dans les villes, villages et des quartiers solidaires. Ils réinventent plus rapidement une autre façon d'interagir entre habitants. Les circuits courts , le télétravail, l'agriculture périurbaine, la concertation, les déplacements sont repensés et remis en place plus rapidement . Le dialogue entre porteurs de projets est plus intensif. Mais cette démarche nécessite des moyens et des outils afin de faire adhérer la population.
Les bureaux de temps ont vu juste en se mettant à l'écoute de tous les habitants.
Ces outils créés dans les années 2000 n'ont été mis en place, en France, que dans quelques villes seulement. Leurs données indiquent que les orientations des politiques temporelles locales font sens, notamment au regard d’une augmentation du désir de la maîtrise du temps par les individus. En effet, l’augmentation des temps consacrés aux trajets en général et plus particulièrement aux trajets domicile-travail, ou encore la baisse tendancielle du temps dédié au sommeil sont des indicateurs de l’accélération des temps de vie et sont porteurs d’une augmentation du stress et d’une baisse de la qualité de la vie. Une mutation radicale dans notre rapport au temps et aux autres s'impose afin d'entamer une autre " aire temporelle".
Janine BELLANTE,
Vice présidente du Conseil français des urbanistes,
membre d'Urbanistes des territoires. mai 2020
Bibliographie
- Site Ville de Paris . comment fonction le bureau des temps? 27/07/2012
- Revue Relations n° 702: Un frein à la vitesse par Paul Ariès
- Site du Grand Lyon tempoterritorial@yahoo.fr: Comment mieux articuler rythmes de vie et rythmes des territoires. Décembre 2010
- www.espacedestemps.grandlyon.com : Expérimenter par des chantiers temporels innovants - Revue M3 n°3 automne 202 Plus vite! s'adapter ou résister
- Région de Lombardie: Loi régionale du 28 octobre 2004 " Politiques régionales pour la coordination et l'administration des temps des villes.
- Commune de Chaudfontaine: Maison de la Presse liège; 04/05/2009 Adhésion aux programmes Cittaslow
- Loi régionale ITALIE 28 octobre 2004, n° 28 POLITIQUES REGIONALES POUR LA COORDINATION ET L’ADMINISTRATION TEMPORELLE DES VILLES
- La Lettre du cadre numérique 10/02/2011 Les bureaux du Temps : 10 ans de recul Un article de Séverine Cattiaux
- Une ville à temps négociés: Recherche et expérimentations sur les temps de la ville en Europe par Jean-Yves Boulin. Les annales de la recherche urbaine n°77
"la ville, on l'aime, on la subit ou on la quitte"
| 19 MAI 2020 | MODIFIER (/URBAIN.HTML?TASK=ARTICLE.EDIT&A_ID=41004&RETURN=AHR0CHM6LY93D3CUAW5UB3ZHCHJLC3NLLMNVBS91CMJHAW4VNDEWMDQTZW4TY291CNMTCGHPBGLWCGUTZH (/urbain/41004-en-cours-philippe-druon.html) 19/05/2020 Philippe Druon (CFDU) : "la ville, on l'aime, on la subit ou on la quitte" - INNOVAPRESSE https://www.innovapresse.com/urbain/41004-en-cours-philippe-druon.html?tmpl=component&print=1&layout=default&page= 2/2 L'URBAIN (/URBAIN.HTML)
Pour Philippe Druon, président du Conseil français des urbanistes (CFDU), il est essentiel de "réparer la ville et les territoires", en sortant de l'ornière ville-campagne. Il insiste sur l'importance de penser les mobilités "à l’intérieur et entre les territoires". Et souligne la nécessité de reconnaître "ceux qui ont été dans l’appareil productif ces deux derniers mois [...] par de bons logements et une qualité de vie satisfaisante".
Pensez-vous qu’il y aura une rupture dans la manière de faire la ville, avec un avant et un après crise sanitaire ? Le foisonnement des plateformes de recueil d’idées et les intellectuels qui sont en train de bouger montrent qu’il y a une nécessité de revoir la ville et ses territoires. Toutes ces choses étaient en train de se faire du temps de la crise environnementale. La crise sanitaire constitue un prétexte, mais je ne suis pas sûr qu’elle en soit la cause. Je la vois plutôt comme le catalyseur ou le révélateur. On ne peut pas dire que la crise sanitaire à elle toute seule change beaucoup de choses, mais elle est le dernier échelon qui acte le fait que nous avons besoin de faire bouger les choses, après la crise environnementale et la crise sociétale. La crise sanitaire a remis en cause des phénomènes de mondialisation. La métropolisation et la France des territoires avaient été remis en cause par les gilets jaunes. Il y a un cumul qui fait que le schéma ancien n’est plus bon. Nous faisons face à un dilemme. Pouvons-nous y arriver par modication d’un système ou aurons-nous une rupture ? Les observateurs de la vie sociétale pensent toujours que nous avons le choix entre l’homéopathie et le débrillateur. Je pense qu’il est plus facile de sortir le débrillateur et de repartir sur un autre rythme cardiaque et un autre métabolisme de la ville, parce que l’homéopathie est lente et n’est pas compatible avec le temps court qui s’impose à nous.
Le paradigme de la densication et de faire la ville sur la ville aura-t-il encore sa place au sortir de la crise ? Il faut sortir de l’ornière ville-campagne, de l’ornière ville-densité, et de l’ornière campagne étalée. Tout cela est toujours un peu réducteur. Il faut plutôt aborder les sujets de la qualité de la ville, de la qualité de la campagne. Là où nous n’avions pas cette qualité, il faut réparer la ville et les territoires. Pendant longtemps, nous avons été incontinents en pavillonnaire et des poches territoriales se sont formées. Il faut sortir de ça et remettre de la qualité urbaine et dans les territoires, sans les opposer, en trouvant les complémentarités. Remettre de la nature en ville, notamment, a un sens énorme parce que ça a beaucoup manqué. La densité ne m’intéresse pas vraiment - c’est la caractéristique de la ville -, au contraire de la notion de qualité des quartiers. A une certaine époque, nous avons fait des Zac et des opérations d’extension et d’aménagement. Mais aujourd’hui, on se rend compte que ce n’est plus forcément à coup de croissance qu’on va y arriver, mais plutôt dans un urbanisme de réparation. Il faut y aller avec des pincettes au moment où la frugalité va s’imposer. Nous allons être en période de stabilité, et je pense même qu’un certain nombre de ville vont devoir travailler avec la décroissance. La société va se détourner des gros investissements pour des choses plus nes, moins coûteuses, et plus participatives. Sans parler de la métropole, qui vit sur un schéma différent, de nombreuses villes ont connu une désertion de leurs centres et ont besoin de politiques de logement. Tant qu’elle sera un pied d’immeuble commercial, la ville ne marchera jamais. Ça suppose d’être intelligent pour refaire les accès au logement, en retrouvant de la souplesse, et en étant moins normatif. Il y a des choses plus nes à faire que la destruction-reconstruction d’un quartier. Nous n’étions pas vraiment rodés à cet exercice, nous étions dans le dur et il faudra être plus dans la souplesse et l’agilité, ce que font déjà les managers de quartiers.
Comment appréhendez vous l’évolution de la relation ville-campagne ? Partons d’un constat : quand le début de la crise sanitaire s’est déclaré, 1,2 million de personnes ont quitté Paris. La ville, on l’aime, on la subit ou on la quitte. Il y a des urbains natifs qui ne considèrent leur vie qu’en ville, il y a ceux qui la subissent, notamment dans des logements exigus de très mauvaise qualité, loués par des bailleurs indécents, en Seine-Saint-Denis par exemple, et il y a ceux qui avaient une maison à l’île de Ré et qui ont pu s’expatrier. Il faut trouver la solution pour ces trois classes même si je ne me soucie pas beaucoup de la dernière. On voit par exemple que les logements des années 60 à 80 étaient de mauvaise qualité, or si on veut réconcilier la ville avec les habitants, il faut retrouver une qualité des logements. Des personnes se sont évadées, à partir des années 70, pour la campagne avec une mentalité d’urbain, ont acheté des terrains isolés parce qu’elles n’avaient pas la volonté de faire société à la campagne. Il est vrai que la ville est invivable à cause de la voiture et la campagne est invivable sans la voiture. Les rapports entre la ville et la campagne sont des rapports de mobilité et d’interdépendance - dans le sens où la ville est consommatrice et la campagne nourricière. Ces problèmes de mobilité sont à régler à l’intérieur et entre les territoires. Ceux qui ont bénécié de bonnes mobilités, ce sont les villes, et il n’y a pas eu de réexion sur la campagne. Tant qu’on a de quoi remplir les réservoirs, la mobilité basée sur la voiture fonctionnera mais il va falloir anticiper le problème. Le succès important des zones de covoiturage témoigne pourtant de l’envie d’utiliser un transport en commun. Il faut considérer que les villages, bourgs et petites villes ont été délaissés sur ce thème des mobilités. Et si j’insiste sur ce thème, c’est qu’il est extrêmement important dans les rapports entre les personnes. Si on veut des gens qui s’ignorent, il faut favoriser la voiture, si on veut des gens qui se frottent, il faut favoriser les modes doux. Entre une sortie d’école avec un parking et une sortie avec une place interdite à la circulation, vous voyez des rapports sociaux bien différents. La manière de faire la ville a une inuence énorme sur les rapports entre les personnes
Va-t-il falloir penser à une nouvelle manière d’aménager les espaces publics ? Michel Corajoud disait : "le meilleur espace public est celui qui a une destination autre que celui pour lequel on l’avait conçu". Il y a une appropriation totale de l’espace qu’on offre aux gens. Il ne faut pas forcement ger les aménagements avec du marbre et il faut laisser l’espace vivre. Je suis un convaincu de la règle des trois M : Mixité - sociale, générationnelle -, Mutabilité - la ville a besoin de s’adapter, et même la ville ancienne mute facilement - et Mutualisation - si elle n’est pas mutualisable, c’est un gâchis économique. Il faut à tout prix qu’on acte le fait que l’espace public, qui est le lieu de socialisation privilégié, ne soit pas accaparé par la voiture. François Ascher a dit : "la rue n’est pas le dehors de chez soi, elle est le dedans de la ville, par essence collective". Pour moi, ce dedans de la ville est le lieu de fabrication de la société. Cette dernière se fait dehors, sur une place de marché, devant une école.
La crise a agi comme révélateur des inégalités sociales. Quel rôle les urbanistes ont-ils à jouer dans la réduction de ces dernières ? L 'urbanisme est avant tout une science sociale. Le cadre de vie, sur lequel nous travaillons, est à la fois cadre – cela suppose qu’il est rigoureux – mais permet aussi de travailler sur l’envie d’avoir une population qui vit bien. Tant que nous ferons des opérations élitistes, nous n’aurons pas réglé le problème. Fernand Pouillon, qui a construit Marseille et Alger, disait qu’il faut faire ce qu’il y a de mieux pour les plus humbles. L’utopie a toujours été productrice d’idées très généreuses, à l’instar des cités jardin ou du familistère de Godin, qui se basait sur l’idée très noble de considérer les ouvriers comme primordiaux dans l’appareil productif. Qui avait-on sur les ronds-points des gilets jaunes : du personnel de service, des soignants, des routiers. Ce sont ceux qui ont été dans l’appareil productif ces deux derniers mois. Ceux qui ont fait marcher la France, pour beaucoup, sont les gilets jaunes. Il faut comprendre ce problème et se rendre compte qu’il y a eu une France à deux vitesses, pendant la crise sanitaire : ceux qui télétravaillaient et ceux qui étaient au charbon. Or, les personnes dans l’appareil productif, touchées par les inégalités, ont besoin d’être reconnues par de bons logements et une qualité de vie satisfaisante, sans quoi nous nous exposons à une nouvelle crise sociale.
Quel sera le rôle du Conseil français des urbanistes dans cette transition ? C’est un conseil au sens anglais du terme, c’est celui qui rassemble. Il tente de fédérer, d’animer et de mettre en présence les urbanistes. Cela donne un sens à nos universités d’été, où l’on choisit un thème et on en débat. Cette année, il était prévu de faire une réunion sur les nouveaux territoires de l’utopie, à Reims. Sous réserve de la crise sanitaire, nous irons finalement au familistère de Guise sur le sujet "entre utopie et monde d’après". Nous avons un rôle contributif et nous allons écrire un texte des urbanistes sur le thème de l’utopie, en travaillant avec le groupe frugalité heureuse. Nous allons d’ailleurs faire évoluer et rassembler l’ensemble des parties de l’urbanisme au sein de l’association Profession Urbaniste.
Antoine TORRE
Une autre société est possible ! Le retour des utopies.
URBANISTES ENTRE UTOPIES ET “MONDE D'APRÈS”
Monde d'après...
On peut rêver du monde d'après. On doit même le faire et il n'est pas si difficile de l'imaginer. Il sera plus dur de convaincre d'en prendre le chemin.
Chacun peut convenir qu'il faudra accéder à plus de justice sociale, salariale, à plus d'écoute et même de pouvoir citoyen, à une meilleure protection de notre environnement, à un retour de la nature en ville (merci AgroCité !), à l'autonomie alimentaire en circuit court, à une maîtrise de l'outil numérique et une meilleure utilisation des réseaux sociaux, à plus de sécurité sanitaire... la liste est longue et d'autant plus fournie que nous avons pris de bien mauvaises habitudes depuis l'après-guerre !
Tous ces objectifs, on le sait, il faudra les concrétiser, pour notre bien, le plus tôt possible.
Le problème que nous avons à résoudre, nous citoyens, c'est celui du passage ou de ce qu'on appelle depuis une bonne dizaine d'années : la transition. Transition écologique, économique, énergétique, démocratique, territoriale, alimentaire, sanitaire : pas un pan de notre société et de son organisation n'y échappe. Ce passage se fera-t-il par une série de longs petits pas ou dans une rupture courte et brutale ? L’homéopathie ou le défibrillateur ? La conversion ou la révolution ? La danse ou la transe ? Dans le film de Charlie Chaplin, "Les temps modernes", Charlot, répétant perpétuellement dans son usine le même geste ne s'en débarrasse, dehors, qu'après une grande transe. Instructeur et visionnaire.
Comment convaincre que nous devons sortir de cette ornière, quitter l'impasse et changer de mode de vie quand, pour le plus grand nombre ou presque, nos modes de vie paraissent égoïstement confortables ? Nous n'avons que peu de temps et la crise sanitaire vient changer la donne. Elle nous révèle à la fois notre fragilité et notre résilience. Fragilité des humains devant un organisme de la taille du nanomètre, résilience d'une société dont les individus sont capables de s'organiser spontanément et très vite pour faire face, fragilité d'un corps politique incapable d'une union nationale au delà des clivages, fragilité d'un système économique fondé sur la croissance et l'exploitation des ressources, comme si elles étaient inépuisables. Fragilité d'une société dépendante d'un État-providence...
L'écueil serait que cette construction du nouveau futur solidaire se fasse sans les citoyens, approprié par quelques sachants - tous pertinents qu'ils soient - voulant imposer une vision non partagée de l'avenir. Car cet isolat et cette absence de partage conduirait le travail immédiatement à sa perte. Ne nous leurrons pas : ce sera dur de convaincre mais cela rend la tâche terriblement passionnante !
Philippe Druon, mai 2020
La mondialisation du confinement - La Vie des idées
La mondialisation du confinement
Une faille dans la planétarisation de l’urbain ?
par Éric Charmes & Max Rousseau , le 12 mai
Si le virus du Covid-19 s’est propagé aussi rapidement, c’est aussi parce que l’urbanisation est désormais planétaire et qu’aujourd’hui les grandes villes sont connectées les unes aux autres, insérées dans des flux internationaux de biens et de personnes.
À l’heure où nous écrivons, les confinements décidés pour juguler la propagation du Covid-19 concernent quatre milliards d’êtres humains. La simultanéité de ces décisions politiques est exceptionnelle. Le résultat sera une récession d’une ampleur inédite depuis les années 1930. Sur tous les continents, les gouvernements ont ainsi brutalement entravé la fluidité des échanges marchands, mis à mal la machine économique et déstabilisé les sociétés. Ils ont également sévèrement restreint les libertés publiques.
Limiter le confinement aux seuls foyers, comme lors des grandes pandémies précédentes (de la Grande Peste, où furent instaurés des cordons sanitaires autour des zones infectées jusqu’aux récentes épidémies d’Ebola, de MERS ou de SRAS), aurait évidemment permis de limiter considérablement l’impact économique et social de la pandémie. Et c’est bien ce qui a été tenté au départ : la Chine, d’où a surgi la pandémie, a circonscrit le périmètre du confinement au foyer de Wuhan, puis à la région dans laquelle s’insère la mégalopole industrielle, le Hubei. Elle est ainsi parvenue à juguler, pour l’instant, la propagation du virus sur son territoire.
L’Italie, premier pays européen concerné par l’épidémie, a initialement tenté de suivre cette voie en restreignant la mise en quarantaine aux seuls foyers. Mais le pays a dû se résoudre à étendre rapidement le cordon sanitaire pour finalement confiner l’ensemble du territoire national. Rares sont les pays qui ont ensuite tenté la stratégie de quarantaine locale ou même régionale. Pourquoi de telles mesures de confinement, aussi peu discriminantes spatialement, et donc aussi coûteuses économiquement et socialement, sont-elles partout apparues comme la seule solution ?
Les caractéristiques propres du virus jouent évidemment un rôle. Certes, le sacrifice de l’économie et de la vie sociale à la santé ne découle pas directement du taux de mortalité du virus : estimé entre 0,4 % et 1,3%, celui-ci est nettement plus faible que les épidémies récentes, et notamment celles du SRAS (11%) et du MERS (34%). En outre, le Covid-19 n’est pas particulièrement contagieux, avec un taux de reproduction (ou R zéro) proche de celui du SRAS, maladie dont on a pourtant su maîtriser la diffusion. Mais il possède des caractéristiques spécifiques, qui rendent sa diffusion particulièrement difficile à contrôler. Il se transmet plutôt rapidement et est difficile à repérer en raison des nombreuses personnes qui, sans présenter de symptômes marqués, n’en sont pas moins contagieuses.
Cette disposition du virus à trouver des hôtes à partir desquels se répandre sans se faire remarquer a joué un rôle essentiel. Cela lui a permis de tirer parti d’une évolution restée relativement silencieuse et mal comprise : l’urbanisation planétaire. Le virus a donc pu se jouer des mesures habituelles de cordons sanitaires et de mise en quarantaine des foyers d’infection. Ce faisant, le règne de l’économie comme enjeu surplombant les politiques publiques est venu se heurter à une nouvelle réalité géographique... que l’économie a elle-même largement construit.
L’urbain déborde la ville
Comment définir l’urbain ? On l’oppose classiquement au rural. Mais quels sont les critères de distinction ? Un groupement dense de quelques milliers d’habitants était désigné comme une ville au Moyen-Age, alors qu’aujourd’hui il évoque davantage la campagne. À l’inverse, un village périurbain de quelques centaines d’habitants situé à proximité d’une métropole peut paraître aujourd’hui plus urbain que de nombreuses villes : ses habitants peuvent en effet accéder rapidement à des ressources bien plus fournies que celles offertes à l’habitant d’une ville moyenne située dans un territoire périphérique (une préfecture d’un département du centre de la France par exemple). Bref, ce que l’on appelle l’urbain doit désormais être dissocié des critères morphologiques à partir duquel on persiste à le qualifier, à savoir la densité et la diversité des activités et des fonctions.
Mais qu’est-ce que l’urbain dans ce cas ? Dans le monde rural traditionnel, on observe la juxtaposition de groupements relativement autonomes. Les villages ont des relations entre eux, mais ils peuvent survivre (presque) indépendamment. À l’inverse, dans le monde urbain, chacun apporte une contribution au fonctionnement d’un ensemble. Dans ce cadre, chacun dépend des contributions des autres pour sa survie. La grande ville, avec ses différents quartiers, est l’incarnation traditionnelle de l’urbain. Aujourd’hui, elle s’est ramifiée spatialement. La ville que l’on dit «globale» est profondément insérée dans des flux internationaux de biens, de personnes, de matières et de capitaux : par exemple le siège social de telle firme sera à Paris, mais ses usines et son service clientèle ne seront plus dans la banlieue parisienne, mais à Wuhan et Rabat.
Les grandes villes sont aussi liées aux lieux de villégiature, comme on a pu le voir avec la migration de leurs habitants au moment du confinement. Ces espaces sont souvent considérés comme relevant des campagnes. Mais celles-ci sont pourtant bien urbaines. Un village de bord de mer ou une station de ski sont tout autant urbains qu’une grande ville, en ce qu’ils fonctionnent avant tout en relation avec d’autres lieux relativement éloignés : ceux où vivent les propriétaires de résidence secondaire, et plus largement les vacanciers. Ces lieux dédiés aux loisirs possèdent par ailleurs une qualité essentielle de l’urbanité : le brassage des populations, entre les saisonniers, les habitants permanents, et les visiteurs qui, dans certains cas, peuvent venir du monde entier.
À une échelle plus restreinte, celle des espaces qui peuvent être parcourus quotidiennement pour aller travailler, les grandes métropoles dépendent directement d’espaces situés bien au-delà du périmètre qu’on leur attribue. Ce sont notamment les espaces ruraux qui accueillent les couches populaires et classes moyennes inférieures qui jouent le rôle de soutiers des économies métropolitaines, comme on l’a vu avec le mouvement des Gilets jaunes.
Bref, l’urbain est aujourd’hui constitué de tout un ensemble de lieux dont les liens se déploient à de multiples échelles géographiques, du quartier, voire du logement, à la planète. Des espaces a priori éloignés des définitions courantes de la ville sont ainsi devenus urbains. C’est le cas, par exemple, des plateformes pétrolières, des mines ou encore des espaces agricoles. Tous sont en effet dépendants de marchés urbains, tant pour leur fonctionnement que pour leurs débouchés. Et les échelles d’interdépendance sont locales tout autant que planétaires : les habitants d’une ville française moyenne embauchent le plombier du quartier tout en consommant de la viande d’animaux nourris au soja latino-américain, en regardant la télévision sur des écrans coréens ou en utilisant du pétrole algérien. Autrement dit, le métabolisme d’un lieu le lie à la planète entière.
Un débat récent, qui a rencontré peu d’échos en France, évoque précisément ces évolutions. Il a été déclenché par la réactualisation du concept d’ «urbanisation planétaire», sur la base d’anciennes propositions de Henri Lefebvre (sur l’extension de la société urbaine et du tissu urbain vers une «urbanisation complète»). Dans un ouvrage publié en 2014, Schmidt et Brenner plaident ainsi pour une refonte complète des catégories d’analyse usuelles, et en premier lieu la distinction entre ville et campagne. Très ambitieux théoriquement, l’ouvrage a suscité d’intenses débats, peinant à emporter l’adhésion, faute notamment de preuves empiriques convaincantes. Pourtant, depuis l’émergence du Covid-19 jusqu’à sa diffusion, et depuis la réponse publique à la crise sanitaire jusqu’à ses conséquences économiques et sociales, beaucoup d’événements récents peuvent être lus et mieux compris au prisme de l’urbanisation planétaire. Ce faisant, cette crise apporte un étayage empirique décisif à cette proposition théorique.
Très schématiquement, l’urbanisation planétaire, dont le déploiement est intimement lié à la globalisation du capitalisme, s’exprime dans quatre processus étroitement interconnectés : la disparition des «mondes sauvages», l’interconnexion mondiale des territoires, le brouillage de la dichotomie entre ville et campagne, et enfin la planétarisation des inégalités urbaines.
Un virus au cœur de l’urbanisation planétaire
Les maladies humaines d’origine animale, dont les zoonoses, représentent 60
% des maladies infectieuses à l’échelle mondiale et trois quarts des nouveaux agents pathogènes détectés ces dernières décennies. Ces maladies viennent pour l’essentiel du «monde sauvage». Elles peuvent certes émerger dans des élevages, mais dans ce cas le virus émerge généralement via des contaminations par des animaux sauvages. Les maladies de type zoonotique ne sont donc pas sans lien avec la fin du «monde sauvage» associée à l’urbanisation planétaire. Dans toutes les régions du globe, les espaces considérés comme sauvages sont transformés et dégradés par l’avancée de l’urbanisation sous toutes ses formes, qu’il s’agisse d’exploiter des gisements, de planter des hévéas ou de construire des villes nouvelles. Cette avancée bouleverse les écosystèmes et établit de nouveaux contacts entre la faune, la flore et les humains.
Les géographes qui ont mené des recherches sur les pandémies récentes, notamment celle du SRAS, ont montré le rôle déterminant de l’avancée de l’urbanisation dans l’émergence des nouveaux agents infectieux. Ce n’est ainsi pas un hasard si les derniers virus les plus importants ont émergé dans des territoires (Chine, Afrique de l’Ouest, Moyen-Orient) où l’urbanisation avance de la manière la plus effrénée, démultipliant les contacts nouveaux entre les sociétés humaines et les mondes restés les plus sauvages.
Cette avancée se traduit notamment par de nouvelles exploitations agricoles intensives. Ainsi, les risques d’émergence de virus ont été démultipliés par l’augmentation phénoménale de la consommation de viande à l’échelle de la planète, et plus particulièrement en Chine. Les élevages, destinés à alimenter les nouvelles classes moyennes des mégalopoles telles que Wuhan, s’étendent dans des espaces toujours plus vastes, conquis sur le monde sauvage. La déforestation en particulier perturbe l’habitat des chauves-souris, dont on connaît le rôle dans l’apparition de nouveaux virus transmissibles à l’homme. Elles sont supposées d’ailleurs être à l’origine de la pandémie actuelle, avec le pangolin comme possible hôte intermédiaire. Si cela était encore nécessaire, l’émergence du Covid-19 vient démontrer la perméabilité de la supposée frontière entre nature et culture, perméabilité que l’urbanisation planétaire vient constamment augmenter.
Un deuxième aspect clé de la thèse de l’urbanisation planétaire est l’émergence de «galaxies urbaines» dont les différents éléments interagissent de manière presque simultanée avec l’ensemble du globe. Le virus est un révélateur de l’importance de cette échelle planétaire. Certes, la grippe espagnole et, avant elle, la peste noire ont été des pandémies mondiales, mais la situation actuelle se singularise par la rapidité de la diffusion du virus. Les enquêtes épidémiologiques menées en France soupçonnent l’apparition de premiers cas dès la fin 2019, alors même que le gouvernement chinois mettait encore en question la possibilité d’une transmission du virus entre humains. Cette rapidité met en lumière toute l’ampleur des flux humains. Au cours des trois premiers mois critiques, entre décembre 2019 et février 2020, 750 000 passagers sont entrés aux États-Unis en provenance de Chine. Couplée à la capacité du virus à se transmettre hors de tout symptômes, l’ampleur des flux humains explique qu’il se soit avéré impossible de contenir les foyers de l’épidémie.
L’accélération de l’urbanisation planétaire a clairement été sous-estimée, ce qui a contribué à l’impréparation des gouvernements. Il y a huit siècles, la Grande Peste avait mis une quinzaine d’années pour parcourir la route de la Soie jusqu’à l’Europe. Les principales épidémies récentes se sont évidemment diffusées plus rapidement, mais nettement moins que le Covid-19. En 2003, quatre mois après l’apparition du SARS-COV, on comptait 1 600 cas de contaminations dans le monde, contre près de 900 000 pour le SARS-COV-2 au bout de la même période, soit 500 fois plus. C’est que la globalisation était encore bien loin d’être ce qu’elle est aujourd’hui : en 2018, on estimait le nombre de passagers transportés par avion à 4,2 milliards, presque trois fois plus qu’en 2003. Et l’aéroport de Wuhan, l’une des principales plateformes de correspondance de Chine, joue un rôle clé dans cette dynamique. Le virus s’est ainsi dispersé hors de Chine à une vitesse que peu de gens avaient vraiment anticipé.
Personne n’ignore que beaucoup de biens sont importés de Chine, mais on imagine surtout des usines qui fabriquent à profusion, et à bas coût, des objets qui permettent aux classes populaires occidentales de continuer à faire partie de la société de consommation. On est pourtant loin du simple échange des biens à bas coût contre des biens à haute valeur ajoutée. Les flux sont beaucoup plus complexes et multiformes du fait des délocalisations et de la planétarisation des chaînes de fabrication. On trouve ainsi à Wuhan une centaine d’entreprises françaises, dont des fleurons nationaux, notamment Renault et PSA. Loin du bas-de-gamme associé à la Chine, leurs usines produisent des centaines de milliers de véhicules, en misant sur la globalisation du style de vie occidental. Ces relations économiques s’accompagnent d’intenses flux humains de cadres, de techniciens ou de commerciaux qui s’ajoutent aux personnes qui gèrent les flux logistiques.
Avec le Covid-19, l’Europe a appris à ses dépens que la Chine fait intégralement partie de son monde, ou plutôt qu’elle n’est plus qu’un élément d’un vaste réseau dont les territoires chinois sont d’autres éléments clés, des immenses exploitations productrices de tomates destinées à l’exportation, aux usines suburbaines de métropoles plus grandes que Paris mais au nom inconnu du grand public, en passant par des centres d’affaires dont la verticalité donne une allure presque provinciale à la Défense.
Troisième élément central de la thèse de l’urbanisation planétaire : la métropole n’est plus réductible à la ville dense et verticale. Certes, les haut-lieux du pouvoir économique, (notamment financier), s’incarnent dans des quartiers d’affaires hérissés de tours. Mais ce n’est là qu’une figure de la métropolisation, et même de la ville. Loin de se réduire à un centre historique et à un quartier d’affaires, la métropole contemporaine doit plutôt s’appréhender comme un entrelacs de réseaux qui mettent quotidiennement en relation des lieux de formes, de tailles et de fonctions très diverses. Brenner et Schmidt évoquent un processus continu d’«implosions/explosions», où des îlots de densité surnagent au milieu de traînées irrégulières d’urbanisation diffuse. Largement partagé en géographie urbaine, ce constat a été singulièrement confirmé par la localisation des foyers d’infection par le SARS-COV-2. Ces foyers révèlent en effet des interconnexions souvent insoupçonnées, ou en tout cas rarement mises en avant.
Les discours sur la géographie de la mondialisation opposent souvent des cœurs métropolitains connectées à des territoires laissés de côté, ceux de la France périphérique. Or la diffusion du virus révèle une géographie de la globalisation bien plus complexe, dont la thèse de l’urbanisation planétaire rend bien compte. En France les premiers foyers ont été Méry-sur-Oise (une commune de 10 000 habitants, située aux confins de la banlieue parisienne), Les Contamines-Montjoie (une station de ski alpine), La Balme-de-Sillingy (un village du périurbain d’Annecy) et une église évangélique de Mulhouse. On est loin des cœurs des grandes métropoles françaises. En Italie, les premiers foyers ont également été des villages ou des petites villes (Codogno ou Vo’) plutôt que les quartiers centraux de Milan ou de Venise.
Avec ces premiers foyers européens, le virus a révélé le rôle des périphéries métropolitaines dans la mondialisation des chaînes de valeur industrielles. C’est que les flux ne concernent pas seulement les quartiers d’affaires des grandes villes : ils se tissent avant tout entre des lieux de production. L’intensité des liens entre les usines textiles du Val Seriana et la Chine explique pourquoi ce territoire périurbain situé au nord-est de Bergame est devenu l’un des premiers foyers italiens. Et en Allemagne, l’infection a été repérée pour la première fois à Starnberg, commune de 20 000 habitants située à une vingtaine de kilomètres de Munich, mais connectée au reste du monde par son usine d’équipements automobiles. Bien sûr, les centres des grandes villes sont devenus aujourd’hui les principaux épicentres de l’épidémie (ce dont New-York est devenu l’exemple le plus éloquent), au point que certains mettent en cause ce qui jusqu’ici apparaissait comme un atout économique : la densité et l’intensité des échanges qu’elles permettent. Il n’en reste pas moins que les premiers foyers européens n’ont pas été identifiés dans les cœurs métropolitains.
Résumons l’essentiel : face au brouillage des périmètres urbains, face à l’étendue des réseaux formés par les noyaux d’urbanisation et face à l’intensité des flux qui parcourent ces réseaux, il s’est rapidement révélé impossible d’isoler des foyers. Les seuls cordons sanitaires qu’il a été possible de mettre en place sont les bonnes vieilles frontières nationales. Et encore ces frontières restent-elles souvent assez perméables, faute de pouvoir rompre les chaînes logistiques internationales, ou de pouvoir se passer des travailleurs frontaliers.
La planétarisation des inégalités urbaines
Un quatrième élément, central, caractérise enfin l’urbanisation planétaire : la reconfiguration de la dimension spatiale des inégalités. L’urbanisation des inégalités ne date bien sûr pas d’hier. Permise par la révolution néolithique, l’apparition des premières villes repose sur l’extraction d’un surplus agricole au détriment de l’autosuffisance paysanne, afin de nourrir une classe libérée des contraintes de la production alimentaire. Plus près de nous, la ville médiévale, dont les limites sont encore relativement nettes, s’organise autour d’un lieu central, lui-même clairement identifié et matérialisé : un marché. D’après Max Weber, celui-ci permet l’émergence d’une classe sociale, la bourgeoisie, laquelle s’engage en retour dans un processus d’accumulation. En repoussant les barrières féodales ou religieuses, et en intégrant un arrière-pays de plus en plus éloigné dans l’économie urbaine, cette accumulation jette les bases du capitalisme. Et de fait, l’un des chapitres de l’ouvrage de Schmidt et Brenner montre comment la restructuration complète des campagnes anglaises constitue in fine un processus d’extension de la ville et du pouvoir de sa bourgeoisie qui allait progressivement jeter les bases de la révolution industrielle. Les enclosures ont en effet appuyé la transformation de millions de paysans sans terre en une main-d’œuvre bon marché, en les poussant vers les faubourgs de Londres et Manchester.
L’urbanisation prend ensuite progressivement le relais de l’industrialisation comme principal moteur du capitalisme. Il est dès lors possible de lire sa planétarisation comme la phase ultime de l’extension des relations hautement inégalitaires qu’elle tisse entre les territoires. Bien sûr, ces processus s’accompagnent de l’apparition de classes moyennes dans des pays où elles n’existaient pratiquement pas. Mais, à l’échelle mondiale, ce sont les plus riches qui tirent le plus de bénéfices de la globalisation. Et ces différences se lisent dans l’espace. Par exemple, les travaux récents menés à l’échelle internationale concluent en l’existence d’une «gentrification planétaire» qui voit les plus aisés s’approprier les cœurs des principales métropoles. Cette appropriation s’accompagne de la mondialisation d’une forme de ségrégation puisque, dans toutes les grandes métropoles, les classes populaires se trouvent rejetées de plus en plus loin en périphérie. Même les favelas du centre de Rio subissent les pressions de la gentrification.
Ces inégalités jouent un rôle majeur dans l’impact du Covid-19 sur nos sociétés. En effet, les pandémies surviennent plus particulièrement durant les périodes d’accroissement des disparités sociales. Peter Turchin observe une corrélation historique entre le niveau des inégalités, l’intensité des liens entre territoires éloignés, et la violence des pandémies. En effet, plus une classe s’affirme dans son aisance, plus elle dépense dans la consommation ostentatoire, souvent dans des produits de luxe originaires de lieux éloignés. Or les virus voyagent avant tout avec le commerce de longue distance. Ce fait n’est pas nouveau : l’effondrement presque simultané des empires chinois et romain dans les premiers siècles de notre ère s’explique en partie par la virulence des épidémies qui se diffusaient le long des routes commerciales. Mais les mobilités étaient alors sans commune mesure avec celles d’aujourd’hui. Pour les flux humains mondiaux, la différence est particulièrement marquée pour les classes supérieures. Leur sociabilité a toujours été internationale, voire cosmopolite. Mais leur mobilité a pris une nouvelle dimension sous l’effet de la globalisation, et de l’urbanisation planétaire. Dès lors, face à un nouveau virus à la fois hautement social et difficilement détectable, les classes supérieures se sont présentées comme un potentiel super-diffuseur collectif. Et cela a bien été leur rôle pendant l’hiver 2020.
Des enquêtes seront nécessaires pour préciser les canaux de diffusion du virus, mais la rapidité de cette diffusion a d’ores et déjà révélé l’importance des séminaires internationaux, des flux d’étudiants, des déplacements touristiques et professionnels. Ces flux, et notamment ceux sur lesquels repose la mondialisation industrielle, ont allumé les premiers foyers européens, qui ont ensuite contribué à diffuser le virus non seulement dans l’ensemble de l’Europe, mais aussi vers d’autres continents, notamment l’Afrique. Ces premiers foyers sont apparus socialement peu sélectifs, illustrant le fait que la mondialisation se fait aussi par le bas et pas seulement via des déplacements de cadres ou de touristes aisés. Ainsi, les adeptes de la Porte ouverte chrétienne, dont le rassemblement à Mulhouse a été un des premiers foyers français, ou de l’église Shincheonji de Jésus en Corée du Sud, ne s’apparentent pas aux catégories supérieures. Et la désormais fameuse «patiente 31», à l’origine de 80
% des infections en Corée du Sud, n’avait pas voyagé. Elle ne faisait donc pas partie des élites voyageuses.
Pourtant, quand on reprend la chronologie des différents foyers identifiés de par le monde, on est frappé par l’importance des lieux fréquentés par les classes supérieures. Au Brésil, c’est depuis un club de plage de Rio, le plus select du pays, que l’épidémie s’est propagée. À Hong-Kong, les premiers foyers sont apparus dans des hôtels de haut standing (comme pour le SRAS d’ailleurs). En Égypte, c’est une croisière sur le Nil qui a entraîné l’infection d’une partie des passagers (surtout originaires d’Europe et d’Amérique du Nord), mais aussi de l’équipage égyptien. En Australie, une croisière est aussi en cause : le virus s’est propagé avec les passagers infectés disséminés dans le pays après avoir débarqué d’un paquebot. En Norvège, en Islande, au Danemark, en Suède ou Finlande, la diffusion du Covid-19 est liée à des retours de vacances dans des stations de ski des Alpes, et notamment celle d’Ischgl. En Europe de l’Est, la pratique du ski est aussi en cause : c’est des restaurants et des clubs huppés de Courchevel que le virus est parti vers la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie. Même l’Afrique du Sud a été contaminée via les Alpes : la première entrée identifiée du virus est liée à un vacancier de retour d’un week-end de ski en Italie. Au Mexique et aux États-Unis, des chaînes de contamination se sont aussi constituées depuis les pistes du Colorado. L’Uruguay, quant à lui, a vu ses cas se multiplier à la suite d’un mariage dans la haute société, à laquelle assistait une grande couturière tout juste rentrée de vacances en Espagne. Ces exemples montrent à quel point la propagation du virus s’est notamment appuyée sur des pratiques fondées à la fois sur des interactions sociales intenses dans des lieux confinés (restaurants, conventions, cocktails, clubs) et sur des déplacements internationaux tout aussi intenses. Ceci explique également que la pandémie ait d’emblée lourdement frappé les personnalités politiques de premier plan, groupe partageant le même type de pratiques.
L’impression du caractère élitaire de la contagion internationale a pu être renforcée par la difficulté d’accéder aux tests (ce qui renvoie à une autre forme d’inégalité face à la pandémie). Il n’empêche qu’à la différence de la tuberculose ou du choléra, qui tuent avant tout dans des pays pauvres et des bidonvilles, la nouvelle épidémie n’a pas initialement frappé les quartiers populaires denses. Elle s’est notamment diffusée par les réseaux des classes supérieures, qui prennent appui sur des pratiques de sociabilité multi-localisées, intenses et éphémères. Le cas de Singapour est éloquent. Le premier cas confirmé remonte au 23 janvier. Il concerne un Chinois originaire de Wuhan de passage dans un resort haut de gamme. Les premières infections non importées sont repérées le 4 février, dans un magasin fréquenté par des touristes chinois. C’est seulement deux mois plus tard, en avril, que l’épidémie atteint des groupes sociaux nettement plus modestes, avec la déclaration d’un foyer dans un dortoir de travailleurs migrants. Compte-tenu de la dynamique de l’épidémie, ce décalage dans le temps est considérable.
Le virus a donc d’abord largement frappé les groupes qui bénéficient le plus de l’urbanisation planétaire. Il s’est diffusé à la faveur de leur mobilité. C’est ce qui fait que l’Europe s’est très rapidement substituée à la Chine comme principale propagatrice du virus. De fait, les données phylogénétiques le confirment : la diffusion du virus en Afrique vient avant tout d’Europe. Même en Inde, si les premiers cas sont liés à la Chine, les premiers foyers sont liés à l’Europe. Se dessine alors, au cours de cette seconde phase de la pandémie, une autre mondialisation, caractérisée par des flux entre la plaque tournante européenne et les pays nouvellement infectés.
Cette coloration européenne du virus dans les premières étapes de sa propagation hors d’Asie de l’Est explique ainsi la diffusion du néologisme de «coronisation» en Afrique puis en Inde. L’association initiale du virus aux classes aisées explique quant à elle pourquoi au Mexique, un gouverneur a pu prétendre publiquement que les pauvres étaient immunisés contre le Covid-19. De même, dans les quartiers noirs des États-Unis, il a, un temps, pu être perçu comme une maladie de «Blancs riches».
Des flux de la mondialisation aux quartiers populaires
Ces idées ont fait long feu. Dans un second temps, le virus s’est plus largement diffusé, à la fois spatialement et socialement. Là encore, la thèse de l’urbanisation planétaire aide à comprendre comment. D’abord, la mondialisation a aussi ses soutiers. Le cas de Singapour l’illustre : même si c’est à un rythme nettement plus lent que pour les catégories aisées, le virus a aussi été transporté par ceux que l’on appelle des migrants plutôt que des expatriés. Les conditions de vie de ces derniers, avec la promiscuité propre aux dortoirs, a favorisé une contagion marquée, plus difficilement contrôlable que dans les condominiums des quartiers aisés. D’une manière générale, la distanciation sociale est difficile dans les bidonvilles, figures majeures de l’urbanisation planétaire, qui abritent une proportion considérable de la population des grandes métropoles africaines, latino-américaines ou asiatiques.
Le virus s’est également diffusé en suivant les réseaux constitués par les systèmes métropolitains. Les migrations qui ont suivi le confinement ont démontré toute l’étendue et la diversité de ces interdépendances, bien au-delà des banlieues et des couronnes périurbaines. Ces migrations ont été empêchées dans certains pays comme la Chine ou la Norvège. Mais, en Inde ou dans plusieurs pays d’Afrique, on a pu voir l’importance du nombre de migrants et la précarité de leur statut au cœur des grandes métropoles : le retour à la campagne a pour eux été une question de survie. Dans les pays riches où la mise en œuvre du confinement a été relativement permissive, comme aux États-Unis ou en France, on a pu voir les étudiants retourner chez leurs parents quand ils le pouvaient et les plus aisés quitter les cœurs métropolitains pour des lieux de résidence plus confortables. L’analyse de l’INSEE montre ainsi que 11% des résidents parisiens ont quitté la ville. Les départs des plus aisés vers leurs résidences secondaires ont marqué les esprits. En France ou aux États-Unis, de nouvelles inégalités spatiales sont ainsi apparues plus clairement, à des échelles beaucoup plus vastes que celles usuellement considérées pour opposer les cœurs de métropoles et leurs banlieues populaires ou même leurs lointaines couronnes périurbaines. L’exode urbain vers les résidences secondaires a nourri une rancœur chez les habitants des territoires d’accueil qui ne sera pas facilement résorbable.
Si la trajectoire de la pandémie met en exergue la spatialité des inégalités, c’est aussi parce qu’à la base de l’échelle sociale, le télétravail a souvent été impossible et que la mobilité quotidienne s’est maintenue, notamment vers les zones denses concentrant les activités. Durant le confinement, ce sont principalement les habitants des quartiers populaires qui continuent à devoir se rendre sur leur lieu de travail et à avoir des contacts (certes des catégories aisées continuent à se déplacer pour travailler, les médecins au premier chef, mais elles sont moins nombreuses en proportion). Ajoutée à la dépendance plus élevée aux transports en commun, cette mobilité a largement contribué à la diffusion du virus dans les classes populaires. Ceci explique pourquoi les quartiers populaires concentrent plus de cas et plus de morts.
Dans le premier foyer repéré aux États-Unis, une maison de retraite de Kirkland, dans la banlieue de Seattle, les employés, en large majorité des femmes, ont fortement contribué à propager le virus. Elles ont en effet été réticentes à évoquer leur contamination, non pas par crainte du stigmate social (comme dans certains milieux aisés au début de la pandémie), mais plus prosaïquement par crainte de perdre leur emploi et par absence de congés maladie. En outre, elles sont fréquemment contraintes de cumuler plusieurs emplois précaires, dont l’un, souvent, dans le secteur de la restauration, domaine d’activité dont on connaît le rôle potentiel dans la diffusion du virus.
Ainsi, le Covid-19 souligne les nouvelles inégalités territoriales fabriquées à travers l’urbanisation planétaire. Si les liens qui se tissent d’un bout à l’autre de la planète bénéficient avant tout aux catégories aisées, les épicentres ont émergé dans des espaces populaires, pourtant à l’écart des foyers initiaux : en France et aux États-Unis, les stations de ski étaient les principaux foyers mais la Seine-Saint-Denis, le département le plus pauvre de France, et Détroit, la plus pauvre des grandes villes des États-Unis, sont devenus les épicentres. À la Nouvelle-Orléans, la pandémie s’est diffusée à la faveur de Mardi gras, importée par les touristes et les fêtards, dont certains avaient eu le bon goût de se déguiser en virus. Ce sont aujourd’hui les quartiers pauvres de la ville qui payent à la maladie l’un des plus lourds tributs de l’ensemble des États-Unis.
Ces inégalités sont en effet redoublées par la haute sélectivité du virus qui, outre les personnes âgées, cible notamment les individus présentant des facteurs de co-morbidité (diabète, insuffisance cardiaque etc.). Or ces affections ne sont évidemment pas également distribuées dans la société et dans l’espace. Aux États-Unis, où les inégalités entre et dans les métropoles sont particulièrement marquées, le virus s’avère nettement plus mortel, d’une part dans les villes à majorité noire (La Nouvelle-Orléans, Chicago, Détroit, Milwaukee), et d’autre part dans les quartiers pauvres, c’est-à-dire dans les ghettos transformés en déserts alimentaires et médicaux sous l’effet des politiques d’austérité. Ainsi, à Chicago, l’écart d’espérance de vie moyenne entre les quartiers atteint jusqu’à 30 ans, soit plus d’une génération. Ce faisant, le Covid-19 ne fait que redoubler des inégalités majeures en matière d’accès à la santé, puisque ceux qui en meurent le plus souvent sont aussi ceux dont l’espérance de vie recule depuis plusieurs années sous l’effet d’autres facteurs (overdoses, suicides, empoisonnement de l’eau, etc.).
Des recherches devront affiner ce qui vient d’être dressé à grands traits et apporteront certainement des nuances, mais le tableau d’ensemble paraît clair : le Covid-19 révèle l’ampleur des inégalités associées à l’urbanisation planétaire, avec d’un côté des classes aisées nomades qui, pour leurs loisirs ou leur activité professionnelle, ont transporté le virus aux quatre coins de la planète, et d’un autre côté des classes populaires beaucoup plus sédentaires, qui travaillent à leur service. Ce sont ces dernières qui paieront le prix le plus élevé de la pandémie.
Le gouvernement de l’urbanisation planétaire en question
Il faut évidemment se garder de toute prévision hâtive. L’impact de la pandémie dépendra notamment de sa durée. Si, pour une raison ou une autre, elle est jugulée rapidement, on peut s’attendre à un retour à la normale. Mais si le virus s’installe durablement, les relations sociales et la vie économique vont être fortement perturbées. La crise du Covid-19, en partie issue de l’urbanisation planétaire, pourrait donc en retour l’affecter profondément. Elle pourrait notamment modifier les hiérarchies établies entre les types d’espaces urbains. En dépit des premières étapes de la diffusion de la pandémie, il est probable que resurgisse une crainte de la ville dense. De fait, une fois l’épidémie installée, le virus s’est diffusé plus fortement dans les grands centres urbains et leurs banlieues. Face à ce constat, après avoir quitté les villes et changé d’habitudes pendant le confinement (transformation de la résidence secondaire en résidence principale, pratique accrue du télétravail, etc.), une partie des classes aisées sera peut-être tentée de prolonger l’expérience, surtout si, comme on peut s’y attendre, les transports deviennent durablement plus compliqués dans les grands centres denses. Les lignes bougeront lentement, mais peut-être un nouveau cycle, moins favorable à la densité, s’enclenchera-t-il. Une telle évolution pourrait réduire la pression immobilière sur les grands centres métropolitains et les rendre de nouveau un peu plus accessibles aux soutiers des économies métropolitaines. Elle favoriserait sans doute aussi une meilleure prise en considération politique des mondes périurbains et ruraux. Mais elle s’accompagnerait d’une pression encore accrue sur les ressources environnementales de ces territoires (concurrence entre agriculture, habitat et commerce, pollution accrue par le recours à la voiture individuelle, etc.). De telles perspectives renforcent, si besoin était, la nécessité d’une démocratisation et d’une extension des périmètres de la planification. Ce n’est désormais qu’à l’échelle de vastes régions métropolitaines que peuvent être légitimement débattus et arbitrés les conflits actuels comme futurs sur l’usage des sols, entre préservation environnementale, répartition des logements, et relocalisation industrielle et agricole.
À une autre échelle, le Covid-19 met aussi à l’épreuve la manière dont la planète est gouvernée. Avec l’urbanisation planétaire, les interdépendances entre les lieux, les territoires et les espaces se sont largement affranchies des frontières nationales. En outre, les échanges internationaux sont devenus plus complexes et multiscalaires, au sens où ce n’est pas la France qui entre en relation avec la Chine, mais la station de ski des Contamines-Montjoie qui se trouve raccordée avec une forêt du Hubei, via un touriste Anglais revenu d’une conférence à Singapour où il a côtoyé d’autres cadres chinois, qui eux-mêmes avaient peut-être dîné avec un ami médecin employé dans un hôpital de Wuhan. Comment gouverner les liens ainsi constitués ? On sent bien que face à ces réseaux, fermer les frontières nationales oscille entre le dérisoire et l’excessif. Le dérisoire car le virus a souvent passé les frontières avant même qu’on ait eu l’idée de les fermer, et l’excessif tant leur fermeture introduit des perturbations économiques et sociales majeures.
On revient ici au point de départ de cet article. On peut en effet faire l’hypothèse que, si une mesure aussi brutale et aveugle que le confinement a été imposée à des milliards d’individus, c’est faute de pouvoir se sevrer brutalement des flux portés par l’urbanisation planétaire (un chiffre suffit à mesurer la difficulté : 80% des produits actifs des médicaments mondiaux viennent d’Inde ou de Chine). C’est aussi faute de pouvoir gouverner ces flux. Leur gouvernement est au cœur des débats actuels sur le traçage et le suivi des contacts de personnes potentiellement malades. Le problème est que plane ici le spectre du renforcement du contrôle et de la surveillance, observé par Foucault lorsque frappait la peste. Beaucoup craignent qu’une telle évolution vers le contrôle des flux s’effectue sous un angle disciplinaire, voire liberticide. Et ce d’autant plus qu’une offre, émanant des multinationales de la sécurité et de la surveillance électronique, ne demandera qu’à rencontrer des États désireux de réaffirmer leur capacité à protéger leurs citoyens. Dans ce contexte, comment tracer sans interférer sur les libertés fondamentales ? Les sociétés civiles découvrent avec un certain vertige ce à quoi le gouvernement des flux pourrait conduire.
La question, déjà épineuse dans un cadre national, l’est encore plus dans un cadre international. L’Europe par exemple, après avoir mis en place des dispositifs de protection des données personnelles parmi les plus stricts au monde, pourrait-elle faire volte-face et imposer ce qui s’apparenterait à une surveillance généralisée des mouvements ? Ce genre de question et l’impossibilité d’y répondre positivement ont poussé la plupart des gouvernements à conclure que le virus serait d’autant plus difficile à éliminer qu’un pays qui se donnerait les moyens de le faire se trouverait fortement contraint dans ses relations avec ses voisins. La Nouvelle-Zélande, pays dans lequel le virus ne semble presque plus circuler, impose ainsi depuis le 29 avril dernier une quarantaine d’au moins 14 jours à tous les nationaux qui rentrent de l’étranger ; les autres, à l’exception des Australiens, sont tout bonnement interdits d’entrée. Est-il possible de tenir longtemps comme cela, quand le virus continue à circuler aux portes du pays ? Comme le Covid-19 présente une morbidité qui, à la différence du SRAS, ne semble pas totalement inacceptable, tenter de vivre avec cette maladie a pu sembler la «moins mauvaise» des solutions. C’est ainsi que de nombreux pays ont renoncé à chercher à éliminer le virus pour plutôt en contrôler la diffusion via la distanciation sociale (dont le confinement est une variante extrême), faisant le pari qu’avec un traitement, un vaccin ou une immunité collective, la pandémie finira par devenir une maladie banale, comme la grippe. Ce pari a déjà valu un premier confinement dévastateur, sans garantie qu’il n’y en ait pas d’autres. Si la situation ne s’améliore pas, les voix seront de plus en plus nombreuses à demander si l’urbanisation planétaire vaut son prix.
MANIFESTE de l’ADT-INET
L’ADT INET, l’Association des Dirigeants Territoriaux et anciens de l’Institut des Etudes Territoriales, est issue d’un réseau de jeunes dirigeants territoriaux souhaitant partager leurs expériences au moment de la décentralisation. Elle est à l’origine de la demande de création de l’INET. Elle est ouverte aux cadres dirigeants des tous les niveaux de territoires (des régions aux communes), de tous les domaines d’expertise (administratif, technique, culturel, social, et sécurité) et de tous les niveaux de la prise de décision (des hauts fonctionnaires aux directeurs de services). Elle a pour objet, à partir du croisement de la diversité de ces analyses et de ces expériences, à réfléchir, de façon transversale et interdisciplinaire, à l’adaptation permanente des politiques publiques au regard de l’évolution des enjeux.
MANIFESTE de l’ADT-INET Anthropocène et pouvoir d’agir*
Nous n’avons que deux mandats pour ne pas entrer dans des dérèglements d’une telle ampleur, qu’aucune capacité de résilience ne saura maintenir notre civilisation actuelle. La bonne nouvelle c’est que toutes les solutions existent. La mauvaise c’est que nous ne pouvons pas attendre que les organismes internationaux et les Etats aient posé le cadre de l’impulsion. La situation est donc simple, le virage ne peut venir que des territoires. Les territoires sont l’échelle du possible. Ils se retrouvent, qu’ils le veuillent ou non, devant une responsabilité historique ; Faire entrer en résonance, immédiatement et simultanément, toutes les solutions existantes afin de donner une chance au monde nouveau d’advenir au milieu de celui qui s’effondre sous nos yeux. Parce que le monde s’effondre sous nos yeux. Pourquoi ne croyons-nous pas ce que nous savons ? Pourquoi, les scientifiques inquiets (le rapport Meadows, les rapports de l’IPBES, les rapports du GIEC*(2), l’alerte des 15 000 sur l’état de la planète de 2017, celle des 11 000 de 2019 sur l’urgence climatique, l’appel à la désobéissance civile des 1000 de 2020)*(3) et les citoyens conscients passent-ils pour des empêcheurs de tourner rond ? Sans doute parce que nous sommes en ce 24ème jour de la parabole du nénuphar*(4). Ce jour si particulier où des signaux faibles commencent à accéder à notre perception de façon infra consciente, mais où l’alarme n’a pas encore commencé à sonner dans ce très grand lac où un nénuphar vient de s’installer ; Un beau nénuphar, donnant chaque jour naissance à un nouveau nénuphar doté des mêmes capacités, étendant peu à peu ses splendeurs sur le lac ; jusqu’à ce 30ème jour, où, recouvrant l’ensemble de la surface, il asphyxie toute vie, se condamnant par là même. « Mais comment avons nous pu concourir ainsi à notre propre perte sans nous en apercevoir ? » se demandèrent les nénuphars avant de disparaître. « C’est qu’au 24ème jour nous ne recouvrions que 3% de la surface disponible, et au 29ème à peine la moitié. Comment aurions-nous pu imaginer un péril si proche ? » Telle est l’image donnée par Albert Jacquard pour illustrer la difficulté pour chacun d’entre nous à appréhender les conséquences de la combinaison des exponentielles que nous générons sans en avoir conscience…
Ainsi, nous avons bien remarqué, sans le remarquer vraiment, que nous pouvons désormais rouler plus de mille kilomètres sans insectes écrasés sur le pare-brise là où il fallait s’arrêter 10 fois pour le nettoyer il y a 30 ans ; Que la rencontre rare d’un groupe de moineaux nous rappelle des profusions ; Que malgré tous nos efforts, les riches sont toujours plus riches, les pauvres toujours plus pauvres, et les communs toujours moins communs. Mais, le système semble tenir, notre quotidien de citadins de pays tempéré n’est pas encore vraiment bouleversé. Alors nous essayons de nous convaincre que cela n’est qu’un bruit de fond, et que moyennant quelques ajustements, tout devrait pouvoir continuer ainsi, sans prendre conscience des effondrements des populations de vivants et de nos interdépendances. C’est oublier que notre modèle est basé sur l’hypothèse d’une croissance perpétuelle ; Et que la croissance repose sur des exponentielles alors que nous vivons dans un monde… fini. Exponentielles de la démographie et de la consommation. Exponentielles des besoins associés, en énergies fossiles et en métaux dont la quantité disponible est pourtant déterminée et non renouvelable. Exponentielles de l’exploitation des terres, des eaux, des végétaux, des animaux, dont les exponentielles d’intrants, d’artificialisation des sols, de production de CO2 et de déchets mettent à mal la capacité de renouvellement sur laquelle nous comptons. C’est un peu comme si pour fêter une période d’abondance, un paysan bétonnait ses champs pour dresser un parquet de danse, tuait ses bêtes et arrachait ses plantes sans garder ni graines ni couples reproducteurs, pour banqueter un soir. La neurologie fournit une explication sur la raison pour laquelle nous mettons tant d’énergie à repousser dans l’angle mort la rationalité irréfutable des courbes du rapport Meadows dont les trajectoires prévisionnelles se vérifient inéluctablement d’année en année depuis 50 ans. C’est un biais cognitif de notre cerveau gauche, qui refuse de prendre en compte les données du cerveau droit quand elles ne sont pas intégrables dans la cohérence du récit qu’il construit pour nous rendre le monde intelligible. Car ces courbes ne laissent d’autre choix que de conclure que le système de développement tel que nous le connaissons, aussi attachés que nous y soyons, et quelle que soit la force de notre volonté collective d’en conserver les bénéfices, est une impasse. Elles hurlent que si nous voulons avoir construit des alternatives pour pallier les dérèglements progressifs que vont mécaniquement induire l’épuisement des métaux et énergies non renouvelables et l’affaissement du pouvoir de régénération du vivant, il est tout simplement vital de faire évoluer toutes affaires cessantes nos manières de penser et nos manières de faire. Le Covid 19 vient à cet égard rappeler à nos mémoires un savoir ancestral que le miracle de notre société d’abondance nous avait fait oublier: le superflu n’a de valeur que dans la mesure où l’essentiel est assuré. Il ne s’agit plus d’être taxé d’intellectuel coupé des besoins des vrais gens, d’idéaliste, de révolutionnaire ou de cassandre. Il faut seulement arrêter de refuser de savoir. Que chacun prenne le temps de ressentir intimement, émotionnellement et rationnellement ce que signifie concrètement ces exponentielles dans sa vie quotidienne des 30 prochaines années, en termes de qualité de vie, de projet pour ses enfants, de sécurité alimentaire, de santé, de vulnérabilité des infrastructures vitales, de capacité à produire du service public et de beauté du monde. Il ne s’agit plus d’attendre que le changement vienne d’ailleurs, de l’impulsion d’un autre, mais de réaliser que nous utilisons, quand il s’agit de questionner notre responsabilité professionnelle dans la perpétuation de ce modèle qui ne protège ni les autres vivants, ni nos enfants, des arguments entendus dans d’autres temps et dans d’autres circonstances. « Je ne fais que ce qu’on attend de moi», « je n’ai pas le choix », « tout le monde fait pareil », autant de formules qui devraient nous alerter et faire nous interroger sur notre propre rôle dans cette confiscation de l’avenir de tout ce que nous aimons ?
Nous pensons chaque jour de bonne foi prendre des décisions rationnelles, mais la somme de nos décisions aboutit inexorablement, comme pour le nénuphar, à une trajectoire globale qui contrevient aux objectifs d’amélioration du bien être humain et de respect du vivant que nous pensons poursuivre. C'est que nous sommes prisonniers d’une cage idéologique, qui a eu sa pertinence en son temps mais n’opère plus. Notre difficulté n'est pas de comprendre les idées nouvelles mais d'échapper aux anciennes. Nous nous trouvons dans un moment de basculement de système de représentation aussi majeur que celui opéré par Copernic lorsqu’il sortit la Terre du centre de l’univers pour n’en faire qu’un élément parmi d’autre d’un système dont les forces s’exerçaient sur elle. De même aujourd’hui, les scientifiques du monde entier, au travers les exponentielles de notre impact sur le système Terre, font sortir l’homme de son extériorité d’une nature infinie dans laquelle il pouvait puiser sans limite, pour n’en faire qu’un de ses éléments, soumis au même titre que les autres à l’équilibre de son écosystème ; Pour respirer, se nourrir et se ressourcer à l’apparente éternité de sa beauté. Comme au 17ème siècle cette découverte n’est pas intégrable dans la cohérence du modèle existant. Comme au 17ème siècle elle impose de réviser nos représentations, notre système de valeur, d’inventer les grilles de décisions, l’ingénierie, le droit, l’éducation, la formation d’une culture de l’interdépendance et de l’attention au vivant. Faisons notre part. Nous sommes en France 150 000 cadres dirigeants en communes, communautés de communes, communautés d’agglomérations, métropoles, départements, régions et leurs syndicats et établissements publics spécialisés. Nous représentons un levier de transformation immédiate des politiques publiques portées par les élus. D’eux bien sûr, et de nous beaucoup, dépend le passage à l’échelle. Notre communauté territoriale, constituée de cadres administratifs, ingénieurs, sociaux et médico-sociaux, culturels, sportifs, sapeurs-pompiers et de sécurité, incarne une certaine idée du bien commun et de l’innovation sociale. La Transition a besoin d’une mobilisation générale des décideurs que nous sommes. Nous avons le pouvoir et maintenant le devoir d’agir. Alors, incarnons la Transition. Il suffit pour cela de réinvestir la mission qui nous a été dévolue par la nation et pour laquelle nos emplois et nos rémunérations sont sécurisés : éclairer la décision des élus sur le temps long et les communs, garantir l’avenir. En d’autres termes, être conseillers, pas courtisans. Acceptons de désapprendre, de sortir des vieilles recettes, de décoloniser nos imaginaires, de changer de logiciel mental. Acceptons de nous appuyer sur de nouveaux acteurs, de nous ouvrir à de nouveaux possibles. Soyons créatifs, à l’écoute. Nous savons que l’intérêt général passe désormais par la préservation, la réparation, la résilience et le développement des communs (eau, terre, air, biodiversité) ; Par la pensée systémique, la mise en réseau des parties prenantes, l’encapacitation des acteurs. Nous savons que pour cela, il nous faut changer de posture et devenir servant leader au service d’une communauté apprenante, emmener nos équipes avec courage et humilité. Effectuons un choc de perspectives, un aggiornamento de nos façons de penser le développement de nos territoires, une reconsidération de nos postures de dirigeants. Soyons force de propositions. Tout est à notre portée. Toutes les analyses ont été faites, tous les arguments ont été développés, toutes les expériences dans tous les domaines ont été menées quelque part et n’attendent que d’essaimer. L’ADT INET tisse des liens depuis des années, et peut aider les cadres qui le souhaitent à entrer en relation avec les Transitionneurs déjà expérimentés qu’ils soient du monde des collectivités, du monde associatif, des entreprises, des organismes financeurs, des appuis en ingénierie.
Isolation des bâtiments, choix de matériaux durables, nouvelles constructions à neutralité énergétique, à énergie positive, chauffage urbain à énergie durable, récupération des eaux pluviales, éclairage urbain intelligent, production d’énergie locale et diversifiée s’appuyant sur le solaire, l’éolien, la géothermie, la micro électricité, l’houlomotricité, la cogénération, la méthanisation sont autant d’outils parmi d’autres, pour diminuer rapidement et massivement la consommation d’énergie, en produire localement et proprement, tout en améliorant la sécurité énergétique et diminuant la facture des charges, notamment des plus démunis. Circuits courts, développement des cultures biologiques et raisonnées, maintien et développement des petites parcelles, agriculture régénératrice des sols, agriculture de conservation des espèces et des variétés adaptées aux spécificités des territoires, permaculture, microbiologie, lombriculture, compostage, gestion durable des bassins hydriques, sont des pistes avérées pour lesquelles ne manque que le passage à l’échelle pour assurer sécurité et qualité alimentaire, santé collective, fierté professionnelle, préservation des paysages, et valorisation de l’identité des territoires. Sobriété foncière, densification et végétalisation urbaine, couloirs de continuité écologique, qualité de l’eau, préservation, abandon des produits phytosanitaires, développement et ensauvagement des espaces naturels, mobilités douces et mobilités propres peuvent rapidement offrir les conditions d’une meilleure cohabitation des vivants. Politique d’achat, priorisation budgétaire, volontarisme des Plan Pluriannuels d’Investissement, choix des outils de mesure de la performance publique, instruction des dossiers à partir des paradigmes des 17 Objectifs de Développement Durable*(5), sont autant de domaines dans lesquels exercer notre responsabilité professionnelle au côté de la nécessaire éducation et sensibilisation de tous.
Alors une goutte d’eau dans la mer ? Alors seuls ? Emparons-nous de ces possibles, et proposons de manière immédiate et coordonnée la diminution de nos empreintes écologiques par la transformation de nos modalités d’aménagement, de construction, de mobilités, la réorientation de nos économies locales, de nos créations d’emplois, de nos productions agricoles. Proposons la production d’énergie locale, le soutien des savoirs faire spécifiques. Et surtout, faisons-en sorte que cela fasse système, entre en résonnance, s’autoalimente, intègre et prenne soin des plus fragiles.
Soyons la goutte d’eau qui fait déborder le vase : Tout se tient prêt au grand démarrage. Tout est en devenir, partout. Au niveau international, les institutions et organismes ont depuis longtemps dans leurs tiroirs, des dispositifs règlementaires et diplomatiques de basculement vers un monde orienté économie verte, préservation et réparation des communs, épanouissement des vivants. Les grands acteurs de la finance commencent à envisager la réorientation de leurs actifs vers les acteurs de l’économie décarbonée, les grandes entreprises à mesurer l’inéluctabilité des impacts financiers liés au dérèglement climatique sur leur modèle économique et réfléchissent à leur aggiornamento. Au niveau européen, le Green Deal représente un virage historique dans la vision du développement économique de la Commission. Les grands penseurs de la Transition ont été identifiés et sont associés aux différents conseils d’orientation des gouvernements nationaux, à certains conseils d’administration d’entreprises. Des instruments de mesure de la performance alternatifs, prenant en compte les impacts écologiques et sociaux sont désormais disponibles. Des évolutions majeures du droit sont dans les cartons et la jurisprudence évolue. Des milliers d’ingénieurs, de chercheurs, d’entreprises inventent chaque jour des solutions pour conserver notre niveau de développement de manière écologiquement responsable. Des milliers d’associations, de militants infatigables se battent pour qu’il se passe quelque chose. Une partie de la jeunesse piaffe. Des territoires et des communautés expérimentent avec succès à leur échelle. Alors pourquoi cela ne démarre-t-il pas vraiment ? C’est que contrairement aux idées reçues, la Transition n’est pas une question écologique mais une question existentielle. La Transition ne relève ni des gouvernements, ni des entreprises. Nous avons les élites que nous méritons. Monsanto existerait-il sans acheteurs de glyphosates, Bolsonaro sans électeurs ? Ce que font les gouvernements et les entreprises ne fait que refléter la somme de nos comportements individuels et nos comportements ne font que traduire ce qui nous semble désirable. L’émergence d’un nouveau modèle ne passera que par une évolution de nos désirs et leur traduction en acte dans le quotidien de nos façons de consommer, de nous déplacer, de nous alimenter, de nous ressourcer. Ce qui manque pour que toutes les potentialités se mettent à faire système : c’est nous. C’est la force du désir de la société civile. Aucun système, aucun gouvernement n’a jamais pu résister à la force des aspirations profonde d’une société. On ne combat pas un modèle, on le démode. Tous les possibles sont à notre portée. Les pires comme les meilleurs. Du côté des meilleurs, nous avons déjà su organiser une mobilisation générale de nos volontés et de nos énergies pour réorienter en un temps record nos sociétés. Nous l’avons fait en 1929 après la grande crise et en 1945 pour la reconstruction. Il en reste une mémoire, un savoir-faire, facilement mobilisable si c’est vraiment ce que nous souhaitons. Alors maintenant nous savons. Maintenant nous pouvons. Convaincue de l’importance et de l’urgence de l’action publique, l’ADT-INET s’engage résolument au service de la Transition et appelle les cadres territoriaux, aux côtés des élus et des parties prenantes, à une mobilisation générale au service de cette nécessaire transformation.
*(1) Anthropocène : une époque sans précédent où l’influence de l’homme sur les écosystèmes qu’elle abrite est devenue elle-même une force géologique *(2) - Le rapport Meadows est publié en 1972 sous le titre « Les limites de la croissance dans un monde fini ». Ce rapport est commandé à des chercheurs du MIT par le club de Rome (scientifiques, industriels et économistes de 52 pays). Ces chercheurs ont développé un modèle informatique de dynamique des systèmes nommé World 3 qualifié depuis de « meilleur système jamais inventé ». En effet, actualisé en 2012, l’ensemble des trajectoires des exponentielles alors envisagées s’avèrent se réaliser. - L’IPBES (plateforme scientifique intergouvernementales sur la biodiversité et les services écosystémiques regroupant 142 pays) et le GIEC (groupement intergouvernemental sur l’évolution du climat regroupant 195 pays) sont les 2 plateformes œuvrant sous l’égide de l’ONU à éclairer les gouvernements sur ces questions. Leurs travaux et rapports sont consultables sur ipbes.net et sur ipcc.ch - Rapport de l’IPBES (compilation de 140 experts issus de 50 pays) sur la santé des écosystème dont nous dépendons : 75% du milieu terrestre « sévèrement altéré » par les activités humaines dont 66% du milieu marin, 47% de réduction de la biodiversité, 87% des milieux humides asséchés, taux d’extinction des espèces 10 fois plus élevée que ces 10 derniers millions d’années, 25% des espèces animales et végétales menacées d’extinction, doublement de la surface des zones urbaines depuis 1992, 300% d’augmentation d’agriculture vivrière depuis 1970 dont 50% au détriment des forêts, 23% de surface cultivée affecté par une diminution de leur productivité. - Rapports du GIEC (compilation de 20 000 études réalisées par plus de 800 chercheurs) : l’atmosphère et les océans se sont réchauffés, la couverture de neige et de glace a diminué, le niveau des mers s’est élevé, les concentrations des gaz à effet de serre ont augmenté sans équivoque depuis les années 50.
*(3) Le Monde 13 novembre 2017 « Quinze mille scientifiques alertent sur l’état de la planète » Le Monde 7 novembre 2019 « Crise climatique : l’appel de 11 000 scientifiques pour éviter des « souffrances indescriptibles » Le Monde 27 février 2020 « L’appel de 1000 scientifiques : « Face à la crise écologique, la rébellion est nécessaire »
*(4) Parabole d’A Jacquard en 1998 (l’Equation du nénuphar, Calmann-Levy, 1998). *(5) Après les objectifs du millénaire, réalisés pour bonne part, l’ONU a fixé 17 0DD (Objectifs du Développement Durable) pour 2030 (un.org). Ceux-ci donnent la marche à suivre pour parvenir à un avenir meilleur et plus durable pour tous. Ils répondent aux objectifs mondiaux auxquels nous sommes confrontés, notamment ceux liés à la pauvreté, aux inégalités, au climat, à la dégradation de l’environnement, à la prospérité, à la paix et à la justice. Les objectifs sont interconnectés et pour ne laisser personne de côté, il est important d’atteindre chacun d’entre eux, et chacune de leurs 169 cibles indiquées d’ici 2030. Ils ont vocation à se décliner dans les agendas 2030 (agenda-2030.fr)
Parcs bondés à Berlin contre rues désertes à Paris: qui a raison?
Celia Maury — 24 avril 2020 à 8h36 — mis à jour le 24 avril 2020 à 10h43
[TRIBUNE] Française habitant en Allemagne depuis près de dix ans et travaillant dans le domaine de la santé, Celia Maury tente de réponde à la question qu'ici, tout le monde se pose sur la gestion de l'épidémie de Covid-19.
Un parc berlinois, le 18 avril 2020. | Odd Andersen / AFP
Temps de lecture: 21 min
Si on ne savait que le Covid-19 sévit, on pourrait croire à une journée normale dans les parcs berlinois. Entre les joggeurs et cyclistes habituels, de jeunes parents promènent leurs poussettes, d'autres font des exercices ou jouent au ping-pong. On voit même les premiers bateaux gonflables voguer sur la Spree, annonçant comme chaque année l'arrivée des beaux jours.
Au moment où cet article est publié, la situation sanitaire est radicalement différente de part et d'autre du Rhin: 120.804 cas et 21.856 morts en France, contre 153.129 cas pour 5.575 morts en Allemagne. On observe 4,5 fois moins de morts en Allemagne! Si cela semble impossible, comment est-ce pourtant bien le cas à seulement quelques kilomètres d'intervalle?
Française habitant en Allemagne depuis près de dix ans et travaillant dans le domaine de la santé, c'est LA question à laquelle j'ai droit tous les jours en ce moment de la part de ma famille, mes amis, mes clients. Tous m'interrogent sur le pourquoi du comment des restrictions souples à Berlin, et veulent savoir d'où proviennent ces différences de chiffres. Comme j'aide des start-ups et entreprises à s'implanter outre-Rhin (dans les deux sens), j'ai beaucoup expérimenté les différences culturelles entre les deux pays. Plutôt que de garder tout ça pour moi, j'ai décidé de vous partager mon regard franco-allemand sur la gestion de la situation actuelle.
Achtung! Ce que vous vous apprêtez à lire n'est que mon interprétation, le fruit de mon expérience et de ma réflexion. Et le résultat de plusieurs débats passionnés sur le sujet.
La France et l'Allemagne, si proches géographiquement, fonctionnent de manière bien différente. Plusieurs spécificités nationales jouent un rôle de premier rang dans la gestion de la crise du Covid.
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Des différences structurelles
Il est tout d'abord bon de rappeler les basiques: la France est un état unitaire centralisé, ce qui signifie que tous les citoyens sont soumis au même et unique pouvoir, lui même centralisé dans un même lieu: Paris. Pour cette raison, les décisions politiques françaises tombent «d'en haut», sans discussion ni aménagement territorial ou régional.
À l'inverse, l'Allemagne est un état fédéral composé de seize entités autonomes, les Länder, dotés de leur propre gouvernement, et qui légifèrent dans de nombreux domaines, dont la santé. Chaque Land est donc à la fois libre et responsable des budgets alloués à ce domaine. Grâce à un principe de solidarité, les Länder les plus riches paient pour les autres, permettant alors à chacun d'avoir un budget correct pour soigner la population. Chaque région peut aujourd'hui choisir son degré de confinement en fonction de l'avancée de l'épidémie.
C'est ainsi que les régions de l'ouest du pays le Baden-Württemberg, la Sarre et la Bavière, les plus touchées par l'épidémie, ont opté pour un confinement proche de celui de la France, ce qui n'est pas le cas dans d'autres régions. Ces régions riches et denses, concentrant près de la moitié de la population allemande, disposent d'un taux d'équipement très élevé en matière de santé. Le fédéralisme implique aussi qu'Angela Merkel ne prenne pas de décision d'État seule mais de concert avec les seize présidents de région.
Le système électoral des deux pays montre un fonctionnement différent au sommet de l'État.
Il ne faut pas oublier que l'histoire récente de l'Allemagne la rend très sensible et méfiante au sujet de la concentration des pouvoirs. Tant que l'état d'urgence n'est pas décrété (ce que la Loi Fondamentale permet mais qu'Angela Merkel a réussi à éviter jusqu'à présent), les Länder ne sont donc pas limités dans leur prise de décisions en matière de santé.
D'autre part, le système électoral des deux pays montre un fonctionnement différent au sommet de l'État. En France, on est sur le modèle du winner takes all comme aux États-Unis, où la majorité absolue obtenue au deuxième tour permet au gagnant des élections présidentielles de remporter la bataille électorale, et d'asseoir ses décisions par la suite, après soumission à l'assemblée nationale et au Sénat. On a donc un processus décisionnel en top-down dans lequel le gouvernement issu de la majorité propose, et les députés disposent.
Au Bundestag, les partis sont obligés de travailler ensemble. | Tobias Schwarz / AFP
En Allemagne, on vote pour le parlement avec un scrutin proportionnel personnalisé. Chaque électeur a deux voix: avec la première il choisit un candidat de son choix dans sa circonscription qu'il aimerait voir siéger au parlement. Ces mandats directs attribuent la moitié des sièges au Bundestag. Avec sa deuxième voix, il choisit un parti, ce qui définira le nombre de sièges pour chaque parti. Pas de deuxième tour, et donc peu de chance d'avoir une majorité absolue. Le parti ayant remporté le plus de voix est donc obligé de s'allier avec au moins un autre afin d'atteindre les 50%. Ils forment donc un gouvernement de coalition, obligés de s'entendre sur la politique à mettre en place. D'autre part, le chancelier n'est pas élu au suffrage universel mais par les députés du parlement.
On a donc en Allemagne au niveau étatique un processus décisionnel collégial et incluant, basé sur le compromis et la discussion, là où le système français est centralisé et top-down.
Gardez cela en tête, cela aura son importance dans la gestion de la crise.
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L'impact des styles de vie
Les deux pays ont aussi des manières de vivre très différentes qui ont un impact sur la crise sanitaire actuelle et sa gestion.
En Allemagne, la densité de population est beaucoup moins importante dans les grandes villes qu'en France. L'exemple de Berlin parle de lui-même: la ville fait neuf fois la superficie de Paris et est deux fois moins peuplée que la capitale française, avec près de 50% de la ville en espaces verts. Cela explique donc que les gens ont plus de place pour se déplacer tout en respectant les distances de sécurité sans se mettre soi-même ou les autres en danger.
Ensuite, l'Allemagne est un pays plus urbanisé que la France, ce qui lui permet de réduire le risque de déserts médicaux et donc de prendre plus rapidement en charge ses malades. Le fédéralisme permet d'éviter l'effet «Paris et le reste du monde». Et alors que dans les pays latins on a plus tendance à habiter avec plusieurs générations ou à se retrouver très fréquemment autours de dîners et autres repas de famille, les Allemands quittent le domicile parental généralement beaucoup plus tôt: 23,7 ans en Allemagne contre 29,5 ans en Espagne et 30,1 ans en Italie. On a donc un virus qui a moins de chance de circuler rapidement vers les aînés, sans compter que la culture germanique est beaucoup moins tactile. Pas de bise, pas de contact physique appuyé.
L'immense parc Tiergaeten, en plein cœur de Berlin, le 16 avril 2019. | Michele Tantussi / AFP
Enfin, n'oublions pas qu'en Allemagne, contrairement à la France, le télétravail est admis et pratiqué depuis des années. Il s'est donc mis en place tout naturellement dès le début de la crise, dans les grands groupes comme dans les PME de nombreux secteurs.
Au-delà des différences structurelles, l'analyse des systèmes de santé est capitale pour comprendre la gestion de la crise actuelle.
Prévention vs réaction
Ce qui est frappant, c'est l'opposition entre le caractère préventif du système de santé allemand, là où le système français se veut réactif. Premièrement en ce qui concerne le nombre de cas d'infections. L'Allemagne a très rapidement eu un nombre de cas très élevé. Pourquoi? Parce ce qu'elle était prête, sur le qui-vive. Comme toujours.
Déjà parce que le pays ne rigole pas avec la santé et est souvent considéré comme freak dans ce domaine par les expatriés. Un éternuement sur le lieu de travail et on est renvoyé à la maison illico presto: «Tu reviendras quand tu seras guéri·e!». Les employés ont droit à un arrêt de travail allant, selon les entreprises, jusqu'à trois jours sans consultation médicale obligatoire ni jours de carence durant ce délais. Grâce à cet acquis social, l'Allemagne s'assure des employés en pleine forme sur leur lieu de travail, pouvant alors être hautement productifs lors de leurs quarante heures hebdomadaires travaillées.
D'autre part, le premier cas –le fameux «patient zéro»– est constaté le 27 janvier en Bavière sur un cadre en lien direct avec la Chine. Ce traçage à la source permet alors aux autorités allemandes de lancer immédiatement la machine et de commencer les dépistages du Covid-19 dès fin janvier, et ce pour toute personne allant voir son médecin dès les premiers symptômes, ayant été en contact avec un malade ou revenant d'une zone à risque.
Car oui, le pays était préparé. «L'Allemand n'aime pas la crise», me disait récemment un ami. OK mais enfin, qui aime la crise?! Personne, mais disons que certains se préparent à cette éventualité un petit peu mieux que d'autres. Et on a à faire ici à un pays rationnel et prévoyant, là où la France est un pays beaucoup plus flexible et dans l'adaptation, pour ne pas dire l'improvisation. Jacques Pateau le montre à merveille dans ses nombreuses études sur l'interculturalité dans la coopération franco-allemande, dont l'excellent Une étrange alchimie.
Les Allemands ont pu dérouler leur plan d'urgence comme prévu dans leur scénario de crise, de manière planifiée et efficace.
Très bien préparée en amont donc, l'Allemagne a pu déployer ses tests de dépistage de manière massive et ainsi mapper très rapidement les premiers nids d'infection. Grâce à son réseau de laboratoires bien plus dense qu'en France et appuyé par le gouvernement, l'Allemagne a aussi décidé de suivre l'exemple des pays asiatiques, et fait aujourd'hui 500.000 tests par semaine gratuitement, avec un objectif de 200.000 tests par jour pour ce mois d'avril. Les Allemands ont donc pu dérouler leur plan d'urgence comme prévu dans leur scénario de crise, de manière planifiée et efficace.
En France, on réagit à la crise. Jacques Pateau parle de la France comme d'un pays flexible, qui s'adapte, qui improvise. Démonstration: tout d'abord le pays n'avait pas suffisamment de tests de dépistages disponibles en stock, ni assez de masques, contrairement à ce qu'avait annoncé le gouvernement à la population. Et la collaboration entre laboratoires et institutions a mis plusieurs semaines à voir le jour.
Ce manque de préparation en amont n'est d'ailleurs pas sans rappeler «l'épisode Roselyne Bachelot», alors ministre de la santé en 2009, qui avait mis 1,7 milliard de masques à disposition du personnel soignant lors de la crise de la grippe H1N1.
Roselyne Bachelot se fait vacciner contre la grippe H1N1, le 12 novembre 2009 à Paris. | Bertrand Guay / AFP
Raillée de tous bords pour sa «sur-préparation» et accusée d'avoir jeté de l'argent public par les fenêtres, la France a aujourd'hui un gouvernement qui ne rentre en période de crise sanitaire qu'avec un stock d'environ 100 millions de masques, comme s'il ne voulait pas se ridiculiser, au cas où la crise aurait été enrayée rapidement. Cet exemple remet au goût du jour l'expérience américaine des années 1960 au sujet du biais de jugement individuel en fonction de la réaction de l'entourage. Elle a permis de démontrer les facteurs psychologiques entrant en compte dans le lancement d'une alerte, en faisant notamment ressortir la peur du ridicule.
Lors de son allocution du 13 avril, Emmanuel Macron a affirmé que «l'État, à partir du 11 mai, devra permettre à chaque français, de se procurer un masque». Trois mois après le début de la crise, donc. Un pays qui improvise: CQFD.
Concernant le nombre de morts du Covid-19, on observe une énorme différence entre les deux pays, même s'il serait intéressant d'enquêter en profondeur sur le système de comptabilisation. Il semble en effet propre à chaque pays, rappelant d'ailleurs les énièmes débats sur les chiffres du chômage. Quoi qu'il en soit là encore, la prévention allemande se lit en miroir de la réaction française: avant le début de la crise, l'Allemagne avait déjà 28.000 lits disponibles en soins intensifs, dont 20.000 avec respirateurs. Depuis début avril, le pays a réussi à augmenter cette capacité à 40.000 lits et 30.000 respirateurs. À côté, la France et ses 7.000 lits disponibles en début de crise dénote.
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Deux façons de gérer la santé
Mais pourquoi tant de différences me demanderez-vous? La prévention allemande suffit-elle à elle-seule à expliquer la cacophonie française? Bien sûr que non!
L'Allemagne et la France ne gèrent pas leur système de santé de la même manière. Alors que les deux pays se talonnent depuis plusieurs années en terme de dépenses de santé ramenées au PIB (autour de 11,3%), l'Allemagne est le premier pays européen en termes de dépenses de santé par habitant, et compte 4,3 médecins pour 1.000 habitants, là où la France en a 3,4. D'autre part, plus de 90 milliards d'euros sont dépensés chaque année dans les domaines de la recherche, contre 50 milliards d'euros en France, selon David Larousserie au micro de France Culture.
Les dernières décisions politiques semblent aller dans des sens inverses puisque là où Jens Spahn est en train de mettre en place son «action concertée pour le personnel soignant» prévoyant une augmentation de 10% du personnel en formation d'ici à 2023 et un salaire horaire revu à la hausse, le gouvernement français fermait des hôpitaux encore quelques semaines avant le début de la crise.
Enfin, hormis les investissements de long terme, l'équilibre des comptes publics de l'Allemagne lui permettent d'apporter une réponse massive et adaptée à la crise, en ouvrant par exemple le premier «hôpital Corona» il y a quelques jours à Berlin, ou encore en lançant un hackathon permettant de promouvoir les initiatives luttant contre la saturation des établissements de santé. Une plateforme numérique coordonnant les places disponibles en hôpitaux a aussi été mise en place, tout comme des solutions de prise en charge à domicile de patients hospitalisés pour libérer des places pour les victimes du coronavirus, grâce à Recare notamment.
Et pendant que la France attend ses livraisons de masques de l'extérieur car le pays a choisi de délocaliser leur production, l'Allemagne a organisé une mobilisation sans précédent: alors que l'industrie pharmaceutique est soutenue financièrement dans sa recherche de vaccin, les autres industries fabriquent depuis plusieurs semaines déjà des masques, respirateurs et autre matériel de laboratoire.
Ce sont donc deux façons de fonctionner qui s'opposent, avec d'un côté du Rhin une vision préventive et proactive, et de l'autre une vision réactive.
Deux systèmes à bout de souffle
Mais il ne s'agit pas ici de jeter la pierre à l'un ou l'autre des fonctionnements, car aucun des deux n'est parfait. J'en veux pour preuve qu'une chose capitale les rapproche: ces deux systèmes de santé sont en souffrance.
Si le système français est sous assistance respiratoire depuis plusieurs années avec des coupures budgétaires à répétition et un silence qui en dit long face aux appels au secours de son personnel soignant, l'Allemagne fait elle aussi face à de sérieux problèmes puisque son personnel est en sous-effectif chronique.
Alors que la population vieillit massivement, les salaires stagnent, les heures sup' s'accumulent, et le personnel flanche. Le recrutement s'avère très compliqué puisque de nombreux infirmiers et aide-soignants préfèrent partir dans le privé, soit en renonçant à leur vocation, soit en faisant le choix de travailler dans des agences d'intérim spécialisées. Celles-ci leur offrent de meilleurs salaires en même temps que de meilleures conditions de travail, sans heures sup' contraintes ni forcées. Entre 100.000 et 250.000 places pourraient rester vacantes dans les institutions publiques allemandes d'ici à 2030, ce qui ne risque pas d'arranger la situation des chefs d'établissements qui ont souvent du mal à boucler leurs objectifs financiers en raison du manque de personnel. Le personnel soignant est alors de plus en plus recruté à l'étranger, on estime à 7% aujourd'hui ce chiffre qui ne fait que grimper. Ce système de santé, qualifié «d'un des meilleurs du monde» par Angela Merkel lors de son allocution fin mars, est alors lui aussi affaibli.
L'Allemagne fait la preuve de la supériorité économique, financière et matérielle de son système de santé, mais elle ne peut pas se vanter pour autant que celui-ci soit infaillible.
Sans oublier qu'il est de base bien plus inégalitaire que le système français puisqu'il s'agit d'un système à deux vitesses, avec des patients publics d'un côté et des patients dits privés de l'autre, à qui on offre des soins plus rapidement et de plus grande qualité. Le prix de l'assurance de santé est elle aussi bien plus élevée qu'en France pour ses cotisants.
L'Allemagne fait la preuve de la supériorité économique, financière et matérielle de son système de santé lors de cette crise sanitaire. Mais elle ne peut pas se vanter pour autant que celui-ci soit infaillible, loin de là.
Et si le système de soin est au cœur de la crise actuelle, il est loin d'être le seul élément à prendre en compte pour expliquer sa gestion.
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Management de la crise: diriger et communiquer
Manager une crise, ça ne s'improvise pas. Il faut savoir diriger ses troupes, communiquer sur l'action en cours, et faire confiance à son staff. Cette crise nous montre deux styles de management radicalement différents
Diriger un pays, c'est comme diriger une entreprise. Il y a différents rôles à jouer, chacun doit savoir la place qu'il a dans l'équipe, et comment il se situe par rapport aux autres.
C'est Geert Hofstede qui a théorisé cette idée avec le concept de la distance hiérarchique qui mesure le degré d'inégalité de statut attendu et accepté par les individus. Autrement dit il s'agit de voir dans quelle mesure les gens acceptent ou trouvent bon qu'il y ait une hiérarchie (chef, autorité) dans la société. Il a remarqué que dans les pays nordiques les gens préfèrent les organisations aplaties où l'employeur agit comme l'égal des autres. Dans les pays à fortes distances hiérarchiques (pays latins, asiatiques, arabes) en revanche, les gens préfèrent une hiérarchie claire, respectée par tous. C'est l'exemple du «n+1» qui permet de se représenter virtuellement dans l'organigramme. Ce concept est valable dans les entreprises mais on le retrouve dans l'ensemble de la société, et en premier lieu dans le système scolaire selon Christoph Barmeyer: on ne critique pas le prof dans les pays à forte distance hiérarchique, et la concurrence pour accéder à une meilleure place dans le système fait partie du jeu, notamment avec un système d'enseignement supérieur élitiste.
Le management français de cette crise sanitaire est à l'image du management du pays et de ses entreprises.
Vous me voyez venir? Eh oui, en France on accepte beaucoup plus facilement d'avoir un chef. Qui se fait respecter. Sans broncher. Et au niveau sociétal? Eh bien ça donne un système politique comme décrit plus tôt, avec un exécutif qui commande seul. Le management de cette crise sanitaire est donc à l'image du management du pays et de ses entreprises: La preuve, s'il en fallait une, avec les allocutions d'Emmanuel Macron et d'Angela Merkel, à quelques jours d'intervalle.
Emmanuel Macron se pose en «chef» de la nation: vocabulaire martial, attitude régalienne, prise de décisions seul, qu'il rythme de l'utilisation de la première personne du singulier. Le chef du camp parle, et si on ne l'écoute pas il y aura des sanctions. Comme à l'école de la République. Après Napoléon, De Gaulle, l'homme providentiel est de retour en la personne d'Emmanuel Macron. La distance hiérarchique à son apogée, comme pour faire la parfaite démonstration du concept de Hofstede.
Lors de son allocution du 18 mars 2020, Angela Merkel a fait appel à la responsabilité de chacun. | Uta Tochtermann / ARD / AFP
À l'opposé, c'est une Angela Merkel maternante (ne la surnomme-t-on d'ailleurs pas Mutti outre-Rhin?!) qu'on retrouve quelques jours plus tard. Elle parle du plus gros challenge auquel doit faire face l'Allemagne depuis la seconde guerre mondiale. Elle alerte en faisant appel à la responsabilité de chacun, en attirant l'attention sur la nécessité de faire le lien entre attitude individuelle et collective: «Si chacun se sent responsable, alors nous réussirons collectivement.»
Non seulement elle n'est pas seule dans le cockpit puisqu'elle doit décider avec les seize présidents de régions de la sécurité intérieure, mais elle a discours pédagogique et scientifique qui met en confiance. Elle ne se place pas au-dessus, mais bien d'égal à égal avec ces concitoyens. «Nous y arriverons», dit-elle à la première personne du pluriel. La différence en termes de distance hiérarchique est flagrante, doublée de la différenciation entre le «cadre» français qui veut tout gérer d'en haut, et la «Sachlichkeit» allemande, qui se veut objective, neutre, dans les faits. La rigueur scientifique en somme. N'oublions pas non plus l'histoire allemande récente. Parler de «guerre» serait très délicat dans un pays où les traumatismes passés sont encore bien présents dans la population.
Enfin, laissez-moi vous préciser que le format de l'allocution est exceptionnel en Allemagne, là où en France on prend l'habitude de voir défiler les présidents, que ce soit après des attentats, lors de la crise des gilets jaunes ou pendant la réforme des retraites.
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Communiquer
La communication est aussi un élément essentiel en management, et la crise actuelle ne déroge pas à la règle. Encore une fois, deux styles s'affrontent.
Tout d'abord au niveau la communication gouvernementale, ça semble être un sans faute pour l'instant pour l'Allemagne. Selon le dernier baromètre politique de la ZDF, pas moins de 89% des sondés sont satisfaits de la gestion de crise par Angela Merkel. Comment a-t-elle réussi cela? En communiquant de manière transparente sur la situation, avec un discours toujours modéré et en croyant à la responsabilité de chacun.
En s'isolant elle-même après avoir été en contact avec un médecin contaminé, elle a montré l'exemple de la conduite à adopter. Il y a quelques jours, elle est revenue à la charge avec un post Instagram sponsorisé reçu par les Allemands, dans lequel elle remerciait ses concitoyens pour leur engagement solidaire auprès de leurs voisins, rappelant que «maintenant c'est le Nous qui compte.»
Message sponsorisé de la chancelière allemande sur Instagram.
Elle décide donc de s'adresser directement aux Allemands par un canal qui leur parle. Dans la même veine, le maire de Berlin Michael Müller a fait distribuer une lettre dans les 2 millions de foyers berlinois le 9 avril dernier, dans laquelle il parle de solidarité, de responsabilité individuelle et collective. Il s'invite dans nos boîtes aux lettres pour nous remercier et nous donner les numéros d'urgence dont nous pourrions avoir besoin. C'est tout.
Le président de la République fédérale Frank-Walter Steinmeier, lui, ne résiste pas au plaisir de réagir au vocabulaire martial d'Emmanuel Macron, en précisant le 11 avril dans une courte allocution télévisée que l'Allemagne «n'est pas en guerre», mais parle d'une «épreuve de notre humanité». À méditer.
En France, on est davantage dans le registre de la suspicion après «l'affaire des masques» et des informations contradictoires données par différents membres du gouvernement sur la nécessité d'en porter, leur date de livraisons etc.
Là où les uns font des points d'étape objectifs sur les chiffres, les autres refont l'histoire avant même qu'elle soit faite, cherchant des fautifs avant de réfléchir à des solutions.
Dans les médias, on communique aussi différemment. Ceci est à rapprocher du contexte communicationnel distinct des Français et des Allemands, conceptualisé par Edward Hall. Je m'explique: les premiers sont dans ce qu'il appelle un «haut» contexte communicationnel dans lequel le non verbal, l'interpersonnel et l'émotionnel vont l'emporter sur les mots. Les seconds, dans leur culture à «bas» contexte communicationnel, vont avoir besoin d'une information verbale, objective et rationnelle, quitte à ce que celle-ci paraisse froide. Les médias français sont alors plus sensationnalistes et jouent sur les émotions du public, là où les médias allemands sont connus pour leur sobriété et leur ton neutre, presque monotone. Sans oublier que les médias outre-Rhin sont hautement financés par l'État (chaque foyer allemand paye 17,50 euros mensuels de redevance audiovisuelle, qu'il possède une télé ou non!), ce qui les contraint aussi à la neutralité.
Alors là où les uns font des points d'étape objectifs sur les chiffres (devinez lesquels!), les autres refont l'histoire avant même qu'elle soit faite, cherchant des fautifs avant de réfléchir à des solutions. Et si les Français sont aussi connus pour leur culture du débat ou le plaisir de s'écharper alors qu'à la base ils étaient d'accord (cf. l'excellente chronique de Marina Rollman sur France Inter à ce sujet), on observe quelque chose qui va encore un peu plus loin: les journalistes allemands ont tendance à souligner le fait que, dans l'ensemble, les gens se tiennent aux règles et aux gestes barrières. Leurs collègues français quant à eux sont plus friands des exceptions qui confirment la règle et filment volontiers des scènes d'incivilité ou d'amendes collectées. Ils se concentrent sur le négatif. Sur ce qui ne marche pas. Comme pour mieux faire réagir leur audience, ou peut-être pour mieux la diviser.
De quoi en tout cas donner une vision différente du monde extérieur, n'est-ce pas?
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Faire confiance
Enfin manager une crise, c'est aussi une question de confiance. Celle qui lie gouvernés et et gouvernants.
Le confinement est le premier élément que l'on peut observer. Emmanuel Macron l'a voulu centralisé, strict et contrôlé, là où l'Allemagne l'a décidé de manière décentralisée et souple. Pour masquer un manque de moyens de protection de la population ou pour contrôler les incivilités potentielles des Français, le président a décrété en plusieurs fois huit semaines de confinement avec des sorties du domicile limitées à 1 km autour de chez soi, obligatoirement muni d'une attestation officielle, sous peine d'amende financière si cela n'était pas respecté. Une certaine idée de la confiance donc.
En Allemagne au contraire, cela s'est fait au cas par cas selon les Länder, petit à petit. On parle d'ailleurs plus de «restrictions sociales» que de confinement. Ces annonces échelonnées ont eu pour effet de ne pas affoler la population et ont donné une impression de contrôle de la situation, de mesure. Certains Länder ne sont aujourd'hui toujours pas confinés, la population est simplement cordialement invitée à rester chez elle, réduire ses déplacement au strict minimum et ne pas faire de rencontres entre amis. Mais pas d'attestations ni de coercition, encore moins d'ambiance fin du monde. Peut-être aussi une manière détournée de faire «circuler» le virus doucement, puisqu'on sait aujourd'hui qu'il faut atteindre 60% de la population ayant contracté le virus pour que celui-ci devienne collectivement inoffensif. Le ministre fédéral de la santé Jens Spahn affirmait d'ailleurs lui-même le 31 mars dernier que 45% des lits en soins intensifs étaient encore libres. Une autre conception de la confiance.
Il est aussi intéressant de constater que les Allemands sont très attachés à leur liberté individuelle, ce n'est d'ailleurs pas pour rien que c'est un des derniers pays où on peut encore fumer partout (selon les Länder) et rouler sans limite sur les autoroutes. Encore une fois, l'Allemagne est persuadée que si chacun est responsable au niveau individuel, la responsabilité collective émerge automatiquement. Alors si la mise à demeure des Français n'a effleuré personne, des voix se lèvent en Allemagne pour faire respecter ce principe fondamental pour la population.
Le gouvernement français impose-t-il des règles aussi drastiques car les Français sont vraiment comme ça, ou s'agit-il simplement de la réaction à des mesures beaucoup trop dures?
Et les mentalités, ont-elles leur rôle à jouer dans la confiance accordée par les gouvernements respectifs français et allemands? On serait tenté de dire que les français sont je-m'en-fous-tistes, qu'ils prônent le «laisser-faire», qu'ils ont l'esprit de contradiction et le «besoin» d'amendes et de mesures coercitives pour se tenir aux règles… Mais qui de l'œuf ou la poule? Le gouvernement français impose-t-il des règles aussi dures et drastiques car les Français sont vraiment comme ça, ou s'agit-il simplement de la réaction à des mesures beaucoup trop dures? A contrario, les Allemands sont-ils vraiment aussi disciplinés qu'on aime le croire? Ou là encore, ne s'agit-il pas du simple résultat d'un système politique équipé, qui peut s'occuper de ses malades au fur et à mesure, sans avoir besoin de les enfermer à double tour car il n'est pas capable de leur fournir le matériel de protection nécessaire? Difficile à dire tellement les éléments sont imbriqués les uns dans les autres.
Une chose est sûre en revanche, c'est qu'Allemands et Français sont, d'après de récentes études, d'accord pour organiser un déconfinement progressif en donnant un peu de leur liberté contre un semblant de sécurité, avec les fameuses applications de tracking. Sur ce point là ils font confiance à leur gouvernement respectif. Pourtant, l'utilisation de cette technologie ne pourrait-elle pas elle-même être perçue comme un manque de confiance vis à vis de sa population? C'est l'histoire du serpent qui se mord la queue...
Quoi qu'il en soit pour gérer une crise il est nécessaire de choisir un cap pour diriger et communiquer, le tout devant se faire dans un climat de confiance si on veut que cela se passe de manière apaisée et efficace.
On trouve ici un management à l'image de celui du pays, de part et d'autre du Rhin.
Comprendre la gestion de la crise sanitaire actuelle n'est pas une mince affaire, vous l'avez vu, d'autant plus que celle-ci évolue chaque jour. Ce papier n'a donc pas vocation à donner de réponse exhaustive, encore moins définitive à un phénomène en mutation constante. Il permet en revanche de mettre en exergue la nécessité d'appréhender un pays dans sa globalité si l'on veut pouvoir comprendre ce qu'il s'y passe.
Et «il faudrait se voir avec l'œil de son voisin», disait Jules Petit-Senn. Parce que tenter de comprendre l'autre, c'est aussi se donner la possibilité de prendre un peu de recul sur soi-même.
À bon entendeur, Tschüss!
Cette tribune a été initialement publiée sur la page LinkedIn de l'autrice.
« Plutôt que culpabiliser les citoyens, les élus doivent réguler la métropolisation » Mediacités
L’« urbanisme tactique » ne résoudra pas tous les problèmes des grandes villes, prévient la politiste Hélène Reigner. Confrontés à une métropolisation qu’ils ne maîtrisent plus vraiment, les élus de tous bords devront changer leurs façons de gouverner. Et revoir les priorités politiques ayant prévalu ces dernières décennies.
Par Hugo Soutra 13 mai 2020
En début d’année, candidats aux élections municipales et maires sortants nous promettaient des villes « vertes », « apaisées », « sûres », « propres » et « vertueuses. » Le déconfinement fait aujourd’hui figure de test grandeur nature pour certains élus en responsabilité. Mais leurs efforts cosmétiques pour adapter leurs territoires aux nouvelles préoccupations sanitaires et modifier les comportements des citoyens seront sans doute insuffisants, les met en garde Hélène Reigner .
Derrière les effets de manche de la communication politique, cette politiste de la faculté d’Aix-Marseille met en lumière les impensés et effets pervers des politiques urbaines organisées autour de la croissance, l’attractivité et la compétitivité. Une critique revigorante, bien utile pour (re-)penser l’avenir de nos villes et de nos métropoles.
Beaucoup de grandes villes ont grignoté un peu d’espace sur les routes pour éviter une invasion de voitures lors du déconfinement. Quel regard portez‐vous sur ces choix, largement médiatisés ?
Les plans vélos, l’élargissement des trottoirs, la piétonisation, tout cela est très bien. Mais ces interventions, qui se concentrent sur les hypers‐centres et quelques rues adjacentes, ne suffiront probablement pas à réduire les flux automobiles. Les élus communiquent beaucoup sur l’« urbanisme tactique », mais ayons bien conscience que ce supposé « changement de modèle » ne concerne que de minuscules périmètres et une infime partie de la population par rapport aux réalités métropolitaines.
Cette pandémie ne représente‐t‐elle pas une opportunité de faire rimer, désormais, sécurité sanitaire et écologie urbaine ?
Les urbanistes lient déjà ces deux concepts depuis des années : ils ne parlent plus tant de « circulations douces » que de « modes de déplacements actifs », pour mieux souligner la contribution de la marche et du vélo à l’amélioration de la qualité de l’air en même temps qu’à la santé publique. Ce qui me gêne dans ces nouveaux discours et ces aménagements temporaires, néanmoins, c’est l’infantilisation des citoyens, l’injonction à « bien » circuler à pied ou en bicyclette.
Voir des élus soudainement repeints en vert brandir l’étendard des « mobilités durables » pour rappeler à l’ordre des habitants n’ayant pas adopté les bons comportements individuels m’agace profondément. La chose politique est comme réduite à de la communication et de la pédagogie pour que chacun d’entre nous adopte les « bons gestes ».
Quel sens cela a‑t‐il d’inciter les ouvriers de l’agro-alimentaire ou de la logistique – ces hommes et femmes qui embauchent à 4 ou 5 heures du matin pour nourrir les urbains – d’opérer le bon‐choix‐modal ? Les entrepôts en lointaine périphérie dans lesquels ils travaillent sont rarement desservis en transports en commun. Et lorsqu’une alternative à la voiture existe, se pose alors le souci des horaires décalés…
Cette pensée magique augure‐t‐elle d’une nouvelle façon de faire la ville, pour les gentils piétons ou cyclistes et contre les méchants automobilistes ?
Nos concitoyens – disciplinés – ont respecté les gestes‐barrières, le confinement improvisé face à cette pandémie. Et, de fait, de plus en plus d’élus tentent à leur tour de faire porter la responsabilité de la résolution des problèmes sur les citoyens, au nom de nobles causes : santé et sécurité publiques, développement durable, etc. Cette crise sanitaire ne fait qu’intensifier cette façon insidieuse de gouverner par la morale. J’y vois une forme de renoncement du politique à agir sur un certain nombre de déterminants socio‐économiques lourds aux niveaux national comme local.
N’est-ce pas le rôle du politique que de faire des choix forts pour rendre nos métropoles plus vivables ?
Encore faut‐il que ce soit le réel objectif de ces politiques ! La piétonisation des berges de Seine à Paris n’avait pas pour seul objectif de résoudre les problèmes de circulation ni de réduire la pollution atmosphérique. Le but premier d’Anne Hidalgo et de son équipe consistait à mettre en valeur un micro‐territoire à forte valeur patrimoniale pour en faire une vitrine touristique de la capitale comme de la France. Un argument que peuvent très bien entendre, d’ailleurs, les citoyens.
Lorsque des maires légitiment leurs décisions par le Bien, le Progrès, non seulement ça restreint significativement le débat démocratique, mais ça produit également de l’action publique aveugle à certains enjeux, comme les inégalités sociales et spatiales. Faut‐il rappeler que la plupart des classes populaires ou moyennes au service des habitants des centres‐villes, et à qui on intime aujourd’hui d’adopter des comportements éco‐responsables, n’ont plus les moyens financiers de s’y loger du fait de l’emballement des prix de l’immobilier ? Ils peuplent des territoires plus périphériques et doivent faire face à des distances domicile‐travail qui n’ont cessé de s’allonger.
Développement durable, sécurité et santé publiques, hygiénisme : ces nouveaux mots d’ordre urbains vont‐ils, selon vous, remodeler en profondeur nos villes ?
Certains candidats aux municipales 2020 préconisaient déjà, avant la propagation de l’épidémie de Covid‐19, d’améliorer la qualité de l’air et notre santé… à travers une boîte à outils coercitive : restrictions de circulation ou de stationnement, « péages urbains », etc. Et à chaque fois au nom de causes inattaquables ! Donc oui, l’hygiénisme va de nouveau se retrouver au centre des politiques urbaines. Reste à voir comment ces enjeux seront inscrits à l’agenda.
On peut très bien imaginer que des maires continueront à distribuer comme avant des droits à construire des immeubles de bureaux, d’habitat, de grands équipements prestigieux et d’étaler leurs villes. Puis qu’ils intimeront, sans vergogne, aux citoyens de s’en dépatouiller avec, en limitant leurs déplacements… A moins que ces préoccupations débouchent sur une prise de conscience par rapport aux effets néfastes de la métropolisation – explosion des prix de l’immobilier, pénurie de logements abordables, artificialisation des sols, pollution et j’en passe –, auquel cas des politiques publiques nouvelles devront être inventées.
Les villes ont été transformées par le progrès sanitaire. Pourquoi ce mouvement devrait‐il particulièrement nous inquiéter ?
Le Plan Haussmann à Paris nous rappelle que l’hygiénisme a toujours été partie prenante de l’histoire de la fabrique de la ville, certes. Mais cette notion, au cœur des théories urbaines, s’est toujours révélée très ambiguë, avec des interventions sur l’espace justifiées par des raisons sanitaires clairement affichées, mais aussi une visée sécuritaire moins assumée, de contrôle social des populations. Tout est une question de dosage. Des choix vont s’ouvrir à nous lors des prochaines élections municipales et métropolitaines : aux citoyens de placer correctement le curseur pour renforcer la démocratie et la justice sociale.
Pensez‐vous que la préoccupation écologique en milieu urbain sera mieux prise en compte à l’avenir ?
Ce n’est pas un scoop mais nous avons démontré dans « Nouvelles idéologies urbaines » que, derrière la ville durable se déployant sur des micro‐territoires très étroits, se cachait systématiquement la métropole attractive, faite de flux carbonés, polluée, énergivore et grande consommatrice de sol. Ce sont les deux faces d’une seule et même pièce.
Côté pile, les élus urbains « libèrent » les grandes villes de la voiture. Ils multiplient les aménagements cyclables, piétons, doux, verts protégeant l’hyper-centre historique des « nuisances » automobiles… ainsi que les discours grandiloquents. Côté face, ils provoquent un choc d’offre automobile, quelques kilomètres plus loin. Les élus continuent massivement de voter et investir des dizaines voire des centaines de millions d’euros pour élargir ou boucler les rocades, percer des tunnels, construire des anneaux de contournement – sans guère s’en épancher en public, de crainte d’éveiller l’intérêt de leurs électeurs.
Pour quels résultats ?
Encouragés par les pouvoirs publics, la fréquentation des métros, tramways et bus a augmenté ces dernières années, comme l’usage du vélo… sans déboucher, pour autant, sur des reports modaux. Les voitures ont été invisibilisées des centres‐villes, pour le plus grand plaisir des écologistes et des associations de cyclistes. Mais les flux automobiles ont continué à croître, en réalité.
La concentration métropolitaine s’est faite en captant des flux intenses. Dès lors que la quête d’attractivité du territoire demeure à l’identique, l’intensité des déplacements ne faiblit pas. Cela vaut pour Marseille comme pour Lille, Nantes et l’ensemble des capitales régionales.
N’est-ce pas le souhait des habitants des grandes villes eux‐mêmes, finalement ?
Une partie s’accommode de cette ambivalence. Conscients que les investissements publics font prendre de la valeur à leurs biens fonciers et immobiliers, les propriétaires occupants et les grands propriétaires des hyper‐centres plébiscitent ces politiques d’embellissement de l’espace public. Mais à l’heure où les acteurs publics nous répètent qu’ils n’ont plus d’argent pour les hôpitaux, les écoles, les universités ou le développement des transports collectifs en banlieue, cette privatisation de la rente foncière et immobilière interroge.
Je ne suis pas opposée par principe au « beau », mais allons voir ce qui se cache sous les pavés de la qualité urbaine. Quel confort la collectivité offre‐t‐elle à quels groupes sociaux ? Qu’est-ce qui justifie l’achat à Marseille de l’ombrière de Norman Foster et la différence de traitement de l’espace public entre le Vieux‐Port, Noailles ou les quartiers‐Nord ? Loin de profiter à tous, ces opérations d’aménagements exacerbent le tri social et spatial dans nos métropoles. Elles génèrent de la plus‐value foncière qui, une fois accaparée par les plus aisés, ne permet pas de renforcer les services publics dans les quartiers paupérisés.
Par où les métropoles devraient commencer dans le cadre d’une véritable transition environnementale, d’après vous ?
Opérer une bascule modale dans des villes développées par et pour les automobilistes n’a assurément rien de simple. Il n’existe pas de solutions magiques. Pourquoi les élus ne commenceraient‐ils pas à arrêter d’investir de l’argent public dans le système des mobilités carbonées ? Qu’on en finisse une fois pour toute avec l’accroissement infini de la capacité des réseaux routiers ou l’agrandissement des aéroports. Les maires auront beau mettre toutes leurs énergies pour développer les mobilités alternatives à l’échelle municipale, leurs efforts demeureront vains tant qu’ils ou que d’autres institutions continueront de soutenir de grands projets d’infrastructures facilitant l’usage de la voiture ou l’avion.
Faites‐vous partie de ceux qui pensent que la dé‐densification des grandes villes s’impose ?
Ce que je sais, c’est que la métropolisation concentre certaines fonctions et activités mais, simultanément, elle disperse l’habitat et les zones d’emplois toujours plus loin en périphérie. Toulouse en est l’illustration parfaite. Alors c’est très bien de piétonniser dix rues autour du Capitole, je ne dis pas le contraire, mais gardons bien en tête que cela revient à créer des îlots protégés dans un océan de « nuisances automobiles »… Un minimum de cohérence devrait pousser les décideurs locaux, de Toulouse comme ailleurs, à changer d’échelle dans l’appréhension des enjeux, à privilégier l’échelon métropolitain ou régional.
J’ai bien conscience que ma critique puisse exaspérer certains. Mais je ne fais que mettre en lumière les limites des politiques contemporaines : cela recoupe souvent, d’ailleurs, les propres insatisfactions des militants de la gauche urbaine encore attachés aux questions sociales. A eux de parvenir à tenir les deux bouts – municipal et supracommunal – pour opérer une rupture digne d’intérêt. Ce n’est pas simple, mais la recherche produit de la connaissance qui peut être utile pour « armer », en arguments comme en outils opérationnels, celles et ceux qui, sur le terrain, souhaiteraient faire mieux et autrement.
En l’état, diriez‐vous que les maires, élus et habitants des villes‐centres – de Paris à Toulouse en passant par Lyon ou Lille – se montrent égoïstes ?
Peut‐on vraiment reprocher à Anne Hidalgo, représentante élue au suffrage universel direct des Parisiens intra‐muros, de défendre leurs intérêts en réaménagent la rue de Rivoli et Paris‐centre ? Aux associations et aux maires des communes périphériques sur lesquelles se déversent le trafic parisien de s’organiser et riposter. C’est tout l’intérêt des gouvernements métropolitains, lorsque le débat public n’est pas préalablement tué dans l’œuf…
Cela impliquerait de démocratiser les métropoles au préalable, donc ?
Les métropoles ne sont pas vertueuses en soi, mais c’est encore le lieu idéal pour débattre de l’avenir des politiques urbaines et du modèle de villes que nous voulons. Nous avons plus que jamais besoin de points de vues contrastés, de contestations citoyennes et de confrontations démocratiques. Depuis quelques années, il me semble entendre davantage les élus et habitants des territoires « délesteurs », « servants » des métropoles. Les conflits entre les communes industrielles et populaires de l’Est lyonnais sont réguliers avec la ville‐centre, qui porte des projets très « entrepreneuriaux » , et c’est tout à fait légitime : ces élus ne représentent pas les mêmes groupes sociaux et ne défendent pas les mêmes intérêts.
Le contexte contemporain nous invitera peut‐être à débattre, critiquer, cliver et écouter davantage les alternatives pour reprogrammer les standards dominants de « l’attractivité métropolitaine ». Alors que le Covid‐19 nous demande plus de distanciation, qu’une partie de nos concitoyens tirent la langue face à l’accélération de nos rythmes de vies, jusqu’où poursuivra‐t‐on l’intensification métropolitaine ? N’est-ce pas le moment de revoir l’organisation du travail, de développer massivement le télétravail ou ne serait‐ce que de décaler les prises de postes afin de réduire – véritablement – la mobilité et la congestion automobile ?
Êtes‐vous confiante sur le fait qu’une nouvelle fenêtre politique s’ouvre après cette pandémie ?
Ce sera aux habitants et aux élus d’en décider. Si vous voulez mon avis, je doute que les politiques puissent continuer longtemps à régenter nos comportements faute d’avoir régulé au préalable les contradictions d’un modèle socio‐économique qui carbure à l’hypermobilité, tout en fonctionnant en flux tendu. Il suffit d’un grain de sable – ou d’un Covid19 – et tout coince. Et on résoudrait pareilles tensions et discordances grâce aux bons gestes, éco‐responsables ou barrières de chacun de nous ? Soyons sérieux. Les citoyens n’ont pas à être les variables d’ajustements d’un système qui ne tourne pas rond.Ce sont leurs non‐choix face à l’intensification des flux de toute sorte, des déplacements, des échanges de biens et de produits, des capitaux financiers, des personnes et des virus donc, qui accroissent les vulnérabilités de nos grandes villes. Pas nos pratiques individuelles ni celles de nos voisins. C’est irresponsable de faire peser ainsi sur nos épaules des équations qui ne se résolvent évidemment pas à l’échelle individuelle. Charge à nos élus de réguler les problèmes systémiques que la métropolisation engendre en amont, plutôt que de nous culpabiliser en aval.
Les métropoles s’occuperont-elles un peu moins de rayonnement international, demain, et un peu plus de lutte contre les inégalités sociales et environnementales ?
Difficile à prédire. Le contexte actuel peut généraliser des gouvernances autoritaristes au nom de la santé et de la sécurité publiques : Christian Estrosi écrit déjà une dystopie à Nice avec les caméras dites intelligentes et les drones qui surveillent les rassemblements citoyens dans le cadre du confinement. Qui dit qu’il n’instaurera pas des crédits mobilités et des droits différenciés, demain, selon les résultats des tests de dépistage ?
Nous pouvons aussi imaginer, heureusement, des scénarios qui repolitisent le quotidien et nous permettent de faire des pas de côté. Des initiatives citoyennes émergent déjà pour réduire les déficits d’autonomie alimentaire ou énergétique des grandes villes, afin de les rendre « résilientes » pour reprendre le nouveau terme à la mode.
Bien sûr, mais l’alignement des grandes villes sur le même référentiel de compétition urbaine, de concurrences territoriales, ne vous inquiète‐t‐il pas ?
Ne comptez pas sur moi pour alimenter le discours « tous pourris » : tous les élus n’ont pas baissé les bras et tous ne livrent pas leurs villes aux logiques marchandes ainsi qu’à l’industrie des technologies de sécurité. Grenoble comme Rennes continuent de s’agrandir et d’accueillir toujours plus d’habitants, mais elles n’ont pas oublié leurs histoires et régulent de façon volontariste l’usage des sols. Les classes populaires n’ont pas été chassées de la capitale bretonne ; le métro dessert l’hôpital plutôt que l’aéroport ; l’étalement urbain a pu être freiné en construisant autour des centre‐bourgs existants – reliés à la ville‐centre grâce au développement du TER par la région Bretagne – ; une ceinture verte a été préservée bon an mal an permettant d’approvisionner les citadins en circuit‐court, etc.
Bref, la planification urbaine à Rennes se révèle bien différente des choix opérés par d’autres métropoles comme Toulouse ou Nantes, moins interventionnistes. Sans que celles‐ci ne copient, pour autant, les agendas néolibéraux de Bordeaux ou d’Aix-en-Provence… Peut‐être que cette période fera émerger des trajectoires différenciées, peut‐être verrons‐nous des grandes villes emprunter de nouveaux chemins à l’issue des élections municipales et métropolitaines 2020. Je l’espère.
Quelle ville demain ? Ville ou campagne ?
Tribune de Jean-Yves Chapuis, urbaniste, sociologue élu rennais de 1983 à 2014, ancien adjoint à l’urbanisme de Rennes et ancien vice-président à la Métropole et directeur de l’école d’architecture de Rennes. Il est aujourd’hui consultant en stratégie urbaine.
On continue toujours à parler de densité et d’étalement urbain. De plus le virus COVID19 est une bonne occasion pour non seulement critiquer la ville dense, mais de promouvoir la maison individuelle à la campagne en dehors de la ville.
Or cette pandémie fait aussi ressortir le besoin d’être ensemble, de se parler, de se voir. En fait la ville est partout, dans une société de la mobilité, les limites territoriales sont floues. Ce qui est important c’est de pouvoir choisir l’espace où l’on veut vivre en fonction de ses désirs et de ses contraintes. On peut aimer la ville dense, les centres-villes, le péri- central, la périphérie, vivre dans un appartement, dans une maison, avoir un jardin, vouloir se déplacer en voiture , en TCSP ou en vélo ou les trois à la fois selon les possibilités. Il faut arrêter de montrer du doigt la ville comme si la campagne était mieux.
La ville a été la conquête de la liberté et de l’anonymat. La ville est multiple. Elle à la fois un et multiple. C’est cela qu’il faut préserver. Ensuite il n’y a pas de dichotomie entre l’urbain et la campagne. Tout appartient à la ville que nous appelons à Rennes la ville archipel qui intègre l’ensemble de l’espace urbain et rural et permet de préserver sur la métropole 78% du territoire pour l’agriculture et la nature. Le passage d’une société sédentaire à une société de la mobilité rend les limites territoriales floues. Alors la notion de densité prend une tout autre dimension dans le respect de cette campagne. Si l’on rajoute aussi les évolutions des modes de vie et le vieillissement. La densité urbaine permet d’avoir proche de chez soi les services publics et privés qui permettent de vivre le plus longtemps possible libre et indépendant. C’est dans la diversité des produit habitats (au nombre de 14 dans le PLH de la métropole rennaise) que se trouve la solution avec une vraie politique foncière pour permettre à chacune et chacun de choisir son espace sans opposer les territoires entre eux.
La question que la pandémie pose est plutôt ce que le philosophe Harmunt Rosa qui va plus loin quand il pose la question du contrôle du monde par l’homme. « Mais alors que toutes les expériences et les richesses potentielles de l'existence gisent à notre portée, elles se dérobent soudain à nous. Le monde se referme mystérieusement ; il devient illisible et muet. Le désastre écologique montre que la conquête de notre environnement façonne un milieu hostile. Le surgissement de crises erratiques révèle l'inanité d'une volonté de contrôle débouchant sur un chaos généralisé. Et, à mesure que les promesses d'épanouissement se muent en injonctions de réussite et nos désirs en cycles infinis de frustrations, la maîtrise de nos propres vies nous échappe »
Garder la maîtrise de nos propres vies, voilà la question fondamentale qui nous est posée, il me semble.
Les villes face aux crises sanitaires : entre densification et déconcentration
Chronique des confins n° 5 Sommaire
21 avril 2020ContactDamien Delaville, Stéfan Bove
Docteur en urbanisme et géographie de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Damien Delaville a intégré L’Institut en 2018. Les travaux qu’il a menés depuis une dizaine d’années l’ont conduit à s’interroger sur le fonctionnement des territoires de faible densité, sur leur devenir et leur planification (Atelier International du Grand Paris, ANR FRUGAL…). Aujourd’hui, il est chargé de projets à L’Institut Paris Region où il pilote les études territoriales prospectives menées pour Île-de-France Mobilités. Il s’intéresse également aux questions foncières, à la transformation des villes et à la densification des tissus urbains.
Stéfan Bove est géographe-urbaniste, diplômé de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de l'Institut d'urbanisme de Paris. Son expérience acquise au sein du Conseil régional Île-de-France lui a permis de travailler sur les enjeux du territoire francilien à différentes échelles, en appui au projet régional (Sdrif). Il a rejoint l'Institut Paris Region en 2019 où il est en charge de suivre les projets d'urbanisme des territoires franciliens et de conduire des études d'aménagement territorial, urbain et foncier particulièrement en lien avec la thématique urbanisme-transport. Ses derniers travaux s'intéressent aux processus favorables à la densification et au renouvellement urbain.
Le 17 mars 2020, alors que la France se confinait pour lutter contre la pandémie du Covid-19, près de 17 % des Franciliens quittaient leur domicile et l’Île-de-France pour s’établir en région 1 : mise au vert, recherche d'espaces ouverts et de nature ? De logements et d’espaces à vivre plus grands ? Regroupement familial (étudiants, jeunes actifs, célibataires) ? Peur des contacts générés par les centres urbains ?
La presse s’en est fait l’écho : l’arrivée soudaine de populations dans des villes moyennes, des espaces ruraux ou des stations touristiques, s’est traduite par des tensions locales dues au risque de propagation du virus dans des territoires moins exposés. Elle a également mis en évidence la fragilité de certains de ces espaces, notamment par l’inadaptation conjoncturelle de leurs équipements, particulièrement de santé. Pour répondre à ces enjeux, faut-il favoriser une déconcentration des fonctions et des services, et renforcer les liens entre les territoires ?
Si les raisons de ce départ massif sont nombreuses, certaines questionnent le concept de densité à plusieurs échelles. Face à un sentiment de promiscuité, elles mettent aussi en évidence la nécessité de logements collectifs plus spacieux, bénéficiant d’un accès à l’extérieur, d’une meilleure qualité architecturale et d’espaces publics plus généreux pour les piétons. En tant qu’urbanistes, praticiens de la ville, la crise actuelle et ses conséquences spatiales interrogent nos pratiques, notre vision des territoires et les formes urbaines. Face à l’urgence climatique, environnementale et sanitaire, quels modèles développer pour les villes et territoires ?
Adapter les villes aux crises sanitaires : Less is More ?
Les réflexions sur la santé et la fabrique de la ville sont anciennes, certaines ont même été à l’origine de grandes interventions urbaines. Depuis le 19e siècle, l’habitat dégradé et les épidémies amènent à aérer, dédensifier et repenser les villes. Pour changer de modèle urbain, une série d’expériences urbanistiques a ainsi vu le jour : les cités ouvrières, le phalanstère de Charles Fourier, le familistère de Guise de Godin, ou la cité-jardin d’Ebenezer Howard. À Paris, les grands travaux d’Haussmann (grandes percées, construction de parcs et jardins) visaient à assainir la ville. La charte d’Athènes et la ville fonctionnaliste, portées par Le Corbusier, ont relevé des mêmes démarches d’inspiration hygiéniste. La mise en cause des grands ensembles construits entre les années 1930 et 1970 et qui s’inscrivaient dans la lignée de l’urbanisme fonctionnaliste a sonné la fin de l’hygiénisme passé, désormais au second plan dans la pensée urbaine. La santé ne semble plus être la première raison pour justifier d’une vision urbaine spécifique, que ce soit pour les villes nouvelles ou la traduction spatiale des phénomènes de métropolisation.
- l’habitabilité des logements de petite dimension caractéristiques des tissus urbains à forte densité, la difficulté d’accès à l’extérieur (balcons, espaces verts privatifs), les pollutions et les nuisances (visuelles, auditives, olfactives...), le défaut d’entretien de l’espace public...
- les inégalités sociales et territoriales qui soulignent des niveaux de vie très disparates ayant un impact sur le confinement : résidence secondaire hors Île-de-France, qualité et taille du logement, d’une part, et possibilité de travail à la maison ou non (comme pour les « key workers »), d’autre part.
Densité et distanciation sociale : une négation de l’urbain ?
En Île-de-France, la lutte contre l’étalement urbain et la densification des espaces bâtis sont au cœur des politiques publiques et du schéma régional d’aménagement (Sdrif), sous l’impulsion des réformes législatives initiées depuis les années 2000. Le fondement de cette densification, bénéfique pour la biodiversité, notamment en milieu rural, la préservation des sols, et dans la lutte contre les dérèglements climatiques, est aujourd’hui remis en cause par les mesures de confinement qui visent, au contraire, à limiter les interactions et à augmenter la distanciation sociale. Comme l’observe Jack Shenker2 citant Richard Sennett , la ville durable de demain est-elle incompatible avec les enjeux de santé publique ? Faut-il, pour répondre aux enjeux de santé, faire évoluer nos modèles et passer d’une ville dense à une ville plus étalée ?
Au-delà de la densité des espaces d’habitat, c’est surtout la polarisation des multiples fonctions (emplois, équipements, commerces, transports en commun, services…) qui contribue à la promiscuité ou au rassemblement. Elle peut être un vecteur amplificateur de la transmission des maladies (en 2016, Paris concentre 18 % des emplois et 16 % de la population de la région3 ). Cette concentration génère ainsi une multitude de déplacements individuels de moyenne, voire de longue distance, qui connectent des villes, des bourgs, des villages et même des hameaux à des grands cœurs métropolitains. Toutefois, les grandes villes ne sont pas les seuls espaces de propagation du Covid-19. Les plateformes aéroportuaires, les zones logistiques, les centres commerciaux, les gares et transports en commun, situés en dehors des grandes villes, sont aussi des générateurs de flux et de proximité importants. Selon Jacques Lévy « les plus grandes densités de cas se rencontrent plutôt dans des villes petites et moyennes […], dans des situations où ce ne sont pas les liens faibles typiques des grandes villes qui dominent et où les interactions supposant une interconnaissance représentent une grande part de l’ensemble des liens » (L’humanité habite le Covid-19, AOC, 24 mars 2020).
Les villes sont facteurs de diffusion par le nombre de personnes qu'on peut y croiser de près, tous les jours, ce qui peut être un motif de stress important, dans des espaces publics souvent contraints. Elles permettent, en revanche, d’organiser la lutte grâce à un bon niveau d’équipements hospitaliers, d’importantes capacités de résilience permettant par exemple d’assurer l’approvisionnement alimentaire, mais aussi des solidarités locales importantes. Dès lors, ce sont probablement les grandes villes en tant qu'espaces denses inscrits dans un système qui apparaissent les plus résilientes possible dans leur capacité à absorber l’onde de choc et à perdurer après la crise. Parmi la part de questionnements sur lesquels les urbanistes doivent se pencher, l’interaction des différentes échelles (nationale, régionale, locale) et le développement de l‘inter-territorialité semblent, aujourd’hui plus encore qu’hier, être un enjeu majeur pour renouveler un modèle d’organisation spatiale capable de faire face aux aléas et grands défis sans cesse renouvelés.
Biodiversité vs santé publique, quelles villes pour demain ?
Alors que faire pour le futur ? La crise sanitaire actuelle ne doit pas pour autant faire oublier les crises climatiques et environnementales. Bruno Latour invite à se saisir de cette crise comme d’une opportunité pour le changement « On a un arrêt général brusque et il serait terrifiant de ne pas en profiter pour infléchir sur le système actuel » (Le Grand entretien, France Inter, 3 avril 2020). Associer une vision sanitaire à l’urbanisme ne se limite pas à la gestion des épidémies et à leur propagation, c’est aussi intégrer la prévention en amont des nuisances et pollutions liées à la vie de tous les jours, aux déplacements et à leurs impacts sur la santé des habitants (particules fines liées au trafic routier et activités). Les maladies chroniques dues à la précarité, la sédentarité, l’isolement et les pollutions diverses rendent encore plus vulnérables aux maladies infectieuses. Or, l’approche éco-urbanistique déjà existante mais fragile, en évolution permanente, se heurte à des injonctions économiques, au « greenwashing », et n’est pas encore à même de prendre en compte dans sa globalité l’approche sanitaire dans les objectifs du développement durable, de replacer les humains, la faune, la flore au centre des pratiques, au centre des villes et des territoires.
L’intérêt de la préservation des sols, des espaces agricoles, naturels et forestiers, pour renforcer la biodiversité et rafraîchir en période de canicule n’est plus à prouver. L’objectif zéro artificialisation nette (ZAN) offre l’occasion de repenser nos pratiques et nos manières de faire pour l’environnement. Profitons de cette période de réflexion pour initier des objectifs plus globaux et repenser en profondeur les conditions de mise en œuvre de la planification urbaine et environnementale, contraintes par le fonctionnement des marchés de l’aménagement et de l’immobilier.
Que ce soit en Seine-Saint-Denis, département très densément peuplé, marqué par la saturation des équipements hospitaliers et le manque de lits ou en milieu rural souffrant d’une pénurie de médecins, la crise actuelle révèle une défaillance de la planification des fonctions. Le changement de paradigme résiderait-il dans le modèle de dé-densification des villes, dans une table rase de l’existant ou dans une forme de déconcentration prôné pendant les « trente glorieuses » ? En Île-de-France, la volonté de poursuivre la métropolisation ne doit pas faire oublier les pôles de centralité existants de grande couronne, ni la gestion des flux de déplacement et l’amélioration du lien entre les espaces ruraux et urbains notamment en termes de sécurité alimentaire. Dans la continuité du Sdrif, la planification régionale pourrait poursuivre le renforcement d’un système de polarités locales disposant d’une taille suffisante permettant d’accueillir habitants, emplois, équipements, commerces et services publics de manière pérenne. Elle doit permettre de rapprocher emplois et habitat dans la ville des courtes distances, et favoriser l’objectif de lutte contre l’étalement urbain.
Vers une transformation de l’aménagement des territoires
Sans présumer à l’avance de la sortie de crise, les villes, notamment denses, se sont généralement relevées des épidémies et des guerres, parfois même au prix de leur reconstruction totale. Si la globalisation a été un vecteur puissant de diffusion du Covid-19, elle a aussi facilité les réseaux d’échanges, de connaissances, et de solidarités. Nombreuses sont les voix qui s’élèvent aujourd’hui pour se saisir de la crise actuelle afin d’agir résolument sur le dérèglement climatique. La récurrence de phénomènes exceptionnels climatiques ou pandémiques ne peut que nous amener, collectivement, à considérer attentivement cette piste. À l’heure de la gestion de crise, il faut se garder d’émettre des réponses trop hâtives. Ainsi, proposer une table rase n’aura pas d’impacts sur les trajectoires des villes et territoires, ni sur les pouvoirs politiques et publics. Pire, dans un contexte très incertain de sortie de crise, la tentation sera forte, pour les décideurs, de faire primer les objectifs de relance économique, au détriment de considérations environnementales qui montaient en puissance et de questions sociales toujours irrésolues.
Pour autant, les effets du confinement interrogent nos modes de vie et d’organisation. Pour une partie de la population, la crise actuelle accélère des tendances préexistantes comme le recours massif et imposé au télétravail. Ils développent un sentiment tout relatif d’échapper aux pollutions, nuisances et risques dans les centres urbains et dans les espaces de moindre densité. À terme, la sortie de crise va-t-elle réinterroger la question de la mobilité carbonée ? Engendrer des choix de relocalisation des ménages qui vivaient en zone dense vers des territoires plus ruraux, relativement loin des grands centres urbains, ou périurbains ? Ou plaider en faveur d’une ville dense disposant d’espaces de respiration plus importants, d’une meilleure qualité architecturale et d’habitabilité ?
Les acteurs de l’aménagement et de l’urbanisme ne régleront assurément pas toutes les conséquences de cette crise, dont une partie relève de politiques nationales de santé publique, mais doivent continuer à poser et à se poser des questions, à mettre en débat et à accompagner la prise de décision, pour permettre au plus grand nombre de territoires et d’individus, d’aller collectivement vers davantage de résilience.
1. Selon les données de l’opérateur Orange.
3. 41 % de ces emplois sont occupés par des Parisiens, 13 % sont pourvus par des actifs de communes limitrophes et 46 % par des résidents d’autres communes.
POUR DONNER À CHACUN LE POUVOIR DE VIVRE
L’urgence d’un pacte social et écologique.
66 PROPOSITIONS
AVANT-PROPOS
Les alarmes retentissent. Qu’elles viennent de nos organisations depuis des années ou plus récemment de citoyen.ne.s éloignés de la vie publique, ces alarmes disent la même chose. Un modèle de société qui génère autant d’inégalités et d’injustices et met en péril la vie sur Terre de nos enfants et petits-enfants et de millions d’êtres humains à travers le monde n’est plus un modèle. C’est un non-sens.
L’heure est à la construction d’un nouveau pacte politique, social et écologique. Un pacte du court, du moyen et du long terme. Un pacte de la bienveillance et du commun : un pacte pour l’humain et pour l’humanité. Un pacte pour tous et pour la planète. Un pacte du pouvoir de vivre, aujourd’hui et demain, dans la dignité et le respect, un pacte qui nous engage tous. Telle est la conviction de nos organisations, composées de citoyen.ne.s de tous horizons engagés sur tous les terrains.
Nous avons aussi voulu tirer les leçons de ce qu’il s’est passé ces derniers mois, souvent à l’écart de nos organisations. Parce que nous voulons tracer la voie d’un changement profond, nous avons pris le temps d’écouter, de nous faire bousculer, pour confirmer ou repenser nos revendications. Parce que nous voulons que ces alarmes, ces mouvements sociaux et environnementaux trouvent une issue, nous avons voulu nous rassembler et partir des exigences formulées partout en France pour verser au débat public un agenda de transformation et de justice.
Il est nécessaire et possible de faire autrement :
• Donner à chacun le pouvoir de vivre, dans un cadre commun en protégeant notre avenir et celui des générations futures ;
• Remettre l’exigence de justice sociale au cœur de l’économie ;
• Préparer notre avenir en cessant de faire du court terme l’alpha et l’oméga de nos politiques publiques ;
• Enfin, partager le pouvoir pour que chacun puisse prendre sa part dans la transformation de nos vies.
Tels sont les 4 axes majeurs de ce Pacte.
L’erreur serait de croire qu’il est possible de continuer comme si rien ne s’était passé. L’erreur serait de perpétuer un modèle de développement qui nous mène dans le mur. L’erreur serait de penser qu’il est encore possible de décider seul des conclusions à tirer de l’expression des citoyens lors du grand débat national. Le pacte du pouvoir de vivre est la première pierre d’un vaste chantier de transformation sociale et écologique qui nécessite la mobilisation immédiate de tous. C’est pourquoi nous appelons les membres du gouvernement, les parlementaires, les élu.e.s de chaque territoire − région, département, métropole, ville −, les employeurs et chaque décideur à s’engager dès maintenant avec nous pour poser les bases d’un renouveau dans notre pays.
Parce que la richesse de ce pacte vient de la diversité de celles et ceux, organisations et citoyen.ne.s engagé.e.s qui le portent, nous appelons chacun à nous rejoindre et se mobiliser par leur soutien, par des actions de sensibilisation aux enjeux du pouvoir de vivre.
Nous rejoindre, c’est initier avec nous une mobilisation durable pour que nos propositions soient prises en compte. Ainsi, toutes et tous, nous serons les vigies et les aiguillons des choix et des politiques menées à tous les niveaux de la société.
La France et l’Europe sont à un carrefour de leur histoire. Les menaces s’accumulent mais l’essentiel demeure : notre capacité à dire de quoi l’avenir sera fait.
Un avenir qui offre à chacun le pouvoir de vivre et d’agir !
RÉINVENTER LE BIEN COMMUN POUR REFAIRE SOCIÉTÉ
Notre incapacité à agir collectivement vient d’abord de ce que nous avons abandonné l’idée de bien commun. De la galère des « invisibles » à la sécession des plus riches, de la fragmentation sociale et territoriale du pays à la persistance des discriminations et des inégalités environnementales, le sentiment se développe que les différentes catégories sociales n’habitent plus le même monde, ne partagent plus la même réalité. Ce renoncement à ce qui crée du commun et à faire société a généré la tentation du repli sur soi et du sauve-qui-peut individuel. Il est urgent d’inverser cette tendance. Les solutions seront nécessairement collectives. Il nous faut réaffirmer l’objectif d’accès de tous aux droits fondamentaux, de mixité sociale, de solidarité des territoires, et reconstruire même l’idée de fraternité.
Pour construire cette société du commun, il faut : Garantir l’accès à un logement digne
1. Encadrer les loyers dans les zones tendues
2. En finir avec les logements indignes et les passoires énergétiques en finançant leur rénovation et en interdisant à terme leur mise en location
3. Investir massivement dans le logement social et très social avec l’objectif de mixité sociale, notamment en revenant sur les ponctions HLM
4. Revenir sur les coupes opérées sur les APL depuis 2017 Combattre les inégalités dans l’éducation et la formation et construire des parcours d’émancipation
5. Faire reculer le poids de l’appartenance sociale sur la réussite scolaire.
6. Investir dans les politiques publiques d’éducation populaire.
7. Développer une culture d’écoute des aspirations individuelles dans l’éducation, l’orientation et la
formation tout au long de la vie.
8. Faire du compte personnel de formation un levier d’éducation permanente autant que d’adaptation aux métiers.
Un travail émancipateur
9. Généraliser les accords de qualité de vie au travail dans les entreprises et administrations.
10. Faire évoluer automatiquement les grilles salariales en fonction de l’évolution du SMIC dans le privé et le public.
11. Lutter contre les recours abusifs aux contrats courts et/ou au temps partiel subi. Construire un bouclier de services publics dans tous les territoires
12. Systématiser la proposition d’accompagnement humain à l’exercice des droits.
13. Généraliser les maisons de services au public.
14. Garantir un accès à la santé, en développant notamment les maisons et centres de santé accessibles tous.
Une solidarité intergénérationnelle
15. Garantir une protection sociale pour tous les jeunes : la Garantie Jeunes Universelle.
16. Garantir une retraite par répartition avec un niveau de pension qui ne puisse pas être inférieur au SMIC pour une carrière pleine.
17. Donner les moyens d’une politique ambitieuse du grand âge et de la perte d’autonomie.
Construire l’égalité réelle entre les femmes et les hommes
18. Construire dès le plus jeune âge une culture de l’égalité entre femmes et hommes.
19. Réévaluer les classifications pour revaloriser les métiers majoritairement occupés par des femmes.
20. Promouvoir l’orientation non genrée lors de la formation initiale.
Lutter contre les discriminations
21. Construire une politique nationale de lutte contre les discriminations.
22. Renforcer les moyens dans les territoires du défenseur des droits et de l’inspection du travail pour lutter contre les discriminations.
Accueillir dignement les migrants dans le respect des droits fondamentaux
23. Construire et garantir un régime du droit d’asile européen dans le respect de la Convention de Genève.
24. Promouvoir une politique d’intégration bienveillante qui s’inscrit dans notre devoir d’hospitalité.
Rendre accessible à tous une nourriture saine et éco-responsable
25. Généraliser les repas bio dans les établissements publics et privés.
26. Favoriser l’accès aux produits locaux éco-responsables en organisant les circuits courts sur les territoires.
REMETTRE L’EXIGENCE DE SOLIDARITÉ ET DE JUSTICE SOCIALE AU CŒUR DE L’ÉCONOMIE
Les inégalités sociales rongent progressivement notre cohésion, le sentiment d’appartenance commune et ce qui l’accompagne : la fiscalité, la redistribution, l’État-providence. À quoi bon payer taxes et impôts si c’est pour maintenir de telles situations de précarité ou de fragilité économique, ou si les services publics de proximité ferment ? Comment accepter de participer au bien collectif et de prendre sa part aux efforts communs alors que 10 % des ménages détiennent 50 % du patrimoine privé du pays ?
Le temps est venu de dire et de valoriser ce qui compte : le travail collectif et les savoir-faire que chacun développe, les activités qui créent de vraies richesses, le lien social… Nous devons rompre avec les logiques court–termistes et prédatrices qui épuisent les ressources naturelles planétaires et les individus au travail.
La crise sociale et écologique nous impose de poser la question du sens et des finalités de l’activité économique.
Notre objectif, c’est le projet d’une société juste, dans lequel l’emploi se développe, et le travail et la richesse sont équitablement répartis. Il nous faut inventer un autre partage des richesses et promouvoir des modèles économiques plus collectifs qui ne laissent personne de côté, sans distinction d’origine.
Le contexte de mutations que nous vivons actuellement appelle des solutions d’avenir. Il est temps d’imaginer ensemble une nouvelle politique économique, sociale, fiscale pour notre économie en transition.
€ Pour une économie au service de l’humain et pour rompre avec le moins-disant social et environnemental, il faut : Une économie et une finance vraiment responsables
27. Adosser la rémunération variable des dirigeants à la performance sociale et environnementale, et pas seulement financière.
28. Rendre les stratégies climat des entreprises réellement compatibles avec l’accord de Paris.
29. Taxer plus fortement les dividendes et taxer le rachat par les entreprises de leurs propres actions.
30. Conditionner les aides publiques aux entreprises pour les rendre solidaires de leur territoire.
31. Soutenir l’économie sociale et solidaire (coopératives, mutuelles et associations) et des modèles d’organisation d’entreprises plus responsables.
32. Porter politiquement les spécificités du modèle non-lucratif français au niveau européen.
33. Définir des services sociaux d’intérêt général préservés des logiques de marché.
Redonner du sens au partage des richesses
34. Plafonner les rémunérations des dirigeant.e.s d’entreprise, et encadrer les écarts entre les plus hautes et les plus basses rémunérations.
35. Négocier le partage de la valeur ajoutée au sein des entreprises et avec les sous-traitants.
36. Revaloriser les minimas sociaux et les faire évoluer au même rythme que les revenus du travail.
Engager une réforme de la fiscalité pour plus de justice
37. Introduire une plus grande progressivité de l’impôt (impôt sur le revenu et fiscalité indirecte).
38. Taxer les hauts patrimoines
39. Mettre fin aux dérogations bénéficiant aux revenus du capital.
40. Evaluer, modifier et réorienter les dépenses (niches) fiscales et les aides publiques aux entreprises pour qu’elles profitent à l’emploi, à la transition écologique, à l’investissement social et à la qualité de vie.
41. Augmenter les moyens pour lutter contre l’évasion et l’optimisation fiscales, et promouvoir une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés au niveau européen.
Appliquer le principe de pollueur/payeur à tous
42. Mettre fin aux exonérations de la taxe carbone française pour certains secteurs, en particulier le transport aérien et maritime, les entreprises du marché carbone européen et le transport routier de marchandises.
Utiliser de nouveaux indicateurs de richesse
43. Concevoir, piloter et évaluer les politiques économiques en fonction de leur impact sur la qualité de vie, la justice sociale, la réduction des inégalités, l’usage sobre des ressources et leur capacité à favoriser des emplois de qualité.
RÉCONCILIER TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET JUSTICE SOCIALE POUR CONSTRUIRE UN AVENIR PARTAGÉ
L’urgence du changement climatique, la montée des inégalités et l’augmentation des mobilités en France, en Europe et dans le monde, ne nous permettent plus de perpétuer un modèle aujourd’hui épuisé. Notre mode de développement nous prive aujourd’hui de notre avenir. Nous n’avons donc pas d’autre choix que de changer de modèle. Il n’y a pas à opposer justice sociale et protection de l’environnement, efficacité économique et qualité de vie. Il est essentiel que l’ensemble de la population puisse intégrer et participer équitablement à la transition écologique, et profiter de ses bénéfices possibles (santé, emplois, économies, etc.). Laisser les plus fragiles à l’écart de cette transformation et de ses opportunités serait profondément injuste et tout simplement inacceptable.
Pour faire prévaloir le long terme, il faut : Évaluer l’impact de toute nouvelle loi et politique publique sur les 10% les plus pauvres de la population et au regard des objectifs de développement durable.
Développer des mobilités plus durables et sortir de la dépendance aux énergies fossiles
44. Fixer la fin de vente des véhicules essence / diesel neufs à un horizon compatible avec l’Accord de Paris.
45. Réengager l’État dans le maillage ferroviaire du territoire, pour lutter contre le dérèglement climatique et les fractures territoriales.
46. Faire respecter l’obligation de plans négociés de mobilité dans les entreprises / administrations et les territoires.
47. Instaurer le droit pour tous les salariés de bénéficier du remboursement employeur pour les frais de covoiturage ou de vélo liés aux trajets domicile-travail.
Organiser la transition écologique dans les territoires et anticiper les mutations de l’emploi
48. Créer des budgets participatifs au niveau local pour organiser la transition : 10 milliards de l’État, 10% du budget des collectivités locales, 10% du budget de l’ANRU
49. S’engager résolument dans les énergies renouvelables et les économies d’énergie, créatrices d’emplois non-délocalisables.
50. Garantir l’accompagnement des salariés et des entreprises quant aux conséquences de la transition écologique sur l’emploi.
Instaurer une fiscalité écologique solidaire et sociale
51. Adopter une trajectoire de la taxe carbone compatible avec l’Accord de Paris et reverser l’ensemble des recettes de la fiscalité écologique aux ménages et au financement de la transition.
52. Supprimer les subventions et mesures fiscales dommageables à l’environnement et à la préservation du patrimoine naturel.
Adopter un plan d’investissement dans la transition écologique
53. Sortir les investissements verts du calcul du déficit public dans les règles européennes.
54. Définir un plan d’investissement public et privé dans la transition écologique à hauteur des 55 à 85 milliards d’Euros manquants par an entre 2019 et 2023.
Soumettre la politique commerciale et d’investissement de l’Union européenne aux objectifs climatiques, environnementaux et sociaux.
PARTAGER LE POUVOIR POUR MIEUX AGIR
Notre démocratie est sans doute moins malade de ses institutions que de l’esprit dans lequel nous les faisons fonctionner. Nous survalorisons le vote aux dépens de la délibération, l’opinion aux dépens de la réflexion collective, la concurrence électorale aux dépens de la mobilisation collective. Ce faisant, nous nous sommes enfermés dans un face-à-face entre gouvernant.e.s et gouverné.e.s, qui ne permet plus l’expression des espérances individuelles et collectives ni des alarmes sociales, civiques et environnementales. Ce face-à-face ne produit en retour qu’une défiance abyssale envers les politiques ou les institutions.
Notre modèle démocratique ne renaîtra pas si nous ne savons pas mieux partager le pouvoir tout en apprenant à mieux coopérer, si nous ne savons pas mieux débattre en amont et en aval du processus législatif, et surtout si nous ne savons pas donner plus de pouvoir d’expression et de participation aux plus défavorisé.e.s de notre société.
Pour mieux partager le pouvoir, il faut : Permettre l’expression et la participation de tous les citoyen.ne.s
55. Accroître le pouvoir d’expression des plus défavorisé.e.s.
56. Mettre en oeuvre une stratégie nationale sur l’engagement citoyen tout au long de la vie.
57. Soutenir la vie associative et syndicale en renforçant ses moyens et en prenant en compte ce qu’elle représente.
58. Inclure des citoyen.ne.s tiré.e.s au sort dans le CESE (Conseil économique social et environnemental) et les CESER (Conseil économique social et environnemental Régional).
59. Mieux inscrire le CESE dans le processus d’élaboration législatif et renforcer son rôle d’évaluation des lois et des politiques publiques.
Co-construire les politiques publiques
60. Multiplier les jurys citoyens pour l’évaluation des projets de loi, des politiques publiques, mais aussi avec un droit d’interpellation des gouvernements et institutions.
61. S’appuyer sur la vitalité associative dans les politiques publiques et l’encourager en permettant partout le déploiement des initiatives citoyennes.
62. Impliquer les citoyens et la société civile organisée dans l’élaboration des politiques de redistribution et politiques sociales.
Partager le pouvoir dans les entreprises
63. Instaurer une représentation pour moitié des salarié.e.s dans les conseils d’administration et les conseils de surveillance.
64. Rendre obligatoire la négociation dans les entreprises sur leur « raison d’être » (finalités économiques, sociales, environnementales, sociétales).
Accroître le droit d’expression au travail
65. Généraliser les espaces d’expression des travailleurs et travailleuses pour intervenir sur les transformations de leur travail (cadences, évolution des tâches, conditions de travail…).
66. Faire participer tous les salarié.e.s à la définition de l’agenda social dans l’entreprise, à l’initiative des Institutions Représentatives du Personnel (IRP).
UN MODÈLE URBAIN À L’ÉPREUVE DU CONFINEMENT
https://www.urbanews.fr/2020/04/06/57507-un-modele-urbain-a-lepreuve-du-confinement/
Pour de nombreux habitants, confinement ne rime pas forcément avec apaisement. Lorsque les petits tracas et conflits de voisinage du week-end se transforment en problématique quotidienne, la notion de densité désirable prend alors tout son sens.
Tourments quotidiens
C’est lorsque l’on se met à vivre 24h/24, 7 jours sur 7 dans son logement que l’on se rend réellement compte des avantages et inconvénients de ce dernier, comme l’apport suffisant en éclairage naturel, le vis-à-vis ou encore – et c’est sans doute le paramètre le plus difficile à gérer en ce moment – le manque d’un espace extérieur privatif digne de ce nom.
Au cœur des débats en lien avec la recherche d’une certaine sobriété foncière, les questions portant sur la perception de la densité et sa qualité d’usage sont mises à rude épreuve en ces temps de confinement.
Densité bâtie vs densité perçue ? © www.crecn.qc.ca
La morphologie de l’habitat demeure clairement un élément déterminant pour vivre les choses le plus sereinement possible. Le confinement n’est effectivement pas subi de la même façon, que l’on habite dans une maison individuelle, dans un lotissement, en habitat de « type intermédiaire », ou en immeuble collectif… Et plus encore lorsque la qualité de la réalisation laisse à désirer.
Adoucir la densité
C’est précisément le travail sur la forme de l’habitat qui doit permettre d’adoucir la perception de la densité en offrant la possibilité d’un nouveau rapport de voisinage, en gérant les hauteurs, les vues, l’intimité ou encore l’ensoleillement.
La composition d’ensemble d’un projet, son intégration dans le « Grand Paysage » et l’organisation du parcellaire sont également des éléments constitutifs d’une certaine qualité d’usage. Pourtant, ceux-ci sont encore trop souvent laissés de côté.
Habitat Intermédiaire – Villiers-le-Bâcle (91) – Atelier po&po
Le processus de densification qui se trouve au coeur du modèle urbain que nous aspirons à renouveler (Voir notamment à ce sujet les débats autour du « zéro artificialisation nette » (ou ZAN) inscrit au plan biodiversité par le gouvernement à l’été 2018), doit rester désirable, acceptable et surtout vivable. La qualité d’usage d’un logement situé au coeur d’un lotissement de maisons individuelles, construites sur de petites parcelles de 300 m² est-elle réellement acceptable ? Question identique pour certaines typologies de logements collectifs.
Pauvreté urbanistique et découpage foncier d’une monotonie sans égal…
La compacité urbaine est pourtant capable d’offrir une qualité de vie spécifique, articulée autour de nouvelles possibilités d’usage. (Voir à ce sujet le fabuleux travail de l’Agence d’Architecture Atelier po&po) Il faut hélas constater que la production de logements, encore trop souvent structurée autour de l’opposition “classique” entre l’habitat pavillonnaire et les logements collectifs, ne garantit pas ces qualités.
La volonté systématique d’économie conduit souvent à des constructions aux prestations peu qualitatives. Quid de la pauvreté architecturale, urbanistique et paysagère d’une très grande partie des lotissements ? Du découpage foncier d’une monotonie sans égal ? De la banalité des maisons-catalogue ?
Confiné mais bien installé
La crise sanitaire qui bouleverse actuellement notre planète doit nous encourager à travailler sur de nouvelles solutions urbanistiques ou architecturales désirables et durables. On se souviendra que par le passé, les mesures sanitaires déployées pour lutter contre les grandes pandémies ont modelés nos villes et façonné l’urbanisme.
La ville, quelque peu standardisée par son mode de production, est donc appelée à se régénérer, se densifier en conservant des qualités d’usage.
51 Logements – Sainte-Geneviève des Bois, Essonne (91) – Fabienne Gérin – Jean Architectes
La qualité d’usage d’un logement est étroitement liée à sa conception mais également aux « accessoires » de ce dernier. On peut lui attribuer de multiples propriétés parmi lesquelles :
- des structures bâties aux volumes réduits,
- des qualités constructives,
- l’exposition,
- la prise en compte des énergies renouvelables,
- l’individualisation du logements,
- le prolongement de l’espace intérieur vers l’extérieur via un espace privatif,
- des possibilités d’évolution et de transformation,
- les dimensions de l’espace à vivre,
- la luminosité, la température ou la qualité de l’air,
- la préservation de l’intimité de l’occupant (protection du regard, du bruit),
- et surtout : un travail sur la contextualisation du programme et en simultané sur tous ces paramètres…
Un argument supplémentaire pour repenser le modèle ?
En bref, rien de bien nouveau.
Cette période de confinement inédite, nous donne toutefois un argument supplémentaire pour travailler sur des formes d’habitat alternatives. Et ce, sans recette sans recette miracle ou formule magique prête à l’emploi!
En proposant une autre forme urbaine « post-COVID-19 », plus compacte, plus durable et plus vivable. En articulant une densité maîtrisée avec des espaces de nature, en revisitant le rapport espace public / privé résidentiel, en contribuant par la même occasion à diversifier l’offre de logement des territoires tout en conciliant qualité et rationalité…
Urbanisme.Thierry Paquot : “Faire de tout lieu un lien et réciproquement”
- 10 JUIN 2020 A 08:38
- PAR GUILLAUME LAMY
Thierry Paquot, philosophe et urbaniste, auteur de Mesure et démesure des villes (CNRS Éditions, mars 2020).
Lyon Capitale : Comment, dans l’histoire, les épidémies ont-elles laissé leur empreinte sur les villes ?
Thierry Paquot : Suite à une crue exceptionnelle, l’on trouve généralement un panneau qui en indique la hauteur, cette marque mémorielle permet à chacun d’imaginer l’ampleur de l’inondation. Idem avec un séisme, des ruines préservées en sont la trace visible. Pour une pandémie, aucune empreinte n’est conservée, à l’image du virus lui-même, qui tant qu’il ne nous concerne pas directement demeure abstrait. Vous n’en prenez conscience que lorsqu’une de vos connaissances – un parent, un collègue, un voisin – en est victime. La peste noire de 1347-1352 n’a pas inscrit ses méfaits dans la pierre des villes, en revanche, des récits, des représentations picturales, des chansons, ont pu de génération en génération en maintenir vivante la peur... De même pour le choléra de 1832 à Paris et son cortège de près de 19 000 morts en six mois, pas un monument, pas un nom de rue ou de station du métropolitain... Quant à la grippe espagnole, sa gravité n’a été perçue que bien après que les plaies de la Grande Guerre furent cicatrisées...
Qu’est-ce que la crise du coronavirus révèle de la manière dont nos villes se sont construites ?
Pas grand-chose, à dire vrai, sinon que plus une agglomération humaine est dense, plus la contamination s’y déploie. La peste a fait des ravages dans les villes importantes, tuant parfois jusqu’à 80 % de leur population et épargnant les campagnes voisines ! On ne peut pas dire que telle forme urbaine plutôt que telle autre assure à la Covid-19 une contagion plus rapide et étendue. En revanche, le confinement et le télétravail, par exemple, révèlent des imperfections des villes et des logements qui n’ont pas été conçus pour cela. La taille exiguë des appartements, leur ouverture sans horizon, la minéralité du quartier, tout cela est contraignant ; de même télétravailler à trois ou quatre dans un trois-pièces n’est guère commode. De nombreux citadins se sont alors aperçus à quel point l’extérieur comptait pour eux, les parcs et squares, les rues et allées, les places et les terrasses des cafés, les rives du fleuve, etc. Le balcon est devenu un prolongement de l’appartement, une respiration à l’air libre, une vue sur le ciel et un bras tendu aux voisins…
“La ville productiviste se trouve ébranlée par cette crise sanitaire.”
Le coronavirus a-t-il signé la fin de la ville telle que nous l’avons connue ?
J’espère que oui. Cette ville prétendue fonctionnelle, efficace, rationnelle ne l’est que pour celles et ceux qui sont solvables et en bonne santé. Or, la ville est peuplée d’inactifs (chômeurs, retraités, scolaires, SDF, migrants, etc.) qui ne trouvent pas en elle les conditions d’attention et d’accueil qu’ils en attendent. C’est une ville à consommer ! Du reste, elle-même accepte la privatisation de certains de ses espaces publics, c’est dire si les modalités ségrégationnistes sont à l’œuvre. On le voit avec la multiplication des gated communities ou “enclaves résidentielles sécurisées” qui confisquent des pans entiers de la ville, la gentrification qui homogénéise socioculturellement un quartier, les enseignes de chaînes internationales qui standardisent le commerce, etc. C’est donc la ville productiviste qui se trouve ébranlée par cette crise sanitaire.
Que nous apprend ce “super virus” sur notre relation à la ville ?
Il nous apprend la fragilité de ce qu’on croyait solide. Provoquant l’arrêt des transports publics, exigeant de la place afin de garantir les gestes barrières, interdisant les parcs et jardins publics, le virus montre une ville finalement peu hospitalière, ingrate et contraignante. De nombreux citadins découvrent un environnement sonore apaisé suite à la réduction de la circulation automobile, de même qu’ils apprécient des rythmes moins stressants. Mais cela est provisoire. Des commerçants témoignent de violences dans la file d’attente et les automobilistes roulent plus vite et grillent les feux. Je crois que celles et ceux qui s’émerveillent de leur ville devenue autre étaient déjà sensibles aux préoccupations environnementales. Dans les sondages, ils affichaient leur préférence pour des villes plus petites, plus accessibles et détendues...
“Associer les habitants aux projets et décisions pour concevoir du cas par cas et du sur-mesure.”
Comment les villes vont-elles devoir s’adapter pour vivre avec la menace du virus ?
Elles ne peuvent pas s’adapter pour contrer un virus dont nous connaissons si peu de chose sur sa provenance, sa résistance, sa propagation et le traitement des patients atteints. Nous savons que d’autres pandémies surgiront dans les années à venir, dont des zoonoses qui résulteront de la dégradation des habitats de certains animaux suite aux agissements des humains, comme la déforestation, le réchauffement climatique, la montée des eaux, etc. La seule prévention consiste à cultiver la biodiversité, à ne pas saccager les territoires des animaux et des végétaux et à décroître les mégalopoles... plus facile à dire qu’à faire !
Comment notre façon de vivre la ville, de la parcourir a-t-elle changé ?
Il est difficile de généraliser. Je crois qu’il nous faut toujours penser “les” villes et non pas “la” ville, y compris dans une même commune. En effet, la ville du jour n’est pas celle de la nuit et certains édiles ont établi le couvre-feu, celle du mardi n’est pas celle du dimanche, celle de l’hiver n’est pas celle de l’été. Nous allons connaître une période caniculaire dans des territoires impréparés à cette situation, avec des architectures inappropriées et une voirie inadaptée. Nous allons prendre conscience de la nécessité de planter davantage d’arbres, de multiplier les fontaines et les bassins, d’élargir les trottoirs et même de les supprimer pour rendre toute la rue piétonne et cyclable avec, occasionnellement ; le passage de quelques automobiles à 20 km/h. Si nous élargissons notre focale, nous constatons que la marche est pour de nombreux citadins indiens, africains, asiatiques le principal mode de déplacement et cela ne change pas avec la pandémie. Vivre dans un bidonville oblige à d’autres agissements quotidiens avec le virus, que le Lyonnais, par exemple, a du mal à imaginer... La distanciation s’imposera avec des bosquets, des haies, des ha-ha*. Les villes deviendront paysagères. Nous allons également apprécier la vicinité, cette qualité de la proximité qu’un quartier anciennement offrait aux habitants, avec ses commerces, ses ateliers d’artisans, ses services publics et privés, mais aussi ses tiers-lieux, ces nouveaux endroits partagés, sortes d’annexes à notre logement, pour y travailler, y rencontrer nos collègues, y déjeuner comme chez soi, etc.
La santé publique est-elle une donnée prise en compte en urbanisme ? De quelle manière ?
@Antoine Merlet
Il nous manque une histoire des villes entremêlée à celle de la santé, de l’art de soigner. Toutes les civilisations urbaines ne connaissent pas le médecin, le pharmacien, l’hôpital. Longtemps, la médecine combinait magie, prière et divination et l’on se soignait avec des plantes et des “remèdes de bonnes femmes”... Certes, Hippocrate dans son Traité des airs, des eaux et des lieux invite les médecins qui s’installent dans une bourgade à se renseigner sur la qualité de l’eau, des vents et du sol, sans pour autant conseiller une forme urbaine particulière... L’orientation de la ville, le fait que ses rues soient balayées par le vent qui disperse les mauvaises odeurs est alors banal, tout comme devrait l’être les appartements traversants ! Les traités représentatifs de la médecine chinoise et l’acupuncture, de la médecine indienne avec l’harmonie entre le corps et l’esprit prônée par l’ayurveda, la médecine arabe qui se nourrit de l’art de soigner des Perses mais aussi des Grecs et des Romains, n’établissent pas de corrélation entre une bonne santé et une ville ayant telle organisation territoriale et telle architecture. Dans le cas de la médecine arabe, le jardin, avec ses bassins, joue un rôle important pour la convalescence. Avec l’islam, les villes arabes se dotent des premiers hôpitaux, dont le personnel est féminin, y compris parmi les docteurs, et la séparation des malades selon leur degré de contagion. Durant la période médiévale, certaines villes ont un hôtel-Dieu pour accueillir les pauvres, les indigents, les pèlerins lorsqu’ils sont malades, la chapelle en est le lieu central, car la guérison dépend de Dieu et de l’intensité des prières... Ambroise Paré, chirurgien du roi, utilise, semble-t-il pour la première fois en français, le mot “hygiène”, du grec to hugieinon, “santé”, sans pour autant influer sur le dessin des villes. C’est avec la découverte de la circulation du sang, par William Harvey en 1628, que l’on commence à établir une analogie entre le corps humain et le corps urbain. Dans les deux circule ce qui les fait vivre. Le mot “circulation” se généralise également, comme l’explique Ivan Illich dans H20, les eaux de l’oubli, brillant historique de la place de l’eau dans la ville, sa symbolique et ses usages. La santé de chacun repose sur la propreté – le bain est conseillé et non plus craint ! –, le bon air et la marche, une alimentation sans excès, tout cela se traduit, dans la ville et l’architecture domestique, par des rues bordées de trottoirs, des caniveaux, le tout-à-l’égout, des squares et des toilettes... Ces équipements tardent à être promus car les propriétaires ne les considèrent pas comme indispensables, aussi quelques municipalités ouvrent des bains-douches et des dispensaires et assurent une prévention médicale au niveau scolaire. La tuberculose sévit et seule la suppression des îlots insalubres et congestionnés s’y oppose, tout comme la création de sanatoriums. Les autres maladies qui tuent, comme la syphilis et les cancers, ne relèvent pas vraiment de la santé publique. De nombreuses pathologies ne sont pas reconnues comme “maladies professionnelles”, je pense aux dégâts de l’amiante... On le voit, la relation entre une maladie et ses causes environnementales, au sens large, est loin d’être connue, aussi l’urbanisme n’en tient pas compte.
“Il faut pratiquer la chronotopie.”
La ville moderne est-elle adaptée aux défis du XXIe siècle ?
Non. Elle est énergivore et responsable de la majorité des émissions de CO2. Que faire ? Isoler les constructions qui sont de véritables passoires thermiques, réduire les déplacements à base d’énergies fossiles, démacadamiser, planter des arbres, supprimer l’alignement des immeubles et favoriser les frontages végétalisés, diviser les mégalopoles en plusieurs “villages urbains” avec un centre joyeux, relier tous les espaces verts, parcs et jardins en une farandole verte que les enfants métamorphoseront en terrain d’aventures, concilier la chronobiologie des humains à celle du monde vivant, pratiquer la chronotopie lors d’un ménagement – et non pas d’un aménagement ! – d’une place ou d’une rue, c’est-à-dire tenir compte de ses usages temporalisés et genrés, etc.
La pensée urbaine actuelle est-elle en panne ?
Elle est totalement dépassée, il faut la rejeter, sans regret ! Il est indispensable d’écologiser notre esprit, et pour cela privilégier une approche processuelle, transversale et interrelationnelle. Ce qui signifie l’abandon du savoir-faire standardisé et de toujours associer les habitants aux projets et décisions et avec eux concevoir du cas par cas et du sur-mesure que l’on puisse adapter, modifier, réemployer... Imagination et souplesse, voilà des mots d’ordre à faire connaître !
Doit-on penser l’urbanisme comme un lien plutôt que comme un lieu ?
Je ne parle plus d’urbanisme, mot toxique, mais de ménagement environnemental qui consiste à faire de tout lien un lieu et réciproquement.
* Ha-Ha : type de fossé utilisé dès l’Antiquité dans les fortifications pour retarder les assaillants, et qui est maintenant choisi surtout pour son aspect esthétique.
La ville dense à l’épreuve de la crise sanitaire
MAI/JUIN 2020/N°55/ INGÉNIERIE TERRITORIALE 71
La ville a, dès l’apparition de son concept, été un lieu d’échanges regroupés sur un espace contenu : ceci pour des raisons défensives et de rationalisation de son bâti. Cela a été à la fois un atout et une faiblesse.
UNE RELATION ANCIENNE ENTRE CENTRALITÉ URBAINE ET RISQUE ÉPIDÉMIQUE RÉCURRENT
La « peste d’Athènes », plus probablement une épidémie de typhus, a ainsi marqué la fin d’une époque faste pour cette ville d’Athènes à l’aura indéniable, en quelques années, entre 430 et 426 avant J.-C.1 . La maladie semble être arrivée du monde méditerranéen par le port du Pirée, dans un contexte de surpopulation et de manque d’hygiène évident. Cette épidémie a terrassé probablement un quart de la population de la ville, dont Périclès son défenseur et stratège. Les mêmes causes ont ensuite produit les mêmes effets en milieu urbain dense, avec la « peste de Justinien » qui a atteint Byzance
La « peste d’Athènes », plus probablement une épidémie de typhus, a ainsi marqué la fin d’une époque faste pour cette ville d’Athènes à l’aura indéniable, en quelques années, entre 430 et 426 avant J.-C.
1 . La maladie semble être arrivée du monde méditerranéen en 541-542 après J.-C., après avoir suivi les courants commerciaux de l’époque. Puis le même phénomène s’est retrouvé dans des villes portuaires dynamiques et tournées vers l’extérieur comme Marseille, avec la Grande peste noire de 1347, qui a sévi dans presque toute l’Europe occidentale jusqu’en 1349. Plus d’un quart de la population européenne semble alors avoir été décimée
2 . Deux siècles plus tard, les épisodes de peste qui ont atteint Venise (en 1575) et d’autres villes d’Italie du Nord (Mantoue, Milan… et Venise à nouveau [autour de 1630]) ont été très marquants : le recul de plusieurs cités-États, dont la Sérénissime République de Venise date de cette époque, même si les causes en sont multifactorielles. Ces épidémies peuvent être assimilées, dans les cas les plus récents en tout cas, à des pandémies, du fait qu’elles sont parties du continent asiatique, de Chine notamment, pour arriver ensuite en Europe, via le Moyen-Orient. La ville face aux risques sanitaires : l’urbanisme hygiéniste, puis la dé-densification La mise en relation du territoire et de la santé a été effectuée dès le siècle des Lumières pour se développer ensuite avec des compositions urbaines concrètes au XIXe et au début du XXe siècle : des compositions urbaines de Claude-Nicolas Ledoux au plan de l’Eixample à Barcelone d’Idelfonso Cerda, de la ville conçue selon les plans d’embellissement de Georges-Eugène Haussmann à Paris au quartier des Gratte-Ciel de Môrice Leroux à Villeurbanne, la recherche d’espace et de lumière a systématiquement prévalu. Pour faire face aux épidémies, l’urbanisme a eu un rôle essentiel à jouer. Ce fut le cas par exemple durant les deuxième et troisième pandémies de choléra qui frappèrent la France en 1832 et 1849. Les pouvoirs publics ont reconsidéré leur rôle en matière de santé publique et ont fait appel aux urbanistes pour assainir, embellir et aérer la ville. Ces TRIBUNES Hammarby Sjöstad : allée de desserte. © B. Lensel 72 INGÉNIERIE TERRITORIALE/N°55/MAI/JUIN 2020 TRIBUNES cartes, avec sur un temps très court l’expression de la contagion et du confinement des populations, risques déjà largement connus dans le passé.
GÉRER LA CONTAGION ET LE CONFINEMENT EN MILIEU URBAIN
Dans ce contexte de crise sanitaire grave, le problème de la contagion est le premier sujet d’intervention nécessaire, aussi rapide que possible, bien entendu : comme par le passé, la densité urbaine apparaît comme un facteur aggravant, dans la plupart des cas, vu que le grand nombre de personnes qui sont en promiscuité favorise physiquement la propagation de la maladie. Les mesures de lutte contre cette propagation doivent être d’autant plus drastiques que la densité de population est forte
5 . Le contexte de la densité devient assez clairement une contrainte, lorsqu’il s’agit de rester confiné dans un espace très restreint, de 20 à 50 m2 , perçu comme une véritable épreuve par les habitants, tant sur le plan physique que psychologique. Les enquêtes a posteriori ont confirmé d’ailleurs le départ d’environ un million d’habitants du Grand Paris qui ont préféré subir un confinement plus aéré en Région
6 . Des réponses post-crise sanitaire… Une meilleure répartition des densités sur le territoire français La course effrénée à la croissance dans les grandes villes dans un contexte de concurrence entre les métropoles a laissé de côté les villes dites moyennes. Pourtant, une ville moyenne ne rime pas avec étalement urbain et permet d’offrir à ses habitants un niveau de services, d’emploi et d’aménités dans un cadre de vie agréable. Il y a là une réflexion à mener sur ce modèle de ville, un peu oublié ces dernières décennies. Une densité intelligente et raisonnable On est sur une dichotomie ambigüe. La densité facilite les mobilités des personnes qui y trouvent, grâce à une intensité organisée, tous les services dont elles peuvent avoir besoin pour vivre (nourriture, loisirs, santé, liens sociaux…), mais elle doit éviter le dogmatisme et l’unique mobile du profit. Un véritable travail sur les formes urbaines s’impose. Plusieurs opérations récentes font la part belle aux espaces publics plantés, notamment en contraignant la place donnée à la voiture. Ces opérations proposent également des habitats dits intermédiaires qui décisions ont conduit à développer les réseaux d’assainissement collectifs et à intervenir dans les quartiers pauvres, où la densité et les problèmes d’hygiène ont joué comme accélérateurs dans la propagation de la maladie. La mise en relation du territoire et de la santé a fait l’objet d’une recherche plus poussée depuis, au sein de l’université de Lausanne et un ouvrage a synthétisé les résultats de cette recherche en 20103 . Une autre tendance a répondu de manière vernaculaire à ce souhait de desserrement de la densité des villes : il s’agit d’un développement urbain en mode horizontal, s’appuyant sur des parcelles de lotissements le plus larges possible et sur un appui systématique sur l’automobile comme unique moyen de desserte ; ce développement a été intitulé a posteriori « étalement urbain » et a fortement négligé une répartition suffisante des services et des commerces, ainsi que la desserte par les transports publics. L’urbaniste allemand Thomas Sieverts, en écrivant Entreville, une écriture de la Zwischenstadt, a plus fait un constat qu’il n’a porté un jugement4 ; c’est surtout l’urgence de prendre le problème des conurbations incontrôlées à bras-le-corps qu’il a souhaité mettre en exergue !
LE RETOUR EN FORCE DE LA DENSITÉ ET L’ARRIVÉE DE LA CRISE SANITAIRE
Au XXe siècle, les épidémies sont quelque peu oubliées, et avec, les considérations sanitaires dans la fabrique de la ville. Dans ce contexte, le retour de la densité était inéluctable, mais il a été brutal et dogmatique, en France : les débats qui ont précédé la loi ALUR en 2014 ont imprimé ce retour en force à l’échelle de tout l’Hexagone. Les directives en termes d’urbanisation entre 2014 et 2020 sont très nettes et elles visent à créer des quartiers ultra-denses, comme les grands ensembles des années 60 ne l’avaient eux-mêmes pas prévu, puisque ces derniers réservaient une part, au moins théorique, aux espaces verts. Cette hyperdensité a été reprise immédiatement par les promoteurs dans un objectif de rentabilité financière. Les quartiers nouveaux des gares de Lyon, Nantes et Rennes illustrent très bien cette tendance… Et voici qu’une nouvelle pandémie, qui reprend le chemin de celles que l’histoire a déjà connues, rebat très brutalement les offrent des logements non standardisés avec des espaces extérieurs (jardinets, terrasses) tout en garantissant une certaine densité. Des services publics de santé mieux dotés et répartis de façon plus homogène La ville « libérale », éprise de rentabilité à court terme7 , n’a pas pris en compte cette répartition nécessaire des services de santé sur le territoire, telle qu’elle a été étudiée dans l’ouvrage Santé et Développement territorial, déjà cité3 , et développée notamment par Antoine Bailly. Espérons que cette crise et que la prise de conscience qu’elle induira, servira de déclic pour changer notre approche en termes d’aménagement : « Nous sommes dans une époque de transition et de lutte entre deux civilisations où la ville est à la fois le scénario et l’enjeu de la bataille » ; cette phrase d’Ildefonso Cerda nous semble terriblement d’actualité 8 !
Virgine Sidorov, Bernard Lensel et Éric Raimondeau, urbanistes des Territoires
- https://www.persee.fr/doc/bude_1247-6862_1972_num_31_ 4_3490
- https://www.unitheque.com/pestes-epidemies-moyenage/ouest-france/Livre/125953
- Santé et Développement territorial, enjeux et opportunités, sous la direction de Simon Richoz, Louis-M. Boulianne et Jean Ruegg, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne 2010. https://www.decitre.fr/livres/sante-etdeveloppement-territorial-9782880748401.html
- Thomas Sieverts, Entreville, une écriture de la Zwischenstadt, https://www.editionsparentheses.com/IMG/pdf/p633_entreville.pdf
- https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/ coronavirus-taiwan-hong-kong-ou-singapour-epargnes-parlepidemie_3874821.html
- https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/03/26/confinement-plus-d-un-million-de-franciliens-ont-quitte-la-regionparisienne-en-une-semaine_6034568_4408996.html
- Alain Cluzet, Ville libérale, ville durable ? Répondre à l’urgence environnementale, Éditions de l’Aube, Paris, 2007.
- https://www.cairn.info/revue-histoire-urbaine-2000-1-page169.htm
La loi du plus fou
RISS · MIS EN LIGNE LE 20 MAI 2020 · PARU DANS L'ÉDITION 1452 DU 20 MAI
L’après-confinement a aiguisé les appétits. D’un côté, il y a ceux qui prétendent que cette épidémie est le symptôme d’une société malade qui ne peut plus continuer ainsi. De l’autre, il y a les fanatiques du libéralisme économique qui affirment que cette crise est un échec des services publics et qu’il faudra les ouvrir encore plus au marché.
Le combat est inégal, car notre monde actuel ne se réformera pas d’un trait de plume et les tenants du libéralisme ne céderont pas un pouce aux réformateurs. Une fois de plus, l’intérêt général passera derrière les vanités idéologiques. Il faut dire que les ultralibéraux sont aidés par leurs détracteurs. Car jusqu’à présent, les quelques revendications d’une nouvelle société ont été bien timides et surtout beaucoup plus poétiques que politiques. La litanie de vœux pieux rédigée par Nicolas Hulot en est un exemple et ne pèsera pas lourd face à la machine de guerre libérale.
Pourtant, la pensée ultralibérale n’est pas très inventive et n’a pas beaucoup plus d’imagination que ceux qui la combattent. L’atout dont elle dispose est plus perfide. Elle fait illusion et est capable d’appâter le plus grand nombre avec des gadgets séduisants. Télétravail, 5G, bagnoles moins polluantes, tourisme pour tous… l’idéologie libérale sait hypnotiser et attirer le client comme l’ampoule dans la nuit les moucherons. En face, les adeptes d’un autre monde n’ont rien de mieux à vendre que leur rêve d’une société « meilleure », « plus juste », « plus égalitaire », « plus ceci ou cela ». Mais ce ne sont que des mots, et leur poésie ne suffira pas pour lutter contre la séduction toxique des promesses d’une société exclusivement consumériste.
D’un côté, on souhaite des circuits courts ; de l’autre, on vous permet de faire vos courses sur le Net sans vous lever de votre siège. D’un côté, on suggère une redistribution des richesses ; de l’autre, on vous promet un débit encore plus grand avec la 5G. D’un côté, on exige de réduire les émissions de CO2 ; de l’autre, on vous vend, après le confinement, des milliers de bagnoles en surplus à moins 40 %.
Le combat est inégal. La raison est toujours moins attirante que la folie. Une société raisonnable, qui produit et consomme à bon escient, ne parviendra jamais à devenir plus attractive qu’une société avec des soldes « folles » et des promos « dingues ».
Lénine promettait aux Russes les kolkhozes et l’électricité. Les Russes ont eu les kolkhozes, l’électricité, et le goulag en bonus. Trois pour le prix de deux. C’est comme ça que se vendent les programmes politiques, comme des paquets de lessive. Seules les promesses délirantes excitent les foules. Les discours raisonnables n’attirent que les gens raisonnables, c’est-à-dire une minorité.
La raison est toujours moins attirante que la folie
Cette semaine, Elon Musk a promis que tout le monde aurait bientôt accès au haut débit grâce aux milliers de satellites qu’il envoie dans le ciel. Et pour quoi faire ? Elon Musk nous répond : « Les clients pourront regarder des films en haute définition, jouer à des jeux vidéo et faire tout ce qu’ils veulent. » Juste pour ça. Pour vendre sa camelote, ce petit marquis prétentieux va foutre en l’air l’espace en le polluant encore plus avec des milliers de satellites. Autrefois, les seigneurs du Moyen Âge piétinaient les champs de blé de leurs paysans avec leurs chevaux pour aller chasser. Aujourd’hui, c’est Elon Musk qui saccage avec ses satellites NOTRE ciel, propriété de toute l’humanité, et que nous regardons sans broncher, accaparés par nos bons maîtres du XXIe siècle. Et personne ne proteste, et personne ne se révolte. Sa folie de milliardaire mégalo est plus puissante que les opinions raisonnables des simples citoyens.
On est trop polis, on est trop gentils, on est trop respectueux avec ceux qui nous marchent dessus et nous méprisent. Il n’y aura rien de neuf après le Covid-19 si on se contente de faire des propositions qui seront aussitôt ridiculisées et dénigrées. Il faut arrêter d’être trop raisonnables et refuser que notre liberté soit emprisonnée par les délires de ceux qui nous asphyxient depuis des décennies avec leur vision si médiocre de la vie. Il faut leur apprendre à craindre de voir notre folie devenir plus grande que la leur.